Compte rendu
Réinventer l’eau en ville
Compte rendu
En France, l’accès à l’eau potable et à l’assainissement est un service largement répandu. De nombreuses enquêtes dans les écoles ont montré que les enfants des villes ont perdu le lien entre l’accès à ces services essentiels et les milieux naturels - la rivière, la nappe, les sols - d’où ils sont issus. Pour des raisons d’hygiène fort estimables, la stratégie générale des villes jusqu’au milieu du 20ème siècle a été de tourner le dos à des rivières devenues des cloaques domestiques et industriels et enterrer l’eau dans de vastes réseaux de canalisations chargés d’apporter des
eaux saines et évacuer les eaux usées et les eaux pluviales. Ces stratégies sont remises en cause dans de nombreuses villes pour de multiples raisons qui ressortissent de l’agrément des habitants à retrouver des espaces de nature en milieu urbain, mais aussi la nécessité de nouvelles solutions techniques pour traiter le cas des zones urbanisées de vaste ampleur. L’eau dans la ville n’est plus aujourd’hui dès lors une affaire de spécialistes de l’hydraulique ou des pollutions mais aussi d’urbanistes, écologues ou gestionnaires d’espaces verts ou de plantations urbaines. Face à l’ampleur des volumes d’eau à évacuer en période de pluies, la gestion des sols et en particulier la reperméabilsation des villes est ainsi devenue un nouvel enjeu majeur des espaces urbains, le reverdissement est un moyen important de lutte contre les phénomènes d’ilot de chaleur, enfin on voit de nombreuses villes engager des programmes de reconquêtes des berges de leur fleuves ou de réouverture des petites rivières. Cet article illustre les enseignements d’opérations menées en Région Parisienne au sein d’un programme de recherches multi-disciplinaires mené par 4D baptisé « réinventer l’eau dans la ville » : Une occasion de revisiter les approches traditionnelles de gestion de l’eau dans la ville par les apports de multiples autres disciplines et de renouer le dialogue avec les habitants.
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Ce compte rendu a été rédigé par :
Ingénieur Général honoraire des Ponts et des Eaux et Forêts, a consacré l’essentiel de sa carrière à la question de l’eau, au sein du Ministère de l’Environnement, puis à la Direction de l’Agence de l’Eau Adour-Garonne et enfin comme expert de nombreuses missions internationales dans le domaine de l’environnement, du développement durable et du climat.
Administrateur de 4D, Membre du secrétariat d’édition de l’EDD et de l’Académie de l’eau, il préside, aujourd’hui, le Groupe de travail « Eau & Climat » du Partenariat Français pour l’Eau.
Diplômée de l’Ecole Supérieure de Commerce de Rouen en 1999, puis formée en urbanisme et environnement au Conservatoire National des Arts et Métiers (2003) et aux relations extérieures de l’Union Européenne (2006) à l’Université Libre de Bruxelles. A été représentante de la Polynésie française auprès de l’Union Européenne de 2005 à 2010.
Elle est déléguée générale de l’association 4D depuis 2010 et anime depuis 2015, le projet OurLife21 initié par 4D pour stimuler les Objectifs de développement durable (ODD) et l’Accord de Paris dans le quotidien des gens.
Elle est vice-Présidente de ‘Climate Chance’, réseau des acteurs non étatiques engagés pour le climat.
Le texte suivant est issu d’une conférence organisée en partenariat par les associations 4D et France Libertés [1] le 14 décembre 2016.
Toutes les grandes métropoles sont soumises à des enjeux considérables liées à l’extension des surfaces bâties et une croissance forte des populations. Cela implique de revisiter les règles traditionnelles d’urbanisme. Le secteur de l’eau est à ce titre confronté à un double défi : conforter un service essentiel à la vie des habitants (eau potable et évacuation des eaux) et faire face à des enjeux de l’écologie urbaine pour certains forts anciens (les inondations, les espaces verts), mais pour d’autres nouveaux (ilots de chaleur, changements climatiques, etc.)
