Résumé
Cet exercice de prospective effectué en interne par l’ADEME en 2012 explicite une façon d’atteindre le facteur 4 en France en jouant sur plusieurs leviers dans les différents secteurs consommateurs d’énergie d’un côté (bâtiment, transport, alimentation, agriculture et utilisation des sols, industrie) et la production d’énergie d’un autre côté, et décrit un point de passage 2030 vers cet avenir. La méthode diffère selon l’horizon : prolongation des évolutions passées avec des infléchissements –dont certains déjà à l’œuvre actuellement- pour 2030, projections normatives permettant d’atteindre l’objectif « facteur 4 » [1] pour 2050. Il démontre qu’une politique volontariste et une mobilisation de l’ensemble des acteurs de la société assure la faisabilité d’une division par 4 des émissions de Gaz à Effet de Serre (GES) à horizon 2050 avec les technologies déjà connues. La synthèse et le rapport détaillé de l’exercice sont disponibles sur le site de l’ADEME (www.ademe.fr)
Auteur·e·s
Docteur en économie, Service Economie et prospective de l’ADEME .
Economiste, Service Economie et prospective de l’ADEME
Pour la croissance démographique et économique, l’ADEME reprend les hypothèses retenues par le Conseil d’Analyse Stratégique et l’INSEE. Pour l’évolution du prix des combustibles fossiles, ce sont les projections 2011 de l’Agence Internationale de l’Energie qui servent de base.
Hypothèses des projections
* Croissance annuelle du PIB a priori (structurelle) : 1,8 % hypothèse CAS (Conseil d’Analyse Stratégique)
* Démographie : scénario « fécondité haute » de l’INSEE
- 2012 : 62 881 000 hb ;
- 2030 : 68 531 000 hb ;
- 2050 : 74 130 000 hb.
* Hausse des prix des énergies fossiles (source AIE WEO 2011) :
2010 | 2030 | 2050 | ||
Pétrole | $ 2010 / Baril | 78,1 | 134,5 | 231 |
Gaz | $ 2010 / Mtu | 7,5 | 13 | 22 |
Charbon | $ 2010 / Tonne | 99,2 | 115,9 | 128 |
D’ici à 2030, les gains énergétiques dans le secteur résidentiel résultent d’un plan de constructions neuves (350 000/an, aboutissant en fin de période à une parité entre logements collectifs et logement individuels et une densification urbaine) amitieuse du point de vue énergétique. Ils reposent également sur des hypothèses fortes de rénovation thermique des logements existants (500 000/an). A l’horizon 2030, parmi les logements construits avant 2005, l’ensemble du parc de logements sociaux et 70 % des maisons individuelles seraient rénovés. Combinées à une amélioration des performances des équipements, ces mesures permettraient un abaissement de La consommation énergétique des bâtiments résidentiels de près de 30 % passant de 44,3 Mtep en 2010 à 32,6 Mtep en 2030.
A l’horizon 2050 le parc de logements se compose de 9 millions de logements neufs de niveau BBC (pour les neufs construits après 2020) [2] et d’un parc rénové de 27 millions de logements construits avant 2010. La consommation moyenne annuelle au m2 pour l’ensemble des usages diminue de 60 %, passant de 191kWh/an en 2010 à 75 kWh/an en 2050. La consommation énergétique du résidentiel s’établirait ainsi à 21,9 Mtep en 2050, en baisse de plus de 50 % par rapport à 2010.
Pour le bâtiment tertiaire la perspective 2030 tient compte d’une évolution des emplois issue de l’hypothèse de 1,8 % de croissance du PIB et une surface par employé stable ainsi que de gains d’efficacité semblables au résidentiel. Les consommations énergétiques passent de 22,1 Mtep en 2010 à 18,6 Mtep en 2030. Pour 2050 une hypothèse supplémentaire de réduction de 20 % des surfaces par employé liée notamment à une diffusion du télétravail permet d’atteindre 15,6 Mtep.
L’organisation urbaine permet en 2050 une diminution des transports domicile-travail grâce à une densification des zones urbaines et l’implantation de télécentres à proximité des lieux de vie.
