Prendre en compte l’éventualité d’effondrements dans les récits prospectifs et les politiques publiques
Résumé
Les nombreux rapports scientifiques, les indicateurs sur les limites suggèrent un risque de réactions en chaîne, d’effets dominos conduisant à un effondrement de la civilisation thermo-industrielle. La prise de conscience de cette hypothèse, parfois décriée comme intuitive et non scientifique, est génératrice d’angoisses, de peurs alimentant notamment des réseaux collapsonautes. Cette peur serait-elle paralysante ? La thèse est au contraire qu’elle permet de mobiliser la volonté de se prémunir du risque, conformément à une éthique de responsabilité. Pour conjurer ce risque et fédérer sur des chemins de transition écologique des scenarios d’a-venir sont produits par les institutions spécialisées et les prospectivistes. Certains, adoptant une méthode de backcasting, partent de la description de futurs souhaitables. Les scénarios d’effondrements sont peu explorés. En tout état de cause les récits ne suffisent pas, ce sont les pratiques qui permettent de changer les fondamentaux d’une société. Les politiques menées, si elles affichent des objectifs ambitieux, engendrent cependant des désillusions et un sentiment d’impuissance devant le constat des écarts entre objectifs et résultats. Rompre avec un horizon continuiste, interroger les finalités de nos sociétés, ne pas exclure la radicalité pour prendre en compte l’urgence sociale et environnementale, semblent des impératifs incontournables.
Auteur·e
Sociologue, Docteure de l’Université Paris Descartes, chercheure au Laboratoire de Changement social et politique de l’Université de Paris. Elle enseigne à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, à l’Université de Paris, et à l’institut Catholique de Paris. Spécialiste des pratiques et imaginaires de l’après-croissance, elle a produit en 2014 un rapport sur la cohésion sociale en temps de récession prolongée : initiatives alternatives et formes des résistances – Espagne, Grèce, Portugal, pour le Groupe EELV-ALE au Parlement Européen ; et également d’un rapport sur Les récits de l’effondrement, pour le dispositif Explor’ables du Commissariat Général au Développement Durable (MTES) en 2020. Elle a été codirectrice de la Revue Entropia, revue d’études théorique et politique de la décroissance de 2012 à 2015. Elle a été vice-présidente de la Fondation d’Écologie politique de 2017 à 2021, et en est depuis Présidente ; elle également est au conseil d’administration de l’Institut Momentum. Elle est enfin l’auteure d’un ouvrage paru en 2021 aux éditions Utopia, intitulé L’écologie et la narration du pire.
- Introduction : la catastrophe comme enjeu émergent
- I.) La prise de conscience des limites du monde
- II) L’impact des récits de l’effondrement et les débats qu’ils suscitent
- III) Le Monde et ses à-venirs : conférer un sens politique au récit
- IV) Puissance publique et a-venirs : la difficile modélisation du pire
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- Conclusion - Face à l’urgence : une autre temporalité
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La plausibilité d’une situation critique accélérant le dérèglement climatique déjà en cours et l’érosion irréversible de la biodiversité, conduisant in fine les sociétés humaines vers des situations très difficilement maitrisables, apparait aujourd’hui comme de plus en plus forte. La survenue potentielle d’une telle catastrophe excède nos capacités de compréhension et de perception. Une incapacité que Gunther Anders rapportait à ce qu’il appelait le « supraliminaire » [1] , désignant le seuil au-delà duquel l’esprit humain est inapte à penser et à se représenter les effets induits et les actions générées par l’utilisation des produits de la technologie [2] . Un tel décalage sans cesse grandissant entre ce que l’homme excelle à produire et ce dont il ne peut se représenter les effets, place celui-ci en situation de ne plus assumer la responsabilité de ce qu’il produit [3] . Dégager ainsi de nouveaux horizons en prenant au sérieux les données scientifiques nombreuses dont nous sommes en possession constitue un chantier particulièrement délicat, en raison de cette difficulté à se représenter notre futur. Des interrogations neuves semblent ainsi s’imposer pour l’action publique. Pourquoi des acteurs forts variés parlent-ils d’effondrement aujourd’hui ? Ce récit a t-il des éléments de factualité ? Comment répondre aux angoisses que cette option d’analyse suscite ? Des questions d’autant plus importantes que le postulat d’une catastrophe de plus en plus probable, ainsi que sa structuration en récit, emmène avec lui une série d’affects : peur, tristesse, colère, pessimisme, effroi voire repli, que d’aucuns voient comme démobilisateurs et destructeurs de lien social ; perspective présentée par d’autres au contraire, comme un moteur d’actions, propice à la convergence de formes inédites de résistance et de créativité.
Autour de cette notion d’effondrement, s’est créée en France une véritable nébuleuse [4] où s’entremêlent études scientifiques, travaux de vulgarisation et mouvements communautaires. La parution en 2015 de l’essai Comment tout peut s’effondrer : petit manuel de collapsologie à l’usage des générations présentes de Servigne et Stevens, est souvent considérée comme l’élément déclencheur d’une dynamique de médiatisation. Pourtant, cette idée d’une sortie hypothétiquement brusque de la civilisation thermo-industrielle qui balaierait ainsi tous les secteurs de l’économie et de la société, est en fait assez ancienne. D’autres termes s’y référaient déjà : celle de décroissance portait par exemple cette idée ; celle d’Anthropocène la contient également. L’idée d’effondrement cristallise en fait aujourd’hui « l’assèchement des espoirs de limitation de la crise écologique [5] » selon l’expression de Luc Semal. Et c’est ainsi, selon lui, qu’une forme de « démarginalisation » de la perspective catastrophiste, s’est faite jour. Son succès s’inscrit par conséquent dans un processus plus large où nos sociétés sont en train de prendre acte que certains seuils d’irréversibilité sont passés et qu’il faut agir de manière immédiate.
Il existe en effet une grande diversité de réseaux d’activistes qui assument cette perspective, avec des positionnements politiques parfois très divers : la décroissance, le mouvement des villes en transition, mais aussi Extinction Rebellion, Deep Green Resistance, Sea Sheperd ou d’autres encore. Séminaires, débats, conférences sur l’effondrement se multiplient ; séries, films, romans : toute l’industrie culturelle semble irriguée par cette pensée des catastrophes. Cette banalisation et cet emballement de la sémantique catastrophiste, révèle pourtant paradoxalement un désir d’horizon ; c’est même, pour Jean-Paul Engélibert [6] , un signe de vitalité de l’imaginaire : une tentative de repolitiser le présent. Une nécessité de repolitisation d’autant plus forte que nombres des bouleversements qui sont en cours sont difficiles à intégrer. Jean-Pierre Dupuy à qui l’on doit la popularisation de l’idée de catastrophisme, l’avait alors déjà indiqué : « La catastrophe n’est pas crédible, tel est l’obstacle majeur. (…) Nous ne croyons pas ce que nous savons [7] » - d’où la nécessité d’adopter un catastrophisme éclairé, soit une position existentielle, qui consiste à dire qu’il ne faut considérer certaine une catastrophe que, justement, pour parvenir à l’éviter.
