Musiques, développement durable et solidarités

Pour des musiques écologiques, équitables et solidaires

26 juin 2008

Résumé

La musique pollue, consomme des énergies et fait l’objet d’un commerce où la répartition des richesses est bien souvent inégalitaire. Mais la musique peut également être porteuse de sens civique et politique, partenaire du développement durable et génératrice d’économie solidaire. Plusieurs initiatives se revendiquent de ces logiques : des festivals mettent en place des agendas 21 de la culture, des labels de “musique équitable” se développent sur Internet, l’Ufisc présente un manifeste pour une autre économie de l’art et de la culture et d’autres opérations moins visibles semblent en cours ici ou là. Quelles sont ces démarches ? Comment se réalisent-elles ? Entre engagements forts et arguments de communication à la mode, quelles crédibilités leur accorder ? Pour y voir plus clair, ce texte dresse un panorama non exhaustif de ces initiatives et tente d’envisager les différentes formes possibles du rapport entre le secteur musical et le développement durable et solidaire.

Bien que s’inscrivant dans le chapitre “culture”, l’article de Mathias Milliard ne souhaite traiter que des exigences du
développement durable face aux grands rassemblements populaires autour de la musique et du problème de la diffusion
commerciale de la création culturelle. À côté de ceux déjà publiés, d’autres articles en préparation aborderont différentes questions intéressant ce chapitre, telles que : le développement durable, socle d’une nouvelle culture pour le XXIe siècle ; le développement durable, une culture de paix ; la diversité culturelle…


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La nouvelle classification de cet article est :

6.5- Culture

Auteur·e

Milliard Mathias

Travaille au Centre d’Information et de Ressources pour les Musiques Actuelles (IRMA) ;
il est membre, à ce titre, du Conseil supérieur des musiques actuelles. Il est aussi journaliste.


Les domaines de l’écologie, du commerce équitable et de l’économie sociale et solidaire renvoient à des pratiques et à des enjeux spécifiques. Être “écolo” revient à agir dans le souci de la protection de l’environnement. Le commerce équitable est “un partenariat commercial fondé sur le dialogue, la transparence et le respect, dont l’objectif est de parvenir à une plus grande équité dans le commerce mondial” [1], et se structure autour de critères (transparence, prix équitable, conditions de travail, non-discrimination, création d’opportunités pour les producteurs défavorisés…). L’économie sociale et solidaire a été définie lors de la 2ème Rencontre internationale sur la globalisation de la solidarité en 2001 comme désignant “un ensemble d’initiatives économiques à finalité sociale qui participent à la construction d’une nouvelle façon de vivre et de penser (…). Elle place la personne humaine au centre du développement économique et social. La solidarité en économie repose sur un projet tout à la fois économique, politique et social, qui entraîne une nouvelle manière de faire de la politique et d’établir les relations humaines sur la base du consensus et de l’agir citoyen”. Mais bien que différentes, c’est dans ces directions que certaines initiatives durables et solidaires à l’oeuvre dans le secteur des musiques actuelles sont en train de prendre forme.

 Les éco-festivals

Depuis quelques années, les festivals, grands pollueurs, ont mis en place des démarches de respect de l’environnement. Les actions peuvent prendre plusieurs formes. Sur les sites des manifestations, le tri sélectif des déchets et le ramassage de gobelets sont de plus en plus fréquents. L’incitation au covoiturage ou le déplacement en navette entre le camping et le site sont aussi des formules qui se sont développées. La présence de toilettes sèches ou de cendriers de poches (distribués au public, comme au festival Les Expressifs de Poitiers) sont encore des outils à généraliser, tout comme l’utilisation de papiers recyclables pour les opérations de communication, ou d’une billetterie dématérialisée.

Les festivals les plus avancés sur la question ne cherchent pas uniquement à rendre le site propre, mais tentent de rendre l’impact durable en sensibilisant les publics sur les problèmes écologiques et les bons gestes à accomplir.

Les Eurockéennes de Belfort, qui diffusent sur un site protégé, ont ainsi mis en place des brigades du tri qui interviennent sur le lieu pour ramasser et informer sur la gestion des déchets. Des structures comme Les Connexions (association de développement durable en milieux festifs) se sont également spécialisées sur ce type d’intervention lors des festivals (comme aux Méditerranéennes de Leucate ou au festival Couvre feu de Corsept), venant avec leur signalétique et leurs équipes sur le terrain. La pédagogie prend souvent un aspect ludique, avec des poubelles géantes et des concours de “lancers de déchets”, une consommation offerte pour 50 gobelets ramassés, ou encore un jeu de l’oie géant sur le développement durable (comme au festival rennais Quartiers d’été).