Pour la mobilité des personnes, la projection 2030 repose sur l’hypothèse d’une mobilité individuelle (i.e. km/personne/an) constante et une diminution de la part des trajets individuels en voiture au profit du covoiturage, des services de mobilité (utilisation partagée de véhicules), des transports en commun et du vélo en milieu urbain. La projection 2050 retient une baisse de 20 % de la mobilité individuelle sous l’effet du vieillissement de la population et de l’amélioration de l’organisation urbaine et la réduction de la « mobilité subie » (via notamment le télétravail), ainsi qu’une accentuation des reports modaux initiés en 2030.
Modes /répartition | Urbain | Périurbain | Longue distance |
Véhicules individuels | 2010 : 76 % 2030 : 54 % 2050 : 20 % |
2010 : 84 %
2030 : 61 % 2050 : 39 % |
2010 : 68 %
2030 : 55 % 2050 : 30 % |
Véhicules serviciels | 2010 : 0 %
2030 : 10 % 2050 : 30 % |
2010 : 0 %
2030 : 10 % 2050 : 20 % |
2010 : 0 %
2030 : 5 % 2050 : 15 % |
Transports collectifs (bus, car) |
2010 : 6 %
2030 : 10 % 2050 : 13 % |
2010 : 7 %
2030 : 10 % 2050 : 12 % |
2010 : 8 %
2030 : 10 % 2050 : 15 % |
Transports collectifs (fer) |
2010 : 8 %
2030 : 10 % 2050 : 12 % |
2010 : 7 %
2030 : 10 % 2050 : 12 % |
2010 : 24 %
2030 : 30 % 2050 : 40 % |
Vélo | 2010 : 4 %
2030 : 10 % 2050 : 15 % |
2010 : 1 %
2030 : 6 % 2050 : 7 % |
2010 : 0 %
2030 : ’’ 2050 : ’’ |
Service 2 roues motorisés |
2010 : 0 %
2030 : 2 % 2050 : 4 % |
2010 : 0 %
2030 : 1 % 2050 : 3 % |
2010 : 0 %
2030 : ’’ 2050 : ’’ |
2 roues motorisés | 2010 : 6 %
2030 : 4 % ?? 2050 : 6 % |
2010 : 1 %
2030 : 2 % 2050 : 7 % |
2010 : 0 %
2030 : ’’ 2050 : ’’ |
En 2030 le nombre de véhicules est inchangé à 35 millions mais, avec la poursuite des progrès des moteurs thermiques et la pénétration des véhicules hybrides, ainsi que des moteurs électriques équipant notamment les voitures louées en ville, les émissions moyennes de CO2 du parc passent de 167 gCO2/km à 100 gCO2/km en 2030. En 2050 la réduction de la mobilité individuelle et un meilleur usage du parc ont pour conséquence une réduction du nombre de véhicules à 22 millions. La composition du parc change significativement.
Notons que grâce aux économies d’énergies réalisées dans les bâtiments, une part des énergies renouvelables peut être « affectée » au transport, les véhicules thermiques passant au gaz dont la moitié est renouvelable. Complétée par environ 3 Mtep de de biocarburants, soit le niveau actuel, cette évolution permettrait à la France de devenir indépendante de la ressource pétrolière en 2050 pour les usages énergétiques.
Parc de véhicules
Nombre
|
35 millions | 35 millions | 22 millions dont 5 en autopartage et 5 en véhicules utilitaires légers |
Emissions CO2 /km Véhicules neufs | 127 g/km | 49 g/km | 49 g/km si carburant pétrole |
% Véhicules thermiques | 100 % | 89 % | 34 % |
% Véhicules hybrides rechargeables | 7 % | 38 % | |
% Véhicules électriques | 4 % | 28 % |
Le transport de marchandises reste encore fortement marqué par la route en 2030, avec toutefois un léger report vers le fer qui retrouve son niveau de 1990 et une moindre augmentation du trafic (passant d’une croissance de 2,1 %/an actuellement à 0,8 %/an en 2030). Le scénario 2050 fait l’hypothèse d’un retour du trafic (en tonnes-km) au niveau de 2010, ce qui suppose des efforts importants sur la logistique, les emballages et le rapprochement entre les lieux de production et de consommation. Il fait une large place au trafic ferroviaire qui atteint une part modale de 26 % contre 9 % en 2010.
