Résumé
L’actualité s’est faite l’écho de multiples divergences sur les enseignements à tirer des travaux scientifiques, notamment dans le domaine des impacts environnementaux et sanitaires des activités de l’homme. L’instrumentalisation de la science au profit des décideurs, qu’il s’agisse de semer le doute ou de justifier des décisions, est un phénomène ancien. L’évolution de nos sociétés et la multiplication des canaux d’information a ouvert le champ des controverses. Le présent article, fruit d’une réflexion collective au sein de l’Encyclopédie du Développement Durable, examine les progrès et les reculs enregistrés en ce domaine dans la période récente.
Auteur·e
Ingénieur Général honoraire des Ponts et des Eaux et Forêts, a consacré l’essentiel de sa carrière à la question de l’eau, au sein du Ministère de l’Environnement, puis à la Direction de l’Agence de l’Eau Adour-Garonne et enfin comme expert de nombreuses missions internationales dans le domaine de l’environnement, du développement durable et du climat.
Administrateur de 4D, Membre du secrétariat d’édition de l’EDD et de l’Académie de l’eau, il préside, aujourd’hui, le Groupe de travail « Eau & Climat » du Partenariat Français pour l’Eau.
Les rapports entre la science et la société ont de tout temps été source de progrès comme de conflits. La science est encensée comme bienfaitrice de l’humanité quand elle permet des progrès techniques et une amélioration de nos modes de vie. Elle est au contraire vilipendée dès que les progrès de la connaissance et des technologies heurtent des habitudes ou des avantages acquis. Alimentant la perplexité de l’opinion, l’actualité dans le domaine de l’environnement se fait l’écho de multiples divergences entre annonces scientifiques et réponses des acteurs économiques et sociaux comme des acteurs politiques. Le décalage ne cesse de grandir entre une expertise qui menace nos modes de vie et une sphère politique qui garantit notre avenir tranquille en invoquant des solutions techniques illusoires.
Ainsi le Ministre de l’agriculture annonçait-t-il, au début de cette année 2023, son souhait de donner une nouvelle dérogation à l’utilisation de néonicotinoïdes pour les producteurs de betteraves alors qu’ils sont interdits d’usage par l’Union Européenne depuis 3 ans ; sur injonction de la Cour de Justice Européenne (arrêt CJE du 19 janvier 2023), la France renoncera finalement à cette demande de dérogation. La nocivité des pesticides pour l’environnement est pourtant démontrée et de sérieux soupçons de nocivité pour la santé humaine sont établis par plusieurs agences scientifiques depuis plusieurs années.
Depuis plus de 30 ans, de très nombreux captages pour l’eau potable ont dû être abandonnés pour cause de contaminations chimiques et aujourd’hui, encore, les impacts sanitaires comme les impacts négatifs de ces produits sur la faune (abeilles, etc. ) et la flore continuent à faire polémique entre acteurs du monde agricole et spécialistes de l’environnement. Trois Présidents de la République successifs se sont engagés à une réduction drastique des pesticides et à l’élimination de ceux jugés les plus dangereux à l’issue de leur mandat, dispositions qui ont été vite abandonnées au nom du risque de mettre en péril la compétitivité de notre agriculture. Pour la plupart, les risques sanitaires pour l’homme et les risques environnementaux (dont les contestés néonicotinoïdes accusés d’être les tueurs d’abeilles) sont très documentés.
L’exemple des ravages constatés, aujourd’hui, en termes de cancers de la prostate aux Antilles dus à une utilisation du chlordécone jusqu’à la fin des années 90s devrait pourtant nous éclairer, les responsables politiques de l’époque prétendent avoir été mal informés et que le risque était mal établi alors que ce produit avait déjà fait l’objet d’interdiction d’usages dans de nombreux pays. Curieuse vision du principe de précaution. C’est paradoxalement la Commission Européenne, trop souvent vilipendée pour technocratisme, qui est appelée à demander à la France de respecter des engagements environnementaux résultant d’expertises communes européennes et reconnues comme des progrès par les Etats signataires, mais contestés quelques années plus tard à l’occasion des dispositifs de suivi (Cf observations de la Commission sur l’application de la directive sur les pollutions atmosphériques urbaines ou de la directive sur les pollutions agricoles).