Il est vrai que ce récit croise toute une série de données matérielles qui lui confèrent dramatiquement force et assise. Des points de non-retour ciblés dans une série d’observations scientifiques, montrent notamment que les niveaux de pesticides [8], nitrates [9] , métaux lourds [10] , plastiques [11] sont extrêmement inquiétants. Les océans sont, par exemple, exploités, en moyenne, à leur maximum ; l’objectif de limiter le réchauffement à 1,5°C semble désormais hors d’atteinte ; un réchauffement de plus de 5°C ne peut plus être exclu si l’emballement actuel des émissions de gaz à effet de serre se poursuit. À ces niveaux de température : une cascade de conséquences irréversibles s’en trouverait potentiellement liées (effondrement de la banquise, dégel du pergélisol, ralentissement des courants océaniques...). C’est l’habitabilité même de certaines régions du monde qui serait alors remise en question. L’effondrement de la biodiversité est également une perspective communément admise [12]. Une étude alarmante publiée en 2017 [13] révèle en effet que le recul des espèces de vertébrés est sans précédent : 42 % des espèces d’invertébrés terrestres et 25 % de celles d’invertébrés marins sont menacés d’extinction. Ceci entraîne de graves conséquences en cascades – selon la dite « logique des dominos » - sur l’ensemble des écosystèmes. C’est ainsi manifestement toute notre actualité que de s’inquiéter de savoir où notre époque va atterrir [14]. Se figurer l’avenir [15], pré-scénariser les possibles semblait déjà être devenu un enjeu hautement politique [16].
L’idée des limites à ne pas dépasser n’est pas neuve : elle a construit la pensée écologiste. En revanche, la dénégation de cette injonction à les intégrer constitue l’ossature de toute narration effondriste. Deux auteurs devenus incontournables sur cette question, le présentait déjà ainsi. Le premier, Joseph Tainter, a écrit, en 1988, un ouvrage central [17] (traduit en français en 2013 : l’effondrement des sociétés complexes) dans lequel il décrit l’effondrement comme un processus essentiellement politique, lié à la complexification croissante des sociétés et aux réponses sans cesse plus élaborées qui, tentant de résoudre un problème technique, ne font qu’accroitre les réseaux de dépendance et, par conséquent, de vulnérabilités [18]. Le second, plus connu, est Jared Diamond [19] . Son ouvrage publié en 2005 aux Etats-Unis et un an plus tard en France, interpelle depuis, très largement [20] . Contrairement à Tainter qui prétendait fournir une théorie générale de l’effondrement, Diamond déclare restreindre son analyse aux seuls cas d’effondrement dans lesquels la question environnementale a joué un rôle déterminant. Il tente alors d’expliquer pourquoi ces sociétés, lorsqu’elles furent confrontées à des problèmes écologiques croissants, ne parvinrent pas à se réformer suffisamment pour adapter leur mode de vie à leur environnement changeant. Parmi les cinq grands motifs qui ont conduit, selon lui, à des effondrements complets de civilisation il cite l’incapacité des gouvernants et des élites à résoudre les problèmes – soit par négligence, soit par incapacité à les identifier. Parmi les raisons qu’il invoque, une série de mécanismes psychologiques, comme l’attachement des élites à leurs privilèges, semblent prévaloir. Il appelle également « effet de ruine », le mécanisme qui limite la capacité des humains à abandonner une stratégie lorsqu’ils ont déjà beaucoup misé sur elle ; et « normalité rampante », la réaction qui limite la capacité des populations à prendre conscience de l’ampleur des changements à l’œuvre.
Cette prise de conscience des limites du monde a de plus large précédent que les seuls auteurs mentionnés par la dite « collapsologie [21] ». Les scientifiques estiment en effet que, depuis la révolution industrielle, il y a eu une « Grande accélération [22] », la planète étant sortie de l’ère géologique dans laquelle elle prospère depuis 11700 ans : l’Holocène pour entrer dans ce qu’ils nomment alors : l’Anthropocène, ce moment où « les activités humaines sont devenues si envahissantes et profondes qu’elles entrent en rivalité avec les grandes forces de la nature et poussent la Terre vers une terra incognita planétaire [23] ». L’introduction de ce nouveau terme se base évidemment sur des constats scientifiques révélant combien les activités humaines sont devenues la principale force agissante du devenir géologique de la Terre, mais n’en est pas moins exempts de débats internes [24]. Ces constats impliquent en tout cas pour beaucoup de scientifiques, une nouvelle condition humaine. La pensée du basculement trouve ici son illustration toute matérielle : celle aujourd’hui plus communément désignées des limites planétaires [25] . Les limites sont déjà franchies en France en matière de réchauffement, d’érosion de la biodiversité, de perturbation du cycle de l’azote et du phosphore, et enfin d’acidification des océans, avec des effets marqués sur la faune et sur l’utilisation de l’eau. Définir des limites planétaires suscite aujourd’hui un réel engouement scientifique ; il est vrai que la tâche est urgente et pourrait permettre de définir un référentiel incontournable des prises de décision. Mais celle-ci est délicate, car la complexité est extrême [26].
Cette question de nos actions sur l’état de la planète se voit, en tout cas, diversement signifiée par une série d’indicateurs, dont deux sont largement popularisées : le « jour du dépassement » et « l’empreinte écologique ». Le premier correspond à la date de l’année, calculée par l’ONG américaine Global Footprint Network, à partir de laquelle l’humanité est supposée avoir consommé l’ensemble des ressources que la planète est capable de renouveler en un an. C’est un concept simple que les scientifiques ont mis au point pour vérifier si la consommation n’excédait pas la production des ressources ; il est chaque année donné, innocemment, par les médias. En 1970, ce jour du dépassement était intervenu le 23 décembre ; en 2000, il était fixé au 4 octobre ; en 2019, il s’agissait du 29 juillet. En 2020, il a reculé de trois semaines et a été établi au 22 août, en raison du confinement lié à la pandémie de COVID-19. Le dépassement entre la consommation des ressources de la planète et la reproduction desdites ressources dans le cadre d’un cycle annuel s’amplifie donc dans des proportions considérables. Indicateur inversé mais mesurant le même phénomène : l’empreinte écologique permet de calculer les surfaces biologiquement productives de terre et d’eau nécessaire pour produire les ressources qu’un Etat, un individu ou une activité consomme. En 2019, le site du Ministère de la transition écologique indiquait que si toute l’humanité consommait autant de ressources qu’un Français, il faudrait 2,7 planètes pour subvenir à nos besoins, ce qui nous place au huitième rang des plus gros consommateurs du monde. Si le constat semble donc partagé, ces outils, largement médiatisés, conduisent-ils réellement à des changements profonds des comportements, tant individuels que collectifs ? Aident-ils à nous faire intégrer la violence de nos modèles et leur nocivité ? Ou n’y a t’il pas ici une forme de banalisation ? En proposant des indicateurs neutres, ludiques, facile d’accès et en tout point parlant, n’entretient-on pas une forme de distanciation, vis-à-vis de phénomènes graves et dont les conséquences sont réelles ? L’écologie a en effet souvent fait l’objet d’une confusion, en étant assimilée à un romantisme ou à un volontarisme au lieu d’être conçue comme une responsabilité incontournable : celle la prise en charge des effets globaux de nos actions, qui justifie pour certains une conceptualisation en terme de risque d’effondrement.
