Résumé
Cet article, en 2 parties, développe l’idée que les inégalités devant la santé sont avant tout des inégalités, culturelles, économiques et politiques. Souvent réduites à la question d’un inégal accès aux soins, à des « renoncements aux soins » pour des raisons économiques (et donc cherchant à rationaliser le système d’un point de vue administratif et économique), et la plupart du temps reposant sur une foi inébranlable dans « les progrès de la médecine ou de la technique », les réflexions comme les politiques publiques n’arrivent pas à se déprendre de plusieurs idées reçues : la santé se serait améliorée grâce aux progrès de la médecine, et le développement économique et social aurait permis un accès du plus grand nombre aux services de santé. S’il est vrai que l’accès aux soins s’est largement développé, ce n’est pas la raison principale de l’amélioration de la santé (on vit plus vieux, et plus longtemps sans handicap) pas plus que les politiques actives de développement ont permis de résorber les inégalités, toujours bien présentes. Mais si tout le monde croit dans les bienfaits de notre système sanitaire en matière de santé, c’est bien que la médecine a triomphé, et en cela ne s’intéresse pas tellement à la santé qu’elle proclame produire. Et qu’elle n’est pas intéressée par la question des inégalités.
Dans une première partie, il montre, d’une part que les préoccupations sur les inégalités de santé sont déjà anciennes, que les inégalités sont pérennes, et, avec l’histoire de l’eau, en quoi « ce qui a le plus contribué » à l’amélioration de la santé est le résultat de hasards, essais, expérimentations et approximations, le plus souvent en dehors du champ de la médecine ou des services de santé. Souvent, des modifications ont été apportées dans les habitudes et modes de vie des gens sans argument réel pour le faire. On n’a appelé ces modifications des progrès que parce que l’on a pu observer des résultats qui nous ont satisfaits. Ce faisant, on a bien occulté les dégâts collatéraux (l’iatrogénie d’Illich). Et cela confirme que les facteurs principaux de l’amélioration de la santé sont des facteurs non médicaux, mais plus sociaux et environnementaux.
Dans la deuxième partie, il aborde plus précisément l’idée que ces modifications du cadre de vie, facteurs de santé, sont plus le résultat soit de francs tireurs, soit de démocrates éclairés, mais pratiquement jamais de politiques de développement en tant que telles, car l’état de santé d’une population est le résultat d’un équilibre systémique fort complexe, qui fait que sa volonté d‘agir sur l’un ou l’autre des facteurs entraîne une modification de tout le système, plus ou moins imprévisible. Cela nous permettra de conclure que les perspectives pour une évolution « durable » de nos pratiques « pour la santé » devraient être plus modestes, et surtout plus démocratiques, c’est-à-dire le fruit d’une réelle coopération entre experts, politiques et acteurs sociaux. Autrement dit d’une refondation coopérative, mutualiste et associative de la politique publique. Et de ce fait, on pourrait peut-être s’intéresser réellement aux inégalités.
Auteur·e
Médecin de santé publique et médecin coordinateur en EHPAD (Etablissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) et socio-économiste du développement. Il est Directeur de l’AFRESC (Association Action, Formation, en Santé Communautaire).
Il met en œuvre des projets d’évaluation participative et de formation dans les domaines des pratiques sociales et sanitaires.
Il est l’auteur de plusieurs ouvrages sur ces thèmes.
1832. Une épidémie de choléra frappe la ville de Paris. Elle fait 18 602 victimes [1] . Sans aucun appareillage statistique moderne, les médecins et l’administration parisienne font le constat suivant : dans les rues les plus étroites et les plus sordides, le taux de mortalité cholérique a été de 33,87 %, comparé à un taux de 19,25 % dans les « quartiers bourgeois ». Précisons bien la signification de ces chiffres : les personnes, une fois atteinte par le choléra, meurent plus souvent (presque 2 fois plus) si leurs conditions de vie sont moins bonnes, du point de vue environnemental.
Ces constats se succèdent : en 1892, la dernière épidémie de choléra parisienne fait 906 morts. Les arrondissements les plus touchés sont ceux de l’est parisien (11e : 104 décès, 18e : 116 décès, 19e : 106 décès). Comme le dit R.H.GUERRAND, ce sont ceux « habités par le peuple ». Nous reviendrons plus loin sur le sens à attribuer à ce mot, ainsi qu’à la lancinante question des inégalités de santé.
Ces constats amènent le Dr. Jacques BERTILLON [2] , lors du recensement de 1891 portant sur 884 345 familles à identifier des conditions de vie « propices aux maladies ». Cela en fait l’un des précurseurs de la santé publique, laquelle ne pourra s’édifier que grâce à ce qui en fait sa spécialité : la science statistique.
14 % des parisiens (c’est-à-dire 331 000 personnes) vivaient dans un « état d’encombrement excessif ». RH.GUERRAND poursuit : « l’incidence sur la mortalité était claire : là où on comptait le moins d’habitant par pièce, dans les 8e et 9e arrondissements, il y avait aussi le moins de décès Là où ils s’entassaient, dans les 13e, 19e et 20e, la courbe des morts s’élevait. »
Une décennie plus tard, Charles NICOLLE, devenu sourd et incapable de continuer un métier de clinicien, est nommé directeur de l’Institut Pasteur de Tunis. Il est reconnu pour ses travaux de microbiologie et bactériologie qui lui ont valu un prix Nobel, en identifiant par exemple le pou comme vecteur du Typhus. François DAGOGNET [3] cependant montre une autre facette de cet éminent médecin. Il est l’un des premiers à s’interroger sur la provenance géographiques des malades, en utilisant pour cela des cartes géographiques afin de visualiser la provenance des malades. Il découvre la notion de foyer : par la simple utilisation de punaises sur une carte, il permet d’objectiver une « réalité » invisible autrement, c’est-à-dire la perception d’un problème de santé et non plus seulement d’une maladie (indentifiable dans le seul corps de l’individu, base de l’épistémologie de la biomédecine). H.BECKER [4] fut très intéressé par l’importance de la manière de « montrer la réalité sociale » : certaines manières de montrer et représenter les faits sociaux sont plus visibles et plus compréhensibles que d’autres, ou en tout cas permettent de révéler des facettes cachées. Charles NICOLLE, empiriquement, a découvert une nouvelle façon de représenter la maladie : une façon qui dépasse la médecine, le corps, la biologie et qui affiche une réalité plus complexe de la santé et de la maladie, une réalité sociale.
De ces recherches empiriques, une méthodologie nouvelle a pu naître, appelée depuis santé publique. Ces approches ont montré que les facteurs qui amènent, contribuent, causent les maladies ne sont jamais uniques (comme on a pu le croire après la découverte des microbes par Pasteur), et que ces multiples facteurs sont pour une grande part complètement extérieurs à l’individu et à son corps : il ne suffit plus de regarder à l’intérieur du corps malade pour comprendre l’origine de la maladie [5]. La santé publique est cependant restée, à ce jour, marginale à l’intérieur du système de santé. La santé publique peine à s’imposer à la pratique médicale. Elle est la portion congrue des études médicales. L’épistémologie biomédicale, par une pensée trop univoque sur la santé et la maladie, bloque une réflexion sur les problèmes de santé élargie à leurs dimensions sociales, culturelles et économiques. Ce déficit d’analyse a des répercussions pratiques. En ramenant les causes, les explications des problèmes de santé à l’individu, à son corps et à son comportement, l’épistémologie biomédicale omet ainsi d’approfondir d’autres facteurs essentiels. Dans le cas des inégalités de santé, cela conduit à ramener constamment la question des différences constatées de niveau de santé entre populations à des inégalités d’accès aux soins (ou de culture, c’est-à-dire de la capacité à utiliser les services de santé de manière adéquate). Nous le verrons en détail dans la présentation que nous faisons de la question du rapport entre la politique de l’eau, la médecine et les inégalités de santé. Même si nul ne peut ignorer l’importance des progrès réalisés dans le traitement des maladies grâce au paradigme biologique de la médecine (la correspondance anatomo-clinique – décrite par Michel FOUCAULT, et la causalité microbienne pasteurienne, la biologie humaine) la plupart des médecins ne devraient pas continuer à ignorer les facteurs qui déterminent la santé et se contenter de soigner les maladies qui affectent les gens, comme s’il s’agissait d’une situation singulière et récurrente.
