Résumé
Tout comme la défense de l’environnement, la maîtrise humanitaire des migrations est un des défis majeurs du XXIe siècle. Les migrations continuent d’être perçues comme un problème plutôt qu’une solution ; les politiques migratoires actuelles inspirées par ce préjugé varient beaucoup, mais surtout visent à dissuader les immigrants, y compris par la manière forte. En évitant soigneusement d’associer les sociétés civiles à leur conception, elles s’enferment dans des logiques à courte vue qu’il devient urgent d’inverser.
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• 6.6- Migrations
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La Cimade, créée en 1939-1940 pour porter aide et conseils aux étrangers expulsés de leur pays d’origine (surtout sous la pression du nazisme en Europe de l’Est et du franquisme en Espagne) s’est développée depuis, au gré des multiples conflits qui, dans de nombreuses régions du monde, ont abouti à forcer des millions d’hommes et de femmes à quitter leur pays pour demander l’asile en France, quand ils le pouvaient, ou solliciter l’accueil provisoire ou définitif aux organisations françaises. Cette association considère que doivent être reconnus au bénéfice de ces étrangers, les mêmes droits qu’à tout être humain présent sur le territoire français : droit à l’aide alimentaire, au logement, à la formation, droit de circulation, etc.
MONDIALISATION ET MIGRATIONS INTERNATIONALES : UN PHÉNOMÈNE COMPLEXE
Les migrations : le chaînon manquant de la mondialisation
Les migrations humaines sont aussi vieilles que l’histoire de l’humanité… Elles ont contribué à son développement et à son enrichissement. Dans un espace désormais mondialisé, où circulent information, biens, services et capitaux, elles restent pourtant sujets à polémiques.
Aujourd’hui, près de 200 millions de personnes vivent de manière temporaire ou permanente hors de leur pays d’origine, soit 3 % de la population mondiale. Bien qu’il ait augmenté depuis quarante ans, ce pourcentage reste encore faible au regard des populations victimes des graves bouleversements de la planète.
Les migrations liées au changement climatique pourraient cependant multiplier par deux le nombre de migrants internationaux d’ici 2050, selon certains chercheurs comme Norman Myers ou Nicholas Stern qui estiment à 200 millions le nombre de migrants qui seront contraints au départ en raison de ce phénomène et de ses effets directs (montée des eaux, salinité des sols, inondations, …).
Les migrations sont sans conteste un des enjeux majeurs du XXIe siècle. Tout comme les enjeux environnementaux, elles nécessitent, pour prévenir les conséquences souvent dramatiques, malgré l’importance des moyens utilisés, d’inventer d’autres modes de gouvernance dépassant le cadre des frontières nationales.
Un phénomène beaucoup plus complexe que les préjugés usuels
Contrairement aux apparences, et au ressenti de certains, les pays riches n’accueillent pas toute la misère du monde. Il y a autant de migrations Sud-Nord que de migrations Nord-Nord ou Nord-Sud (cf. carte des flux migratoires, Atlas des migrations, dans cet article).
Ce ne sont pas toujours les personnes les plus pauvres qui migrent vers le Nord. Bien souvent ceux qui fuient l’extrême pauvreté migrent à l’intérieur de leur propre pays ou dans les pays voisins. D’ailleurs, les pays en développement accueillent 90 % des réfugiés de la planète (cf. encadré, dans l’article).
Source de la carte : C.WIHTOL DE WENDEN, Atlas mondial des migrations, Editions Autrement, 2008.
Seuls 8,5 % des immigrés des pays de l’OCDE sont africains alors que 16,8 % sont asiatiques, 13,5 % européens et 25 % latino-américains [1]. La France est loin d’accueillir toute la misère du monde avec 0,08 % de l’ensemble des migrants de la planète.
Il est de plus en plus difficile de distinguer les pays de départ, des pays d’origine ou de transit. De nombreux pays sont les trois à la fois. C’est le cas par exemple du Maroc ou de l’Algérie qui accueillent des migrants subsahariens en route pour l’Europe ou qui s’y établissent pour étudier ou trouver un emploi.