Alors que la communauté scientifique préfigure donc, par le truchement d’une série de rapports, un possible effondrement des écosystèmes, de nombreux citoyens s’inquiètent de ne pas voir les politiques prendre la menace au sérieux. Pour certains, la crise écologique provoque une véritable détresse, justifiant de faire communauté. Ont ainsi émergées des communautés affinitaires, autour d’acteurs et de promoteurs de la théorie de l’effondrement, appuyés par les réseaux numériques. Collapsonautes [27], effondrés [28] se retrouvent ainsi majoritairement sur internet, au travers des réseaux sociaux et forum. Il existe une grande diversité d’espaces de vulgarisation [29] ; et cette mise en commun permet aux sympatisants de ne plus affronter seuls la masse d’informations contradictoires produites chaque jour sur le basculement global, mais aussi de ne pas se laisser submerger par les émotions qui s’y rapportent. Ce partage d’informations participent d’un cadrage qui, selon Cyprien Tasset : « permet de rejoindre une compréhension commune, autour d’un corpus établi et de zones d’incertitudes mieux circonscrites [30] » . La crise écologique suscite en effet des mécanismes émotifs difficiles, oscillant entre angoisse et colère, aujourd’hui travaillés [31] . Glenn Albrecht, philosophe australien de l’environnement, a par exemple développé le concept de « solastalgie », définissant ainsi : « la douleur ou la détresse causée par une absence continue de consolation et par le sentiment de désolation provoqué par l’état actuel de son environnement proche et de son territoire. Il s’agit de l’expérience existentielle et vécue d’un changement environnemental négatif, ressenti comme une agression contre notre sentiment d’appartenance à un lieu » [32] . Ce phénomène dont les facteurs peuvent être naturels (sécheresse, inondations) comme artificiels (guerre, exploitation minière, défrichement), n’est pas nouveau, mais les vécus qui s’y rapportent semblent s’être répandue en raison de la crise climatique et de la destruction des écosystèmes. Le GIEC d’ailleurs lui-même utilise ce terme pour décrire les effets potentiels et réels sur la santé mentale du changement climatique. Ceci posé, dans les années 70, l’historien américain Theodore Roszak avait déjà défini « l’éco-anxiété » comme étant une peur par anticipation, relative donc à la manière dont on perçoit l’avenir. En 1990, naissait également l’éco-psychologie, soit l’étude de la dimension psychologique de la crise écologique, désignant alors « ces processus psychiques qui nous lient ou nous séparent du monde non humain, processus dont les dysfonctionnements constituent, précisément, selon nous, la cause fondamentale de la crise écologique [33] ». Un climat d’inquiétude qui semble donc profondément installé. S’appuyant sur une analyse comparée entre la France, le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Italie et les États-Unis, Jean-Laurent Cassely et Jérôme Fourquet se sont employés, dans un rapport de la Fondation Jean Jaurès intitulé « la France : patrie de la collapsologie ? » à montrer comment la collapsologie a rencontré un vif écho en France. Ce récit, selon eux, a gagné beaucoup de terrain dans les imaginaires occidentaux ces dernières années, et spécifiquement en France et en Italie où 65 % des premiers et 71 % des seconds sont d’accord avec l’assertion selon laquelle « la civilisation telle que nous la connaissons actuellement va s’effondrer dans les années à venir [34] ».
La collapsologie se propose, en effet, de fournir une approche interdisciplinaire de l’effondrement afin de fournir un diagnostic global de l’état de notre biosphère ; elle se base sur une compilation de travaux scientifiques (climatologie, physique, biologie, géologie) mais est fréquemment accusée d’être une « pseudo-science » qui se baserait moins sur des données objectivables que sur un instinct peu rigoureux. Mais les diatribes ne s’arrêtent pas là. Elle est également suspectée de promouvoir une approche trop anthropocentrique [35]. En se focalisant sur l’effondrement à venir de la civilisation industrielle, le risque serait ainsi fort de se rendre aveugle aux effondrements locaux qui s’avèrent pour certains déjà bien avancé. Ainsi, pour Jean-Baptiste Fressoz, il s’agit d’une « écologie de riche » [36] ignorant les aspects profondément inégalitaires d’effondrements déjà en cours dans certains pays pauvres ou en développement. Autre critique : ces thèses sont dénoncées comme masquant les rapports de force politiques qui traversent la société. Tout au long de l’histoire, des populations ont fait montre de résistances face aux différentes formes d’exploitation de l’environnement ; la collapsologie serait ainsi responsable d’en gommer la vitalité. Enfin, ce récit est perçu comme réactionnaire. L’argument étant alors de rappeler que dans les années 90, lorsque la question climatique émerge dans l’espace public, ce discours se fait le vecteur de nombreuses théories de droite identitaire, comme celle dit du « déclin de l’occident » [37]. Il est vrai que si en France la collapsologie met l’emphase sur la notion d’entraide [38] , les théories de l’effondrement, aux États-Unis par exemple [39] mobilisent un imaginaire nauséabond xénophobe reprenant les termes « d’invasion » ou de « grand remplacement [40] ». La portée récente du néosurvivalisme, souvent confondue avec les théories de l’effondrement, n’a fait que creuser le sillon de cette dangereuse confusion. Collapsologie et survivalisme sont en effet deux tendances identifiées mais pourtant bien distinctes. Le premier met l’accent sur la préparation et la solidarité : il s’agit ici d’investir les aspects socioculturels du monde d’après l’effondrement, et d’anticiper les savoirs pratiques qui seront nécessaires : permaculture, habitat autonome, participatif et alternatif en éco-village, éco-hameau ou autre lieu de communauté intentionnel. Les survivalistes abordent, eux, leur préparation selon des modalités plus offensives [41] .
Il y a ici une divergence forte relative à la finalité. Alors que les influenceurs de la galaxie collapsologiste sont généralement issus des rangs de la mouvance écologiste, la galaxie survivaliste est, elle, plutôt composée de personnalités qui mettent en scène leurs capacités de résistance physique et leur aptitude à la survie. Ceci posé, des croisements existent et des liens se font entre les deux univers, pour des raisons d’ailleurs plus pragmatiques que politiques, mais il faut assurément se garder de voir une stricte superposition entre ces deux imaginaires et les visions du monde qui les structurent.
La critique de la collapsologie vue comme dépolitisante est sans doute l’une des plus commentées. Cette critique émane néanmoins d’acteurs qui raisonnent à partir du champ d’écologie militante et savante auquel ils appartiennent. Cette hypothèse indiquant que les théories de l’effondrement viendraient dépolitiser des gens qui, sans cela, se seraient engagés vers une écologie plus transformative, positive et réformatrice, est pour autant loin d’être certaine, comme l’indique Cyprien Tasset qui a étudié les réseaux de collapsonautes. Ses travaux montrent qu’une partie significative des personnes impliquées dans des forums électroniques ou des associations liées à l’effondrement ont surtout un désir fort de compréhension factuelle. Il y a par ailleurs un aspect vertueux dans l’anticipation d’une menace, ce que Hans Jonas appelait « l’heuristique de la peur ». Nos activités ont en effet désormais des effets globaux et parfois irréversibles ; les conséquences de nos modes de vie font peser une menace permanente et réelle sur l’équilibre global de la nature [42] . Hans Jonas a donc proposé un « principe responsabilité » qui repose sur la peur, en tant que moteur de l’action responsable. L’utopie [43] est selon lui conçue comme dangereuse et irréaliste étant donné l’urgence et la gravité de la situation écologique. L’optimisme de l’ignorance et la croyance selon laquelle la technique saura résoudre d’elle-même les problèmes qu’elle pose vont à l’encontre de toute forme de responsabilité. La peur permet, à l’inverse, d’éveiller l’émotion susceptible de mobiliser la raison et la volonté pour nous prémunir du risque. En devenant ainsi objet de connaissance et source d’un devoir moral, la peur apparait comme un commandement éthique qui impose de nous interroger sur les risques inhérents à nos sociétés et sur le risque d’un effondrement systémique qui sans cesse les menacent. Sortir de la hantise et de la peur, sans nier la réalité, consiste, ainsi, pour beaucoup de jeunes sensibilisés à ces théories, à multiplier les perspectives qui dévoilent la pluralité d’effondrements déjà en cours. Désespérées mais non pessimistes, ces générations « s’ingénient à accueillir et cultiver des formes de vie qui échappent par le haut au capitalisme extractiviste. Condamnées à naviguer sur les effondrements en cours, elles génèrent d’ores et déjà des arts inédits du soulèvement [44] ». Face, en effet, à des formes d’« asséchement du spectre politique », la collapsologie a le bénéfice de sa stratégie discursive [45] : d’une certaine manière, elle fait rupture dans l’imaginaire et dans l’intelligible, et revendique le fait de déplaire. C’est ainsi qu’elle dénoue les tensions inhérentes à la situation, et qu’elle permet de décomplexer la parole : par son hybridation des discours de la science et de l’émotion, elle séduit et embarque : cela constitue, pour la chercheuse, une partie de son attrait.