Au total les consommations énergétiques du secteur des transports passeraient de 44 Mtep en 2010 à 35,8 Mtep en 2030 et 15 Mtep en 2050. Notons que les transports maritimes et aériens internationaux sont exclus de l’analyse dans la logique du Facteur 4 qui est un objectif national, au sens émissions nationales.
Le secteur agricole peu consommateur d’énergie finale (3 %) est en revanche un important émetteur de gaz à effet de serre (18 % des émissions nationales) du fait du cheptel et des pratiques culturales fortement utilisatrices de produits chimiques.
Pour l’alimentation des Français, le scenario 2030 retient un simple prolongement des tendances actuelles avec toutefois une division par deux des pertes alimentaires évitables, conformément à l’objectif européen. La projection normative 2050 vise un rapprochement de la composition de l’assiette alimentaire avec les préconisations de la FAO, ce qui suppose une réduction des surconsommations en glucides simples et un rééquilibrage entre protéines animales et protéines végétales. L’enjeu est ici d’associer des recommandations de santé avec d’autres environnementales et ainsi de trouver des convergences d’intérêts pour les consommateurs.
Concernant les pratiques agricoles, les projectionss 2030 et 2050 intègrent une généralisation progressive des pratiques vertueuses. L’agriculture « intégrée », limitant l’usage des intrants, valorisant mieux les apports organiques et simplifiant le travail du sol par rotation des cultures, dominerait en 2050 avec 60 % des surfaces. L’agriculture biologique concernerait 20 % des surfaces en 2030, et 30% en 2050. 50 % des déjections animales feraient l’objet de méthanisation, contribuant ainsi significativement à la production d’énergie en 2050. Un retour des élevages bovins aux systèmes herbagés favorisant le maintien de prairies permanentes et un développement important des surfaces de haies et de l’agroforesterie permettent de stocker le carbone.
Ainsi la consommation énergétique du secteur agricole passerait de 4 Mtep en 2010 à 3 Mtep en 2030 et 2050 mais, surtout, les émissions de GES du secteur seraient divisées par 2 entre 2010 et 2050.
Une analyse des potentiels de recyclage et de gains en efficacité énergétique par sous secteurs (sidérurgie, métaux primaires, chimie, minéraux non métalliques, industrie agro-alimentaire, équipements, etc.) a permis d’estimer à environ 20 % les progrès d’efficacité énergétique par unité produite entre 2010 et 2030, gains reconduits entre 2030 et 2050. Avec l’hypothèse d’une croissance identique à celle du PIB sur toute la période, la consommation énergétique de l’industrie passerait de 36,5 Mtep en 2010 à 33,2 Mtep en 2030 et 26,7 Mtep en 2050.
Ainsi la demande totale d’énergie cumulée des différents secteurs passerait de 151 Mtep en 2010 à 123 Mtep en 2030 puis 82 Mtep en 2050 soit une quasi-division par 2. Les secteurs du bâtiment et du transport apportent la plus forte contribution à cette réduction.
Par ailleurs, la production énergétique est assurée actuellement à 90 % par des énergies non renouvelables. Entre 2010 et 2030 les investissements dans les énergies renouvelables permettent un accroissement important de leur contribution au mix énergétique, qui passe de 10 % à 35 % globalement. Leur part augmente de 17 % à 47 % dans la production d’électricité, de 14 % à 44 % pour les combustibles et de 6 % à 9 % pour les carburants.
Cet objectif de fort accroissement de la contribution des énergies renouvelables est poursuivi en 2050, horizon pour lequel trois scénarios ont été étudiés. Le scénario haut maintient à 50 % la part du nucléaire, un scénario bas pousse l’exploitation du potentiel d’énergies renouvelables avec une part du nucléaire réduite à 18 %. Un scénario médian situe cette part à 25 %.
