Agrimonde 1 : Un scénario pour des agricultures et des alimentations durables dans le monde à l’horizon 2050
Article rédigé par T.Ronzon et S.Paillard, sur la base de la synthèse du rapport Agrimonde [Chaumet et al.,2009].
Résumé
La prospective INRA-CIRAD « Agrimonde » s’interroge sur le devenir des systèmes agricoles et alimentaires mondiaux au travers de deux scénarios pour 2050. Le premier, Agrimonde 1, explore le sens d’un système alimentaire plus durable en envisageant une réduction de la sous-alimentation et des excès d’apports caloriques dans le monde. Dans son volet agricole, il reprend l’idée d’une intensification écologique telle que décrite par Michel Griffon dans « Nourrir la Planète ». Ce scénario est mis en regard d’un scénario tendanciel en termes d’évolution des régimes alimentaires et des pratiques d’intensification agricoles, le scénario Agrimonde Go, qui reprend les hypothèses de Global Orchestration du MEA [1].
Malgré le choix de deux stratégies contrastées d’intensification agricole en termes d’équilibre entre élévation des rendements et extension des surfaces cultivées, les deux scénarios parviennent à répondre à la demande mondiale
croissante en calories. Leurs implications économiques, sociales et environnementales aux niveaux local et global sont en revanche clairement distinctes. Le scénario Agrimonde 1 permet d’explorer le sens et les dilemmes d’un développement durable. En l’analysant et en le confrontant au scénario tendanciel Agrimonde GO, six défis majeurs peuvent être identifiés face auxquels le scénario propose des leviers d’action : (1) le développement agricole et rural, (2) l’innovation et sa diffusion, (3) la gestion des ressources naturelles, (4) le foncier et la durabilité sociale, (5) les comportements alimentaires, (6) les régulations et modes de gouvernance interrégionales..
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La nouvelle classification de cet article est :
• 4.4- Mode de production et de consommation
• 7.2- Agriculture et alimentation
Auteur·e·s
Docteur en économie, Sandrine Paillard a d’abord travaillé à l’Observatoire des Sciences et Techniques sur les systèmes nationaux d’innovation avant de passer cinq ans au Commissariat général du Plan, en tant que chargée de mission et coordinatrice des travaux relatifs à la recherche et à l’innovation. C’est au Plan qu’elle a commencé à s’intéresser à la prospective en contribuant à un projet sur les méthodologies et expériences prospectives et à l’opération FutuRIS de l’ANRT. Elle a rejoint l’Unité Prospective de l’INRA en 2005 pour y être directrice adjointe, puis directrice.
Ingénieur agronome de formation, Tévécia Ronzon s’est spécialisée en agroéconomie et développement agricole. Elle a travaillé au développement de l’agriculture biologique en Bourgogne ainsi que sur des projets de développement agricole au Guatemala. Après un poste de chargée d’évaluation de politiques agricoles au Mexique, elle a intégré l’Unité Prospective de l’INRA depuis décembre 2007, sur le projet Agrimonde.
Le scénario Agrimonde 1 a été élaboré dans le cadre de l’étude prospective Agrimonde, coordonnée par l’INRA et le CIRAD, deux instituts de recherche français dans le domaine agronomique. [2]. Librement inspiré du scénario de « révolution doublement verte » de M Griffon (2006), il vise à explorer le sens et les conditions d’existence d’un scénario de développement durable pour les agricultures et les alimentations du monde d’ici à 2050, et à produire « des connaissances scientifiques et techniques propres à l’agriculture. Il s’agira ensuite d’en tirer des leçons sur les rôles possibles pour la recherche, les politiques publiques et les régulations internationales ». Il est comparé au scénario Agrimonde GO, tiré du scénario Global Orchestration du MEA [Carpenter et al., 2005]. Parmi les quatre scénarios du MEA, celui-ci a été choisi comme scénario de comparaison avec Agrimonde 1 car il s’agit du plus tendanciel en matière d’évolution des consommations alimentaires et des pratiques agricoles. Cependant, si ce scénario est le plus performant des quatre en termes de lutte contre la sous-alimentation, il ne traite les problèmes environnementaux que de manière non-anticipée et est en conséquence marqué par la survenue de surprises écologiques.