C’est donc parallèlement (les parallèles ne se rejoignent jamais…) et en marge du développement extraordinaire de la biomédecine que vont s’élaborer les conceptions de la santé publique. Ces conceptions seront le fait d’humanistes, médecins, administrateurs ou patrons d’industrie, qui constatent à quel point les conditions de vie – et partant, la nécessité économique de la productivité [6] – sont délétères sur la santé des ouvriers, des plus pauvres. De grands mouvements sociaux verront le jour et des expérimentations souvent très importantes qualitativement et politiquement resteront pourtant marginales dans la manière d’appréhender et de mettre en œuvre les politiques de santé publique et de développement.
L’exemple de l’eau
C’est dès le 16ème siècle que la question de l’eau revient [7] à l’ordre du jour. L’utilisation de l’eau comme moyen de production (blanchisseries, tanneries, teintureries qui répandaient une puanteur infernale dans certaines villes) va vite aboutir à altérer l’eau, qui devient saumâtre, polluée, impropre à la consommation [8]. Cette conscience de la relation entre la qualité de l’eau et la santé va progressivement remettre à l’agenda politique les nécessités d’un approvisionnement en eau potable pour tous d’une part, et la séparation plus nette entre les sources d’eau (fontaines, puits) et les eaux usées (souillées). Ainsi, en ville, voit-on apparaitre des porteurs d’eau, qui ramènent de l’eau propre puisée en amont de la ville. Petit à petit, l’idée d’acheminer l’eau réapparaît (n’oublions pas les aqueducs romains). Le problème de l’eau est cependant complexe : il faut des sources (que l’on va chercher en profondeur, l’eau profonde étant censée être pure), ou il faut purifier l’eau, la transporter sans qu’elle se souille, et finalement, arrivée à destination, être utilisée de manière cohérente. Ainsi, Paisley, en Ecosse, invente un système d’approvisionnement en eau pour les blanchisseries en 1804. James Simpson, en 1827, met en place un procédé de filtration de l’eau par le sable.
François DAGOGNET (cf. note 3) décrit le problème de l’utilisation de l’eau par les habitants nouvellement reliés au réseau, en Hollande : les gens « puisent » l’eau à la Fontaine comme lorsqu’on va la chercher au loin et l’entreposent dans des bacs. De fait, l’eau, bien que filtrée et surveillée, devient vite impropre à la consommation, car elle devient l’équivalent des eaux stagnantes [9].
Eau, politique de développement urbain et santé publique : la fabrication des inégalités…
Cette complexité décrite pour l’eau est généralisable : le développement urbain concrétise les éléments des progrès à faire dans de nombreux domaines, dont l’impact sanitaire va être fondamental. Mais les connaissances – souvent d’origine médicale – permettant de mettre en œuvre de nouvelles mesures sont toujours incomplètes, difficiles à partager, difficiles à mettre en place. Elles se heurtent aux résistances des élus, de l’administration, aux intérêts locaux, aux habitudes et usages des gens. Ainsi, pour l’eau, alors que la question biologique, bactériologique est reconnue et documentée, 23 % seulement des français disposent d’un réseau d’adduction d’eau en 1930, et encore seulement 70 % en 1970. Et même cet effort en matière d’adduction d’eau est contrecarré par le fait que l’eau amenée sert essentiellement, en tant que fluide liquide aux températures usuelles, à véhiculer la saleté produite par la vie et l’activité humaines (nettoyage, éliminations, industrie). C’est par l’épandage dans des champs (pour filtration) que l’eau va être traitée. Seuls 12 % des français sont reliés au tout à l’égout en 1960. Comparé aux 70 % reliés au réseau d’eau, on voit là une des difficultés principales de l’eau, déjà connue à la fin du moyen-âge : les modes d’utilisation initiés par les réflexions et les réalisations des développeurs ont en eux-mêmes nombre d’effets iatrogènes, et rendant ambigu le rapport entre développement et santé.
Il n’y a qu’à voir les évènements les plus récents en matière d’eau, en Bretagne par exemple où l’épandage des lisiers issus d’une agriculture industrielle, pollue massivement les eaux, qui rejettent leurs polluants dans la mer et favorise la prolifération d’algues toxiques.
La rationalité de l’eau, bel exemple de la relation entre santé, développement et modes de vie, peut encore être poussée plus loin. Les besoins d’eau, l’idée (l’idéologie) de l’hygiène poussent à utiliser de plus en plus d’eau (pour exemple : entre 20 et 30 l par personne et par jour au début du 20e siècle, sans doute 20 à 40 fois plus aujourd’hui). Il faut donc toujours plus « organiser » la distribution d’eau. Hausmann met en place une vaste politique de dérivation des petites rivières, de captation des eaux souterraines et de réseaux d’égouts. Ces politiques nécessitent de lourds investissements et l’eau devient non plus une matière première commune (partagée, gratuite) mais un bien de consommation dont il va falloir payer le prix (correspondant non à la matière première, mais au paiement de la distribution et de l’assainissement). L’administration publique commence à déléguer la maîtrise d’œuvre de la « fabrication » de l’eau en la confiant par concession à des entreprises (Compagnie Générale des eaux, Lyonnaise des eaux) qui vont vite devenir des énormes trusts. Chaque avancée nécessite de nouveaux investissements qui sont répercutés sur le coût de l’eau. La rentabilisation des investissements, une fois confiés au secteur privé, aboutit à une « dé-communisation » de l’eau. L’eau, collective, distribuée dans des lavoirs ou des fontaines, va maintenant, moyennant contrats, être distribuée individuellement. Chacun va payer sa consommation et assister, impuissant, à la montée des prix tout en ayant un service qui semble les satisfaire de plus en plus (l’eau arrive maintenant à domicile – dans des tuyaux de plomb). Les fontaines et les lavoirs disparaissent des grandes villes. L’accès à l’eau, pourtant élément de nécessité vitale, élément de la santé publique, est depuis conditionné par des impératifs de rentabilité, eux-mêmes liés à une utilisation dangereuse de l’eau, laquelle est liée à une mentalité à laquelle tout le monde adhère implicitement : l’eau sert principalement à véhiculer des déchets.
Ivan ILLICH écrivait ainsi : « La ‘paix populaire’ sauvegardait l’accès du démuni aux pacages et aux bois ainsi que l’usage public de la route et de la rivière ; elle reconnaissait aux veuves et aux mendiants des droits exceptionnels d’utilisation de l’environnement. La ‘pax oeconomica’, elle, définit l’environnement comme une ressource rare qu’elle réserve à un emploi optimal pour la production de marchandises et les prestations des professionnels » [10]. Il rajoute : « Voilà ce qu’a signifié historiquement le développement (…) : l’exclusion brutale de ceux qui voulaient survivre sans dépendre de la consommation de valeurs d’utilisation de l’environnement. La ‘pax oeconomica’ alimente la guerre contre les communaux ».