Enfin, il est faux de croire que plus de développement entraîne moins de migrations. Toutes les études montrent que c’est l’inverse qui se produit à court et moyen termes, comme en témoigne le profil migratoire des pays émergents (Inde, Chine, Brésil).
Les migrants partent pour de nombreuses raisons qui souvent s’additionnent, mais en tout cas se réduisent rarement à la seule attractivité d’un pays (le fameux « appel d’air »).
La distinction entre réfugiés, migrants économiques, migrants du climat est de plus en plus difficile… On part pour fuir des persécutions, un environnement qui se dégrade, un milieu de vie qui devient insoutenable, pour trouver de meilleures opportunités économiques, pour étudier, pour trouver un emploi, pour rejoindre de la famille… Ou pour toutes ces raisons à la fois !
Quant au choix du pays d’immigration, il est souvent dicté plus par l’existence de communautés d’accueil ou par la langue que par tel ou tel aspect de la politique du pays au demeurant mal connue.
Quelles sont donc les réponses politiques apportées à un phénomène aussi complexe, et transnational par nature ?
DES POLITIQUES MIGRATOIRES ESSENTIELLEMENT SÉCURITAIRES
En France, en Europe et plus généralement dans les pays riches, la perception de l’immigration se fait d’abord sur le mode de l’intrusion, voire de « l’invasion », contre laquelle il faudrait se prémunir. Un discours qui trouve écho auprès de populations inquiètes pour leur avenir, surtout en période de récession, et qui est relayé et mis en pratique par les responsables politiques pour mieux capter l’électorat d’extrême droite.
Les États-Unis ont ainsi commencé à ériger un véritable mur le long de la frontière avec le Mexique, mur qui n’est d’ailleurs pas remis en cause par la nouvelle administration Obama.
La France, sous l’impulsion de son ancien Ministre de l’Intérieur et actuel Président de la République a développé le concept d’immigration « choisie », par opposition à l’immigration « subie » et donc indésirable : immigration familiale, asile, immigration irrégulière. La notion de « choix » relevant évidemment, dans ce cas, de celui du pays d’accueil, qui détermine les profils des migrants « acceptables » (cf. en fonction de leurs diplômes, de leurs compétences professionnelles, de leur pays d’origine, …).(cf. en fonction de leurs diplômes, de leurs compétences professionnelles,de leur pays d’origine,…).
Inspirée des politiques de ses États membres, l’Union Européenne (UE) développe une politique d’immigration qui est une illustration criante de l’excessive focalisation sur l’aspect sécuritaire, qui produit une réelle dérive sociétale via l’assimilation progressive des migrations à un délit.
Une approche sécuritaire sous couvert d’approche globale
Depuis le début des années 1990 se construit la politique migratoire européenne, dont la directive retour, votée par le Parlement européen en juin 2008 et le pacte européen sur l’immigration et l’asile, adopté par les pays membres en novembre 2008, constituent le prolongement logique.
Ce sont les députés élus en 2004 au Parlement européen qui ont voté en juin 2008 la directive retour, qui généralise l’enfermement et l’éloignement des demandeurs d’asile comme des sans papiers, avec des durées de rétention qui pourront aller jusqu’à 18 mois.
Dans la foulée, le Conseil Européen, qui réunit les chefs de gouvernements, a adopté sous présidence française un pacte européen sur l’immigration et l’asile qui entérine tout un arsenal de mesures sécuritaires pour lutter contre l’immigration « irrégulière ». Il renforce le dispositif Frontex, alliance des marines et des douanes européennes, pour la surveillance des frontières extérieures de l’Union Européenne, généralise l’utilisation de la biométrie et rationalise l’éloignement des étrangers en situation irrégulière (possibilités de charters communautaires, signature d’accords de réadmission avec les pays d’origine).Dans sa partie consacrée aux migrations légales, il promeut une vision purement économique et utilitariste des migrants en se focalisant sur l’immigration « choisie », celle du travail. Il s’intéresse essentiellement à l’immigration de travail des plus qualifiés sans proposer de mesure concrète pour éviter la fuite des cerveaux dans les pays du sud.