Pour avoir un ordre d’idées des chiffres que cela représente, on citera ceux des Vieilles Charrues, qui ont mis en place une politique de gestion des déchets pointue, et qui ont produit 134 tonnes de déchets en 2007, contre 180 les années précédentes (dont 90 % sont récupérables). C’est la preuve que ces démarches ont un impact, même s’il faut avouer que les festivals resteront des événements polluants. Ainsi, après la récente édition de la Techno Parade, qui avait mis en place une batterie d’actions écologiques, de nombreux déchets recouvraient la chaussée comme le constate sur un forum Super Gudule, qui se demande si la Techno Parade verte n’est pas “une plaisanterie”.

Les festivals sont également des grands consommateurs d’énergies, et les démarches pour agir sur cet aspect sont plus complexes à mettre en oeuvre. Pour réduire ses coûts en matière énergétique, les Transmusicales de Rennes ont embauché un “économe de flux”. Le Paléo festival, grâce à un partenariat avec des fournisseurs locaux d’énergie, utilise uniquement de l’“électricité verte”, produite à partir d’énergies renouvelables. Les Vieilles Charrues ont réduit de 40 % leur consommation d’énergie grâce à l’implantation de toilettes sèches, de boutons-pressoirs sur les robinets d’eau, mais surtout en changeant le parc de projecteurs (pour des luminaires plus économiques) et en regroupant tous les disjoncteurs du site en un même endroit, permettant plus facilement la gestion des consommations d’électricité.*

 Des manifestations solidaires

Les démarches écologiques menées par les acteurs de la musique sont sans doute les plus visibles pour le grand public, et les plus porteuses en terme d’image et de communication. Mais le développement durable ne s’arrête pas à la protection et au respect de l’environnement naturel. Cela intègre également une dimension économique et sociale basée sur la volonté de faire du commerce autrement, dans le respect des populations locales et de la citoyenneté mondiale.

Toujours sur les festivals, l’accessibilité des sites pour les publics handicapés et l’implantation de stands de nourriture biologique sont de plus en plus fréquentes. Mais des démarches plus globales sont mises en place. Les Interceltiques de Lorient montent ainsi un village solidaire pendant la durée du festival, où se réunissent des associations qui s’engagent dans cinq domaines : la solidarité environnementale, la transparence des produits, la durabilité des échanges, la proximité producteur/consommateur et le respect des cultures. Le festival des Ecossolies se définit quant à lui comme une manifestation citoyenne dont les composantes sont à la fois culturelles et économiques. Une programmation axée autour de la rencontre des cultures et des débats sur l’économie sociale et solidaire a ainsi réuni plus de 30 000 personnes sur trois jours lors de la dernière édition.

L’économie sociale et solidaire est une forme de production de biens et services qui génère également du lien social et de la solidarité. Les événements culturels empruntent souvent ce modèle, offrant un espace de rassemblement public et de découverte des expressions artistiques. Mais les festivals, déjà amenés à travailler avec les populations locales à plusieurs titres (bénévoles, prestataires locaux…), vont parfois plus loin dans la démarche. Ceux qui génèrent le plus de profits ont la possibilité d’investir dans des actions pérennes sur le territoire, comme c’est le cas des Vieilles Charrues qui ont reversé, en moyenne depuis 10 ans, près de 100 000 euros chaque année aux associations bénévoles qui oeuvrent pendant le festival, et qui aident par ailleurs au développement économique local (rénovation d’un château breton, création d’un centre des congrès à Carhaix). Le festival Solidays redistribue également une partie de ses fonds aux associations qui aident les malades du sida et s’occupent de prévention des risques, notamment dans les pays pauvres. Autre exemple parmi d’autres avec la Fédurok, qui a coordonné la mise en place d’une programmation musicale au sein des établissements pénitenciers de cinq régions lors de la fête de la musique en 2006.