Dans cet article, nous décrirons dans un premier temps comment la réflexion autour des paramètres clefs constituants les bilans alimentaires a suscité les principales ruptures d’Agrimonde 1. Dans un deuxième temps, nous nous recentrerons sur les défis de ce scénario. Enfin, nous conclurons sur les termes du débat né autour des principales ruptures d’Agrimonde 1.
Les deux scénarios se proposent de mettre en débat deux stratégies pour nourrir les 9 milliards d’habitants de 2050 (projection médiane de l’ONU, cf. figure 1), en l’absence de grandes vagues de migrations internationales, car celles-ci pourraient masquer les défis auxquels devront faire face les régions qui connaîtront une explosion démographique.
La première étape a consisté à quantifier les paramètres clefs constituant les bilans alimentaires régionaux (consommation calorique par habitant, surfaces et rendements alimentaires) en kilocalories (cf. encadré 1). Pour le scénario Agrimonde 1, elle a conduit le groupe de travail à envisager un certain nombre de ruptures majeures par rapport aux évolutions passées et en comparaison des évolutions plutôt tendancielles décrites dans Agrimonde GO.
Encadré 1 : Le choix de la kilocalorie comme unité de compte |
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Utiliser la calorie alimentaire (kcal) comme unité commune de volume, pour les consommations comme pour les productions ou échanges de biomasses [3] permet, en particulier, d’additionner des quantités de produits qu’il est inapproprié d’additionner quand ces dernières sont exprimées en tonnes, litres ou effectifs. Cependant, cette unité comporte aussi des limites, notamment aux plans économique (la calorie d’un graine de maïs ne vaut pas celle d’une graine de café…) et nutritionnel [Deaton et Dreze, 2008] et [Dorin, 1999]. Ainsi, un régime satisfaisant en calories ne l’est pas nécessairement en micronutriments (vitamines et minéraux) ni même en macronutriments (glucides, protéines et lipides). |
La consommation calorique par habitant continue de progresser dans Agrimonde GO sous l’effet de la hausse des revenus et de l’urbanisation (elle passe de 3000 kcal/hab./j en moyenne mondiale en 2000 à 3 600 kcal/hab./j en 2050, allant de 2 972 kcal/hab./j en Afrique sub-saharienne à 4 099 kcal/hab./j en OCDE-1990, cf. figure 2), elle se stabilise au niveau de la moyenne mondiale actuelle dans Agrimonde 1 (3000 kcal/hab./j dans toutes les régions, cf. figure 2). Ce choix d’hypothèses en rupture dans Agrimonde 1 répond à quatre types d’enjeux : (i) l’écart entre disponibilités nécessaires à la sécurité alimentaire (3000 kcal/hab./j selon la FAO [4]) et disponibilités observées en 2000 ( 4000 kcal/hab./j en OCDE-1990 et 2300 kcal/hab./j en Afrique subsaharienne), (ii) l’importance de l’équité entre grandes régions du monde, (iii) la relation santé - alimentation (lutte contre la sous-alimentation et l’obésité entre autres) et (iv) la relation entre régimes alimentaires et pression sur les ressources naturelles.
La production alimentaire s’accroît dans Agrimonde GO grâce aux progrès technologiques qui permettent des gains de rendement substantiels tout en limitant l’extension des surfaces cultivées nécessaire à l’équilibre Offre – Demande alimentaire. Dans Agrimonde 1, l’adoption des techniques de l’intensification écologique (cf. encadré 2), comme les impacts attendus du changement climatique ne permettent que des gains de rendement modérés. Chaque région du monde cherche alors à étendre ses surfaces cultivées dans la limite de son potentiel cultivable.
Encadré 2 : L’intensification écologique dans Agrimonde 1 |
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Les pratiques d’intensification écologique cherchent à valoriser au mieux les fonctionnalités écologiques des écosystèmes tout en limitant l’usage des engrais et produits chimiques. Appliquées à un territoire,cela conduit à maintenir une diversité de systèmes de production, adaptés aux différents écosystèmes constituants ce territoire, de façon à le maintenir sous la forme d’une mosaïque d’écosystèmes produisant une diversité de services (épuration et régulation des masses d’eau, préservation des sols, maintien des structures paysagères et de la biodiversité, fixation du carbone, etc.). Des activités d’élevage, de foresterie, de productions végétales, etc., sont alors maintenues au sein d’une même exploitation ou au sein de différentes exploitations, plus ou moins imbriquées elles-mêmes à l’échelle de ce territoire. |
Au bilan, la consommation moyenne de calories finales par habitant au niveau mondial se stabilise dans Agrimonde 1 et croît de 20% dans Agrimonde GO comparé à 2000 (cf. figure 3).