“Face au dérèglement climatique, aujourd’hui une réalité, les villes sont vulnérables. Les phénomènes météorologiques extrêmes et les risques liés à notre modèle de développement sont perceptibles par tous et exposent particulièrement les populations les plus exclues. Pollution, canicule, inondation, manque d’eau, autonomie alimentaire…, Il ne s’agit plus seulement de limiter notre impact sur le réchauffement, mais aussi d’adapter les territoires à ces changements ” [2] . C’est en ces termes que la Mairie du 10ème arrondissement invitait à une consultation citoyenne sur la résilience du quartier. Autre phénomène en expansion : la moitié de l’humanité est urbaine, le ratio est de 80% en France. Les citadins s’attendent à accéder au plus près et dans les meilleures conditions à des services, des infrastructures et notamment, une eau potable de qualité. Toutefois ils ne veillent pas à la façon dont cette eau est captée, nettoyée avant d’être renvoyée, au mieux dans la nature, voire recyclée. La gestion de l’eau dans les villes est évidemment un sujet majeur.
Les travaux menés à Paris par 4D au sein du programme « Réinventons l’eau
en ville » [3] ont permis de faire le constat d’un renouveau des réflexions sur l’eau en ville, liés aux préoccupations d’adaptation au changement climatique. Pendant le projet, le territoire francilien a connu une crue exceptionnelle et inédite en juin 2016, et une période d’étiage tout aussi extrême et prématurée dans la même saison l’année suivante. Le risque d’une inondation majeure constitue l’un des principaux chocs auxquels le territoire doit se préparer. Le 21 juin 2017, jour d’un de nos parcours pédagogique “ Réinventons l’eau en Ville ”, Paris enregistrait sa journée la plus chaude pour un mois de juin. Plus aujourd’hui qu’autrefois, du fait de la perception du réchauffement climatique, l’eau devient une ressource pour le confort du citadin.
Loin d’être anxiogène, cette prise de conscience apporte des solutions pour mieux préparer et adapter les villes, leurs populations, leurs entreprises et leurs infrastructures. Les planificateurs, architectes et ingénieurs urbains s’inspirent des écosystèmes aquatiques, recueillent la pluie, ralentissent le cycle de l’eau qui s’infiltre dans les sols, ouvrent au public les rives des cours d’eau… les citoyens refont le lien entre cycle de l’eau et jardins urbains, sont davantage prêts à voir l’eau en surface au lieu de l’oublier dans des tuyauteries souterraines… [4]. Faire des eaux pluviales non pas des déchets mais au contraire une ressource pour la ville et ses usagers. Bref en faisant aimer l’eau aux citadins, désireux de plus de nature en ville, c’est une nouvelle vision des villes, de gestion de l’eau qui visent à mieux connecter citoyenneté, urbanisme, architecture et gestion de l’eau.