… par les effets pervers du développement et de la foi en des solutions techniques sectorielles
La question de l’eau montre à quel point il est nécessaire de complexifier la question des inégalités devant la santé : il s’agit de ne pas passer à côté de causalités liées aux enjeux politiques et idéologiques : détruire les biens communs, les transformer en marchandises ou en intrants de marchandises, supprimer l’accès gratuit au nécessaire, définir des besoins, les faire payer, et constater les effets de stratification sociale conduisent à des rapports à la vie et à la santé très affectés par la possibilité d’accès aux ressources.
Mais la question du développement ne se limite pas à fabriquer de la rareté (l’accès aux services, aux besoins de base), au nom du progrès, du bien ou de la santé. Techniquement, l’accès à l’eau potable représente un progrès, avec des répercussions indéniables sur la santé. Ce sont les choix de production, d’accès et d’utilisation qui posent problème et finissent par provoquer nombre d’effets pervers.
I.ILLICH rappelle que les architectes britanniques du 19e siècle « concevaient la ville comme un corps social à travers lequel l’eau devait constamment circuler et repartir en charriant ce qui la souillait ». Cela correspond d’ailleurs étroitement à la conception générale de la santé humaine, laquelle est bien calquée (ou l’inverse ?) sur le modèle mercantiliste de la richesse : « l’idée que la santé humaine dépend de la circulation rapide du sang s’insérait bien dans le modèle mercantiliste de la richesse – juste avant Adam Smith – basé sur l’intensité de la circulation monétaire » [11] - [12].
« Etre une personne de qualité [signifie désormais] être propre : ne pas sentir mauvais, avoir un chez-soi inodore » [13] . L’accès à l’hygiène, le contrôle par l’odeur et la propreté, la découverte des effets sur la santé (épidémies, mortalité) va servir une politique de démarcation entre les riches et les pauvres – toujours et imperturbablement active – : c’est une véritable police sanitaire [14] qui va se mettre en place car il s’agit de « désodoriser ceux qui sont en majorité – les pauvres » [15] . Mais dès la fin du 19e siècle, « on commence à constater la dissémination, par l’eau courante, de germes pathogènes d’origine fécale en raison de la pollution des eaux vives par l’évacuation des toilettes » . [16] Les choix politico-administratifs de développement et de santé – l’urbanisation « culturelle » – en laissant grandir des préjugés sous couvert d’évidences scientifiques et techniques [17] ont des conséquences redoutables : parce que les fèces doivent être déposés dans des WC pour être emportées par l’eau, et parce que la plupart des grandes villes pauvres n’ont tout simplement pas l’argent minimum [18] pour apporter l’eau nécessaire à cette élimination, une grande partie des habitants de Mexico n’utilisent pas de toilettes pour leurs excréments, sans qu’on développe pour autant d’alternative. Le résultat est alarmant « Mexico offre au monde un nouveau fléau. C’est aujourd’hui un endroit où salmonelles et amibes sont couramment transmises par les voies respiratoires ». Pour ILLICH, cela transforme jusqu’à la définition même des besoins : « Les gens apprennent qu’ils sont tributaires de services même quand ils agissent sous l’incitation des besoins les plus élémentaires » [19].
La question de l’odeur, de la salubrité, de la propreté, du risque, sont évidemment puissamment alimentés par les représentations, par les idéologies, par les préjugés. Ainsi par exemple nous pourrissons la planète par l’eau polluée, par des pratiques en matière d’hygiène et d’utilisation de l’eau sommes toutes délétères, mais nous estimons que grâce à cela, les mauvaises odeurs ont disparu, que les risques sont jugulés. I.ILLICH a raison de faire remarquer que « Le désodorisant neutralise le nez. Nos villes construisent des espaces où sévit une puanteur industrielle sans précédent. Et nous sommes devenus aussi insensibles à cette pollution que les Parisiens du 18e siècle l’étaient à l’odeur de leurs cadavres et de leurs excréments. » [20].
Actualité de la problématique.
Que ce soit l’eau potable dans les régions rurales où l’agriculture est hautement industrialisée, ou en ville, le constat est le même. L’eau devient ou redevient insalubre dans les pays riches. Seules les causes, les risques ont changé. Hier le péril fécal, aujourd’hui les pesticides, les déchets médicaux (médicaments), les nitrates, les métaux lourds, la radioactivité. Les captages doivent être protégés. L’eau devient un enjeu de ressource au même titre que l’énergie, et pas seulement dans les pays secs, nécessitant une surveillance constante, une sécurisation. L’utilisation d’eau contrôlée devient la règle (eau en bouteille) car malgré les discours rassurant des autorités sur la potabilité de l’eau du robinet, personne n’y croit vraiment. Sinon pourquoi continuer à prôner de l’eau en bouteille pour les nourrissons ? En n’oubliant pas que l’eau en bouteille n’est que 100 fois plus chère que l’eau du robinet… Les plastiques et les transports de l’eau sont énergivores, anti écologiques, mais peu importe. La nécessité d’une eau de qualité est devenue un tel enjeu que l’on voit fleurir toujours plus de marques d’eau en bouteille. Bien évidemment, l’accès aux produits sains se paie cher. Dans la mesure où l’eau saine serait une nécessité de santé, l’inégalité d’accès à cette « ressource de santé » se renforce.
L’actualité du problème de l’eau aide à voir que nombreuses sont les problématiques équivalentes pour lesquelles les politiques menées se ressemblent étonnamment. Le constat est clair : si la nature des problèmes a changé au cours de l’histoire, les problèmes subsistent, et leurs inégales conséquences sociales perdurent.
Revenons aux problèmes posés par l’analyse des épidémies de maladies infectieuses à Paris au 19e siècle. Il convient de visualiser la cartographie de ces épidémies. Ce sont les arrondissements du nord-est parisien qui sont les plus touchés. Cette géographie est entièrement superposable à la répartition de la pauvreté (ou de la richesse) dans la capitale. Deux siècles plus tard, de nouveaux problèmes sont apparus. Par exemple le saturnisme à Paris et en banlieue. La géographie du saturnisme se superpose exactement à celle du choléra. Ce sont les quartiers pauvres qui sont les plus touchés, malgré plusieurs décennies de politique publique de l’habitat (Haussmann, Front populaire, Grands ensembles, villes nouvelles, politiques de la ville, etc.). Bien entendu, l’explication causale des problèmes change, se précise, devient plus fiable. Les premiers constats se situaient à la limite entre l’empirisme et la statistique (« la courbe de morts s’élevait dans les quartiers populaires, la cause en étant l’entassement, la promiscuité, l’insalubrité »). Les causes sont maintenant plus objectives et prouvées scientifiquement : s’il y a plus de saturnisme dans le nord-est parisien, c’est parce qu’on y trouve plus de vieux logements – construits avant 1948 et la loi sur le logement – libérant les prix des loyers pour les appartements neufs et introduisant des critères de confort et de salubrité – logements dans lesquels les peintures s’écaillent, contiennent du plomb. Les enfants, vivant, jouant au ras du sol, mettant tout à la bouche, ingèrent du plomb, respirent des poussières de peinture chargées en plomb, d’où le saturnisme. Beaucoup d’hypothèses ont vu le jour avant d’arriver à stabiliser l’explication causale (en particulier, certains commencent à envisager le fait que la plupart des enfants, d’origine étrangère, auraient en fait des problèmes de géophagie…).