 Agenda 21 :

un outil d’engagement politique

Agir ainsi correspond aujourd’hui à un geste militant, nécessaire écologiquement et engagé politiquement. Mais à l’heure du Grenelle de l’environnement et des Quinzaines du commerce équitable, les démarches éco-citoyennes sont dans l’air du temps, et il est de bon ton de se positionner sur ce créneau auprès des publics, des médias et des institutions.

Comment s’y retrouver entre arguments de communication de bon effet et engagement qualifié et durable ? Quels sont les outils permettant aux entrepreneurs de spectacles d’encadrer leurs actions par des critères partagés de réalisation et d’évaluation ?

L’agenda 21 de la culture est un de ces outils. L’agenda 21 est un programme d’actions pour le XXIe siècle, ratifié par plus de 170 pays lors du Sommet de la Terre à Rio en 1992, et orienté vers l’objectif d’un développement durable de la planète. Son volet culturel, adopté en 2004 à Barcelone, a été établi par des représentants de villes et de gouvernements locaux qui situent la culture au coeur du développement local. Ces agendas 21 ouvrent de nouvelles possibilités d’action aux initiatives citoyennes car elles engagent à leur côté les pouvoirs publics. Des projets d’agenda 21 émergent à l’heure actuelle dans le domaine du spectacle, notamment au sein des festivals ayant déjà avancé sur la gestion éco-solidaire de leur événement.

Ainsi, plusieurs festivals bretons ayant adopté un agenda 21 pour leur manifestation viennent de se réunir pour cosigner, avec l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) et le Conseil Régional, une Charte des festivals engagés pour le développement durable et solidaire en Bretagne.

Ce document engage six structures (Transmusicales, Vieilles Charrues, Les arts dînent à l’huile, Interceltiques, Quartier d’été et le festival du Chant de marin) dans un programme pluriannuel d’actions qui poursuit cinq objectifs :

  • lutter contre l’effet de serre et favoriser l’économie d’énergie ;
  • favoriser des modes de production et de consommation “durables” ;
  • participer à l’économie sociale et solidaire ;
  • se former et s’informer sur le développement durable ;
  • faire participer tous les acteurs du festival à un développement durable et solidaire.

Cette charte engage moralement la légitimité des acteurs signataires, et va dorénavant être éprouvée et évaluée sur le terrain pour être améliorée. Durant cette phase d’expérimentation, un groupe de travail composé des porteurs de projets, de l’Ademe et de la Région va mettre au point des processus d’évaluation des dispositifs, et rédiger des fiches pratiques sur ces questions de manière à informer sur les méthodes et les outils disponibles.

 Green’n’clean :

un label européen des festivals

Comment savoir, en tant qu’organisateur, comment oeuvrer correctement au développement durable ? Comment connaître, en tant que citoyen, la qualité et l’impact des opérations menées ? A l’heure des prémices, la construction d’une économie durable et solidaire de la musique cherche ses méthodes…

Yourope, fédération européenne des festivals, contribue à cette recherche avec son programme Green’n’clean auquel participent des festivals français comme Les Eurockéennes, Les Méditerranéennes, Le Summer festival et d’autres. Il s’agit d’un programme d’accompagnement des dispositions à prendre dans les domaines des transports, de la gestion de déchets, de l’énergie et de la communication.

Récompensant les festivals qui appliquent au mieux ces dispositions, Yourope décerne le Green’n’Clean Award, remporté par le Paléo festival en 2007.

Ces formes de labellisation peuvent apporter un gage de crédibilité aux initiatives, mais elles sont pour l’instant rares, et en l’occurrence avec Green’n’Clean, uniquement axées sur l’aspect écologique.

 Accompagner et financer les projets

Les initiatives en la matière se fédèrent petit à petit et un échange autour de ces questionnements s’installe. Il s’agit dorénavant d’accompagner ce processus pour qu’il se développe et se construise de manière transparente et partagée.

Le Centre National des Variétés, de la Chanson et du Jazz (CNV), où la présentation publique de la charte des festivals bretons a eu lieu, a annoncé que sa commission n°2 sur les festivals pouvait être un lieu d’échange et de construction du devenir de ces dispositifs. Les collectivités territoriales, en validant des agendas 21 de la culture, sont en mesure d’intégrer des critères liés au développement durable et solidaire pour bénéficier d’aide publique. La Région Poitou- Charentes lance ainsi chaque année depuis deux ans un appel à projet régional en direction des festivals qui mettent en place des actions concrètes en faveur de l’environnement (mais là aussi, le dispositif est limité au volet écologique).