L’eau est depuis l’origine un des grands sujets au cœur du développement durable. Les réflexions autour de l’eau exprime la parfaite recherche de synthèse entre les considérations économiques (organiser des services d’eau a un coût, elle est aussi liée à nos modes de vie : alimentation, industries, énergie, navigation fluviale), sociales (un service essentiel impliquant un accès pour tous, et ses multiples services publics : eau potable, hygiène, santé, risques) et environnementales (une ressource renouvelable mais fragile et limitée). Et l’on voit bien aujourd’hui, 30 ans après l’adoption du rapport Bruntland [5], 1000 jours après le début de la mise en œuvre de l’Agenda 2030 [6] et des objectifs de développement durable, que l’accélération du développement durable de l’eau, ne peut se faire sans une dynamique ascendante, avec les usagers. Le changement de paradigme nécessite des modifications substantielles des comportements de la population et des décideurs. La culture et la démocratie sont des composantes originelles du développement durable. La connaissance, la culture et la communication, la participation citoyenne peuvent contribuer à redéfinir un horizon durable et désirable. C’est l’opportunité d’inventer de nouvelles formes de vivre ensemble, où les attraits de la ville, des bassins d’emplois aux infrastructures et logement en passant par la culture où les commerces s’accommodent utilement aux précipitations, respectent et valorisent le cours d’eau et/ou le littoral qui baigne leur cité, à partager la ressource disponible avec les usagers du bassin versant sur lequel ils se trouvent, à arbitrer entre le transport, l’industrie, l’agriculture, l’hygiène, le loisir, l’esthétique et… la nature. La ville est un lieu où il faut faire vivre des formes particulières de démocratie en partant des nouveaux usages. C’est l’enjeu de la résilience urbaine, constitutive du fait urbain.« Fluctuat nec Mergitur », annonce fièrement la devise de la Ville de Paris, rendue officielle par le Baron Haussmann en 1853, (cette dernière était utilisée par les Parisiens dès le XVIème siècle) et proclamée depuis le 13 novembre 2015. [7]
Le volet du projet « Réinventer l’eau en Ville » mené par 4D a permis de mettre en perspective que :
- -> Les nouvelles perceptions de la gestion de l’eau dans la ville doivent être accompagnées d’efforts pédagogiques, qui croisent les disciplines. Ce fut l’objet de la conférence « Réinventer l’eau en ville » - 14 décembre 2016.
- -> L’implication des citoyens, pour passer à une gestion 2.0 de l’eau en ville s’exprime clairement par une ré-appropriation des eaux libres en espace urbain. Si assurer l’alimentation en eau potable et l’évacuation rapide des eaux usées et des eaux pluviales a été considéré, à juste titre, comme un progrès majeur pour le confort et l’hygiène des habitants des villes, l’eau a quasiment disparu sous terre de l’essentiel de l’espace urbain et cela freine la connaissance et l’appropriation citoyenne.
- -> Les enjeux climatiques font de l’eau une priorité des politiques de résiliences urbaines, au même titre que la cohésion sociale, la pollution… les enjeux comme les solutions sont systémiques et doivent être transmis avec cette vision auprès des publics, dans des processus participatifs ascendants.
Un socle de connaissance nécessaire à la gestion future de l’eau en ville
Au début du XIXème siècle, l’eau en ville était essentiellement associée à des problèmes d’hygiène : l’alimentation en eau potable dépendait de porteurs d’eau qui allaient puiser une eau de qualité douteuse dans la Seine, les eaux usées n’étaient pas collectées et encore moins traitées, ce qui donnait lieu à un développement bactérien très important et problématique pour la santé humaine. Nous avons donc développé des réseaux pour collecter ces eaux usées, des réseaux d’eau potable pour acheminer l’eau vers la ville une fois traitée, puis des réseaux de collecte pour les eaux de pluie. Ce développement était nécessaire pour améliorer les conditions d’hygiène, mais également pour permettre la création d’un réseau routier, de transport collectif, éléments nécessaires à l’industrialisation et au développement économique des villes. Etape par étape, nous avons aussi tout imperméabilisé : les rivières urbaines et canaux ont été recouverts, de multiples infrastructures, (parkings, aéroports, gares, chaussées, etc...) sont venus recouvrir la ville, les eaux de pluie ont été canalisées et drainées vers l’extérieur des villes via d’immenses collecteurs. Ce développement, bien que nécessaire, a petit à petit rendu invisible l’eau aux citoyens, mais a surtout complètement déstabilisé le cycle de l’eau dans les villes. Pour rappel : quand il pleut, l’eau s’infiltre dans les sols, ce qui les humidifie et contribue à remplir les nappes phréatiques. Quand il fait chaud, l’eau s’évapore et se stocke dans les nuages. Aujourd’hui quand il pleut, l’eau de pluie s’infiltre dans les égouts et non plus dans les sols, se charge en polluants en entrant en contact avec les sols bétonnés où circulent les voitures, parcourt plusieurs centaines de mètres avant d’être traitée dans une station d’épuration et rejetée dans le milieu naturel alentour. Cette eau ne revient donc pas en ville tout de suite. Il faut attendre qu’elle soit prélevée du milieu naturel, traitée dans une usine de potabilisation et acheminée par un réseau jusqu’à nos robinets pour la voir revenir. Tout ceci s’effectue avec un coût financier important et au détriment de la population qui ne voit plus que l’eau potable qui sort de son robinet et presque plus l’eau à son état naturel.