Face à de tels risques et au désarroi que cela suscite, il est aujourd’hui courant d’entendre que « de nouveaux récits collectifs » doivent émerger. Cette idée au potentiel quasi magique est en effet fort prisée. Là où les sociétés pré-modernes avaient établi une sorte de transcendance du passé, autour de la religion notamment, et où les sociétés modernes avaient inversé cette logique en une « transcendance du futur », la postmodernité serait le moment où plus aucune transcendance ne fait sens ; se redonner des récits aujourd’hui consisterait ainsi à retrouver de l’optimisme et se redonner des garants méta-sociaux. Cela renvoie, également, à cette idée de « récit national » supposant qu’écrire un récit collectif serait un préalable pour faire communauté. L’urgence de la situation enjoint en effet certains acteurs aujourd’hui à vouloir créer de nouveaux récits, proposer en somme une narration susceptible de lever l’adhésion et de fédérer les élans citoyens. Mais de nombreux risques y sont logés : en termes de proposition mirifique mais aussi en termes d’imposition. Comme le rappelle Yves Citton un bon récit [46] est un récit qui conduit à poser des problèmes appelant à un travail interprétatif, un récit qui interroge. Montrer de nouvelles façons de faire [47] , de vivre, de s’engager, conscientiser, représenter, imaginer, donner à voir ce qui déjà existe, bâtir des stratégies de mobilisation semblent être des enjeux d’autant plus important pour la transition que certains récits dominants ont une visée claire de captation de nos attentions, de canalisations [48] ; des modes de narration qui nous saturent - saturation de sens, saturation des capacités perceptives - et qui occupent notre attention « comme une armée d’occupation occupe un pays [49] ».
Se donner des récits contient, ainsi, nous le comprenons, un enjeu normatif très fort : il s’agit in fine d’établir un ordonnancement de priorités, de suggérer une direction qui porte signification, toutes formes de société étant indissociable des valeurs qui l’inspirent. Ces valeurs jouent un double rôle : elles confèrent un sens à la société et à la vie de chacun des individus qui la composent. Ces valeurs ne peuvent néanmoins être que l’œuvre de la collectivité ; elles ne peuvent être prescrites, descendantes, ni de faire l’objet d’injonctions. Les formes que prennent chaque société n’ont en effet pas d’autre origine qu’elle-même ; cette capacité qu’ont les sociétés à se produire elle-même est absolument centrale. Castoriadis a ainsi rappelé sur ce point que le monde est travaillé par une logique extrêmement puissante : celles des « significations imaginaires ». D’une part, les imaginaires institués, qui sont profondément arrimés dans nos cadres mentaux, tant et tant que leur conscientisation est difficile ; et d’autre part, les imaginaires instituants, c’est-à-dire les micro-déplacements dans les façons de concevoir le monde, d’habiter le monde et ainsi de rompre avec des logiques qui ne font plus sens. Seuls ces derniers sont susceptibles de mener une société à s’auto-altérer, c’est-à-dire à modifier ses cadres. Et c’est ici sans doute l’écueil principal de ce crédo des récits. Aucun changement social ne peut être l’œuvre d’un simple récit permettant à l’accord de se faire : ce sont les pratiques qui viennent modifier les cadres institués et suggérer d’autres imaginaires. Autrement dit, seule la collectivité peut inventer de nouveaux modes de vie ; c’est toute la puissance auto-instituante de la société qui y est ici contenue. La possibilité d’un projet politique résolument écologique est par conséquent indissociable d’une remise en cause des valeurs et des orientations culturelles de la société ; remise en cause en soi fort difficile [50] .
Face à un projet d’une telle ampleur, la « fabrication de récits » confine donc surtout en une profusion de projections d’avenirs. Une méthode fréquemment utilisée consiste à se projeter dans un futur souhaitable pour identifier les mesures et politiques qui relieront cet avenir à notre époque actuelle. Une grande partie des rapports politiques et institutionnels procèdent de cette manière. Il s’agit des scénarios de transition proposés par la prospective. A titre d’exemple, dans le cadre du débat sur la transition énergétique, l’ADEME a présenté en 2019 deux scénarios énergétiques aux horizons 2030 et 2050. Les travaux détaillent notamment les transformations qui doivent se produire dans chaque secteur pour aboutir à la division par 4 des émissions de GES d’ici 2050. L’ADEME a, pour ce faire, développé deux scénarios aux méthodologies, échéances et objectifs distincts : le scénario dit « Vision ADEME 2030 » basé sur une méthodologie exploratoire (dite forecasting) et établi sur un objectif tendanciel volontariste. Le scénario dit « Vision ADEME 2050 » repose, lui, sur une méthodologie normative (dite backcasting). Dans ce second scénario l’ADEME explique à quelles conditions cet objectif pourra être atteint. Cette dualité d’approche est fondamentale car assez souvent la prospective prend les atours d’une narration menant à un point donné, établi comme souhaitable. Or, les limites de cette seule optique apparaissent : derrière toute anticipation pensée selon ces modalités, réside en fait une vision politique. La prospective ainsi résumée n’est plus stricto sensu la science de l’évolution future des sociétés permettant de dégager rationnellement des éléments de prévision, mais un outil de consolidation de récits. Or, en matière de sciences environnementales, il est toujours possible que surgissent des événements reconfigurateurs dont on ne peut prédire les conséquences à l’avance.
Les futurs « souhaités » varient, par ailleurs, évidemment en fonction d’une série de projections, de croyances et d’idéologies parfois, menant par conséquent à des visions possiblement éloignées de ce qui fait la transition. Celle-ci est supposée traduire le passage d’un état d’équilibre à un autre ; il est ainsi affaire de mutation, à la fois progressive et profonde, des modèles de société. Longtemps la vision du futur souhaitable a été celle du développement durable. Mais évidé, ce concept a fini par ne plus signifier ce qu’il était censé porter, se résumant à une acception de la durabilité faible. Olivier Godard, va jusqu’à dire qu’il s’agit d’une « chimère [51] », d’un objet de mystification. Le développement durable se retrouve en effet accusé de perpétuer le modèle qu’il s’agit précisément de quitter pour faire transition. Situation sémantique et politique d’autant plus ambivalente que c’est, contre toute attente, le terme qui s’est retrouvé réinvesti, en 2015, avec les Objectifs de développement durable aujourd’hui devenus centraux pour les responsables institutionnels. Ceci posé, cette amplitude dans les représentations de la durabilité a toujours existé. Fabrice Flipo en propose un triptyque : la dématérialisation, l’autre développement et la sortie du développement. Si les dénominations sont discutables, cette typologie permet de rompre avec une approche répandue et problématique : l’idée selon laquelle il y aurait une conception bonne, là où évidemment la pluralité règne. La première conception soutient que le problème de la durabilité se ramène à un problème technique, dénué de dimensions politiques. L’imaginaire est technophile et le récit consiste à postuler que tous les problèmes générés actuellement trouveront une solution dans l’avenir : la raréfaction de certaines ressources naturelles provoque l’arrivée de technologies de rupture qui pallient ce problème à temps. Une ressource s’épuise, mais une autre prend la relève. La croissance est ici la solution. Le second courant objecte au premier son utopisme, l’irrationalité de ses solutions et la nécessité de s’orienter vers une piste radicalement différente : un changement dans l’organisation collective. Pour ce second courant, le premier ne peut qu’échouer, pour deux raisons principales. Une première raison est que le courant de la dématérialisation mise en grande partie sur des solutions qui sont encore à venir, et loin de pouvoir être mises en œuvre de manière rapide et à grande échelle ; les solutions proposées ne présentent pas les garanties nécessaires à l’atteinte de résultats effectifs pour une transition réelle et selon un calendrier réaliste. Il lui reproche également les « effets rebond », soit l’idée que les efforts faits localement pour réduire une consommation et améliorer l’efficacité écologique générale de l’économie, se trouvent plus que compensés par l’augmentation générale des services rendus. Ainsi, pour ce courant, les choix techniques doivent être politisés. Ce courant est à la recherche d’une nouvelle forme de société civile dont la motivation ne serait pas le profit, ce qui conduit à privilégier « l’économie sociale et solidaire », sans s’y réduire cependant. Le troisième scénario, enfin, dit de la « sortie du développement » entérine l’idée de la nécessité d’une rupture, d’une bifurcation. L’idée ici est de ne plus dépendre de systèmes dont la contre-productivité est devenue toxique ; ce courant nourrit par conséquent un intérêt fort envers ce qui est robuste, solide, promeut le dit « low tech », arguant que l’hypermodernité a diffusé, dans le monde entier, un mode de vie qui s’avère ne pas être généralisable. Ces propositions sont in fine des « régimes d’énonciation » visant à fixer les futurs [52] . Ils contiennent en cela plus que des orientations : ils proposent une compréhension du présent et modélise, avec plus ou moins de réalisme, les avenirs qui sont susceptibles de s’ouvrir.