Par ailleurs, les terres cultivées et en pâture croissent de 2 % au niveau mondial dans Agrimonde 1 par rapport à 2000 et de 12% dans Agrimonde GO (cf. figure 3).
Les seules surfaces cultivées alimentaires augmentent de 24% dans Agrimonde 1 contre seulement 7% dans Agrimonde GO. Ceci s’explique par l’évolution des rendements des cultures alimentaires qui gagnent de 8% par rapport à 2000 dans Agrimonde 1, et 77% dans Agrimonde GO. (cf. figure 4).
Les deux stratégies représentées par chacun des scénarios permettent d’équilibrer le bilan mondial ressources-emplois (cf. encadré 3) alimentaires. Le scénario Agrimonde GO dispose même d’un surplus. Trois régions doivent importer des calories pour nourrir leur population dans les deux scénarios : Afrique du Nord - Moyen Orient, Afrique subsaharienne et Asie. Dans le même temps, trois régions disposent de surplus dans les deux scénarios : OCDE-1990, Amérique latine et Ex-URSS. Les déficits et les surplus régionaux sont cependant plus importants dans Agrimonde 1 que dans Agrimonde GO. [5]
Encadré 3 : Les bilans ressources – emplois alimentaires |
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Par soucis de simplicité et de transparence, les bilans ressources – emplois des scénarios Agrimonde correspondent à des calculs comptables mobilisant un minimum de variables. Ils se définissent par l’équation suivante : -imports +/- Variation de stocks = (Population x Consommation + Semences + Vana(1) + Pertes |
En s’interrogeant sur la cohérence interne des deux scénarios quantitatifs et sur les enseignements à tirer de leur confrontation, le groupe de travail a identifié six principaux défis à relever pour voir se réaliser le scénario Agrimonde 1. Cette démarche a permis de préciser les dimensions qualitatives des scénarios laissées ouvertes par la quantification. Nous présenterons pour chacun des six défis une ou deux illustrations régionales, parmi les différentes illustrations possibles.
- Le développement agricole et rural est le premier grand défi du scénario Agrimonde 1. Alors que les rendements en Afrique sub-saharienne augmentent de 140% dans Agrimonde GO entre 2000 et 2050, ils ne gagnent que 30% dans Agrimonde 1. De si faibles gains de rendements permettront-ils un décollage agricole et économique suffisant dans cette région ? Aurait-on dû faire le choix d’une trajectoire en deux temps, la diffusion des techniques d’intensification classique précédent celles de l’intensification écologique ? Comme le montrent aujourd’hui les difficultés que rencontrent les agriculteurs français pour adapter leurs pratiques aux objectifs de durabilité, le déploiement d’un système technique crée de fortes interdépendances entre technologies, infrastructures, formation, configurations d’acteurs… qui peuvent empêcher les bifurcations technologiques même lorsque le « basculement » pourrait paraître optimal. Par conséquent, il a parut plus cohérent de maintenir une hypothèse de gain de rendement assez modérée en Afrique sub-saharienne dans Agrimonde 1 en faisant l’hypothèse que des politiques de développement rural en accompagnement auront été développées dans ce scénario afin de faire progresser les revenus ruraux autres qu’agricoles.