Illustratives de ces malentendus entre agences scientifiques et décisions politiques, sont les annonces divergentes des autorités scientifiques et du Ministère de l’Agriculture concernant l’usage des pesticides. Ainsi, l’ANSES émet ce 15 février un rapport demandant l’interdiction de l’usage du S-métachlore, un herbicide très utilisé en France et accusé de polluer gravement les nappes phréatiques, décision qui succède à une série d’avis de l’Union Européenne, et en particulier de l’agence européenne des produits chimiques classant ce produit comme perturbateur endocrinien, et ces métabolites potentiellement cancérogènes depuis un premier rapport en 2004. S’exprimant au congrès de la FNSEA en mars 2023, le Ministre de l’Agriculture n’hésite pourtant pas à annoncer demander à l’ANSES de « réévaluer sa décision sur le S-Métachlore » pour des raisons d’opportunité sans lien avec le contenu des avis émis par les autorités scientifiques.
Le réchauffement climatique est un autre emblème de ces difficultés. Les conséquences d’une non maîtrise des rejets de GES sont établies depuis les premiers rapports du GIEC au début des années 90s ; les rapports successifs de ces travaux scientifiques montrent que la hausse de ces rejets n’est toujours pas contrôlée, que les températures continuent à dériver à la hausse avec des impacts négatifs pour notre environnement aggravés – feux de forêts, sècheresse, inondations. Néanmoins les Etats, et particulièrement les plus gros émetteurs de GES n’ont pas réussi à présenter à la dernière Convention Climat en 2023 (COP 27) des programmes de réduction cohérents avec l’objectif de limiter la hausse en deçà de 2°C d’ici 2100, conformément aux engagements pris à Paris en 2015. La contradiction est patente entre des Etats qui décident que l’objectif 2°C doit rester notre objectif collectif et des rapports de spécialistes du climat montrant que des points d’irréversibilités sont d’ores et déjà atteints et que la poursuite des évolutions de ces dernières années nous conduisent inéluctablement à dépasser cet objectif dès 2030 avec un horizon de 3°C, voire 4°C d’ici 2100, en l’absence d’efforts drastiques et rapides de changement des trajectoires actuelles d’émissions . Entendre que les catastrophes vécues en France en 2022 -canicules, inondations- étaient difficilement prévisibles, là où les spécialistes nous annoncent qu’elles vont devenir de plus en plus fréquentes illustre les difficultés à accepter des vérités qui dérangent. Pour en faciliter la lecture et populariser les travaux, des résumés des synthèses du GIEC sont proposés, fruits d’une relecture, soumise aux Etats, des enseignements des études collationnées ; information principale diffusée au public, ce processus illustre les difficultés à envoyer une information non biaisée et celle des responsables politiques à sortir de discours généreux, mais peu engageants.
Les limites et l’influence réelle du GIEC. Analyse de Kari De Prick, enseignante chercheuse à l’université de Genève, autrice de « La production de l’expertise sur le climat dans un univers controversé » - in Le Monde 22 mars 2023 sur le rapport de synthèse des travauxAR6 du GIEC - période 2015-2022 « Il y a une ingérence de certains pays sur certains points controversés et liés aux négociations climatiques. ...Lors de l’approbation des résumés à l’intention des décideurs, les scientifiques ont le dernier mot tant qu’ils ne remettent pas en cause les intérêts des grandes puissances. Dans le cas contraire, ces pays vont chercher à affaiblir les phrases, les rendre vagues ou extrêmement technique. Les messages controversés sont supprimés, ce qui arrive régulièrement. Le détail des responsabilités historiques de chaque région dans le réchauffement, et leur statut de développement a par exemple été écarté en 2022... Le GIEC donne des outils pour accélérer les transitions mais pas pour comprendre ce qui les freine...Le résumé peine à évoquer une sortie claire des énergies fossiles...il ajoute souvent le terme unabated… ce qui permettrait de poursuivre l’usage des énergies fossiles avec les CCS... Le résultat est une vérité qui ne dérange pas, qui ne remet pas en cause les grands rapports de force politiques ou économiques. Longtemps accusé d’être alarmiste, le GIEC est en réalité assez conservateur. La recherche du consensus entre scientifiques entraîne une tendance au plus petit dénominateur commun…et beaucoup de prudence » |
Sur ce terreau, on ne peut que constater que, pour certains, le climato-scepticisme continue à sévir ; pour beaucoup d’autres de nouvelles technologies vont nous permettre de maîtriser les dérives constatées. Les solutions fondées sur la nature, la sobriété, les changements de mode de vie sont affichées, mais restent le parent pauvre des stratégies mises en œuvre ; les conflits entre pays gros émetteurs de GES et les pays pauvres, inquiets de pouvoir s’adapter à de nouveaux contextes climatiques se creusent.