Le pacte élude aussi la question de la régularisation des travailleurs sans-papiers, qui comblent pourtant depuis longtemps et de façon quasi permanente, des manques criants de main d’œuvre dans certains secteurs en Europe (construction, services à la personne, restauration, santé, …).
Plus généralement, le pacte insiste sur les devoirs des migrants (travail, intégration, apprentissage de la langue, participation au développement de leur pays d’origine..) mais évoque peu leurs droits, notamment celui de vivre en famille, et ne fait référence à aucun droit en ce qui concerne les sans-papiers.
L’harmonisation des procédures d’asile reste vague et non-contraignante. Les progrès attendus de la mise en place d’une organisation commune au niveau de Bruxelles n’ont pas été mis en œuvre. Est par contre formalisée la possibilité d’externaliser l’étude des demandes d’asile, avant l’arrivée sur le territoire européen, dans des pays, hélas, souvent peu enclins ou préparés au respect des droits humains.
Au nom de « l’approche globale des migrations et du développement », le pacte s’intéresse tout de même aux pays d’origine et de transit. Mais c’est essentiellement pour mieux rendre les frontières européennes imperméables à l’immigration « subie ». Soucieux de s’assurer de la coopération des pays-tiers dans le contrôle des « flux » en amont, et plus particulièrement des pays frontaliers du Maghreb et de l’Est européen, l’UE utilise sans vergogne l’aide au développement comme levier dans les négociations d’accords de réadmission des personnes expulsées et finance grâce à elle la mise en place de politiques de lutte contre l’immigration irrégulière.
Des politiques inefficaces, coûteuses et contraires aux valeurs démocratiques
Il est pourtant illusoire de penser qu’on empêchera le phénomène migratoire en construisant une ligne Maginot aux frontières de l’Europe… L’exemple du mur de Berlin n’est pas si lointain. D’ailleurs sa chute n’a pas engendré une invasion massive vers les pays de l’Ouest…
Tant que le fossé entre pays riches et pays pauvres se creusera, des ressortissants des pays du sud aspireront légitimement à un avenir meilleur pour leurs enfants et tenteront de franchir les frontières. Plus les effets du changement climatique vont se faire sentir, plus des populations prendront la route de l’exil. N’ayant rien à perdre, rien ne les découragera.
Ces politiques de répression aux frontières et de repli sur soi sont d’autant plus choquantes que les politiques économiques et commerciales européennes sont loin d’être neutres sur les phénomènes migratoires.
Elles sont surtout une aberration sur de nombreux plans : politique, économique mais avant tout humain.
Des politiques qui ont des conséquences effroyables…
On atteint l’intolérable quand on prend conscience de ce qui se passe à nos frontières – les dizaines de milliers de morts en Méditerranée et dans l’Atlantique [2] – ou en observant la fuite en avant insensée du dispositif d’expulsion des sans-papiers en France et en Europe.
Les téléspectateurs gardent en mémoire les images de Ceuta et Melilla, où pour la première fois aux frontières de l’Europe des migrants sont morts sous les balles de garde-frontières. Ou bien celles des noyés dans le détroit de Gibraltar, aux abords des Canaries ou de l’île de Lampedusa...
Ces morts ne sont pas l’illustration d’une vague d’immigration sans précédent vers l’Europe car les migrants coincés de l’autre côté de la Méditerranée sont infiniment moins nombreux que ceux qui arrivent par voie aérienne et de manière parfaitement légale.
Ces morts aux frontières sont une des conséquences des politiques migratoires européennes. En érigeant des forteresses à ses frontières, en distribuant au compte-gouttes des visas et en incitant des pays peu scrupuleux en matière de droits humains à jouer les gendarmes de l’Europe, l’UE pousse de plus en plus de migrants à emprunter des filières clandestines, qui prospèrent par la même occasion.
La sécurisation des frontières et la répression dans les pays de transit insécurise la migration et met les migrants en danger. Elles rendent leur parcours de plus en plus long, coûteux et surtout dangereux.
Le déploiement de patrouilles maritimes le long du littoral sénégalais par exemple, contraint les « pateras » (ou bateaux de fortune) à filer directement en haute-mer au lieu de longer les côtes et de bifurquer au dernier moment vers les Iles Canaries.