Contribution des sources d’énergie en 2050, la fourchette correspond à l’écart entre les scénarios
Vecteurs | Mtep | |
Energies renouvelables | Combustibles solides biosourcés | 17,1 |
Eolien | 9,1 – 13,9 | |
Biogaz | 8,8 | |
Géothermie | 5,1 - 6 | |
Hydroélectricité | 4,3 – 5,8 | |
Photovoltaïque | 3,6 - 6 | |
Matière hors bois pour biocarburants | 5,6 | |
Calories air | 2,4 | |
Solaire thermique | 1,8 | |
Déchets | 1,3 | |
Energies marines | 0,5 – 3,9 | |
Energies non renouvelables | Nucléaire | 21,6 – 57,6 |
Gaz naturel | 11,9 | |
Pétrole | 5,9 | |
Charbon | 4,0 | |
Déchets | 1,4 | |
Total | 117 - 140 [3] |
En 2050 chaque canal de consommation énergétique finale, réseau électrique (40 % de la consommation finale), réseau de chaleur (7 %), réseau de gaz (24 %) ou usage direct (20 %) utilise un mix énergétique très diversifié recourant aux énergies renouvelables les plus adaptées. Ainsi, avec plus de 55 % d’énergies renouvelables dans le mix énergétique final, la progression des énergies renouvelables électriques (éolien et photovoltaïque), ainsi que du biogaz (pour les transports et dans le réseau) permet de réduire le contenu en carbone de l’énergie consommée. Les quantités de biogaz disponibles et le développement du véhicule électrique permettent d’envisager l’indépendance énergétique vis-à-vis du pétrole pour les transports à cet horizon 2050.
Avec cet ensemble d’hypothèses, la réduction des émissions de gaz à effet de serre atteint 40% en 2030 et le facteur 4 (division par 4) en 2050.
525 Mt CO2 eq en 1990 => 313 Mt C02 eq en 2030 => 131 Mt CO2 eq en 2050.
L’évolution des modes de transport vers une mobilité plus équilibrée en différents modes et plus partagée pour les voitures, leur moindre dépendance aux ressources carbonées, les efforts de rénovation et de construction pour un habitat moins énergivore, couplés à l’investissement dans les énergies renouvelables sont les principaux leviers qui permettent d’atteindre le « facteur 4 » en 2050. Mais ils sont aussi accompagnés par des modifications dans l’alimentation (réduction des surconsommations en glucides et protéines et rééquilibrage entre protéines animales et protéines végétales dans une optique de meilleure santé) et des systèmes de production agricole évoluant vers des pratiques plus durables. C’est une articulation entre nouvelles technologies et nouvelles pratiques qui est décrite à travers ces Visions.
Les hypothèses de cette prospective ont été introduites dans le modèle macroéconomique THREEME, développé conjointement par l’ADEME et l’OFCE. Selon cette analyse, l’économie française pourrait tirer profit de la transition énergétique car la recherche d’économie d’énergie et de décarbonation de l’énergie stimule des secteurs riches en emploi (ex : rénovation) et déprime d’autres secteurs moins riches en emplois (production d’énergie conventionnelle) ainsi que les importations d’énergie fossile (plus de 98 % du pétrole et du gaz sont aujourd’hui importés avec comme conséquence commerciale une dépense de 70milliards d’euros). Par rapport à une situation de référence, les sorties du modèle montrent que le bilan serait positif en termes de PIB et d’emploi (entre 690 000 et 875 000 emplois créés en 2050 et un gain de l’ordre de deux années de croissance du PIB).
Notes
(pour revenir au texte, cliquer sur le numéro de la note)[1] Division par 4 des émissions de gaz à effet de serre.
[2] C’est à dire une consommation d’énergie primaire de 50 kWh/an/m2 , pour les usages réglementés (i.e. chauffage, eau chaude sanitaire, éclairage, ventilation et climatisation) pour un logement de zone climatique française intermédiaire. A titre illustratif, car cela dépend de l’énergie de chauffage et de la zone climatique, c’est environ 4 fois moins qu’un logement français moyen.
[3] La production d’énergie est nécessairement supérieure à la demande finale car cette production consomme elle-même de l’énergie. La fourchette traduit le fait que les divers procédés de production d’énergie sont eux-mêmes plus ou moins consommateurs d’énergie.
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