Sans compter que cela ne rétablit pas
son cycle localement. Ce rappel, à grands traits, a été essentiel lors des balades urbaines organisée par 4D ou même la conférence : à rendre l’eau en ville invisible, c’est autant de lacune sur la ressource, sa gestion, ses enjeux, ses solutions qui se sont installées. D’où vient l’eau de notre ville ? Où la renvoie-t-on ? Est-ce qu’elle va de soi ? L’école devrait enseigner le cycle de l’eau aux enfants : qu’y a-t-il avant le robinet, après l’évier et la chasse d’eau ? C’est quoi un bassin versant ? Comment la pluie tombe sur une forêt, sur un sol nu, sur un toit ? Comment limiter les conséquences des inondations ? Une approche démocratique passe par un effort de pédagogie, stimulée par un principe de réalité : rendre l’eau visible.
Résilience urbaine au dérèglement climatique et cycle de l’eau
Lors des épisodes caniculaires quel est le premier réflexe des citadins ? Se réfugier dans un parc, à l’ombre d’un arbre, nettement plus rafraîchissant qu’un sol bétonné [8] . Dans les parcs ou dans les zones où les sols sont poreux, végétalisés, la chaleur est aussi absorbée, mais elle se transforme en énergie. Énergie pour les plantes, pour les bactéries, pour les insectes : source de biodiversité. Quand on interroge les citoyens, beaucoup réclament plus d’espaces verts en ville et considèrent même que c’est une priorité. Mais avec quoi allons-nous arroser ces espaces ? Les pluies tombant sur ces espaces verts ne suffisent pas à l’entretien de cette végétation, il faut compléter avec de l’arrosage, souvent de l’eau pompée dans la rivière, potabilisée dans une autre usine puis acheminée en ville par des canalisations ? Cela n’a aucun sens. Le cycle de l’eau naturel n’est pas respecté et le coût du traitement de ces eaux polluées est nettement plus élevé que celui d’une gestion locale des eaux de pluie. Dans des villes plus végétalisées, où une tendance pour l’agriculture urbaine se développe, il faut repenser notre système et essayer de retenir sur l’espace urbain ces eaux pluviales qui filent aujourd’hui dans des collecteurs. L’eau est une ressource précieuse et indispensable depuis toujours, mais elle le devient plus encore avec les effets du changement climatique : il faut donc lui redonner une place centrale et l’utiliser intelligemment.
Quel est l’autre problème ? Nous en avons eu un exemple récemment : les inondations en ville qui peuvent provenir d’eaux excédentaires du bassin versant amont ou des ruissellements urbains. Une ville imperméable n’absorbe rien, pas une goutte. L’eau de pluie sature donc les réseaux d’eaux usées de la ville et les stations de traitement, est rejetée dans un milieu qui est lui-même au bord du débordement et cela cause les catastrophes que l’on connait. Les maisons sont détruites, les champs ravagés, les tunnels du métro inondés. La gestion des eaux pluviales n’est évidemment pas la seule cause des événements que nous connaissons de plus en plus, mais elle n’arrange rien. Un autre facteur est la qualité des sols, notamment agricoles. L’utilisation d’herbicides et de fertilisants à haute dose les rend moins perméables, ce qui fait qu’au lieu de jouer leur rôle d’éponge, l’eau de pluie va ruisseler sur ces champs, se charger en polluants et se déverser dans les rivières déjà saturées. Il faut donc renforcer l’agriculture biologique et diminuer l’utilisation de ces produits dans les zones inondables. Ce qui montre bien que tout est lié dans notre environnement : le problème est global, les solutions doivent l’être aussi.