… et qui sont contre-productives
De telles politiques sont par ailleurs contraires aux valeurs fondatrices de l’Europe : paix, démocratie, solidarité, justice, respect des droits humains et libre circulation.
Elles divisent l’humanité entre les plus riches qui peuvent circuler librement et les plus pauvres qui sont assignés à résidence, au risque d’accroître les risques de conflits et d’isoler l’Europe du reste du monde.
Source de la carte : C.WIHTOL DE WENDEN, Atlas mondial des migrations, Editions Autrement, 2008.
En exportant leur modèle de gestion des migrations, elles remettent en cause les mécanismes et traditions de libre-circulation des autres régions.
Elles sont d’autant plus absurdes qu’il y a un large consensus parmi les démographes pour dire que l’Europe vieillissante a besoin des migrations, tant sur le plan démographique qu’économique.
Le coût de ces politiques répressives est par ailleurs impressionnant. En France, une expulsion coûte environ 21 000 € d’après la Commission des finances du Sénat, chiffre d’ailleurs sous-estimé de leur propre aveu. Le budget de l’agence Frontex a été multiplié par deux entre 2007 et 2009 et le fonds « retour » par dix... Dans le même temps, les politiques d’intégration ou d’aide au développement voient leurs moyens toujours plus réduits.Enfin, en criminalisant et précarisant les migrants dans les pays d’accueil, on diminue l’impact positif des migrations sur le développement.
En empêchant l’immigration de travail peu qualifié, on ne répond ni aux besoins du marché du travail en Europe et on ne soulage pas non plus l’excès de cette main d’œuvre dans les pays du sud.
En précarisant les migrants dans les pays d’accueil, on réduit la possibilité des migrants de contribuer pleinement au développement de leur pays d’origine, comme ils le font si souvent : les transferts d’épargne vers les pays d’origine représentent en effet deux à trois fois les montants de l’Aide Publique au Développement.
Parce qu’elles sont porteuses de grandes incertitudes les crises mondiales actuelles favorisent la résurgence de sentiments racistes et xénophobes en Europe. Les pays-tampons aux frontières de l’Europe, désormais contraints d’empêcher les migrants de passer, connaissent également un regain de racisme et de xénophobie.
Il est grand temps de stopper cette spirale infernale avant que ses effets dévastateurs ne soient irrémédiables.
Pour un monde de plus de 6 milliards d’habitants, le XXIe siècle sera celui de la solidarité (au sens littéral : « en solido » = « en entièreté », nous sommes « partie d’un tout ») ou verra s’instaurer des pratiques de guerre aux frontières.
L’enjeu de la solidarité conditionne le devenir de l’humanité, et mérite une mobilisation mondiale à l’échelle de celle qui s’organise aujourd’hui autour de la lutte contre le changement climatique.
Cela passe notamment par des changements radicaux en matière de gouvernance des migrations.
L’IMPÉRIEUSE NÉCESSITÉ D’UNE AUTRE GOUVERNANCE DES MIGRATIONS
Un cadre institutionnel et légal international inadapté
Le cadre légal international concernant les migrations reste très imparfait. La Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, mentionne le droit d’émigrer mais pas celui d’immigrer [3] , sauf pour les demandeurs d’asile qui ne peuvent être refoulés.
Si la Convention de Genève protège les réfugiés, elle ne s’applique pas à ceux dont la vie est menacée du fait de la dégradation de leur environnement ou de la perte de leurs moyens de subsistance.
Migrations internationales - Faits & Chiffres |
Tous à notre porte ?
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La Convention internationale sur la Protection des Droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 18 décembre 1990 est entrée en vigueur.
Elle rappelle un certain nombre de droits fondamentaux pour les travailleurs migrants en situation régulière mais aussi pour ceux qui ne le sont pas. Elle n’a cependant été ratifiée par aucun des principaux pays dits « d’accueil » : aucun pays de l’Union Européenne, pas plus que les États-Unis ou l’Australie...
Le système des Nations Unies intègre la question des migrations mais aucune structure n’y est entièrement dédiée et chaque organisation l’aborde sous un angle spécifique : le HCR pour les réfugiés et personnes déplacées, le Conseil des Droits de l’Homme sous celui des droits, le PNUD sous l’angle développement, l’UNICEF sous celui des mineurs isolés et la traite, l’OIT sur les travailleurs migrants.
