Résoudre l’inconnu des Transitions

Le Précieux Facteur Humain

22 juin 2020

Résumé

L’association 4D s’est construite à l’issue du Sommet de Rio de 1992 autour de la conviction d’une poignée d’acteurs qu’un mode de développement plus soutenable devait être promu et pouvait être concrètement engagé dans tous les domaines de l’action humaine . Cette notion de développement durable a connu depuis de nombreuses vicissitudes (voir les articles récents de Jacques Theys dans l’Encyclopédie ) qui lui ont fait parfois perdre une partie de sa crédibilité. Aujourd’hui les ODD constituent un nouvelle grille commune de lecture. Les dégâts d’une mondialisation et d’un libéralisme incontrôlé, mis en évidence par la crise épidémique du Coronavirus, appelleront sûrement des changements profonds de nos sociétés. Encore faut-il s’assurer de créer une adhésion des citoyens vers les transitions « désirables » auxquelles nous serons demain confrontés. Diverses initiatives de 4D (« Our life 21 », « empreintes ») visent à construire les voies d’un monde plus « soutenable » en mettant l’accent sur le rôle des individus et du facteur humain.

Auteur·e

4D

Association 4D (adhérent)


Cet article est le fruit d’un collectif d’acteurs investis dans l’association 4D coordonné par Vaia Tuuhia déléguée générale de l’association 4D depuis 2010.Celle-ci anime depuis 2015, le projet ’Our Life21’ initié par 4D pour stimuler la prise en compte des Objectifs de développement durable (ODD) et de ceux de l’Accord de Paris dans le quotidien des gens. Elle est vice-Présidente de ‘Climate Chance’, réseau des acteurs non étatiques engagés pour le climat.

La crise sanitaire et ses impacts immédiats sociaux et économiques, conduisent les sociétés vers des réponses inédites. Plusieurs stratégies de sortie de crise s’affrontent avec des visées à court ou long terme et des trajectoires très différentes : urgence, relance, refondations, transformations. Parmi les voix qui s’expriment, certaines s’appuient sur les Sciences de la durabilité, qui alertaient, avant la pandémie, sur les aggravations, proches de seuils de rupture, du climat, de la biodiversité, des modes de consommation et production et des inégalités. Les scientifiques nous donnaient 10 ans pour agir de manière radicale. Et ce, en s’appuyant sur l’élan politique mondial de tous les Etats engagé en 2015.
Unanimement conscients que le système, à bout de souffle, avait besoin d’un plan massif de transition, les 194 parties signaient alors la déclaration de l’ONU, Transformer notre monde -avec les Objectifs de Développement Durable (ODD) comme grille commune. Les porteurs des ODD partagent, dans un contexte plus mondialisé que jamais, une vision de durabilité forte - pour des sociétés qui ne laissent personne de côté.
Cet agenda pour des sociétés durables appelle des transformations profondes des comportements, jusque-là freinées par des attitudes conformistes : si chacun est de plus en plus convaincu que changer est nécessaire face à ces enjeux globaux, le passage de l’intention à l’action reste faible. C’est avec ce facteur humain que tout changement de société doit composer : les dissonances cognitives entre la connaissance et l’action dominent car trop d’influences contradictoires cohabitent. La pandémie ne fait que renforcer la prise de conscience du rôle que va jouer la psychologie individuelle dans le changement nécessaire de nos modes de vie futurs.
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 Un cadre de réflexion global : Celui de la durabilité forte

La mise en place des Objectifs du développement durable peut s’envisager dans plusieurs perspectives différentes. Pour l’Association 4D, il ne s’agit pas seulement de promouvoir une économie verte, en privilégiant les changements de technologies, mais de transformer en profondeur les modes de vie et de consommation et d’aller vers un véritable « changement de civilisation « . Le cadre de référence est donc celui de la « Durabilité forte » - comme l’illustre le tableau suivant, tiré du programme « Transition vers une économie écologique «  [1] . C’est ce qui justifie l’accent mis sur les modes de vie et les changements de comportement.