- L’innovation et sa diffusion constituent un deuxième défi majeur du scénario Agrimonde 1. Dans ce scénario, les innovations susceptibles de permettre une intensification écologique de l’agriculture sont moins de l’ordre des gains de rendement (relativement faibles) que de la diversification et de la complexification des systèmes de production. Elles devront s’inspirer de l’agropastoralisme, de l’agroforesterie et de l’agriculture péri ou intra-urbaine notamment, qui jouent des complémentarités entre espèces dans l’espace et dans le temps. Cependant, comment s’organisent les producteurs et la recherche, la formation et le développement agricoles pour faire progresser ces pratiques ? Comment réorienter le système d’innovations pour permettre la diffusion de ce mode d’intensification ? Pour ce faire, l’innovation dans Agrimonde 1 s’est organisée sur un mode interactif et souvent participatif, pour valoriser la diversité des savoirs locaux. Bénéficiant de percées technologiques plus génériques, elle est aussi portée par l’émergence de communautés épistémiques et de pratiques très internationalisées dans la recherche et la gestion des écosystèmes. Les politiques de développement agricole, pour l’essentiel définies aux échelles régionales, ont contribué à la structuration de systèmes agricoles et alimentaires localisés, sous forme de clusters [6], intégrant toute la filière mais aussi la recherche, la formation et le conseil. Ces clusters facilitent ainsi la diffusion des innovations au sein des filières.
- La gestion des ressources naturelles est un troisième défi du scénario Agrimonde 1. Tout d’abord, les politiques de gestion de la ressource en eau auront dû être renforcées de façon déterminante, notamment en Afrique du Nord – Moyen Orient, pour rationaliser l’allocation de la ressource entre ses différents usages et mieux la valoriser. Ensuite, si les techniques de l’intensification écologique modèrent l’impact de l’agriculture sur les écosystèmes cultivés dans Agrimonde 1, la forte conversion des pâtures et des forêts, notamment en Afrique subsaharienne et en Amérique latine, est susceptible d’avoir un impact non négligeable sur les services écosystémiques rendus par ces espaces. Si les pratiques d’agroforesterie à grande échelle pourront constituer une réponse dans le scénario Agrimonde 1, le développement d’incitations à préserver la forêt est aussi un point clé du scénario pour permettre à la fois la mise en culture et le maintien d’une certaine biodiversité. Cela suppose une gouvernance mondiale forte.
- La forte extension des terres cultivées en Afrique subsaharienne et en Amérique latine interroge également la durabilité du scénario Agrimonde 1 sur le plan social, ce qui constitue un quatrième défi puisque l’extension territoriale risque d’exacerber les inégalités foncières déjà criantes dans ces régions. En Ex-URSS aussi, pour saisir les opportunités d’extension territoriale au Nord permises par le réchauffement climatique, il aura fallu concevoir un cadre juridique et une politique foncière présidant à la redistribution des nouvelles terres prises sur le pergélisol. Les conditions d’accès aux nouveaux espaces mis en culture et la répartition de la rente fournie par leur exploitation sont donc des aspects importants de la cohérence du scénario Agrimonde 1.
- Le cinquième défi que souligne le scénario Agrimonde 1 et sa confrontation à Agrimonde GO concerne les comportements alimentaires. Alors que la demande calorique par habitant augmente de 8% entre 2000 et 2050 en Asie dans Agrimonde 1, elle progresse de 30% dans Agrimonde GO, poussée par l’augmentation des revenus et la généralisation de comportements alimentaires urbains incluant une part croissante de calories d’origine animale. La possibilité de contenir l’augmentation de la consommation alimentaire moyenne est déterminante à deux égards dans le scénario Agrimonde 1 : 1) l’équilibre mondial emplois – ressources alimentaires en dépend beaucoup ; 2) sa durabilité sur le plan de la santé également, si la progression de l’obésité qui accompagne aujourd’hui la transition nutritionnelle dans les pays en développement s’accentue encore. Dans tous les cas, contenir la croissance de la demande alimentaire, voire la réduire de 25% en OCDE-1990, renvoie aux politiques nutritionnelles et à leur efficacité, aujourd’hui très controversée, mais aussi à la réduction des pertes à la consommation au travers d’un moindre gaspillage et d’une meilleure valorisation des déchets.