De même on peut s’interroger sur la capacité de la Convention internationale sur la biodiversité, qui vient de se tenir à Montréal, à engager les changements transformateurs nécessaires alors que l’objectif de baisser de 50% l’empreinte écologique des productions et consommations d’ici à 2030 n’a pas été retenu ou encore que l’objectif de baisser les subventions néfastes est faible. Le rapport 2019 de l’IPBES (Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité sur l’état mondial de la biodiversité)a indiqué que « la nature et ses contributions vitales aux populations qui ensemble constituent la biodiversité et les fonctions et services écosystémiques, se détériorent dans le monde entier » et que« les trajectoires actuelles ne permettent pas d’atteindre les objectifs de conservation et d’exploitation durable de la nature », les principales cause de ces détériorations sont identifiées. Cela concerne de nombreuses espèces de mammifères ou oiseaux menacées ; dans nos contrées la chute brutale du nombre d’insectes en est un phénomène que chacun peut aisément constater. Les études les plus récentes des organismes scientifiques de ce domaine confirment la poursuite de ces tendances (cf. rapports 2022 de l’OFB et WWF). Le nouveau cadre mondial pour la biodiversité défini à Montréal cette année 2023 fixe des objectifs ambitieux de protection (protéger 30% des écosystèmes terrestres, des eaux intérieures, des systèmes côtiers et marins d’ici à 2030,) mais beaucoup font observer que ces objectifs reposent sur des notions souvent mal définies (notion d’aire protégée) ou sans indicateurs et que les moyens d’actions restent imprécis et n’ont pas fait l’objet d’engagements (rôle du secteur privé, de l’agroécologie, etc.). Ce que confirme sans aucun doute la récente déclaration du Secrétaire d’Etat à la mer sur l’opposition du gouvernement français à l’interdiction des méthodes de pêche destructrices, comme le chalutage de fond dans les aires marines protégées prévues dans le Traité de la haute mer signé le 5 mars 2023.
Les autorités publiques sont à la recherche de cette martingale qui rendrait compatible la poursuite d’une croissance à coup de nouvelles technologies compatible avec une défense renforcée de notre environnement. Les révisions de nos modes de vie qui pourraient concourir à réduire les pressions sur les milieux naturels ; identifiées dans les travaux du GIEC elles ne sont que rarement évoquées dès lors qu’elles risquent de mette en cause la bonne santé de lobbies économiques puissants ; la sobriété assimilée à la décroissance fait peur. Face aux vérités qui dérangent, nos dispositifs d’expertise publique peuvent, même, être remis en cause : hier l’IFEN, aujourd’hui le Haut Conseil pour le climat.
L’actualité se fait l’écho de nombreuses inquiétudes manifestées par les scientifiques sur l’utilisation faite de leurs travaux et des conseils supposés éclairer les décideurs. Il en est de l’Anses questionnée par son propre conseil scientifique dans un rapport récent, des polémiques que suscite le projet de fusion de l’IRSN avec l’Autorité de sûreté nucléaire ou encore de l’Appel des 1000 scientifiques à la désobéissance civile paru dans le journal Le Monde en 2020 face à l’inaction des pouvoirs publics face aux dérèglements climatiques. (un mouvement en lien avec le collectif international Scientist Rebellion)
Ces exemples illustrent les difficultés de nos sociétés à se repositionner dans un monde en profonde évolution. Le développement durable a prospéré à un moment où chacun pensait que la promotion de notre socle de valeurs – paix, démocratie, solidarités, liberté de l’individu, liberté d’entreprendre, progrès scientifique et technique, etc.- allaient assurer des lendemains enchanteurs pour tous. Il y a beaucoup de déceptions sur les fruits de ces 50 dernières années : la dégradation de notre environnement et la perception de la finitude de notre planète en est une, ce n’est pas la seule : la répartition inégale des richesses en est une autre, les crises de grands services publics comme ceux de l’école ou de la santé une autre ….la guerre frappe désormais à nos portes.