 Après le pandémie : Un choix de chemins possibles

A la sortie de cette crise du Coronavirus, nous sommes face à un large éventail de chemins possibles - la relance économique qui va devoir être engagée oscillant du recours aux mécanismes classiques de l’économie libérale de ces 30 dernières années à des mécanismes plus contraignants faisant appel plus largement à des outils de planification, de solidarité et de changements des modes de vie. Il est bien difficile de savoir quels chemins vont prévaloir demain, mais il est tout au moins possible de mieux mesurer aujourd’hui les dangers qui nous menacent si nous poursuivons les errements passés.
Le dernier Sommet de Rio en 2012 nous a engagé à passer d’une vision d’un développement plus équilibré entre pays riches et pays pauvres qui était celle des OMD ( objectifs mondiaux du développement ) à une vision plus générale, les ODD ( objectifs du développement durable), dans laquelle le sort de tous les pays de notre planète est lié : les graves menaces générées par notre développement sur le climat, comme sur la biodiversité ont été des premières alertes, les dégâts d’une mondialisation et d’un libéralisme incontrôlé mis en évidence à l’occasion de la crise épidémique de 2020 en sont une autre illustration. La grille de lecture des 17 ODD proposée par les Nations-Unies est très riche et très complète avec ses 115 indicateurs, mais court le risque de sombrer dans un nouveau dispositif technocratique. Une modification profonde de nos modes de vie est le corollaire incontournable des solutions techniques, sociales ou économiques. L’association 4D a donc fait le choix de privilégier une lecture de ces ODD partant des attentes des citoyens et habitants : c’est l’objet du programme « Our Life 21 » qui a permis à des citoyens d’horizons géographiques ou sociologiques très diversifiés d’exprimer leur vision d’un avenir réussi, c’est aujourd’hui l’objet du programme « Empreintes » qui permet de populariser ce que serait une monde plus « durable » tout en étant plus « désirable ».

Nous ne pouvons pas tirer de la période actuelle de pandémie des leçons claires pour la transition écologique et sociale future (l’acceptabilité sociale pour affronter collectivement le virus s’est produite dans des conditions contraintes et limitées dans le temps), mais cette expérience a au moins montré que les modifications de comportement peuvent se faire plus rapidement qu’on ne pouvait l’imaginer.

  Pour changer les modes de vie, sortir de « l’individu moyen »

Parlant de modes de vie, il est indispensable de s’affranchir de la notion d’individu moyen en termes statistiques.

La prise en compte des vulnérabilités et des capacités d’adaptation, en fonction de facteurs comme l’âge, la composition de la famille, les revenus, les lieux d’habitation est indispensable pour rendre compte de la pluralité des situations personnelles, les différences de priorités et de capacités des familles. Ces mêmes critères jouent un rôle important dans les scénarios de transition vers un développement durable et peuvent décupler les potentiels de transformation : soit parce qu’ils nous apprennent à défendre pour les personnes les plus vulnérables, non pas une égalité des politiques mais une égalité d’accès aux résultats, donc des politiques différenciées par rapport aux résultats ; soit parce qu’ils permettent de tenir compte de la complexité des interactions au sein d’un système économique, social, environnemental, démocratique et culturel, qui plus est, multi-acteurs, avec lequel nos modes de vie sont en interactions permanentes. Les modélisations selon une moyenne statistique se heurtent à une limite majeure : nier le précieux facteur humain (PFH).

Nos vies en 2050 durables et désirables
https://www.association4d.org/nos-a...

Pendant 10 ans, 4D a confronté des études prospectives à des rencontres auprès d’experts et publics pour « ramener » ces scénarios à la réalité de vie de chacun et mieux accompagner les changements attendus. Nous poursuivons ces rencontres avec des récits 2030 - 2050 ODD compatibles et un dispositif de fresque participatif à travers le projet « J’empreinte, je m’engage ». La fresque de ’street-art’ est un moyen d’amplifier les récits ; la beauté du geste invite chacun à faire une introspection de soi avant de poser son empreinte dans l’œuvre et à s’inscrire dans un mouvement de mobilisation citoyenne, une société qui se change par et pour elle-même.
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  Le role du facteur humain