La géographie du saturnisme recouvre donc la géographie du choléra à 150 ou 200 ans de distance. Les maladies infectieuses ont disparu (plus ou moins) du paysage et sont remplacées par d’autres problèmes de santé (saturnisme, cancers, alcoolisme). Les mêmes populations sont atteintes, dans les mêmes quartiers. 150 ans de développement, d’amélioration de l’habitat, d’urbanisme n’ont rien changé à la ségrégation spatiale, à la ségrégation sociale et, partant, à la ségrégation sanitaire. Nous pourrions faire le même constat sur nombre d’autres problèmes comme l’alcoolisme, les conséquences du tabagisme, les cancers, pour finir par constater que les indicateurs agrégatifs que sont l’espérance de vie et le taux mortalité reflètent cette ségrégation.
Même si l’on constate, avec la politique actuelle de gestion de l’assurance maladie, que de plus en plus de monde retardent ou abandonnent des soins médicaux faute de ressources suffisantes, nous devons constater, comme nous l’avons montré dans la première partie, que l’origine des inégalités ne peut se résumer à la question de l’accès aux soins. Les inégalités, la ségrégation sociale et spatiale du début du 21e siècle se superposent fortement à celles du 19e siècle, époque où la question de l’accès aux soins ne se posait pas. Force est de constater que la question des inégalités de la santé, constatable d’évidence, n’a pas beaucoup évolué malgré les progrès de l’habitat, de la médecine, de l’éducation, et les discours lénifiant des politiques de tous bords. En tout cas, nous avons montré la complexité des causes de ces inégalités, et montré que le niveau de santé d’une population ne pouvait pas être imputé au seul système de soins même dans les dernières décennies de « progrès technologiques » intenses dans les soins. Les effets environnementaux, d’aménagement, les politiques publiques ont continué à jouer leur rôle, ne serait-ce que dans la progression de la mise aux normes de l’assainissement et du retraitement des eaux usées. Ces effets touchent probablement à leur fin, et les effets pervers apparaissent : épidémie de cancers par exemple, dont les causes probables sont sans doute à rechercher du côté des pesticides et autres perturbateurs endocriniens (en attendant la probable contamination radioactive qui nous guette).
Il nous faut maintenant essayer de comprendre ce qui, dans les modèles de développement social et de santé, empêche la réduction des inégalités et quelles seraient les pistes politiques qui pourraient permettre de les dépasser.
Analyse systémique des problèmes de santé
Le concept de pathocénose développé par l’historien M.GRMEK nous aide à mieux comprendre les raisons de la persistance des inégalités. Pour GRMEK [21] , « Trois propositions précisent la signification de ce néologisme » :
- La pathocénose est un ensemble d’états pathologiques qui sont présents au sein d’une population déterminée à un moment donné ; il s’agit d’un système qui a des propriétés structurales particulières et qui doit être étudié en déterminant à la fois qualitativement et quantitativement ses paramètres nosologiques ;
- La fréquence et la distribution de chaque maladie dépendent, en plus de divers facteurs endogènes et écologiques, de la fréquence et de la distribution de toutes les autres maladies ;
- La pathocénose tend vers un état d’équilibre, ce qui est particulièrement sensible dans une situation écologique stable ».
Pour ce qui concerne notre propos, deux points de cette définition sont particulièrement importants : la pathocénose concerne une population déterminée ayant des propriétés structurales particulières (incluant une dimension nosologique singulière) et la pathocénose tend vers un équilibre dans une situation écologique stable. Aucune amélioration ne peut donc se produire en matière de santé d’une population si d’une part on ne s’attaque pas aux propriétés structurales (par exemple les conditions de vie et d’exposition au risque) de cette population, et d’autre part si la situation « écologique » reste stable (en entendant écologique au sens de l’ensemble des facteurs interagissant dans une situation, en particulier le logement, l’eau, les soins, etc.). Nous constatons effectivement une stabilité écologique particulière, et une reproduction radicale – à l’instar de ce que nous a montré Bourdieu – des propriétés structurales de la population pauvre. Même si certains facteurs évoluent (la qualité des logements pour nombre de pauvres), l’équilibre systémique entre tous les facteurs n’évolue guère.
C’est lors d’une étude pour la politique de la ville de l’agglomération dunkerquoise [22] que ce phénomène nous est apparu avec netteté. Lors de notre enquête, nous avions mis en évidence des différences sensibles de définition des problèmes de santé publique qui affectent les habitants selon la qualité de nos interlocuteurs (habitants, professionnels de santé, politiques, administratifs, professionnels autres). En particulier pour les habitants, le problème majeur résidait dans la pathologie liée à l’amiante. Beaucoup de familles d’ouvriers sont atteintes, une parfois même plusieurs personnes de chaque famille ouvrière sont atteints ou sont morts du mésothéliome. Ce problème est pris à bras le corps par les élus, qui essaient de faire travailler ensemble professionnels, industriels, syndicats, associations. Les professionnels de santé, et particulièrement les médecins et les pharmaciens, pour leur part, n’expriment qu’à la marge ce problème lié à l’amiante. De telle sorte que les habitants se sentent délaissés, abandonnés face à ce problème gravissime. Ce constat nous a poussé à essayer de comprendre les raisons d’un tel sentiment de délaissement : selon notre analyse, les professionnels se sentent et se trouvent face à un problème qui les dépasse, insoluble dans le cadre des réponses qu’ils peuvent apporter. D’une certaine manière, c’est préserver sa faculté d’agir que de se cantonner à du faisable. On sera « plus efficace » en traitant ce qu’on peut traiter qu’en essayant d’agir sur un problème pour lequel on n’a pas de solution . [23] Le résultat constaté est une sorte de démission professionnelle, et une suspicion envers les professionnels de la part de la population. Cet exemple montre bien la pluri-factorialité des problèmes de santé publique. Si les médecins ne s’impliquent pas dans la compréhension du problème afin d’en réduire les conséquences, ou au moins d’en réduire de nouvelles occurrences, qui le fera, qui aidera les populations ?
A Dunkerque, dans la pratique, d’autres que les médecins se sont chargés de la question de l’amiante : les industriels en élaborant beaucoup d’obstacles à l’étude, l’information et la compréhension du problème ; les politiques en développant des politiques d’urbanisme et de concertation. Les résultats des politiques d’urbanisme peuvent se lire quand on prend le soin de les observer : à Dunkerque, nous avons réalisé un diaporama montrant les résultats des couches successives des « solutions urbaines » mises en œuvre. Une chose apparaissait avec clarté : chaque solution était marquée d’une volonté d’apporter des solutions immédiates à un problème et non d’analyser le problème dans ses différentes composantes. D’autre part la complexité n’était jamais prise en compte en particulier en ce qui concerne la démarche de compréhension de ce que vivent les gens (qui n’ont de fait jamais été associés à la détermination de la politique urbaine). Peu ou pas d’analyse (excepté peut-être quelques sociologues militants sur la question de l’amiante), solutions immédiates, politiques décontenancés, aboutissent à des résultats qui, s’ils ne mettaient pas la vie des gens en jeu, pourraient prêter à rire : une des villes de l’agglomération (Saint Pol sur Mer) est un ancien port de pêche, et n’a plus accès à la mer, le site industriel ayant été construit par emprise sur la mer. Le grand ensemble d’immeubles construits dans cette même ville, au mépris de l’habitat et du mode de vie traditionnel du Nord, est bordé par une avenue dont le nom est Boulevard de l’Espérance.
La politique de santé et politique urbaine et de logement, d’aménagement du territoire contre le développement durable.
Cette symbolique du lieu, de l’habitat, du travail (le travail tue, mais il n’y en a plus, et les jeunes n’en veulent surtout pas) fait partie des facteurs tout à fait déterminant pour comprendre l’enjeu de la santé aujourd’hui dans la ville, et les évolutions qu’il faudrait prévoir.