Depuis les années 1980, la représentation d’une catastrophe toujours possible est devenue emblématique d’une immense rupture historique vis-à-vis de ce qui caractérisait la modernité. Rupture avec le projet de maîtrise technique du monde, rupture avec l’idée de progrès, avec le mépris de la nature, avec un consumérisme outrancier. La catastrophe occupe in fine une place essentielle « dans le récit du dessillement postmoderne, car elle représente un moment d’involution de la modernité qui se trouve confrontée à ses propres créations » [53], comme le rappelle Jean-Baptiste Fressoz. C’est ce qu’a théorisé Ulrich Beck en 1986, dans son ouvrage La Société du risque : les risques ont, selon lui, changé de nature et nous entrons désormais dans le règne de l’incertitude. Risques qui ne sont plus « naturels » mais issus de la modernisation elle-même ; risques qui ne sont par ailleurs plus strictement calculables. Le politique, en somme, dans la société dite postmoderne vit et s’organise autour du risque et dans l’anticipation de la catastrophe. Face à la série de modélisations indiquant des risques accrus, des points de rupture proche, le « principe de précaution » eut pu nettement s’imposer. Ce principe, défini en 1992 lors de la Conférence de Rio, indique que : « en cas de risques graves ou irréversibles, l’absence de certitude absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l’adoption de mesures effectives » ; mais ce ne fut pas le cas. Il y a en effet, apparemment, un divorce consommé entre anticipation et précaution. La gestion des risques est aujourd’hui, certes, un axiome central, et la multiplication des rapports et données chiffrées, traduisent cette nécessité de se figurer l’état du monde. Pour autant, lorsqu’il s’agit de tirer les conséquences établies par ces productions scientifiques, en termes de nocivité, « la pensée court-circuite [54] ». Les politiques publiques ne parviennent, en effet, manifestement pas à inverser ces horizons et déployer véritablement une politique d’urgence et de précaution.
Depuis la fin des années 2000, nous sommes en effet passés de politiques de développement durable ou de gestion du risque à des politiques de transition [55] . Mais la transition reste une notion complexe en raison de la pluralité d’acteurs qui s’en revendique. Et si la notion de transition intègre, fondamentalement, l’idée d’un passage vers autre chose, elle reste rétive à en imaginer les pires latitudes. Des politiques publiques brouillées par l’empilement législatif, des ambitions politiques qui se heurtent aux moyens limités, une loi plus prescriptrice qu’applicable : les objets de désillusion, et d’impuissance sont en effet légions [56] . Un désenchantement d’autant plus fort lorsqu’il s’attache à illustrer des décisions, face à des problématiques écologiques, climatiques, énergétiques fluctuantes, difficiles, enregistrant échecs et reports. Des négociations qui n’endiguent pas les dérèglements, des feuilles de routes nationales qui peinent à inverser les trajectoires : les problématiques traitées par le Ministère peuvent en effet être fortement vectrices d’inquiétude. La capacité à agir, pour des agents publics, face à de tels enjeux – cognitifs mais aussi politiques et professionnels - n’est ainsi pas aisée.
Il est en effet frappant de constater que si la thématique, la perspective et le récit constitué de l’effondrement existent et progressent même, dans la société, ils ne sont que fort peu considérés et mentionnés dans les documents de cadrages nationaux. Les stratégies nationales marquent en effet nettement la rupture d’avec une « soutenabilité faible » qui a marqué, un temps long, les politiques environnementales, mais le problème posé reste celui des écarts toujours possibles entre les politiques affichées et les politiques réelles. Cette prospective sous contrainte - liée par ailleurs à cette méthode précédemment analysée du backcasting » allant du futur au présent en imaginant des chemins permettant des respecter des contraintes fixées à l’avance - intègre la nécessité d’une durabilité forte, mais ne semble pas avoir attaché à ses objectifs, l’impossibilité de l’échec. Or, fixer des objectifs est une chose, les mettre en œuvre est un problème beaucoup plus difficile. Les obstacles et freins, en la matière, sont nombreux. L’occultation de scénarios dramatiques mais plausibles semblent donc être pour la puissance d’Etat tout à la fois la traduction de freins économiques et culturels, entres autres, connus et intégrés, mais aussi la marque d’une difficulté à intégrer les conséquences de politiques antérieures qui ont, d’une certaine manière, compromis la possibilité aujourd’hui d’agir et de penser en liberté pleine, et pour lesquels nous apposons encore beaucoup de résistance.
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Pour qu’une grande bifurcation soit possible, il faut que le cadre culturel soit adéquat et propice au changement. Autrement dit : sans réorientation et réexamen des finalités de nos sociétés, aucune réelle transition n’est concevable. Le récit continuiste classique, issu de la modernité, postulant une infinité de temps disponible pour construire le projet de la modernité, semble aujourd’hui constituer le nœud du problème. Nous touchons ou atteignons aujourd’hui, en effet, des seuils qui vont faire disparaître des choix possibles ; nous entrons, selon Bruno Villalba, dans un régime de temps inédit : dans une logique de contraction des temps [57] . Nous quittons, en quelque sorte, l’épaisseur de la durée pour entrer dans l’urgence du délai. Le délai résulte, lui de la déduction que l’histoire de notre monde moderne ne peut plus se construire sur le modèle de la succession de modes d’organisation destinés à se transformer, certes, mais à se maintenir indéfiniment. Le « délai » n’est pas une date fatidique qu’il ne faudrait pas atteindre ; il est au contraire une phase particulière d’examen, de doute, qui doit prendre appui sur les connaissances scientifiques du moment afin d’estimer le temps restant avant que la situation ne soit devenue complètement et définitivement irréversible.