La résilience urbaine implique une approche holistique du développement urbain, car on ne peut traiter les problématiques climatiques, environnementales et sociales séparément, et que les solutions pour y répondre doivent intégrer l’ensemble des impératifs.
Des risques aux solutions
L’autre facette de la résilience urbaine est de voir les risques avant tout comme des opportunités, de créer des activités, de tisser le lien social, de réduire l’empreinte climatique de notre société, et ainsi d’améliorer la vie quotidienne des habitants tout en redonnant des perspectives optimistes pour les générations futures [9] . C’est moins compliqué qu’on ne le pense.
Prenons l’exemple des inondations. [10] Avec les villes de Douai, Rennes ou encore Valenciennes qui étaient victimes d’inondations répétées. Ces villes ont su adapter leur mode de gestion des eaux pluviales et ont utilisé des techniques dites alternatives. La première action a été de donner un deuxième usage à une infrastructure à chaque fois qu’une rénovation était nécessaire : des systèmes alvéolaires ont été créés dans les espaces verts, des réservoirs d’eau sous les voiries, jusqu’au centre-ville. Au lieu de saturer les canalisations, les stations de traitement et les milieux naturels, l’eau de pluie est contenue dans des infrastructures de stockage répartie de manière homogène dans toutes la ville grâce à une étude préalable appelée le zonage pluvial. Grâce à cela, on étudie les précipitations zone par zone et on restaure localement le cycle de l’eau.
Dans les villes moins concernées par les inondations, ces techniques alternatives doivent également être utilisées. Les parcs et jardins publics peuvent être équipés de réservoirs afin de récupérer les eaux de pluie qui serviront à l’arrosage des plantes, des bassins peuvent également être créés afin de traiter ces eaux : peu polluées, elles peuvent facilement être épurées à l’aide de plantes telles que des roseaux et circuler ainsi à travers les parcs. L’eau est à nouveau rendue visible et son utilité apparaît aux yeux du grand public, sans parler du côté esthétique et ludique de tels bassins.
En dehors des jardins, des portions de sols peuvent également être rendus perméables en développant les espaces verts, des carrés de plantation d’arbustes, de plantes ou des noues – sortes de fossés végétalisés qui recueillent l’eau de pluie. En somme, il ne faut plus que les espaces verts des villes se résument à de grands parcs ou jardins, mais qu’ils soient disséminés à travers la ville. En créant ainsi de petites surfaces de sols perméables et végétalisés, on permet à l’eau de pluie de s’infiltrer, aux plantes de se développer, ce qui contribue au remplissage des nappes phréatiques et à la restitution de l’eau dans l’atmosphère par évapotranspiration.
De plus, les plantes ont un pouvoir épurateur non négligeable : les racines captent les nutriments nécessaires ce qui restaure un équilibre, les plantes consomment du CO2 et libère de l’oxygène ce qui contribue à la diminution des concentrations de gaz à effet de serre localement. On restaure non seulement le cycle de l’eau local, mais on améliore également la qualité de l’air et des eaux qui s’infiltrent jusqu’aux nappes phréatiques.
Les grandes inondations de 2016 nous ont rappelé, aussi, que les débits de la Seine, aperçus sur toutes les chaînes de télévision, dépendaient fortement d’un environnement régional vaste, ce qui implique des solidarités à organiser entre collectivités sur le bassin versant. Un ensemble de barrages réservoirs régule déjà fortement les crues du fleuve, dispositif qu’il faudra renforcer sans doute car le coût d’une grande catastrophe à Paris est devenu insupportable.
Pour un développement massif et efficace de ces structures, les demandes et initiatives des citoyens sont primordiales : si les zones végétalisées ne sont pas attrayantes, esthétiques, elles ont souvent tendance à se transformer en zones où les passants jettent leurs déchets, perçues comme des endroits non entretenus ou mal entretenus par les villes. Il faut donc que leur installation soit faite en concertation avec la population locale : un ingénieur hydraulicien y verra l’intérêt en matière de gestion des eaux de pluie, mais le citoyen veut avant tout que cela soit joli et agréable.