 Un manque : le domaine artistique

Dans les exemples cités de festivals actifs en matière de développement durable et solidaire, les programmes d’actions abordent assez peu ce qui relève de l’artistique : marge aux producteurs, rémunération des artistes, résidences de création, accompagnement de la scène locale, échanges culturels…

Pourtant, des initiatives sont menées en la matière, comme celles de l’Ami (Aide aux musiques innovatrices) qui met en place des “ateliers croisés internationaux” entre les villes de Marseille, Damas et Alger. Il s’agit de créer de nouvelles formes de coopération culturelle internationale en favorisant le tissage de relations personnelles, durables et fécondes entre les musiciens invités, et également de soutenir la mise en réseau et l’aide au développement local. Deux sessions annuelles de résidence et de diffusion ont lieu dans ces villes, cette opération se renouvelant sur une période de trois ans.

Désert Rebel est également un projet de création musicale mettant en avant l’échange culturel, le partage des richesses, et en l’occurrence un engagement politique. Il s’agit du premier volet d’une série documentaire sur les cultures en résistance à travers le monde, produit par le réalisateur François Bergeron (avec les risques que cela comporte…) et le manager Farid Merabet. Désert Rebel est un collectif né d’une rencontre entre musiciens touaregs (Abdallah Oumbadougou, orchestre Takrist n’ Nakal) et musiciens français (Guizmo et Manu de Tryo, Daniel Jamet de la Mano Negra, Imhotep d’IAM…). De ces rencontres sont nés un documentaire (DVD), une tournée et un album sorti en 2006. 6 % des bénéfices réalisés par le producteur (Cultu res et résistances) sont reversés à une association pour le développement durable des écoles de musique au Niger.

A réfléchir ainsi, on pourrait imaginer que des festivals investis dans l’éco-citoyenneté intègrent ce pan d’action solidaire à leur programme. Raghid, luthier et propriétaire d’un magasin d’instruments à Bagdad, n’aurait rien contre…

 Une démarche équitable

en vogue dans le disque

Le partage équitable des richesses entre producteurs et artistes est un engagement qui semble plus porté par les acteurs du disque et de la distribution. Le concept de “musique équitable” a d’ailleurs fleuri sur Internet ces dernières années.

Reshape-music se définit comme “le premier label éthique et participatif” et vend directement en ligne son catalogue. Il s’agit en réalité d’une plateforme de distribution qui s’organise autour de deux concepts. Le premier est celui de la fixation du prix d’un album : le site fixe un “prix conseillé” (estimé être le seuil à partir duquel le rapport entre les artistes et les internautes est équilibré) et informe du “prix des internautes” qui correspond à la moyenne du prix payé par un acheteur, et permet ainsi de découvrir les artistes les plus plébiscités. Le deuxième aspect concerne la répartition des sommes perçues. Dans le “modèle classique” (en major), la maison de disques récupère 62 % du chiffre d’affaires, et l’artiste 3 %. Reshape, dont le catalogue est fait de petites productions, reverse 50 % du prix d’achat à l’artiste (et souvent autoproducteur). Ce projet, développé depuis près de deux ans, s’appuie ainsi sur la transparence et sur la réduction des intermédiaires pour établir une relation équitable entre l’artiste et le consommateur, permettant au musicien de construire un mode de vie durable avec son travail.

Fairplaylist part du même constat lié à la concentration du marché du disque : trop peu d’artistes, qui trouvent un public localement, peuvent vivre dignement de leur musique car ils n’ont pas accès aux relais professionnels leur permettant de se développer sur le national. Ainsi, pour offrir aux artistes une opportunité de développement, FairPlayList fédère un réseau de solidarité entre les différents acteurs du secteur musical souhaitant “favoriser la diversité culturelle et ouvrir de nouveaux horizons plus équitables et plus écologiques dans l’industrie de la musique”. FairplayList a ainsi développé depuis 2003 un réseau de distribution de proximité (magasins biologiques, de commerce équitable, librairies indépendantes, disquaires de quartier…) et s’associe à d’autres initiatives musicales et équitables, notamment en Europe.

FairPlayList a également organisé le festival Ménilmontant, capitale de la musique équitable et écologique, en mai dernier, et a sorti pour l’occasion une compilation sous forme d’objet-disque composé de matériaux recyclables.