Malheureusement, les « solutions » [24] techniques, administratives, bureaucratiques, humanistes ne datent pas d’hier, et on ne semble pas en avoir suffisamment tiré les conséquences.
Bien avant le développement des éléments qui font le substrat de notre analyse de la santé publique à Dunkerque, de nombreuses expériences « d’amélioration de la condition ouvrière » avaient déjà vu le jour. Si la plupart sont le fait de patrons paternalistes (Schneider au Creusot, Bataville en Moselle, Meunier à Noisiel), certains projets, de par leur philosophie coopérative ou sociale sont à analyser avec finesse car ils semblent montrer une dimension que nous avons perdue, celle de la durabilité par la participation et le bénéfice de tous.
Ainsi en est-il par exemple de Jean-Baptiste André GODIN, disciple de Ch.FOURIER, qui a fait construire son familistère sur le modèle du Phalanstère de Fourier, dans L’Aisne. Il s’agit d’une sorte d’hôtel coopératif où 400 familles peuvent loger et où 400 hectares sont réservés à la culture maraîchère. Tout y est pensé : grands réfectoires, chambres agréables, chauffage, luminosité, circulation de l’air, accès à l’eau potable à tous les étages, buanderie (permettant de laver et sécher le linge sans créer d’humidité à l’intérieur des logements d’habitation), douches, piscine avec plancher mobile (pour permettre aux enfants d’aller nager en toute sécurité), sans oublier la protection sociale, l’approvisionnement grâce à des magasins coopératifs où les produits de première nécessité sont vendus au prix coutant, et l’éducation des enfants et des adultes grâce à des écoles, des bibliothèques, un théâtre. Il s’agit là d’une démarche qui s’inspire utopiquement du socialisme. L’entreprise – « citoyenne » ? – fonctionne sur un mode coopératif où les ouvriers sont copropriétaires et les bénéfices reversés au projet social . [25]
Cet esprit coopérateur va disparaître quand l’entreprise sera rachetée et se mettra à fonctionner comme une entreprise, c’est-à-dire à s’adapter à un marché. Le familistère a néanmoins continué à fonctionner jusque dans les années 1960. L’esprit coopérateur avait disparu, et les conflits sont nés d’une priorité donnée aux enfants des occupants des logements dans la mesure où aucun nouveau logement n’était plus construit. Le familistère est fermé… en 1968 ! Il est depuis inscrit au patrimoine de l’architecture industrielle (!).
Cet exemple, célèbre entre tous, montre des pistes permettant de s’interroger sur ce que pourrait être une politique urbaine favorable à la santé : une prise en compte simultanée de nombreux facteurs, une priorité donnée à cette prise à bras le corps du bien-être des gens, un amalgame entre production, coopération, éducation, conditions de vie, une priorité donnée à la finalité de la vie et non de la production. Bref, s’il n’y a pas de philanthrope derrière, voilà un projet impossible à réaliser dans une société économiciste et libérale, techniciste.
C’est sans doute pourquoi la plupart des projets d’urbanisme, de logement ou de « ville en santé » [26] restent si loin des réalités sociales, ou fabriquent des effets pervers innombrables. Rappelons en quelques réalisations clés : les cités de cheminots dans les années 20 et 30, les cités jardins, les villes nouvelles, les grands ensembles.
De nombreuses cités jardins, construites dans les années 30 à 60 pour produire des « Habitations à Bon Marché » (HBM), existent encore aujourd’hui. A l’origine, il s’agit, par une maîtrise publique du foncier, de réaliser de nombreux logements confortables, modernes, dans une densité relativement faible (30 logements par hectare), en lotissements incluant tous les services, et permettant de maintenir une ceinture agricole en périphérie des grandes villes. Cette politique se heurte bien vite à la pression foncière et, plus on avance, plus les immeubles montent en hauteur et se préfabriquent, conduisant à une diminution de la qualité du bâti.
C’est donc devant ces problèmes fonciers et de coût, et devant l’urgence de loger des millions de personnes que la politique urbaine évolue et conduit à ces strates successives d’urbanisme autoritaire que l’on a constaté dans notre étude de Dunkerque. Lequel urbanisme s’il réfléchit à plusieurs questions simultanément, semble ne jamais être en mesure d’en faire une synthèse opératoire. Les grands ensembles (nous pensons par exemple à La Grande Borne) sont construits en pensant aux enfants. Mais sans doute pas aux futurs adolescents. Et sans doute pas aux aspirations des premiers habitants qui, lorsque l’occasion s’en présente (et c’est aussi une décision politique) vont préférer opter pour un habitat individuel beaucoup moins dense et finalement pas plus isolé.
De la nécessité d’une approche coopérative et non plus économique pour dépasser les politiques sectorielles et les solutions purement techniques.
Du temps de Godin, un choix avait été fait à partir d’une réflexion sociopolitique : comment faire accéder les ouvriers aux conditions de vie, de confort et de salubrité, sachant qu’ils ne peuvent y accéder par eux-mêmes faute de revenus ? La réponse est très sociologique, presque maussienne [27] avant l’heure : ces conditions de vie ne peuvent être développées que si d’autres rapports que marchands, d’autres rapports que d’intérêt permettent à la collectivité de se penser et d’agir par et pour elle-même. C’est dans le principe de coopération que réside l’originalité de la démarche de Godin. Sans cette « méthodologie », aucune des réponses concrètes ou technique ne se serait suffi à elle-même. Faire La Grande Borne, comme la cité des 4000 de La Courneuve revient finalement à penser une petite partie du problème, celle que certains se pensent capables de résoudre.
Cela illustre le fait qu’une solution partielle, non travaillée collectivement, coopérativement, sur ses rapports avec la finalité du vivre ensemble, aboutit souvent à un résultat inverse. Parler des drogues aux enfants, par exemple. Mais aussi développer des prolongements de ligne de métro… [28]
Aujourd’hui, pour ne pas désespérer, on tente de se rassurer en montrant à quel point les logements du Val Fourrée ou de Pantin sont salubres, spacieux, par rapport à ce dont les gens bénéficiaient avant. C’est évidemment vouloir se rassurer à bon compte.
Mais cette approche de la santé techniciste, biomédicale et centrée sur le soin, qui oublie que la santé est un résultat social, n’est pas récente.
D’une certaine façon, la question de la santé, des inégalités de santé reflète des tensions théoriques existant sans doute depuis l’antiquité. En effet, les deux déesses représentant la santé chez les Grecs étaient filles d’Asclépios, lui-même fils d’Apollon. Apollon représente la clarté, la raison, la vertu et le respect des règles, le chant, la musique et la poésie. Il symbolise l’intelligence rationnelle, opposée à la démesure, représentée par Dionysos. Asclépios, dieu de la médecine (Esculape en Latin) mourra foudroyé par Zeus pour avoir ressuscité des morts. Il est l’ancêtre de la lignée des Asclépiades dont Hippocrate est un illustre descendant. Deux de ses filles, Hygie et Panacée vont symboliser les modalités complémentaires de la technique de santé : Hygie considère que la santé est la conséquence de la propreté et de la vertu, alors que Panacée pense résoudre le problème de la maladie et de la mort par des remèdes (des plantes).
Cette source étymologique et mythique de la médecine caractérise encore des modes de pensée différenciés de la santé publique contemporaine.
Mais aujourd’hui, Panacée est triomphante. C’est par des remèdes, des soins et de la technique que chacun croit garantie sa santé. L’accès à la santé, l’amélioration de la santé de la population sont ainsi excessivement attribués aux « progrès de la médecine », c’est-à-dire aux remèdes [29] . De cette foi excessive et sans doute injustifiée « en l’idéologie de la médecine », en « Panacée », découlent la plupart des explications sur les inégalités de santé : c’est parce que les gens, la population « manquent » de remèdes (de soins) que leur santé serait moins bonne (au sens de l’espérance de vie et de l’espérance de vie sans incapacité). Et l’on réduit les conditions de leur santé à des « besoins de soins », lesquels ne seraient pas couverts. Le problème est comme souvent défini par la solution que l’on estime devoir lui apporter.