Le « Précieux Facteur Humain », dont parle Patrick Viveret, « Osons les jours heureux  », est la version positive et lumineuse du « Putain de Facteur Humain » - expression québécoise qui résume le fait que tout en sachant ce que l’on sait, on ne passe pas à l’action. Nos modes de vie s’inscrivent dans une cohérence qui n’est pas qu’objective et logique, nous interagissons avec nos émotions, nos valeurs et nos croyances au sein d’un cadre relationnel dans un besoin de bien-être et de sécurité.
La pratique du terrain acquise à travers les ateliers de prospectives participatives OurLife21, nous permet d’avancer 5 Priorités pour mobiliser efficacement ce Facteur Humain .
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C’est ce que nous appelons les 5P :
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  • 1. Perception d’un futur  : Une minorité de personnes accède à un imaginaire positif, quand la majorité voit le changement plutôt négativement, car nous voyons ce que nous perdons et moins facilement ce que nous gagnons. Une sortie de crise amène à renouer avec un projet et une ambition pour penser le long terme dans ce qu’il a de plus imaginatif comme de plus effrayant. Il manque un grand récit du futur positif construit de multitudes de récits des familles, qui éveillent l’empathie, intègrent les subjectivités humaines et une ’idée de progrès, “où partout l’impératif du mieux s’impose ; à l’Occident, c’est le mieux mais moins, ailleurs c’est le plus, mais mieux."
  • 2. Pragmatisme : La recherche d’impacts ne doit pas faire perdre de vue la complexité des situations, au risque de nourrir des attitudes conformistes. Les ODD, de par leur cibles et indicateurs sont un outil pour comprendre et utiliser la complexité. Ils visent à ne laisser personne de côté, dans un contexte d’aggravation des inégalités d’ici à 2030, du fait de l’impossibilité de réaliser tous les investissements à une échéance aussi rapprochée. Répondre à la hauteur de ces enjeux implique de considérer les principaux déterminants concrets des modes de vie des personnes. A commencer par leurs lieux de vie, les modes d’habitat (des typologies bien différentes selon les pays) ; puis la composition de la famille : l’âge, le temps de vie, le nombre de personnes et leur capacité à changer de comportement ; et enfin les revenus : souvent nécessaires à l’accès à des services ou produits et permettant une vision de plus long terme. Un écosystème est résilient parce qu’il laisse vivre la (bio) diversité.
  • 3. Psychologie : Si l’altruisme est essentiel dans une vie de groupe, le choix d’une partie de la population qui est celui du repli sur soi, de “moi d’abord et après les autres” est bien présent. Une communauté de destin nous situe dans une compréhension des peuples, au-delà des rouages techno-économiques. Le confinement laissera des impacts psychologiques encore difficiles à entrevoir. Cette communauté de destin aura besoin de processus qui cadrent et outillent la relation aux autres. Ces processus transforment ceux qui y participent et dégagent des ressorts psychologiques propres aux résiliences des sociétés, des règles collectives pour cheminer sur les voies de transitions et coopérer entre des groupes distincts, selon des temporalités propres à chaque composante.
  • 4. Paix : Une transformation c’est échafauder des solutions, non pas sur le plus petit dénominateur commun, mais au contraire le plus large éventail d’avis, même contradictoires…

C’est la construction de l’intelligence collective, par le traitement de désaccords féconds. Des cadres de gouvernances partagées pacifient les échanges, offrent des garanties d’écoutes et de redevabilité. La coopération est un levier majeur de développement et de résilience. Notre faible capacité à vivre nos conflits sans violence sont autant de limites à réinventer des alternatives. Nous avons besoin d’un climat de confiance, pour engager des trajectoires de rupture. L’ODD 16 pour la paix et la confiance en les institutions est né d’une consultation citoyenne mondiale.

  • 5. Plaisir : L’ association de plaisirs à des besoins essentiels pour transformer plus profondément les pratiques est commun. Le plaisir de participer à la sauvegarde d’une vie décente sur notre planète répond aussi à une crise anthropologique profonde de notre temps. Stimuler des personnes dans tout leur potentiel de transformation, conjuguer les défis à relever avec l’enthousiasme, l’énergie de la joie, le beau, l’esthétisme, ne sont pas des suppléments d’âme mais des clés de transformation et de mobilisation de toutes les capacités..

Ces 5 P définissent les grandes lignes d’un programme d’action sur le facteur humain qui devrait nous permettre de passer d’un contexte de grande défiance, de repli sur soi et de comportements toxiques à des sociétés résilientes et transformatrices, au partage d’une promesse d’un nouveau monde qui émerge, qui réinvente le progrès. Nous n’agissons pas pour la planète, ni pour l’économie mais pour l’humanité et donc pour les relations humaines, un autre rapport au temps, des écosystèmes vivants. La coopération, n’est cependant pas une somme d’individualités, tout comme une succession d’actions ne font pas des systèmes d’organisations efficientes et durables. Les ODD offrent le cadre nécessaire pour ces nouvelles interrelations .

Mais cela suppose qu’aucun de ces objectifs ne soit ignoré ou marginalisé au profit des autres.

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Notes

(pour revenir au texte, cliquer sur le numéro de la note)

[1Programme de la Mission Prospective du Ministère de la Transition écologique .

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* Guimont Clémence, Jacques Theys : Nous n’avons jamais été « soutenables » : plaidoyer pour une durabilité forte et une politique des limites.
aaa Partie 1 : Echec de la durabilité faible, nécessité d’une durabilité forte., N° 267 , mars 2020.
aaa Partie 2 : Politique et prospective des limites – regards sur la France et l’international., N° 268 , mars 2020.

* Chancel, Lucas, Sénit, Carole-Anne , Tuuhia Vaia : -entretien-
Réduire les inégalités, une condition nécessaire à l’acceptabilité des politiques environnementales, N° 256 , décembre 2018.

* Darras Marc : Les objectifs du développement durable (O D D). : Outils d’une stratégie mondiale à l’horizon 2030, N° 253 , octobre 2018.

* Tuuhia Vaia : Les Dialogues du Développement Durable, N° 204 , février 2014.

* Miriam Cangussu, Tomaz Garcia, Emeline Diaz, Vaia Tuuhia, Geneviève Verbrugge, Pierre Radanne : Mondialisation et convergences des crises, les défis du développement durable pour le 21ème siècle ., N° 179 , janvier 2013.

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