Au niveau global, le principal défi du scénario Agrimonde 1 est celui des régulations et modes de gouvernances interrégionales qui permettraient de le faire émerger. D’une part, les échanges interrégionaux requis dans Agrimonde 1 pour le seul approvisionnement des régions déficitaires par les régions excédentaires sont massifs et même supérieurs à ceux d’Agrimonde GO (cf. figure 5). Ces possibilités d’échanges reposent sur des régulations qui doivent éviter des distorsions de prix défavorables au développement de l’agriculture tout en permettant de révéler les coûts environnementaux des activités agricoles. D’autre part, l’harmonisation des politiques de gestion des ressources naturelles au niveau mondial, et l’articulation des initiatives régionales et globales apparaissent comme des dimensions importantes du scénario Agrimonde 1. Il appelle aussi des régulations mondiales pour lutter contre le changement climatique et pour assurer la sécurité alimentaire qui sera menacée en Afrique subsaharienne, en Asie et en Afrique du Nord - Moyen Orient au travers de l’aide au développement et de dispositifs de sécurisation des approvisionnements.
Figure 5 : Somme des déficits régionaux en 2003 et en 2050 dans les scénarios Agrimonde
Note : les déficits régionaux donnent une approximation des échanges minimums nécessaires pour équilibrer le bilan Ressource – Emploi mondial.
Source : B. Dorin & T. Le Cotty, à partir de données FAOSTAT et d’hypothèses Agrimonde (Inra-Cirad, 2009) et MEA
Les questionnements issus de la confrontation des scénarios Agrimonde 1 et Agrimonde GO, ainsi que la réflexion qui a suivi l’identification des six défis majeurs d’Agrimonde 1 permettent de présenter deux images contrastées du monde en 2050, présentées dans le tableau 2. Pour Agrimonde GO, le récit qui est fait de Global Orchestration dans le MEA a été repris.
Nourrir la planète en privilégiant la croissance économique mondiale |
Nourrir la planète en préservant les écosystèmes | |
Accélération de l’exode rural, Migrations Sud - Nord | Stabilisation de l’exode rural, Régime ‘normal’ de migration (ONU) | |
Libéralisation poussée et coopération internationale forte pour améliorer le bien-être social, protéger les biens et services publics | UNOFS (1) : réduction des distorsions et de la volatilité des prix, exceptions temporaires, protection de l’environnement | |
Poursuite de la trajectoire technologique actuelle, avec d’importants progrès technologiques | Intensification écologique : avancée et diffusion des savoirs spécifiques et génériques, mode interactif pour les capitaliser et les mutualiser | |
Hausse rapide de la demande mais amélioration de l’efficacité énergétique et développement des agrocarburants | Inflexion de la demande Renouvellement de l’offre : énergies renouvelables, pile à combustible… Production décentralisée en partie sur les exploitations agricoles | |
Mais biodiversité sauvage protègée par la limitation des surfaces cultivées | Amélioration de la biodiversité domestique Détérioration de la biodiversité sauvage | |
Croissance de la consommation calorique induite par la hausse des revenus et l’urbanisation. Progression de l’obésité | Convergence vers 3000 kcal/hab./j du fait de la diminution des pertes, maintien de la diversité.Politiques nutritionnelles efficaces | |
Hybridation du modèle agro-industriel | ||
Internationalisation, spécialisation et concentration des filières | Montée en puissance de la RSE (2) (alimentation durable, réduction de la malnutrition, lutte contre l’obésité) | |
(1) Organisation des Nations-Unies pour la sécurité alimentaire.
(2) Responsabilité Sociale des Entreprises.
Au terme de l’élaboration du scénario Agrimonde 1, quelques experts du groupe de travail Agrimonde se sont interrogés sur les principales ruptures du scénario pour amorcer une première mise en débat. Trois dimensions du scénario Agrimonde 1 ont particulièrement retenu leur attention : (i) la transformation des comportements alimentaires, (ii) la dimension sociale et spatiale de l’intensification écologique, et (iii) le rôle des échange dans le développement durable.
- Une réduction de la consommation calorique par habitant est-elle plausible ?