Cette approche dominante et partagée par la grande majorité de nos concitoyens conduit à expliquer l’accès à la santé, et la réduction des inégalités de santé, par une inégalité de « droit de tirage » sur l’offre de soins, occultant ce qu’Hygie (comme Pline l’Ancien plus tard) avait remarqué : que la propreté, la tempérance, les conditions de vie, et la vertu sont les conditions de la bonne santé. Pline ajoutait, pour sa part, que l’intempérance, les excès étaient rendus possibles par la promesse de guérison de la médecine hippocratique, rendant inutiles les efforts individuels ou collectifs pour se maintenir en bonne santé. D’ailleurs Asclépios a été puni par Zeus pour ses excès…
Finalement, quelle serait une conduite « vertueuse » en matière de santé ? Respecter la sobriété et la tempérance ? Brûler la vie par les 2 bouts comme le suggère Dionysos quitte à faire appel à Asclépios pour guérir (voire ressusciter) ? Ou établir des règles et des conditions de la vie commune garantissant à la collectivité la paix, l’égalité, la justice par la participation citoyenne, le châtiment des crimes et l’éducation, c’est-à-dire les conditions sociales et politiques d’un bien vivre collectif ?
Cette dernière option, définissant la santé comme une société juste et en harmonie, harmonie obtenue par la Loi et son respect, dépassant le déterminisme individuel de la tempérance ou de l’excès de l’individu, et est peut-être ce que Socrate a voulu nous signifier lorsqu’il demanda qu’on sacrifie un coq à Asclépios lors de sa mise mort : refusant l’évasion que ses amis lui proposent, il semble préférer la mort, accepter l’injustice, par respect d’une décision légale du fait du caractère transcendant de la Loi [30]. Sans ce respect de la Loi [31] , aucune communauté, aucune société n’est plus tenable. Cette Loi est aussi la loi des hommes et sa valeur provient d’une élaboration citoyenne seule garantie de la justice. La vertu et le respect des lois se construisent dans le processus citoyen d’élaboration de la loi et le processus psychique d’intégration de la Loi. C’est parce que la communauté peut se donner des lois justes (l’autonomie), que la paix et la santé peuvent régner.
Les exemples développés dans ce texte montrent à l’envi la distinction et la démarcation entre trois tendances de la santé. Outre les soins, c’est par l’hygiène, les conditions de vie optimales et les « bons » comportements que l’on peut garantir la santé du plus grand nombre. Cette branche de la santé – la santé publique – s’est elle-même divisée en 2 : une branche qui s’occupe de prévention, très centrée sur l’individu et une branche qui s’intéresse à l’élaboration de conditions générales du bien-être, ce que des hauts fonctionnaires enseignant la santé à Sciences-Po continuent d’ignorer. Didier TABUTEAU dans son livre récent [32] ramène la santé publique à l’hygiénisme, et la promotion de la santé à l’alphabétisation médicale : « développer une culture de la santé publique [c’est développer] un enseignement spécifique dédié à la santé permettant une formation à l’hygiène et à la prévention, mais aussi une initiation aux différentes pathologies et risques sanitaires [qui] renforceraient la capacité de chacun à gérer sa santé [et] serait un levier fondamental de réduction des inégalités dans la mesure où les facteurs socioculturels sont prédominants » (p.236). On peut se navrer qu’en 2014 on en soit revenu au 19e siècle et à son moralo-puritanisme, sous couvert de parler politique de santé et réduction des inégalités …
Ainsi, encore aujourd’hui, la prévention renvoie à l’individu les causes de son mal-être ou de sa santé : c’est par son comportement (il fume, boit, met un préservatif, dort, s’alimente correctement) que l’individu accède ou non à la santé (ou son manque d’éducation). Dans cette optique, découvrir des inégalités de santé conduit à s’interroger sur la dimension éducative, culturelle, voire une dimension plus policière de contrôle des comportements. On est du côté de l’hygiénisme.
Cette dernière manière de considérer la santé publique, les inégalités de santé, autrement que dans leur rapport aux soins, est la plus acceptable par Panacée car, comme elle, elle renvoie le travail et la responsabilité de sa santé à l’individu et peut être intégrée sans risque dans le cadre de l’activité médicale. A côté des soins, il est possible de prodiguer de l’éducation (l’éducation thérapeutique) et d’établir des contrôles (surveillance des gens, des parents, des malades mentaux, injonctions thérapeutiques, enfermement, etc.).
Par contre, élaborer des conditions optimales du bien-être, créer les conditions de la bonne santé relève d’une autre dimension, autrement contraignante pour la société, et où les médecins se sentent peu à l’aise. La découverte des inégalités devant les conditions de la santé, inégalités créées par les conditions des inégalités et de la ségrégation socioéconomiques sont incompréhensibles pour la rationalité médicale. Comment comprendre que des maladies comme la tuberculose puissent largement décroitre en dehors de toute technique préventive ou curative [33] ? Quelle théorie permettrait d’expliquer que les pauvres meurent plus du choléra ? Après tout riches comme pauvres sont tous atteints du même microbe… De quelles méthodes, quelles techniques, quelles savoirs disposent les médecins pour prendre en compte ces dimensions sociales ? Leur apprend-on seulement ?
L’histoire de Dunkerque nous montre que les médecins sont désarmés, dépourvus devant la complexité des problèmes de santé, et que leur préférence va à l’analyse des maladies en tant qu’elles signent le dérèglement d’un corps qu’il convient de réparer.
En matière d’inégalités, il ne faut cependant pas en attendre plus des théories et des pratiques du développement que de la médecine ou de la santé publique. On l’a vu, la ségrégation sanitaire, la ségrégation sociale, spatiale et économique des populations pauvres est d’une rare permanence. Les politiques du développement, le développement urbain, le développement des soins médicaux n’ont pas permis de résoudre le dilemme des inégalités (pas plus sociales que de santé). Si politique de santé et politique de développement urbain ne font pas toujours bon ménage, elles se ressemblent cependant sur une commune insuffisance de réflexion et de synthèse, en oubliant que tous leurs actes se rapportent à des gens et non à des objets. Le diaporama de l’agglomération de Dunkerque que nous avions montré aux élus rendait cette problématique explicite. Cela fait 150 ans qu’on développe de l’urbain en détruisant l’urbanité, c’est-à-dire les principes et les possibilités mêmes de la coopération, de la vie sociale, et donc les conditions de la justice. On remplace ainsi la cité, l’assemblée des citoyens délibérants, par de l’organisation, de la gestion et de la bureaucratie, pendants politiques de ce que rend possible le développement de la technique. Imaginer des « solutions » techniques qu’il suffirait de gérer et d’organiser, en oubliant que ce qui tient la société, c’est précisément la possibilité de l’autonomie et de la délibération collective, revient à créer les conditions de la reproduction des inégalités.