Comportement citoyen, réappropriation des berges, gestion partagée des communs
La réouverture de nombreuse rivières urbaines enterrées au siècle dernier, des berges de nos grands fleuves ou des plans d’eau en ville sont une tendance générale dont les urbanistes et ingénieurs vont devoir s’inspirer, ce qui implique pour eux l’ouverture de nouveaux dialogues avec des paysagistes, écologues et une nouvelle écoute des habitants. Prenons l’exemple de Paris, terrain d’expérimentation pour 4D du projet. On ne peut contester une certaine visibilité de l’eau : la Seine traverse la ville d’est en ouest. Pourtant, elle est davantage vue par les parisiens comme une séparation entre les rives droite et gauche, une voie de passage pour les bateaux. La Seine a été progressivement confisquée aux habitants de Paris : les berges ont été transformées en voies rapides, la qualité de l’eau s’est dégradée, la Seine est devenue davantage un réservoir à « Vélib » et autres véhicules qu’à poissons. Les quais de Seine sont toujours restés néanmoins un lieu de promenade préféré des parisiens. Mais cette perception est en train de changer : ’Paris plage’ est apparu l’été, les berges sont redevenues piétonnes, d’abord le dimanche puis tous les jours, les Parisiens se sont remis à profiter de cet espace pour un footing, une balade à vélo ou à pied, des bars et restaurants ainsi qu’un nouveau mobilier urbain s’y sont installés. Les parisiens se sont donc réappropriés les abords de leur fleuve et la satisfaction est visible, surtout lorsque les beaux jours arrivent. Élargissons notre focale et nous entendons aussi les arguments pour ou contre la réduction de la circulation automobile, des débats sanitaires liés à la pollution atmosphérique. Il n’y a pas de conflit sur la priorité des enjeux, seulement sur la vision du vivre ensemble en ville.
Dès lors la question de baignade en ville, associe plusieurs dimensions. D’abord celle d’une reconquête des citadins sur l’espace urbain et dans l’imaginaire collectif : l’eau en ville n’est pas qu’une boisson mais l’élément naturel qui nous rafraichit, permet la vie et la renaissance d’une biodiversité oubliée. En tirant le trait, on fait le lien entre la place de l’eau, la considération qu’on lui porte, la biodiversité et la préservation de l’environnement. Des compétitions de natation sont d’ores et déjà organisées dans le bassin de la Villette et surtout en cas de forte chaleur, l’affluence est au rendez-vous. Le projet est lancé et sera accéléré en vue les JO de 2024, mais dans tous les cas, nous pourrons prochainement nous baigner dans la Seine et cette étape renvoie à un projet de métropole plus végétalisé.
Un fleuve moins pollué va voir apparaître un regain de diversité, même si le bon état écologique de la Seine ne signifie pas nécessairement une qualité suffisante pour la baignade. Mais en interdisant la circulation sur les berges, en gérant nos eaux pluviales plus raisonnablement, en s’attachant à avoir une qualité suffisante pour la baignade, on améliore nécessairement la qualité de l’eau du fleuve donc la biodiversité qui y règne.
Promouvoir une perception différente de l’eau en ville va jusqu’à rappeler que les eaux pluviales ne sont pas nécessairement un milieu où les moustiques se développent : si l’eau stagne sur une surface bétonnée peut-être, si l’eau s’infiltre dans un espace végétalisé on crée un équilibre de biodiversité qui ne favorisera pas la prolifération d’une espèce par rapport à une autre. Oui les espaces végétalisés demandent plus d’entretien qu’un sol bétonné, mais n’est-il pas plus valorisant de s’occuper d’un espace végétalisé que de balayer une surface goudronnée ? Bien sûr cela demande plus de travail manuel, mais c’est le même constat partout : quand on exerce un métier en lien avec la nature, les plantes, le milieu de vie, plus les machines sont présentes, moins la gestion est écologiquement responsable. On le constate évidemment dans l’agriculture productiviste, qui pousse à ne plus travailler la terre avec ses mains. On l’arrose de pesticides et de fertilisants, on sème et on récolte avec des machines et c’est précisément cette disparition du travail manuel qui nuit à la qualité de nos sols [11] .