Lorsque les revenus et l’offre le permettent, l’évolution de la consommation alimentaire se caractérise par trois phases :
— 1) une phase de croissance quantitative de la consommation de tous les aliments jusqu’à un niveau de saturation calorique,
— 2) une phase d’évolution qualitative centrée sur la structure de la ration : la transition nutritionnelle,
— 3) une phase marquée par une stationnarité de la structure macro-nutritionnelle de la ration. Cette non-linéarité de la fonction qui lie la consommation aux revenus peut se trouver accentuée par d’autres facteurs comme le vieillissement de la population [7], sachant que les besoins en calories des personnes âgées sont légèrement moindres que ceux d’une population adulte ou en croissance. Dans Agrimonde 1, la transformation des comportements alimentaires pourrait également reposer sur d’autres ruptures comme la généralisation des comportements visant à réduire les pertes chez le consommateur final, ainsi que la mise en place de nouvelles politiques nutritionnelles. En effet, les citoyens comme les gouvernements sont de plus en plus sensibles à la progression des maladies non transmissibles liées à l’alimentation et à l’augmentation liée des dépenses de santé et autres coûts économiques et sociaux de ces maladies. En 2005, 1,3 milliards d’adultes dans le monde étaient en surpoids, dont 400 millions d’obèses [ www.who.int/fr/ ]. Si les tendances récentes se poursuivent, en 2030 ces chiffres pourraient atteindre 3 milliards et 1 milliard respectivement [Kelly et al., 2008].
- La diffusion des pratiques de l’intensification écologique : au-delà d’un simple enjeu technique, un choix d’organisation sociale et spatiale
Si l’intensification écologique ne peut bien sûr se passer d’innovations technologiques, elle inspire deux modèles de développement différents en termes d’organisation spatiale et sociale. D’un côté, pour les tenants d’une éco-agriculture telle que prônée par l’UICN [8], il faut intensifier l’espace agricole par une agriculture plus propre sans toucher aux espaces naturels ou semi-naturels dont les services éco systémiques contribuent à assurer une compensation vis-à-vis des grands équilibres planétaires. Ce modèle continuerait à favoriser les exploitations aux meilleures performances technico-économiques, même sous contraintes environnementales. D’une autre côté, pour les tenants de l’agro-écologie de l’Ecole californienne, il ne s’agit plus d’opposer espace productif et non productif, mais de concevoir une diversité et une complémentarité d’agricultures qui pourraient mailler les espaces urbains et pénétrer les lisières forestières. Elles réhabiliteraient la diversité et la variabilité du matériel génétique aussi bien que celle des sols. Au-delà des seuls indicateurs technico-économiques, les critères de performances de telles agricultures rassembleraient un ensemble d’indicateurs à l’échelle d’un territoire rendant compte de l’efficacité des pratiques en regard de la qualité de l’eau, de la biodiversité, de la fertilité des sols autant que des productions commercialisables…Le mode d’intensification écologique du scénario Agrimonde 1, plutôt inspirée de l’agro-écologie [9], repose sur la multifonctionnalité de l’agriculture (cf. encadré 2), telle qu’elle est relevée comme essentielle, tant par les recommandations de l’IAASTD [10] que par le rapport de la Banque Mondiale 2008 dédié aux questions agricoles. Une des premières tâches pour lui donner sens consisterait à produire des critères de performances susceptibles d’évaluer la réalisation de ces différentes fonctions, ne serait-ce qu’afin de pouvoir les mettre en politique et les administrer, si ce n’est pour les rémunérer. Pourtant, se pose la question des réelles capacités d’émergence de nouveaux choix technologiques (et donc sociaux, économiques, d’aménagement de l’espace, etc.). Il pourra en effet s’avérer difficile de sortir des choix passés tant ils sont intégrés, non seulement dans les solutions techniques actuelles (mécanisation, engrais, pesticides, génétique, etc.) mais aussi dans les systèmes cognitifs (savoirs et savoir-faire, représentations de la nature, des nuisances, des paysages, etc.) et de valeurs des principaux acteurs impliqués.
- Des échanges croissants et une agriculture durable sont-ils conciliables ?
Le scénario Agrimonde 1 a été construit sur une base volontariste quant aux besoins alimentaires dont la progression est limitée, voire inversée dans certaines régions, et quant à la protection de l’environnement (notamment dans le choix des hypothèses de surfaces et de rendements). Il implique une forte hausse des échanges interrégionaux du fait des besoins croissants en importation des régions déficitaires [11] . Toutefois, le scénario suppose la mise en place de régulations internationales très ambitieuses concernant l’environnement, tout particulièrement la lutte contre le réchauffement climatique. Ainsi, pour que les échanges soient réellement un facteur de développement durable, leur régulation doit être couplée à des régulations environnementales pour préserver les ressources naturelles et inciter les agriculteurs à adapter leurs techniques.