L’autonomie de la science par rapport à la religion, la morale ou la politique a été lentement conquise. Aujourd’hui, l’impératif de neutralité axiologique, tel que défini par Max Weber est lui-même mis à mal au profit d’un sophisme qui veut tout ramener au socialement construit, arbitraire et malléable à l’envie. Les « fake news », la « cancel culture », le complotisme ou le suprématisme sont emblématiques de ces dérives. Malgré les certitudes répétées du GIEC, fruits des études collationnées depuis de nombreuses années, les techniques du déni scientifique utilisées par les négationnistes du climat continuent de sévir et prennent de multiples visages.
Nous sommes aujourd’hui face à des progrès très rapides des connaissances scientifiques rendus possibles par des accès à de nouvelles technologies d’observations et modifications de l’univers qui nous entoure : la connaissance de notre planète a profondément changé en à peine 50 ans après l’envoi des premiers satellites , puis des sondes vers la Lune, Mars et maintenant Jupiter, les progrès sur le génome comme la connaissance des interactions entre l’homme, la nature, et notre planète modifient profondément la perception de la place de l’homme face à notre environnement, demain les nouveaux processus d’intelligence artificielle vont redéfinir nos relations sociales ou professionnelles. Pour certains la science va trop vite par rapport à nos sociétés, c’est plutôt la bonne compréhension de ces progrès et l’utilisation sociale qui en est faite qui doivent nous interroger.
L’accroissement vertigineux de la circulation de l’information avec les progrès d’internet rend les dispositifs d’intermédiation traditionnels obsolètes. On côtoie dans les réseaux sociaux le meilleur comme le pire. Le complotisme prospère : les travaux sur le génome sont utilisés pour montrer que la supériorité de certains groupes sociaux serait fondée sur les gènes . L’eugénisme et le racisme sont revisités avec des fondements scientifiques qui effraient les chercheurs ! Malgré ces dérives, c’est un progrès certain que chacun puisse prendre connaissance des avancées des derniers travaux scientifiques et faire valoir son opinion. L’époque des « sachants » seuls capables d’interpréter les travaux des « savants » est derrière nous.
La nécessité de créer des lieux d’expertise accessibles aux citoyens bien distincts des relais d’opinion publics, privés ou associatifs, reste une condition incontournable d’une démocratie renouvelée. L’administration qui jouait cette fonction de médiation par le passé est malheureusement en voie de profonde dégradation, un reflet de l’affaiblissement de la culture scientifique et technique en son sein, comme dans la société. Face à ces dérives, de nouvelles méthodes de recherche de dialogues sont expérimentées : conférence de consensus, etc. Le GIEC , l’ISRN, l’IPBES constituent des modes de diffusion de l’information scientifique utiles, mais dont les limites se heurtent aux systèmes de décisions des autorités publiques ou privées.
Incertitude et décision L’incertitude fait partie de la méthode scientifique : dans le domaine des prévisions climatiques, le GIEC rappelle qu’il existe de nombreux chemins possibles ce qui se traduit par la présentation de plusieurs scénarios d’évolution des rejets de GES. Le rapport du GIEC cite, aussi, les puits de carbone naturels (forêts, agriculture) ou artificiels (les dispositifs de séquestration du carbone : CDR, CCS , BCECCS) comme une voie pour aller vers la neutralité carbone en 2050 et vers un bilan négatif au-delà, condition d’une limitation forte des réchauffements à moins de 2°C . L’évaluation du potentiel de ces dispositifs est entachée de multiples inconnues sur leur efficacité, les effets adverses sont peu évalués (déforestations, plantations mono spécifiques, extension des systèmes d’agriculture intensive) et les effets collatéraux sont aujourd’hui mal identifiés ( projets de géo-ingénierie, CCS, etc.). Passer de l’identification de moyens de réduire l’effets des GES à une évaluation raisonnable du potentiel de ces mesures est très difficile en ce domaine. Les décideurs sont condamnés, pour leur part, à planifier des actions dans un avenir incertain : cela conduit beaucoup d’Etats ou Entreprises à utiliser les résultats des connaissances collationnées par le GIEC pour mettre, en avant, des mesures jugées comme des alternatives aux retards constatés dans la réduction des GES. Il en est, ainsi, notamment des puits de carbone dont l’efficacité est démontrée par de nombreuses études, mais dont l’effet global sur la réduction des GES est incertaine et sur-valorisé. La connaissance scientifique a pour objet de mieux comprendre les avantages et dangers de divers scenarios, à ce titre le GIEC ne fait que synthétiser les connaissances acquises , il n’a aucun rôle, ni aucune ambition prescriptive. Cela n’empêche pas des lobbies d’utiliser ces informations pour justifier des stratégies qu’ils défendent : ainsi a-t-on pu entendre récemment, de la part des promoteurs des irrigations en France, que le GIEC recommanderait le développement de nouvelles retenues et des bassines. C’est évidemment un raccourci exagéré. |