L’Organisation Internationale des Migrations (OIM) est une organisation inter-gouvernementale qui revendique son autonomie par rapport au système onusien. Elle fonctionne davantage comme un prestataire de services auprès des Etats et institutions multilatérales. Elle ne revendique pas de rôle institutionnel en matière de gouvernance globale des migrations. Elle est par ailleurs fortement impliquée sur des programmes d’aide au retour et de dissuasion à l’immigration clandestine financés par l’Union Européenne, et de nombreuses ONGs se posent des questions sur son rôle de « bras humanitaire » des politiques européennes de contrôle des flux migratoires.
L’ancien Secrétaire Général des Nations Unies, Kofi Annan, conscient de cet enjeu planétaire a lancé fin 2006 le premier Dialogue de Haut Niveau sur les Migrations et le Développement à New York, prolongé ensuite par la tenue d’un Forum Global sur les Migrations et le Développement à l’initiative de la Belgique en 2007 puis des Philippines en 2008.
Bien que ce processus inter- gouvernemental ne soit pas placé sous l’égide des Nations-Unies, ne soit pas contraignant et se borne pour le moment à l’échange de bonnes pratiques, il a le mérite d’exister. Point important, il inclut également en amont un forum des sociétés civiles dont les recommandations sont portées au forum inter-gouvernemental. C’est déjà en soi un progrès…
Des politiques qui sont définies par les États et surtout les États du Nord
En effet, les politiques migratoires ne sont élaborées pour le moment que par les acteurs étatiques et plus particulièrement les États du Nord. Ils arrivent parfois à s’accorder au niveau régional, comme c’est le cas de l’UE, ce qui leur permet de mieux imposer leurs vues aux pays d’origine et de transit. L’exemple de la conférence interministérielle euro-africaine sur les migrations et le développement à Rabat en 2006 puis Paris en 2008 est flagrant à ce titre.
L’élaboration de ces politiques fait rarement l’objet de débats en dehors du cadre étatique. Le pacte européen adopté sous Présidence française de l’UE n’a fait l’objet d’aucune consultation avec la société civile ni en France ni en Europe. Il n’a d’ailleurs été présenté en France à la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme qu’après son adoption…
La société civile n’a pas non plus été conviée, ne serait-ce qu’à travers l’organisation d’un forum parallèle, aux deux conférences euro-africaines sur les migrations et le développement.
Pourtant, à chaque fois, elles s’étaient mobilisées, à Rabat comme à Paris et avaient produit une série de recommandations : Le Manifeste euro-africain en 2006 puis les 70 recommandations « Des ponts, pas des murs ! » en 2008. Lorsque qu’une délégation « Des ponts, pas des murs » a voulu se rendre aux abords de la conférence pour remettre le fruit de son travail, les organisateurs français ont non seulement refusé l’accès mais ont refusé de venir chercher ces documents. Alors qu’au pays des Droits de l’Homme, on sait reconnaître le bénéfice, dans de nombreux domaines, d’une concertation avec la société civile : Grenelle de l’environnement, États généraux de l’insertion, etc. !
Le rôle déterminant des autres acteurs, à commencer par les migrants…
Pourtant les migrations concernent en premier lieu… les migrants. Il ne s’agit pas de concevoir des politiques concernant la circulation des biens ou des services, il s’agit là d’êtres humains…
De nombreux acteurs devraient donc logiquement être impliqués, dont le regard et la pratique de terrain aideraient à mieux cerner les enjeux et développer enfin des politiques qui bénéficient à tous : aux pays d’accueil, aux pays de transit, aux pays d’origine et surtout aux migrants eux-mêmes.
Il s’agit bien sûr des migrants et de leurs associations, des ONGs de développement ou de défense des droits qui travaillent sur cette thématique, mais aussi des employeurs, des syndicats, des collectivités locales qui travaillent à l’échelle des territoires, ou des organisations religieuses qui sont souvent au côté des migrants tout au long de leur parcours…
C’est un Grenelle des migrations à l’échelle mondiale qui serait souhaitable.