Une autre initiative intéressante est celle du réseau Cultures Solidaires, initié en 2004 et animé par Dyade Art & Développement, dans le but de valoriser le patrimoine culturel local à travers la production de disques dans une logique équitable et solidaire. Ce réseau travaille à la création d’un fonds d’investissement à partir des excédents générés par la diffusion des disques. Dans ce système, 60 % des recettes, après amortissement des coûts, sont consacrés à l’accompagnement des collectifs artistiques et à la structuration de dynamiques locales.

 Vers une charte de la musique équitable ?

La façon dont l’équité est portée par certains acteurs du disque semble donc mieux prendre en compte la dimension financière des échanges que cela n’est le cas dans le spectacle. Mais chaque initiative met en place des dispositifs variés, et différents les uns des autres. Comment s’y retrouver ? Comment généraliser et harmoniser les pratiques équitables ?

Dyade et FairPlayList se sont associés (au côté du label indépendant Utica) pour fonder une Charte de la musique éthique sous la forme d’un “cahier des charges pour une filière musicale équitable et solidaire”. L’objectif de la charte est multiple :

  • poser les principes de rapports plus équilibrés entre les acteurs, basés sur la concertation et sur une répartition plus équitable des richesses générées par la filière musicale ;
  • mettre en place un système d’évaluation permettant la vérification de l’équité et de la solidarité ;
  • ouvrir un dialogue autour d’une base de principes communs pour permettre à différents acteurs de la musique d’harmoniser leurs pratiques.

Les principes en question sont la coopération et la solidarité, la rémunération équitable, l’autonomie de l’artiste et le développement durable. Les signataires de la charte s’engagent ainsi à les respecter, et une gamme de critères est mise en place pour encadrer les pratiques.

Aujourd’hui, deux auteurs s’intéressent également aux questions soulevées par les démarches de musique équitable. François Mauger et Charlotte Dudignac viennent ainsi de mener leur enquête, interrogeant au passage de nombreux acteurs de la musique. Début 2008, sortira le livre Jouer juste aux éditions L’Echappée, résultat de cette enquête. L’ouvrage ne cherche pas à définir ce qui est équitable ou ce qui ne l’est pas, mais pose des pistes de réflexion en analysant les démarches en cours, dans le disque et sur Internet, en fonction des principaux critères de définition du commerce équitable. A savoir, entre autres :

  • le juste prix ;
  • la filière courte ;
  • rendre à chacun ce qui lui est dû ;
  • démocratie et organisations collectives ;
  • respect des droits sociaux ;
  • respect des droits environnementaux ;
  • le long terme ;
  • le préfinancement ;
  • la transparence ;
  • la sensibilisation.

En posant ainsi le débat, comme nous l’explique François Mauger dans son interview, on s’aperçoit que les initiatives en cours ne retiennent pas l’ensemble de ces critères, et que, par exemple, “le festival Solidays est solidaire, parce qu’il oeuvre pour l’information sur le Sida, mais il n’est pas nécessairement équitable”. Les auteurs estiment que l’heure est aujourd’hui au rassemblement des différents acteurs de la musique durable et équitable, de manière à créer un mouvement fort qui puisse faire entendre leur voix, notamment si les pouvoirs publics se penchent sur la question d’un label officiel de “musique équitable”.

 Le développement par l’économie sociale et solidaire

La question du développement durable et solidaire doit donc être envisagée de manière globale par les acteurs de la musique, afin d’engager et de revendiquer la pertinence et la reconnaissance des actions engagées. Or, la façon dont le secteur culturel, et musical en particulier, s’est approprié les principes de l’économie sociale et solidaire depuis plusieurs années peut constituer ce cadre global d’intervention.

Une association comme Opale (Organisation pour projets alternatifs d’entreprises) s’est créée, dès 1988, pour accompagner la création, le développement ou la structuration d’entreprises culturelles de proximité. Son but est de valoriser les projets et expériences qui renforcent les rencontres sur les territoires, les échanges, les solidarités entre générations, les origines culturelles et les milieux sociaux. Opale coordonne depuis 2004 le Cnar Culture (Centre national d’appui et de ressources sur la filière “culture”) qui s’est constitué en juillet 2004 pour apporter un appui au réseau des DLA (Dispositifs Locaux d’Accompagnement) créés sur chaque département par le ministère de l’Emploi, du travail et de la cohésion sociale, et la Caisse des dépôts. Opale est ainsi une structure qui s’inscrit dans le soutien et le développement d’une économie sociale, solidaire et de proximité dans le secteur culturel.