La bataille des imaginaires et la conflictualité posée par la multiplication des récits en matière d’écologie peut, par conséquent, aussi, se voir comme une opposition dans la vision du temps. L’urgence écologique, naguère brandie comme une hypothèse maladroitement définie, est en effet désormais bien installée. Nous devons maintenant gérer une situation caractérisée par « un système de discontinuités, de franchissements de seuils critiques, de ruptures, de changements structurels radicaux qui s’alimenteront les uns aux autres, pour frapper de plein fouet avec une violence inouïe les générations montantes [58] », comme l’indiquait déjà Dupuy. Cette intuition fondamentale liée au projet écologique, que les hommes sont dépendants des interactions qu’ils mettent en place avec des milieux naturels, fragiles, vulnérables, limités, est devenue une évidence et une priorité. Produire une proposition politique adaptée à cette difficulté consiste, par conséquent, à tenir compte de cette contraction démocratique résultant d’une réduction du temps qu’il reste, pour produire des solutions adaptées à l’enjeu des conséquences du cumul des urgences naturelles et sociales. Elle doit pouvoir accepter de reformuler son projet en prenant cela en considération. La conséquence « positive » d’un tel axiome se loge dans l’obligation à sortir d’une vision conditionnelle de l’avenir et à entrer dans une gestion présente de cette urgence. Cette perspective oblige à renégocier l’ordre des priorités du projet politique. Obligation d’autant plus forte que l’action publique semble être – selon les mots de Jacques Theys : « constamment en retard d’une guerre, et contrainte de rattraper à grand frais les négligences du passé. (…) cette stratégie de rattrapage et d’attentisme, souvent masquée par la communication, est désormais de moins en moins possible [59] », ce qui fait de la gestion du temps une des priorités majeures des politiques, présentes et à venir.
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Notes
(pour revenir au texte, cliquer sur le numéro de la note)[1] « J’appelle “supraliminaires” les événements et les actions qui sont trop grands pour être encore conçus par l’homme ». G. Anders, Et si je suis désespéré que voulez-vous que j’y fasse ?, Paris, Allia, 2010, p. 71.
[2] « L’homme prométhéen de l’âge atomique n’a pas accès par la pensée et l’imagination à l’immensité du malheur provoqué par l’explosion de la bombe sur Hiroshima et n’est pas davantage capable de prendre la mesure de la menace que constitue la possibilité d’une répétition de l’événement et d’une disparition de l’humanité ». F. Mengard, « La notion de « supraliminaire » chez Günther Anders : Comment penser le déclin et la renaissance de Prométhée à l’ère technologique ? », in E. Desprès et H. Machinal (dir.), PostHumains : Frontières, évolutions, hybridités, Presses universitaires de Rennes, 2014.
[3] Dès lors, Günther Anders établit le diagnostic d’une obsolescence de l’homme plongeant l’humanité tout entière dans une crise psychique et une tragédie anthropologique.
[4] Salerno Gabriel. 2018. « L’Effondrement de la société industrielle, et après ? ». Futuribles 427. p. 61-79.
[5] Interview de Luc Semal, Socialter n°36 ; « l’effondrement ne devrait pas être l’alpha et l’oméga de l’écologie politique », 7 aout 2019.
[6] Auteur de Fabuler la fin du monde – La puissance critique des fictions d’apocalypse, La Découverte, 2019.
[7] J.-P. Dupuy, Pour un catastrophisme éclairé, Seuil, 2002
[8] Cf, entres autres : le rapport de l’Ineris (Siris), la base de données des propriétés des pesticides (FOOTPRINT), la listes des points extrêmes de l’Union européenne, la base de données « OpenFoodTox » de l’EFSA, la base de données ECOTOX d’US EPA, et la base de données « PubChem ».
[9] Les suivis réguliers, en la matière, n’ont cessé de se renforcer depuis le début des années 2000. Voir, par exemple : https://www.statistiques.developpem..., ou encore la note technique de l’INERIS (AIDA) du 20/08/18 portant sur la réalisation de la 7e campagne de surveillance « nitrates » 2018-2019 au titre de la directive 91/676/CEE dite « nitrates ».
[10] Cf le rapport sur l’état de l’environnement : https://ree.developpement-durable.g... ou encore : la synthèse de l’ASEF : https://www.asef-asso.fr/production..., mais aussi l’étude EAT : les métaux lourds dans les aliments, réalisée en juin 2011 par l’Agence nationale de sécurité sanitaire.
[11] L’ONU environnement a publié, le 5 juin 2018, un rapport sur le plastique. Elle y dresse un constat alarmant sur la consommation mondiale des emballages et sacs en plastiques : https://wedocs.unep.org/bitstream/handle/20.500.11822/25513/state_plastics_WED_FR.pdf
[12] Et la seule entrée indiquée comme telle par les institutions : Cf le Plan Biodiversité de 2018.
[13] Gerardo Ceballos, Paul Ehrlich et Rodolfo Dirzo, Proceedings of the National Academy of Sciences, 2017.
[14] Pour reprendre le titre de l’ouvrage de Bruno Latour, Où atterrir, comment s’orienter en politique ?, La Découverte, 2017.
[15] Fin 2019, le Conseil national de la transition écologique a ainsi, lui aussi, travaillé à la construction d’une vision prospective nationale. Le projet intitulé « France 2050 » visait à établir une vision de la France désirable, neutre en carbone et respectueuse du vivant en 2050.
[16] Comme les propos de la Ministre d’alors l’indiquaient : « la transition écologique ne saurait se résumer à des chiffres et des plans abstraits. Nous devons incarner, visualiser, montrer très concrètement ce que sera ce monde nouveau. (…). Ce projet me tient à cœur. Il nous permettra ensuite de mobiliser des médias, artistes, éditeurs, scientifiques pour créer cette grande fresque de la France de demain »
[17] Joseph Tainter, The Collapse of Complex Societies, Cambridge, Cambridge University Press, 1990 (1988).
[18] Se basant sur dix-sept exemples d’effondrements rapides de sociétés, il applique son modèle à trois études spécifiques : l’empire romain d’occident, la civilisation Maya et la civilisation des Anasazi.
[19] Jared Diamond, Effondrement. Comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie, Paris, Gallimard, 2006 (2005).
[20] Il faut sans doute brièvement évoquer les propos même d’Edouard Philippe en 2018, indiquant dans un Facebook live réalisé conjointement avec Nicolas Hulot, que Jared Diamond comme l’une de ses références essentielles.
[21] Néologisme plus récent, la « collapsologie », va connaitre également une grande médiatisation. La parution en 2015 de l’ouvrage grand public de Pablo Servigne et Raphael Stevens : Comment tout peut s’effondrer, semble en être l’acte de naissance mais depuis ce succès de librairie, d’autres publications ont suivi et les principales figures de ce courant ont acquis une remarquable audience. Si la définition la plus communément partagée, reste celle de l’ancien Ministre de l’environnement et Président de l’Institut Momentum, Yves Cochet, soit : le processus à l’issue duquel les besoins de base (eau, alimentation, logement, habillement, énergie, etc.) ne sont plus fournis à une majorité de la population par des services encadrés par la loi , il n’y a pas de consensus sur les modalités du processus : Il peut être violent et brutal (catastrophique) ou lent (catabolique).
[22] Sans doute en reference à l’ouvrage De Karl Polanyi, la Grande transformation .
[23] Will Steffen, Paul J. Crutzen et John R. McNeil, « The Anthropocene : Are Humans Now Overwhelming the Great Forces of Nature ? », Ambio (Royal Swedish Academy of Sciences), vol. 36, n° 8, décembre 2007, p. 614.