Face à cette complexité, quel mode de gouvernance proposer ?
L’implication des migrants et de la société civile à tous les niveaux est une évidente nécessité et un préalable si l’ambition est de répondre de manière compréhensive aux défis posés par les migrations.
Partie intégrante des enjeux du développement durable (par ce qu’elle sous-tend en termes de diversité culturelle, de cohésion sociale, …), la question des migrations doit pouvoir être mise au débat à plusieurs niveaux, articulés entre eux :
- à l’échelle locale dans les territoires d’origine et d’accueil pour créer davantage de liens entre le « ici » et le « là-bas », contribuer à changer de regard sur les migrations et tuer dans l’œuf l’émergence de sentiments racistes et xénophobes ;
- à l’échelle de chaque État pour aboutir à des politiques nationales respectueuses des intérêts de chacun et pour que la société civile puisse faire entendre les considérations liées au respect des droits et à la justice ;
- à l’échelle internationale pour contre-balancer un dialogue forcément inéquitable entre pays d’origine, de transit et d’accueil.
Face à un phénomène global, complexe, changeant et par définition transnational, il devient urgent d’entamer ce processus.
L’expérience du développement durable nous enseigne qu’un tel mode de gouvernance prend plusieurs années voire plusieurs décennies…
Beaucoup trop de retard a déjà été accumulé et les signes d’ouverture sont encore hélas faibles du côté des Etats.
Il est crucial d’obtenir la mise en place d’un tel processus en construisant des alliances larges au sein de la société civile et en s’inspirant de l’expérience du processus de l’Agenda 21.
Patrick Peugeot et Sonia Lokku
Notes
(pour revenir au texte, cliquer sur le numéro de la note)[1] OCDE, La cohérence des politiques au service du développement : migrations et pays en développement, 2007.
[2] Le dernier recensement de Fortresseurope ( http://www.fortresseurope.blogspot.com/ ) fait état de 13.444 morts aux frontières de l’Europe depuis 1988. Il ne s’agit que du nombre de morts dont la presse se fait l’écho…
[3] Cf. Art 13-2 : « Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays »
Bibliographie
Sites internet d’ONG’ s et réseaux d’ONG’ s travaillant sur ces questions :
Publications auxquelles se réfère cet article :
- • B.BADIE, R.BRAUMAN, E.DECAUX, G.DEVIN, C.WIHTOL DE WENDEN, Pour un autre regard sur les migrations – Construire une gouvernance
mondiale, Editions La Découverte, Paris 2008.
- • LA CIMADE, 75 propositions pour une politique d’immigration lucide et réfléchie, septembre 2007,
http://www.cimade.org/assets/0000/0...
- • LA CIMADE, Causes Communes N° 57, La France présidente d’une Europe Forteresse, juin 2008
- • LA CIMADE, Positionnement sur les politiques européennes en matière d’asile et d’immigration, juillet 2008,
http://www.cimade.org/uploads/File/...
- • N.MEYERS, Environmental Refugees:An Emergent Security Issue,’ 13th Economic Forum, Prague, May 2005
- • N.STERN, The Economics of Climate Change:The Stern Review, Cambridge University Press, Cambridge, 2007.
* Jean-Michel Bélorgey, Migrations, N° (68) , juin 2008.
* Hélène Combe, Les migrations du climat : un défi pour les villes, un devoir d’engagement collectif, N° (87) , avril 2009.
* Julien Bétaille, Les déplacements environnementaux : un défi pour le droit international, N° (90) , mai 2009.
* Jacques Ould Aoudia, Une ONG engagée depuis 23 ans dans le co-développement sur le territoire de l’Anti-Atlas marocain,« Migrations et Développement », N° (91) , mai 2009.
Et aussi, 3 articles de Marc Darras :
* Droits de l’homme et développement durable : fondements et contenu des droits de la personne humaine, N° (47) , Juin 2007.
* Droits de l’homme et développement durable : les droits économiques sociaux et culturels, N° (48) , Juin 2007.
* Droits de l’homme et développement durable : les droits de l’homme au centre du développement durable, N° (49) , Juin 2007.