I.ILLICH, pour en revenir à lui, est l’un des premiers à avoir mis en évidence le problème posé par la médecine [34], dans Némésis Médicale. 12 ans après la parution de son livre, il écrit « De tout ce qui est obtenu en matière de guérison, soulagement de la douleur, rééducation, réconfort et prévention, seul un faible pourcentage est attribuable à la médecine » [35] Cela n’empêche pas la quasi-totalité des gens de croire en la médecine, ce qui fait dire à Illich « je n’avais pas perçu à quel point, au milieu de ce siècle, l’appréhension de notre corps et de notre Moi était devenu le résultat des conceptions médicales (p.257) (…) les systèmes d’aide sociale et d’assurance maladie préparaient chaque individu à se couler dans un statut de patient (p.262) ». [36]
Cette main mise de la pensée médicale (c’est à dire de la rationalité instrumentale et bureaucratique) sur la santé ne s’arrête pas à la médecine et aux soins. Elle perfuse les politiques de santé et plus généralement l’idée même de développement. Les conditions de vie deviennent des « problèmes à régler » de manière technique dont les moyens doivent être organisés par les pouvoirs publics qui en deviennent des (les) gestionnaires et qui doivent s’adresser directement aux individus.
Comme la médecine a réussi à le faire avec la santé, le corps, le Moi, les institutions modernes ont réussi à gérer les problèmes, et à fabriquer des solutions partielles, souvent iatrogènes et rarement efficaces pour ce qu’elles souhaitaient éviter en matière d’inégalités. Il s’agit de gérer des problèmes comme des choses, et d’oublier que ces choses sont des vécus de personnes tout à fait vivantes et pensantes.
Ainsi, tenter de penser la santé dans une perspective où l’on prend les inégalités au sérieux, ce serait tenter de rétablir une démarche coopérative et de réflexion collective, c’est-à-dire ce qui avait rendu possible l’expérience du familistère et du socialisme utopique, i.e. l’expérience de la participation. A ce prix, on peut envisager une réflexion plus globale, plus systémique, plus sensée, c’est-à-dire prendre la question du bien vivre ensemble comme une question politique, et comme une finalité de la société pour laquelle l’économie n’est qu’un moyen. Seule l’écologie politique à mes yeux fait l’effort de penser cette pluralité, cette démarche coopérative, en questionnant les idéologies gestionnaires et technicistes, en remettant au centre des débats la finalité, l’éthique de la vie humaine. Cela suppose aussi une forte charge de critique de l’économie, de l’économicisme, de la société centrée sur la production de richesse.
Penser la santé, le bien-être dans les termes d’une société coopérative et désaliénée de son rapport à la richesse et à la technique est sans doute la seule voie « soutenable » du développement. Les mises en œuvre dans les collectivités de politiques dites de développement durable n’en prennent sûrement pas le chemin.
Alors quelles pistes ? Il s’agit encore et toujours de mettre conjointement au travail les gens, les professionnels, les administrations, et les élus. Car « la puissance inquiétante des institutions modernes réside dans leur capacité de créer et de nommer la réalité sociale que forgent leurs experts afin de la gérer ».
Le pouvoir qu’a la gestion de désigner des normes de santé, d’éducation, d’équilibre psychique, de développement et autres idoles modernes n’a pas une moindre dimension que son pouvoir de créer effectivement le contexte social dans lequel le manque, par rapport à ces valeurs, est vécu comme un besoin qui à son tour se traduit en un droit (…) Un autre genre de conjuration nous menace : des pouvoirs qui promeuvent l’assistance, le développement et la justice en tant que moyens du maintien de l’ordre et de la paix ». [37]
On a bien du travail pour définir et travailler à résorber les inégalités de santé en essayant d’éviter les écueils de l’assistance, du droit aux soins et du bénéfice des politiques de développement… Qu’en sera-t-il de l’idée du développement du Paris Métropole ? Ne serait-il pas temps de poser la question des inégalités sociales et de santé en des termes renouvelés afin de résorber la permanence historique des ségrégations ? Afin de remettre en question les politiques sectorielles qui ont prouvé leur inefficacité ?
Michel Bass
Notes
(pour revenir au texte, cliquer sur le numéro de la note)[1] Source : R.H.GUERRAND, Histoire des taudis in exclusion, L’état des savoirs (sous la direction de Serge Paugam), Ed. La découverte.
[2] Jacques Bertillon est né le 11 novembre 1851 à Paris et décédé le 7 juillet 1922 à Valmondois. Statisticien et démographe, il est le fils du statisticien Louis Bertillon et le frère aîné d’Alphonse Bertillon. Médecin de formation, il succède à son père comme chef de service de la statistique municipale de la Ville de Paris. Il est à l’origine d’une classification des causes de décès (1893), ancêtre de la Classification internationale des maladies.
[3] Savoir et pouvoir en médecine, Empêcheurs de Penser En Rond, 1998.
[4] H.S.BECKER :Comment parler de la société, La Découverte, 2009
[5] « Ouvrez quelques cadavres, vous verrez aussitôt disparaître l’obscurité que jamais la seule observation n’aurait pu dissiper » disait ainsi Bichat à la fin du 18e siècle…
[6] Pour Mahjid RAHNEMA (La puissance des pauvres, Actes Sud 2008), le développement, consacré par la production mécanisée de masse, loin de supprimer la rareté et le manque, a institué la rareté sous le vocable « besoins ». De cette transformation (analysée comme telle en particulier par K.POLANY), la pauvreté s’est transformée en misère. Dit autrement, l’enrichissement par le système moderne de production (le développement …) a puissamment renforcé les inégalités, sous couvert d’un discours de résorption de la pauvreté et des inégalités.
Je rappelle aussi à quel point, pour des philosophes comme Heidegger, H.Arendt, G.Anders, J.Habermas, la question du rapport moderne à la technique est problématique pour l’être et l’humanité.
[7] Revient, car cette question était traitée dans l’antiquité, puis a été occultée pendant un millénaire en Europe.
[8] Il existe maintenant de nombreuses études historiques de la question de l’eau.
En voici un exemple : Guy THUILLIER, Pour une histoire régionale de l’eau en Nivernais au 19e siècle, Annales Economie, Sociétés Civilisations 1968, Volume 23 N°1. « Or cet « ancien régime » de l’eau dura jusqu’au début du 20e siècle, sans grandes modifications. Assurément, il est difficile d’étudier les facteurs de transformation, car précisément sur ce point l’évolution des esprits, la transformation des coutumes quotidiennes ne laissent que peu de témoignages et il est difficile de reconstituer les attitudes des divers groupes sociaux devant un tel problème.
Tout d’abord, les médecins ont exercé une certaine pression sur les autorités à l’occasion des épidémies, et surtout le choléra en 1834, 1849, 1884 : le comité départemental d’hygiène dénonçait, dès 1850, l’insalubrité des eaux, la multiplicité des fumiers et des tueries particulières, la pollution des fontaines et des puits : mais ses protestations n’étaient pas toujours entendues, car il fallait lutter contre des abus séculaires, des intérêts personnels. De plus les conceptions médicales demeuraient confuses : les fièvres intermittentes étaient traditionnellement attribuées aux miasmes délétères des eaux stagnantes ou à l’orientation des vents, la contagion par les eaux souillées n’était point encore reconnue – jusqu’à la fin du siècle : il fallut attendre 1887 pour que soit admise – à Paris mais non en Province – l’origine hydrique des fièvres typhoïdes. Ces incertitudes médicales, jointes à l’absence d’analyse chimique véritable des eaux avant 1880-1890 expliquent, en partie, l’indifférence générale (p.7).
[9] Cette remarque est toujours d’actualité : c’est par les eaux stagnantes que le Chikungunya s’est développé il y a peu à La Réunion.
[10] I.ILLICH, Pour un découplage de la paix et du développement in Dans le miroir du passé, Descartes et Compagnie 1992, p.28.
[11] I.ILLICH, H²O et les eaux de l’oubli ; op.cit. p. 175.