Les « experts » sont souvent utilisés comme le paravent des décisions que les autorités publiques peinent à assumer. Parmi les experts encore faut-il distinguer ceux d’origine scientifique qui sont chargés d’éclairer des scenario futurs sans participer aux décisions et ceux qui sont désignés pour venir en appui des décisions des autorités publiques ou privées, ceux qui interviennent en situation normale et en situation de crise. Le danger d’un recours aux experts, à ce titre peut se faire au détriment de l’écoute des corps intermédiaires (syndicats, associations, etc.) au profit d’une expertise érigée en dogme et qui installe durablement une technocratie comme système de décisions. Les divergences récentes d’interprétation sur les risques de cancers liés à l’utilisation des pesticides utilisant les informations diffusées par le Centre International de Recherche sur les Cancers (CIRC) et des agences sanitaires comme l’ANSES, ou l’EFSA, plus proches des acteurs économiques, illustrent les difficultés à diffuser une information non biaisée clairement compréhensible pour des publics non avertis.
Ce qu’on entend par politique environnementale repose sur 4 piliers
- Des règles de droit qui déterminent la protection ou l’usage de biens naturels dans l’intérêt collectif (notion de biens communs et de la protection des populations (santé, risques).
- Des moyens financiers, techniques et humains pour la mise en œuvre de ces droits.
- Des dispositifs de participation de toutes les parties prenantes : portée à connaissance, enquêtes publiques, participation aux décisions. Cela détermine le degré de démocratie.
- Le droit de savoir, d’être informé et de pouvoir critiquer. L’évaluation des politiques publiques, dispositif trop souvent oublié en France fait partie de ce dispositif. C’est un rôle des scientifiques et experts d’éclairer les décisions prises , celles possibles et leurs conséquences.
Tous ces éléments sont présents dans les politiques de l’eau à des degrés de développement divers selon les pays. On y retrouve le fait bien connu que l’eau est à la fois un bien commun, un bien social et un bien économique. Les contextes géographiques et historiques propres à chaque pays conduisent à privilégier un ou plusieurs de ces critères selon les circonstances locales, mais quelles que soient les solutions de gouvernance retenues, la connaissance scientifique et technique est un impératif incontournable à toute décision qui se veut raisonnée. Le transfert de connaissance, l’éducation et la formation en sont les compléments. De multiples méthodes et expérimentations veillent à organiser des dialogues plus productifs entre scientifiques, décideurs et citoyens : la Commission Nationale du Débat Public (CNDP) a expérimenté en ce sens plusieurs méthodes et outils, des commissions citoyennes du consensus ont été mises en place dans la période plus récente. L’intérêt de ces méthodes est de créer des lieux de partage des connaissances multi-acteurs cela ne suffit pas évidemment à établir des consensus sur les sujets les plus contestés, comme on a pu le constater à l’occasion du débat organisé en 2009 par la CNDP sur le devenir et la place à accorder aux nanomatériaux et nanotechnologies ou plus récemment sur les suites données aux propositions de la Convention Citoyenne pour le climat.
Si les rapports des autorités scientifiques et les Conventions internationales peuvent inspirer des législations vertueuses, il y a loin des textes à la réalité. Hier le développement durable, aujourd’hui la transition écologique, des slogans bons pour les discours de tribune ou des mobilisations pour de nouvelles voies d’action ?
Pour concilier scientifiques, décideurs et citoyens, une démocratie renouvelée est nécessaire car il faut une authentique concertation politique pour faire accepter la discipline de vie à laquelle appellent les scientifiques.