[24] Ce terme d’Anthropocène, introduit par Paul Crutzen en 2000 a en effet fait couler beaucoup d’encre, et continue de le faire. Ce terme a littéralement modifié les perceptions, les cadres d’analyse du champ mais également bien sûr, la nature des réflexions relatives au champ environnemental, et ceci avant même que ne soit stabilisé la notion et donc la décision du comité de stratigraphie. Cela a créé des oppositions fortes dans le monde de la géologie et certains spécialistes, aujourd’hui, reviennent sur cette agaçante inflation du terme Pour eux, la proposition de Crutzen, qui s’est faite à l’issue d’une conférence organisée à Amsterdam en 2001 relative au programme international Géosphère-Biosphère, avait surtout vocation à revendiquer un nouveau système global pour les sciences environnementales ; cela afin d’alerter le grand public au sujet du degré catastrophique d’altération du « système Terre » par l’activité humaine. Les débats à cet égard se sont étalés dans le temps : en 2012, a eu lieu le 34e Congrès International de Géologie ; beaucoup attendait de connaître le résultat de la sous-commission internationale sur la stratigraphie quaternaire visant à statuer sur la sortie ou non de l’Holocène, mais elle a reporté ses conclusions. C’est en fait lors du congrès de 2016, qui s’est tenu au cap en Afrique du sud, qu’il a été établi que l’humanité était sortie de l’holocène, débuté il y a 11 700 ans, avec la fin du grand âge glaciaire, pour entrer dans l’anthropocène. Ceci posé, il n’a pas encore été établit le point stratotypique mondial, autrement baptisé « clou d’or » qui consiste à trouver la particularité, inscrite dans les couches de la Terre, qui puisse trahir nettement le phénomène (teneur en CO2, présence de micro-plastiques, teneur en nitrates, dépôts de suie, pollution au mercure, dispersion de particules de béton – les signaux ne manquent pas). En 2018, enfin, la sous-commission internationale sur la stratigraphie a, quant à elle, décidé d’ajouter trois sub-divisions à l’Holocène : le Greenlandien, le Northgrippien et le Meghalayen ; nous serions ainsi encore dans ce dernier « âge » qui coïnciderait avec la période de grande sécheresse qui a sévit tant au Moyen-Orient qu’en Asie il y a 4 250 ans. Déclaration d’autant plus étonnante que le sous-groupe qui travaille, lui, sur l’Anthropocène a, en 2016, validé la proposition d’entrer dans l’Anthropocène et a, en 2019, confirmé le vote en faveur d’un début du processus au milieu du XXe siècle, les scientifiques impliqués ont fait apparaitre leurs conclusions dans la revue Nature, le 21 mai 2019 ; ils doivent désormais défendre cette proposition devant la Commission internationale de stratigraphie.
Aussi, en la matière, les débats ne font que commencer.
[25] La terre est, en effet, constituée de quatre sous-systèmes (atmosphère, biosphère, géosphère et hydrosphère) qui interagissent les uns avec les autres. L’ensemble complexe qui en résulte est appelé le système terre. Neuf limites ont été établies par l’équipe de Johan Rockstrom par-delà lesquelles l’existence humaine pourrait se retrouver menacée. Quatre sont d’ores et déjà franchies, au niveau mondial, six au niveau national, selon le rapport sur l’état de l’environnement 2019 publié par le ministère de la transition écologique.
[26] Raison pour laquelle d’autres chercheurs estiment plus prudent de définir ce phénomène en termes de « frontières » planétaires - soit la valeur basse de l’incertitude, qui équivaut à un risque accru de perturbation du processus de régulation, et ceci notamment car les points de rupture sont difficilement prévisibles, que les processus de régulation interagissent et que la perturbation de l’un affecte la régulation et/ou la résilience des autres. Cf notamment : Aurélien Boutaud, Natacha Gondran, Les limites planétaires, Paris, La découverte, 2020.
[27] Terme employé à propos d’individus qui, convaincus de la menace, ont entamé une réorientation de leurs modes de vie pour mieux s’y préparer.
[28] Cf : l’article de Cyprien Tasset, « Les effondrés anonymes ? S’associer autour d’un constat de dépassement des limites planétaires », 2019. Ce terme similaire à « Collapsonaute » met l’emphase sur l’état du sujet et aux répercussions personnelles (psychologique et sociale) que peut créer l’adhésion aux thèses de l’Effondrement.
[29] Comme : « Transition 2030 pour les nuls » qui se veut simplificateur et promeut la diffusion de documents scientifiques, « La Collapso heureuse » qui propose des alternatives aux éventuels chocs ou états de sidération découlant du constat de l’Effondrement, « Collapsologie, les limites à la croissance », « Coming-out : Effondrement, résilience, Collapsologie et transition écolo » qui est plus particulièrement consacré aux témoignages personnels. L’appartenance simultanée à de multiples groupes est courante dans ces différents forums. Certains groupes comme « Nouveaux modèles économiques de l’Anthropocène » ou « Effondrement : l’atelier du storytelling et des imaginaires », se rapportent plutôt à l’imaginaire de l’Effondrement véhiculé par la culture ambiante et les diverses formes de récit que l’on peut lui porter. D’autres encore, comme le récent « Adopte un·e Collapso - Rencontrons nous avant la fin du monde », créé avec une certaine autodérision par une universitaire et un responsable associatif, propose aux participants d’interagir en vue d’une rencontre amicale ou amoureuse entre personnes partageant la même vision de l’avenir et des adaptations nécessaires face à celui-ci. Celui ayant le plus de succès étant sans doute : « Transition 2030 ».
[30] Tasset, Cyprien, op cit. 2019. p 8 : 25.
[31] Charline Schmerber, psychothérapeute a élaboré en 2019 un questionnaire de 33 questions diffusé principalement sur les réseaux sociaux et resté en ligne un mois, en septembre-octobre 2019. 1 264 personnes y ont répondu, 84% l’ont rempli en intégralité (1 066 participants). L’enquête indique que 84 % des personnes interrogées affirment ressentir d’autres types d’émotion, comme la colère (24 %), la tristesse (18 %) ou l’impuissance (9 %), face aux trois principales sources d’inquiétude que sont : l’érosion de la biodiversité, les ressources en eau et le réchauffement climatique. Trois profils d’éco-anxieux ont ainsi été conceptualisés : tout d’abord, les militants qui exercent des métiers en lien avec le développement durable, en permanence confrontés à des mauvaises nouvelles, en proie à des formes de burn-out écologique, et coupés de l’espoir. Des personnes sensibilisées à la collapsologie qui viennent avec un sentiment d’urgence, une grande insécurité et un besoin fort de se préparer. Et enfin, des personnes qui se sentent en décalage avec la société dans laquelle ils vivent, relativement seuls avec leur conscience écologique, en prise avec des formes de lucidité mais aussi de colère par rapport à l’injustice sociale ou à l’inaction des pouvoirs publics.
[32] G. Albrecht, Les Émotions de la Terre. Des nouveaux mots pour un nouveau monde, Les Liens qui libèrent, 2020.
[33] Cf : Jean-Pierre Le Danff, « Introduction à l’Écopsychologie », L’écologiste n°33, 2010.
[34] Jean-Laurent Cassely, Jérôme Fourquet, « La France : patrie de la collapsologie ? », enquête pour la Fondation Jean Jaurès, Février 2020.
[35] Cet anthropocentrisme consistant à ne concevoir la nature qu’à l’aune des conditions d’existence humaines n’apporterait nullement un paradigme nouveau dans la conscience environnementale, et serait même régressive, réifiant l’ancienne division nature/culture que le naturalisme a trop longtemps fait prévaloir.
[36] J-B. Fressoz. « La collapsologie, un discours réactionnaire ? ». Tribune. Libération, 7 Novembre 2018. Selon celui-ci, c’est même justement parce que les collapsologues « ne sont pas issus des milieux militants, des luttes contre les injustices sociales [qu’] ils ne sont pas de ceux que le fonctionnement normal, quotidien – diaboliquement et fondamentalement inique – de la civilisation industrielle, révulse ».