Tévécia Ronzon et Sandrine Paillard
Notes
(pour revenir au texte, cliquer sur le numéro de la note)[1] MEA : Millennium Ecosystem Assessment, expertise collective internationale sur les écosystèmes à l’initiative des Nations Unies et ayant mobilisé plus de 2 000 experts de 95 pays (2001-2005), voir Carpenter et al., 2005.
[2] L’étude prospective Agrimonde est le fruit du travail collectif d’une vingtaine d’experts d’institutions françaises et d’une équipe projet. Le rapport, [Chaumet et al., 2009], sera disponible aux éditions Quae début 2010.
[3] Biomasse : toute matière organique animale ou végétale utilisée à des fins d’alimentation humaine, animale ou de valorisation industrielle ou énergétique.
[4] Une disponibilité moyenne de 3000 kcal/hab./jour est jugée suffisante, à l’échelle d’une population, pour garantir à chacun une alimentation saine et suffisante. FAO, 2002, Agriculture mondiale : horizon 2015/2030 et FAO, 2003, Méthodologie de la FAO pour mesurer la prévalence de la sous-alimentation.
[5] Les conséquences du changement climatique sur le potentiel de terres cultivables ainsi que sur les possibilités de gains de rendement ont été traitées à dire d’experts dans Agrimonde, après revue de la littérature et principalement du rapport du GIEC 2007 (IPCC, 2007, Climate Change 2007 : Impacts, Adaptation and Vulnerability, Contribution of Working Group II to the Fourth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change, [M.L. Parry, O.F. Canziani, J.P. Palutikof, P.J. van der Linden and C.E. Hanson (eds.), Cambridge University Press, Cambridge, UK, 976 p).
[6] Un cluster peut se définir ici comme la concentration d’entreprises agricoles et alimentaires ainsi que leurs partenaires d’amont et d’aval sur un territoire donné, et entre lesquelles s’établissent des relations interentreprises fortes pour faciliter la diffusion des informations et innovations.
[7] Les personnes de plus de 60 ans représenteront 21% de la population mondiale en 2050 alors qu’elles en représentaient 10 % en 2000 [ONU, 2006].
[8] International Union for Conservation of Nature
[9] L’intensification écologique à l’œuvre dans Agrimonde 1 relève plutôt de l’agro-écologie que de l’éco-agriculture. En effet, dans ce scénario, les espaces naturels ne sont pas sanctuarisés et l’intensification passe plus par la diversification des productions par unité de surface et par cycle cultural de que par la recherche de rendements élevés.
[10] International Assessment of Agricultural Knowledge, Science and Technology for Development http://www.agassessment.org/docs/SR...
[11] Un des objectifs d’Agrimonde étant d’évaluer la capacité de chaque région à nourrir sa propre population en 2050, il n’a pas été imaginé de migrations de grande ampleur impulsées pour des raisons économiques, politiques ou climatiques. Certains pourront alors considérer que les besoins d’importation ont été sur-estimés dans les régions susceptibles de devenir régions de départ, et sous-estimés dans les région d’accueil présumées.
Bibliographie
- Banque mondiale, 2008, Rapport sur le développement dans le monde, L’Agriculture au service du développement – Abrégé, 27p.
- Carpenter S. R., Pingali P. L., Bennett E. M., Zurek M. B. (eds.), 2005, Ecosystems and Human Well-being : Scenarios, Volume 2, The Millennium Ecosystem Assessment, Washington DC.
- Chaumet J-M., Delpeuch F., Dorin B., Ghersi G., Hubert B., Le Cotty T., Paillard S., Petit M., Rastoin J-L., Ronzon T., Treyer S., 2009, Agrimonde – Agricultures et alimentations du monde en 2050 : scénarios et défis pour un développement durable, Rapport CIRAD-INRA, 194p.
- Griffon M., 2006, Nourrir la planète – Pour une révolution doublement verte, Odile Jacob.
- Kelly T., Yang W., Chen C-S., Reynolds K. and He J., 2008, « Global burden of obesity in 2005 and projections to 2030 », International Journal of Obesity, 32(9).
- ONU, 2006, World Population prospects : The 2006 Revision Population Database