[12] Serge LATOUCHE (L’autre Afrique), indique bien, invoquant Aristote et Marx, à quel point la question de la richesse « réelle (c’est-à-dire disponible pour les besoins élémentaires) » dépend de la vitesse de circulation de la monnaie – vecteur de la valeur. Survivre dans une grande ville africaine, alors que les ressources sont très rares, est rendu possible pour une accélération de la vitesse de circulation de la monnaie au travers de nombreuses tontines. Cette accélération est rendue nécessaire, bien sûr, par la production de rareté des moyens élémentaires de la vie, résultat d’une part du modèle économique de production, et d’autre part du développement urbain.
[13] I.ILLICH ; op.cit. p.184
[14] Ces politiques de salubrité publique, de mise à l’écart des classes dangereuses (donc politiquement, sanitairement, éducativement) vont conduire à des politiques extrêmement agressives à l’égard des pauvres, bien décrites par M.FOUCAULT (Surveiller et punir) en ce qui concerne l’enfermement (prisons, hôpitaux psychiatriques) ou par Jacques DONZELOT (la police des familles) en ce qui concerne le social et l’éducation (mariage, allocations familiales, lutte contre l’alcoolisme, assistance aux familles, pédopsychiatrie). Ces grands domaines de la police des pauvres vont se transformer en se renforçant (PMI, Aide sociale à l’Enfance, lutte contre les « fléaux sociaux », RMI) avec une tendance constante au renforcement du désir de contrôle (l’ASE s’adresse essentiellement aux enfants de pauvres, les parents sont décrits comme provoquant des carences éducatives, l’enfermement des fous « dangereux » revient à la mode, l’éducation se recentre sur la (et les) discipline(s)).
[15] I.ILLICH, op.cit. p.185
[16] I.ILLICH ; op.cit. p. 187.
[17] I.ILLICH, disvaleur, op.cit. p.90 : « le préjugé anglo-saxon qui bloque physiologiquement les mouvements péristaltiques sauf si l’on est posté sur la lunette, papier hygiénique à portée de main est devenu endémique chez l’élite gouvernante du Mexique ».
[18] Ce n’est d’ailleurs pas qu’une question d’argent : pomper l’eau en milieu rural, là où elle est déjà rare, pour l’acheminer en ville – moyennant d’ailleurs des pertes très importantes – uniquement pour diluer des excréments est assurément une absurdité, quand on n’oublie pas que ces déchets pourraient être compostés, et utilisés à la place de nombre de produits issus de la chimie industrielle.
[19] I.ILLICH, disvaleur, op.cit. p.89 / 92.
[20] I.ILLICH, H²O et les eaux de l’oubli, op.cit.p.188.
[21] Mirko GRMEK, Les maladies à l’aube de la civilisation occidentale, Paris, Payot, 1983, p.15.
[22] Cf. AFRESC, Diagnostic santé des quartiers en politique de la ville de l’agglomération de Dunkerque, 2005., www.afresc.org
[23] Ce type de raisonnement a été modélisé en particulier en santé publique dans l’établissement des critères de priorisation des problèmes de santé : une solution existe-telle et est-elle faisable devenant un critère principal de choix.
[24] Notion prise au sens de l’école de Palo Alto : les solutions immédiates, ne posant pas les problèmes dans leur complexité, et qui, au mieux sont inefficaces, et plus souvent aggravent les problèmes ou en créent de nouveaux.
[25] Aujourd’hui, on dirait que l’on privilégie le capital humain comme investissement productif…
[26] Il s’agit là d’un programme de l’OMS région Europe auquel adhèrent plusieurs dizaines de villes françaises. Il s’agit d’essayer de penser la politique de la ville (urbanisme, mais éducative et sociale) en fonction de finalités de santé, et maintenant de développement durable. On y retrouve l’étroitesse des idées émergeant de l’idéologie gestionnaire des élus de tous bords gérant aujourd’hui les villes.
[27] Cf. M.MAUSS, Essai sur le don et plus généralement le travail fondamental d’Alain CAILLE et de la revue du MAUSS (Ed. La découverte). L’approche maussienne postule que la société ne peut exister et reposer uniquement sur la mise en concurrence des intérêts individuels, sauf à penser comme HOBBES et supposer un état autoritaire, ou comme A.SMITH et s’en remettre à une mystérieuse main invisible. La charge anti économiciste de l’approche maussienne convient parfaitement pour comprendre l’enjeu du bien-être des populations dans la modernité. Pour une analyse détaillée de cette approche, voir mon article « Pourquoi et comment participer », avril 2014, site de l’AFRESC.
[28] Lors d’un séminaire de l’EHESS, nous avions étudié les effets de tels prolongements, d’un strict point de vue micro-économique. Le chercheur montrait que le prolongement de la ligne de métro, loin d’améliorer le transport des personnes vivant à proximité du nouveau terminus, avait tendance à le dégrader. En effet, l’arrivée du métro faisait monter le prix du foncier et des loyers, contraignant la population à se loger plus loin en banlieue. Du côté nord de Paris, une barrière de bas prix existe avec l’aéroport de Roissy. Du côté sud, on voit arriver en pleine campagne de Seine et Marne des populations très marginalisées, et qui perdent là les services dont elles bénéficiaient en ville.
[29] Les français, et leurs médecins sont d’ailleurs champions en matière de prescription et de consommation de médicaments. Mais I.STENGERS évoque pour sa part le pharmakon qui est à la foi remède et poison, d’où l’idée de iatrogénie.
[30] Voir à ce sujet mon article « la dignité, approche philosophique », la revue de l’infirmière, novembre 2013 où je rappelle les conditions que posaient Platon pour une vie vertueuse, elle-même à la base de la dignité humaine.
[31] C’est volontairement que le mot loi est écrit tantôt avec L majuscule, tantôt avec L minuscule : la Loi de Moïse est aussi la loi écrite des hommes. La rationalité hébraïque et grecque a permis de mieux comprendre l’articulation entre la Loi symbolique et la rationalité des hommes dans une réflexion sur la nature du juste. Nos lois modernes et leur fonctionnement dans le système judiciaire et administratif est bien loin de cette articulation…et de la notion du juste.
[32] Démocratie sanitaire, les nouveaux défis de la politique de santé, Odile Jacob,2013.
[33] C’est un épidémiologiste anglais, Thomas Mc.Keown qui a le plus développé cette « épidémiologie historique » de même que certains démographes (voir à ce sujet la revue de démographie historique). Dans un article paru dans Les déterminants de l’état de santé des populations depuis 3 siècles... In Médecine et société, les années 80.- Montréal, éditions Saint Martin, 1986, Mc.Keown montre que la mortalité par tuberculose pulmonaire avait déjà baissé d’un facteur 8 au moment de l’apparition du premier antibiotique actif contre la tuberculose (la streptomycine).
[34] Mais d’autres avaient déjà soulevé le problème, tel Karl JASPERS, l’idée médicale in Essais philosophiques, Petite Bibliothèque Payot, 1970.
[35] I.ILLICH, Douze ans après la Némésis Médicale, op.cit. p.257.
[36] Il avait dû lire Knock ?
[37] I.ILLICH, la construction institutionnelle, op.cit. p.269 et 272.
Bibliographie
* Illich Ivan, Dans le miroir du passé, conférences et discours 1978-1990, Descartes et Cie, 1994
* Bass Michel, Promouvoir la santé, L’Harmattan, 1994
* Serment d’Hippocrate, Texte original, « Je jure par Apollon médecin, par Esculape, par Hygie et Panacée… »
* Grmek Mirco, Les maladies à l’aube de la civilisation occidentale, Editions Payot, 1983
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AFRESC : {[->www.afresc.org]}
- info document (PDF – 567.6 kio)