Il faut donc travailler en symbiose avec les citoyens pour implanter de nouvelles infrastructures, associer à de nouveaux usages, répondant à de nouveaux modes de vie. C’est la voie que nous permettrait de prendre les trajectoires définis par l’Accord de Paris pour maintenir le réchauffement climatique sous 2°C voire 1,5°C, ainsi que celle des Objectifs de développement durable.
Une culture de la sobriété eau, énergie, sols pour une économie symbiotique
La gestion des eaux usées évolue aussi fortement : une maîtrise des volumes d’eaux à traiter est engagée – (notamment via les campagnes d’économie d’eaux potable en amont par des campagnes de lutte contre les fuites, un renouvellement des équipements ménagers et un comportement plus raisonné des usagers qui ont porté leur fruits). Certaines villes, comme Singapour, recourent à des techniques alternatives (réutilisation des eaux usées, dessalement). En effet, les stations d’épuration d’aujourd’hui seront en réalité demain de véritables usines de production : la matière organique extraites des eaux usées sert à produire du biogaz, on peut imaginer récupérer le phosphore et les nitrates contenus dans les urines pour les valoriser, les sables et les boues pourront servir aux travaux urbains ou à la production de compost et ainsi de suite. Toutes ces améliorations ne sont pas une échéance lointaine mais une réalité concrète et actuelle, c’est pourquoi il est urgent de changer notre mode de gestion des eaux pluviales : on ne peut avoir de telles innovations technologiques et continuer avec un système aberrant et contre-productif pour gérer ces eaux. Les eaux usées ne doivent plus être associées à une source de pollution, à un risque pour l’hygiène et la santé, mais à une source de richesse que nous devons à tout prix valoriser et exploiter le plus intelligemment possible. Nous ne pourrons pas extraire indéfiniment les ressources dont nous avons besoin des mines et du sol, nous devons donc les extraire de nos déchets et les réutiliser.
Il y a également un lien important entre les émissions de gaz à effet de serre et la façon dont on gère et traite nos eaux usées. Les stations d’épuration ont un bilan carbone et un coût non négligeable [12] . En effet, certains procédés sont coûteux en énergie et en améliorant la qualité de ces prestations, on augmente mathématiquement la production de gaz à effet de serre et le montant de la facture.
Des balades urbaines pour réinventer l’eau en ville
Comment rendre les citoyens acteurs de changement ? Nous avons parlé de pédagogie, de bon usage... cependant comment favoriser l’action, à la hauteur de leur responsabilité et compétence. Il s’agit bien de favoriser la restauration du bon fonctionnement des cycles de l’eau locaux qui permettra de réguler la hausse des températures, les épisodes de précipitation, et ainsi pallier les risques liés au changement climatique.
D’abord présenter aux citadins des techniques alternatives de gestion des eaux pluviales, in situ lorsqu’elles existent. Avec des cartes jeux lors de déambulation urbaines autrement. Ils observent les sols, l’évacuation de l’eau, le bruit, les températures. Ils font face aux défis : par exemple, le sol n’absorbe pas l’eau, il est trop tassé, il est traité et n’est plus assez vivant. Quelles solutions… Ces défis sont nombreux.