[37] Oswald Spengler, Le Déclin de l’Occident (2 tomes 1918-1922), Gallimard, 1948 (réédition 2000).
[38] Pablo Servigne, Gauthier Chapelle, L’entraide : l’autre loi de la jungle, Les Liens qui Libèrent, Paris, 2017.
[39] Mais aussi récemment en Europe sous la tutelle de personnalités comme l’économiste Piero San Giorgio, figure importante de mouvements nationalistes européens.
[40] Piero San Giorgio, Survivre à l’effondrement économique, Le retour aux sources, 2011.
[41] Un « survivaliste » est un individu qui se prépare à une potentielle rupture de la normalité, à un événement imprévu ; c’est en effet une culture de l’anticipation et de l’imagination du pire. Ceci posé, cette anticipation - et les modalités par lesquelles elle s’exprime : comme se plonger en pleine nature, en essayant de vivre en dehors du confort et du monde urbain- n’est pas nécessairement attaché à une culture individualiste de repli sur soi, et ni non plus à la culture originelle des premiers survivalistes (de Kurt Saxon, lié au parti nazi) ou de ceux, tout aussi terrifiants, qui ont suivi (alimentés notamment par Alain Soral ou Piero San Gorgio). Un néo-survivalisme (ou autrement qualifié : « preppers » c’est-à-dire ceux qui se préparent) est également apparu et prospère sur d’autres imaginaires. Ceux-là ne professent pas particulièrement le rejet d’un mode de vie, mais renouer avec des savoirs pratiques semble être ici une stratégie générale : se débrouiller en tout dans l’attente du désastre, maintenir les savoirs nécessaires pour la vie « post-apo », stocker pour être maximalement autosuffisant voire se construire un bunker.
[42] C’est du moins là la thèse du philosophe Hans Jonas : nous vivons pour lui dans une situation apocalyptique c’est à dire dans l’imminence d’une catastrophe universelle, au cas où nous laisserions les choses actuelles poursuivre leur cours. Cf : Hans Jonas, Le principe responsabilité, Une éthique pour la civilisation (1979), Champ Flammarion, 1990 (trad). Hormis dans son pays, où il a reçu un célèbre prix littéraire en 1987, Jonas n’aura connu qu’une gloire posthume, son livre publié en 1979 n’ayant reçu une traduction qu’au cours des années 90, quand le débat sur la responsabilité et la précaution était déjà lancé. C’est dans la « Déclaration de Rio » que le principe de précaution a été présenté comme une façon de concrétiser le principe de responsabilité dans des engagements politiques.
[43] Défendue alors par Ernest Bloch et son « principe espérance ». Cf : Le principe Espérance, Tome I,II,III, Gallimard, 1944, 1955, 1959.
[44] Comme l’indique la 4éme de couverture de l’ouvrage de Citton et Rasmi : Générations collapsonautes. Seuil, 2020.
[45] Anne Rumin, Mémoire de M2 : « Attendre l’effondrement : les temporalités politiques dans le discours de la collapsologie ». IEP Paris.
[46] « Une bonne histoire, ce serait une histoire qui me permet de réfléchir, pas forcément de façon réflexive, distante et critique, mais de mettre en scène un rapport différent entre ma singularité et mon milieu. Je disais plus haut : une histoire qui fasse que le spectateur ou le lecteur se pose un problème qui appelle un travail d’interprétation ». Pourquoi la narration ? Entretien avec Yves Citton, Dossier Storytelling, Revue Lendemains n°149, dir. C. Krauss et U. Urban, Tübingen, Narr, 2013.
[47] Comme l’indique Cyril Dion dans « Construire un nouveau récit », sa tribune du 9 mai 2018, paru sur La Tribune : https://www.latribune.fr ;« il faut montrer de nouvelles façons de faire dans l’agriculture, la création monétaire, la démocratie ou encore des entrepreneurs qui racontent des histoires très puissantes. La Ferme du Bec Hellouin rencontre depuis longtemps un succès extraordinaire, les zadistes de Notre-Dame-des-Landes montrent qu’il existe d’autres façons de vivre... Tout cela est en train de construire un nouveau récit. Mais pour qu’il remporte la bataille, il faut que des millions de personnes prennent conscience qu’ils en font partie ».
[48] Y. Citton, Mythocratie. Storytelling et imaginaire de gauche, Amsterdam, Paris, 2010.
[49] « Pourquoi la narration ? » Entretien avec Yves Citton , Dossier Storytelling, Lendemains n°149, Tübingen, Narr, 2013.
[50] Rappelons en effet que dans son ouvrage de 1996, Les scenarios de l’écologie, Dominique Bourg avait déjà établi que le scénario démocratique avait des difficultés intrinsèques : la première d’entre elle étant d’ordre culturelle c’est à dire visant l’évolution des mentalités. Il indiquait alors qu’« il est malheureusement beaucoup plus probable qu’il faille compter sur la vertu pédagogique d’une catastrophe pour ébranler nos mentalités et nos structures sociales ». cf : D. Bourg, Les scénarios de l’écologie, Hachette, Paris, 1996, p. 118.
[51] Godard O., Le développement-durable, une chimère, une mystification ?, Mouvements N°41, septembre-octobre 2005.
[52] Francis Chateauraynaud en a proposé quatre, fort proche de cette précédente analyse. La première concerne la fabrique des futurs dans la perspective d’un effondrement systémique, dont la résonance publique n’a de cesse de se confirmer. Ce régime rassemble tous les éléments qui attestent, pour les énonciateurs, une prochaine fin du monde tel que nous le connaissons. Le second régime établit la science comme omnipotente ; le futur est ici conçu à partir de multiples innovations technoscientifiques. Déjà à l’œuvre ou encore lointaines, ces innovations permettent d’afficher une version optimiste, littéralement techno-progressiste du futur à moyen et long terme. Ici les énonciateurs ne nient pas les crises en cours, mais entendent les surmonter. Le troisième régime est celui de la régulation. Il est fondé sur l’idée qu’une bonne gouvernance des crises et des risques passe par une redéfinition des instruments de gouvernement, engageant des expertises plus collectives, des instances de contrôle et de vigilance plus indépendantes. Le quatrième régime, enfin, est celui de la recomposition des mondes, celui des alternatives qui ouvrent sans cesse des possibles à partir d’expériences locales XXX.
[53] Jean-Baptiste Fressoz, Les leçons de la catastrophe. Critique historique de l’optimisme postmoderne, La vie des idées, 13/05/2011
[54] Cf. U. Beck, idem, p. 44.
[55] La notion a, d’une certaine manière été institutionnalisée par la création en 2017 d’un ministère de la « transition écologique ».
[56] Parmi les travailleurs de l’Etat se consacrant à des missions d’intérêt général - qu’il s’agisse de la fonction publique d’Etat, du secteur hospitalier ou des collectivités territoriales - un sentiment grandissant d’impuissance a ainsi pu diversement émerger.
[57] Bruno Villalba, « L’écologie politique face au délai et à la contraction démocratique », Écologie & politique, vol. 40, no. 2, 2010.
[58] J.-P. Dupuy, Le sens du sacré, Carnetnord, Paris, 2008, p. 31.
[59] Jacques Theys, « Cinquante ans de politique française de l’environnement : évaluation et perspectives », Encyclopédie du développement durable, Janvier 2018 , N° 246 , 29/01/18. -[consulté le 29 juin 2021]-
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* Bruno Villalba, « L’écologie politique face au délai et à la contraction démocratique », Écologie & politique, vol. 40, no. 2, 2010.