Les acteurs de terrain fédérés au sein de l’Ufisc (Union fédérale d’intervention des structures culturelles, qui regroupe un ensemble de fédérations –Fédurok, FSJ, Zone Franche, SMA, Rif, Actes-if…- représentant au total plus de 1 500 structures) se sont emparés de ce sujet depuis 1999.

Initialement, l’Ufisc a été fondée en réaction à la publication de l’instruction fiscale du 15 septembre 1998 relative àla fiscalité des associations régies par la loi de 1901. “Notre objectif était de faire prendre en considération la spécificité de l’activité des structures artistiques et culturelles que nous représentons. En concertation avec le Ministère de l’Économie et des Finances (Direction Générale des Impôts) nous avons participé étroitement à l’élaboration de “fiches techniques” sur les critères de “non-lucrativité” des associations de création artistique ou d’exploitation des lieux de spectacle vivant.

Forts de cette expérience, nous avons élargi notre engagement commun à l’emploi, puis aux modes de gestion caractérisant notre secteur, pour parvenir finalement à l’affirmation d’un espace socio-économique spécifique caractérisé par une économie plurielle et des organisations à finalités non-lucratives qui se situent dans une économie que l’on qualifiera “d’économie non lucrative de marché” relevant également du concept de “tiers secteur” [2].En se regroupant, ces fédérations d’acteurs se sont aperçues qu’elles partageaient des spécificités et des valeurs communes. Pour les faire reconnaître, elles se sont ainsi engagées dans la rédaction d’un Manifeste pour une autre économie de l’art et de la culture qui a été validé par le CA de l’Ufisc en janvier dernier.

Ce document annonce les valeurs défendues par ses signataires, à savoir l’art comme moteur de la démocratie et du développement des territoires, en lien avec les pouvoirs publics et les populations. Elles fonctionnent dans un esprit coopératif, instaurant ainsi de nouvelles relations de travail, et affirment la primauté de la diversité culturelle et de l’initiative citoyenne à but autre que lucratif.

A l’heure de la perte de valeur économique de la musique enregistrée, il s’agit de s’appuyer sur les autres valeurs portées par les acteurs du disque et du spectacle (les non lucratives, voire non marchandes, comme l’équité, la solidarité, le civisme, l’intérêt général…) pour établir un modèle économique spécifique aux entreprises culturelles partageant ces modes de fonctionnement.

 Une “écologie de la culture” à construire

Le rapport entre musiques, développement durable et solidarités prend des formes multiples et s’établit dans des domaines ou des directions différentes. Des initiatives isolées tentent de se regrouper pour échanger et construire ensemble des politiques citoyennes et des modèles économiques responsables, avec l’appui des pouvoirs publics et dans le respect des populations. Cette construction passe par le partage de méthodes et de critères d’évaluation, voire de labellisation, avec l’objectif de susciter et d’accompagner toutes nouvelles initiatives en matière de développement durable et solidaire.

Car les musiques actuelles réaffirment à travers ces dispositifs leur rôle politique et social, engagé dans la valorisation des cultures, dans le “vivre-ensemble” et dans l’action citoyenne et démocratique. Avec ses mots, Brian Eno [3] le résumait ainsi dans Le Monde du 16 août 2005 : “Toutes les formes de vie sont reliées entre elles comme les fils d’une toile d’araignée. Nous avons appris à respecter l’ensemble de cette toile. C’est une des origines de l’écologie. Et je défends l’idée d’une écologie de la culture, car toutes les formes d’expression sont liées les unes aux autres”.

Mathias Milliard

Notes

(pour revenir au texte, cliquer sur le numéro de la note)

[1Quatre structures internationales de commerce équitable (Flo, Ifat, News, Efta) ont signé cette définition en 2001.

[2Manifeste pour une autre économie de l’art et de la culture, Ufisc, janvier 2007.

[3Musicien, concepteur musical, professeur et penseur britannique (réalisation de la musique des films : Trainspotting, Velvet Goldmine, Heat ; contributions aux albums de David Bowie, James...).

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