La force des travaux scientifiques est de nous aider à mieux comprendre les enjeux et contraintes des prochaines années et par là à définir des stratégies de prévention. Force est, cependant, de reconnaître que le Ministère de l’Environnement, depuis sa création, par crainte d’affronter la réalité politique, économique et sociale se contente de modestes corrections des errements passés (la politique dite du « pompier » ou de « l’ écologie d’évitement »). Ceci traduit des contradictions au sein de nos sociétés entre acteurs économiques, sociaux ou environnementaux, mais se retrouve , aussi, au cœur même de l’Etat dans chaque Ministère. L’expertise est utile dans ce contexte pour éclairer des faits devenus sûrs ( le réchauffement climatique est , sans contexte d’origine humaine dixit le GIEC), éclairer des incertitudes pouvant conduire à des catastrophes futures ( quels avenirs du climat selon divers scénarios de développement de nos sociétés), l’expertise peut, parfois elle-même être contradictoire pouvant traduire par-là de graves défauts de connaissance , eux-mêmes résultats souvent de défauts de mesures de surveillance publique. L’éclairage de ces contradictions est un des apports importants des sciences sociales et économiques. Mais l’expertise n’est pas prescriptive et ne suffit pas à lever ces contradictions. C’est toujours entre acteurs économiques, environnementaux et sociaux qu’il appartient de dépasser des positions antagonistes. C’est le rôle de l’Etat et du politique d’organiser les conditions de consensus qui permettent d’aller de l’avant. . Il convient sans doute de revoir aujourd’hui des modes de concertations hérités du passé reposant pour l’essentiel sur l’enquête publique et la démocratie représentative, ces modes se révèlent obsolètes à l’heure d’internet et des réseaux sociaux. De nouveaux acteurs (notamment associatifs, mais aujourd’hui, aussi, le public bien plus soumis à de multiples canaux d’informations que par le passé) demandent légitimement à être mieux associés aux décisions impactant leur mode de vie. Il faut pour cela aller vers un enrichissement des concertations publiques avec des modes alliant démocratie directe ou représentative. L’exemple récent des incompréhensions et violences auxquelles ont conduit les projets de bassines dans l’ouest de notre pays montrent que l’Etat peine à assurer ce rôle d’arbitre et facilitateur d’un dialogue entre parties (cf dans la revue « Nature, sciences et société », l’article d’avril 2023 : -"Face à la pénurie d’eau dans le Marais poitevin : dispositifs de gestion et trajectoire conflictuelle de réserves de substitution pour l’irrigation agricole - https://www.nss-journal.org/).
Faut-il attendre la catastrophe pour forcer le courage de nos décideurs à entreprendre la concertation nécessaire entre citoyens et décideurs ? Une démocratie renouvelée apparaît comme la condition de sorties positives vers des solutions plus radicales à la hauteur des enjeux actuels.
Modestement, en appui des associations qui s’activent à réclamer les bifurcations nécessaires, notre Encyclopédie veut concourir à l’éclairage des voies qui permettraient de conduire nos sociétés vers un développement réellement durable
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Bibliographie
* Rapport 2023 du conseil scientifique de l’ANSES Crédibilité de l ’expertise scientifique : enjeux et recommandations in https://www.anses.fr/fr/system/file...
* François Dedieu : – Pesticides le confort de l’ignorance – Seuil Anthropocène, mars 2022
* Nathalie Heinich : - Ce que le militantisme fait à la recherche in tract Gallimard – mai 2021
* Terra Nova :Expertise et engagement ; le pouvoir du savoir juillet 2022
* D. Ymiron-Navier : Démocratie et expertise ; Santé publique ; Nº 3 ; septembre 2003
* L’administrateur et l’expert ; Revue française d’Administration publique ; Nº103 ; 2002
* RAC 2023 Réponses aux climato-sceptiques in file : https://reseauactionclimat.org/repo...
* Scientists rebellion : we are scientists calling for a climate rebellion , in https://scientistrebellion.com/
* Commission nationale du débat public : méthodes et outils in https://www.debatpublic.fr/methodes...
* Rapport de synthèse 2023 des travaux 2016-2021 du GIEC in https://report.ipcc.ch/ar6syr
* Une recherche citoyenne compatible avec les limites de la planète – séminaire de Sciences citoyennes du 1 avril 2023 in https://sciencescitoyennes.org
* Actes du colloque « Les experts sont formels – environnement , science et politique « organisé par le Ministère de l’environnement et l’association GERMES en 1987 avec deux publications :
- Environnement science et politiques, cahiers du GERMES , 13 et 14 ( sous la direction de JC Lefeuvre et J Theys )
- « La Terre outragée – les experts sont formels « Editions Autrement , collection Science et Société , N°1 ( sous la direction de B. Kalaora et J. Theys ) .