les constats in situ |
la proposition des enfants |
les cartes solutions |
Les enfants ont constaté que l’eau de pluie perlait sur le sol. Ils ont proposé des bandes enherbées où le sol absorberait l’eau et la filtrerait. “Avec des fleurs ce serait encore plus joli” |
Une bande enherbée : Une étendue d’herbe (et / ou de fleurs) permet à l’eau de pénétrer dans le sol tout en la filtrant naturellement. | |
Il faisait chaud. Les enfants ont arpenté le quartier Valmy. Ils ont regardé les murs qui les encerclaient. Ils ont proposé des façades végétalisées. |
Une façade végétalisée : Les végétaux transpirent de la vapeur d’eau permettant de rafraîchir la ville | |
Le gardien arrosait l’asphalte pour rafraichir les terrains de jeux. L’eau d’abord rafraichissait, stagnait puis s’évaporait, ou rejoignait les évacuations par les grilles qui entourent la surface. |
Une noue : |
De leurs observations, des échanges, ils ont élaboré une carte, localisant des propositions d’aménagement… celles -ci sont facilement duplicables et renforcerait l’indice hydro morphique [13] du quartier.
De la balade effectuée dans le 10ème arrondissement, une proposition a été déposée sur le site Madame la Maire, j’ai une idée : déperméabiliser 10 % des surfaces de l’arrondissement.
Pour une meilleure lisibilité de la carte cliquer : Ici
Notes
(pour revenir au texte, cliquer sur le numéro de la note)[1] Etaient présents, par ordre alphabétique : Nadja Bedock, ’France Libertés’, Bellaïde Bedreddine, président du SIAAP et Vice-Président du conseil départemental de Seine-Saint-Denis en charge de l’écologie urbaine, Isabelle Delannoy, association ’Do Green’, Brice Lalonde, sous-secrétaire général de l’ONU, Président de l’Académie de l’Eau, Thierry Maytraud, urbaniste-hydrologue et président fondateur de ’ATM eau’, Jean-Luc Redaud, président du groupe ’Eau-Climat du Partenariat Français pour l’eau’ et membre de l’ ’académie de l’eau’ et ’4D’, Christophe Ribet, directeur adjoint du cabinet de Célia Blauel, maire adjointe en charge de l’environnement, du développement durable, de l’eau, de la politique des canaux et du plan climat énergie territorial à la Mairie de Paris, Edouard Sors, architecte spécialisé sur le patrimoine hydrique des villes et la gestion intégrée, écologique et patrimoniale des eaux en milieu urbain et VaiaTuuhia, déléguée générale de 4D.
Prise de notes : Marie Langlois-Berthelot
[2] Propos introductif pour la feuille de route locale Paris 10ème - territoire d’expérimentation de la stratégie de résilience de la Ville de Paris - Comité d’Initiative et de Consultation d’Arrondissement - 18 décembre 2017
[3] Projet piloté par le LEESU (Université Paris Est - Paris tech) au sein du programme Picri Ile de France qui associe associations et chercheur pour rapprocher le grand public de sujets de recherche, qui font débat
[4] Rencontre avec Brice Lalonde, Président de l’Académie de l’eau, au ’Mardi de 4D’ du 14 mars 2017.
[5] Publication rédigée en 1987 par l’ONU qui utilise pour la première fois l’expression de « sustainable development” .
[6] Adopté par 193 pays en 2015, l’agenda 2030, transformer notre monde, définit une nouvelle feuille de route universelle pour le développement durable.
[7] Stratégie de résilience de Paris - »Fluctuat Nec Mergitur" - décembre 2017.
[8] Le goudron et le béton qui recouvrent nos villes absorbent la chaleur tout au long de la journée. La nuit, lorsque la température de l’air baisse, le goudron restitue cette chaleur, ce qui entraîne une augmentation de la température la nuit.
[9] Stratégie de Résilience de la Ville de Paris - 2017
[10] Cas extraits de “Gestion des eaux pluviales en milieu urbain : engagez-vous dans la lutte contre le changement climatique !” : rapport de la Fondation France Libertés (2016).
[11] Propos d’Isabelle Delannoy, auteur de l’Economie Symbiotique, 2017.
[12] Propos de Bellaïde Bedreddine lors de la conférence.
[13] Travaux entrepris par le LEESU.
- info document (PDF – 947.3 kio)