Un exemple, en France, d’adaptation au développement durable des politiques et méthodes des administrations de l’État : le ministère de l’équipement

9 avril 2007

Résumé

En juin 1995, paraissait un Rapport du Conseil Général des Ponts et Chaussées (CGPC) sur “le développement durable et les métiers de l’équipement”.

Établi par un groupe de travail présidé par Jean-Paul Lacaze, Président de la V e section “Aménagement Environnement” du CGPC, ce rapport insistait sur l’évolution souhaitable des politiques de planification, de logement, de transport, afin de leur donner un caractère plus durable. Il liait la planification durable aux politiques de contrats de ville,aux politiques foncières,fiscales,à la gestion intercommunale et à la tarification des déplacements urbains. Il préconisait pour le logement une approche patrimoniale, ce qui impliquait un objectif de qualité et de bon entretien du parc de logements et une meilleure utilisation des logements existants. Il recommandait pour les transports une tarification globale au coût marginal social de développement, avec alignement progressif de la fiscalité gasoil sur la fiscalité essence et étude du péage de zone en milieu urbain. Il abordait la régulation de la demande de transport et de ses consommations énergétiques associées, en liant développements urbains et déplacements et en
préconisant des progrès dans la conception des véhicules.

Le rapport évoquait également les outils de mise en oeuvre, en insistant d’une part, sur la prise en compte de l’environnement au ministère de l’équipement au travers d’un plan “équipement – environnement” et d’autre part, sur l’évaluation et l’observation des effets des politiques, programmes, projets.

Onze années après la publication de ce rapport, il est intéressant de constater les évolutions qui ont eu lieu, et de s’interroger sur les perspectives d’amélioration possibles pour que le ministère de l’équipement prenne mieux en compte le développement durable dans son action.


Télécharger l’article en format pdf :

EDD35Douard


Mise en garde : Cette version imprimable fait référence à l’ancien plan de classement de l’encyclopédie.


La nouvelle classification de cet article est :

2.2- Stratégies européennes et nationales

Auteur·e

Douard Pascal

Pascal Douard est actuellement Haut-Fonctionnaire du Développement durable au Ministère des transports, de l’équipement, du tourisme et de la mer où il travaille au sein du secrétariat général.
Précédemment, il a été successivement en poste à la direction départementale de l’équipement du Gard (responsabilités dans le domaine de l’urbanisme), au ministère de la recherche (chargé de mission matériaux et transports), à l’agence de l’eau Seine Normandie, à la Banque Mondiale (projets d’eau et d’assainissement, de gestion des ordures ménagères, de logement) et au ministère de l’écologie et du développement durable (prévention des risques majeurs).


 Un ministère de plus en plus concerné par le développement durable

“Notre maison brûle et nous regardons ailleurs”. La formule choc du discours du Président de la République, à Johannesburg, a été le point de départ d’un engouement des médias pour le développement durable et d’une prise de conscience par nos concitoyens de son importance. L’adoption de la stratégie nationale du développement durable en 2003, les semaines annuelles du développement durable bien relayées par les entreprises de la grande consommation, le vote en 2005 de la Charte de l’environnement et de son article 6 plaçant le développement durable au cœur des politiques publiques, ont entretenu la flamme.

Au sein du ministère, les références à la durabilité des actions et des politiques se sont faites plus nombreuses. La revue interne “Équipement magazine” y consacre un numéro spécial en 2004. Un comité des directeurs pour le développement durable se réunit également cette année-là. En 2005, profitant de sa réorganisation, la direction générale de la mer et des transports crée une mission développement durable, stratégie, recherche et études générales. Lorsque le nouveau directeur général de l’urbanisme, de l’habitat et de la construction réunit sa direction début 2006, le développement durable est mentionné comme l’un des trois axes forts de son action. Quand le ministre intervient à cette époque devant la mission de l’assemblée nationale sur l’effet de serre, il déclare que son ministère se préoccupe fortement du développement durable et commence à l’intégrer pleinement dans ses actions.

L’évolution de la notion même de développement durable, qui s’affranchit peu à peu d’une image trop exclusivement environnementale y contribue certainement. Il est plus facile pour le ministère de se situer au croisement des préoccupations économiques, environnementales, sociétales et de long terme que d’adopter une référence uniquement environnementale. L’ancrage “sociétal” du ministère est particulièrement développé : le logement, les transports, voire le tourisme constituent des éléments importants de notre quotidien, à tel point que le ministère a pu être parfois qualifié de ministère du quotidien. On pourrait cependant le qualifier aussi de ministère du long terme, tant il est vrai que les logements ou les infrastructures sont conçues pour durer au moins cinquante ans et, si possible, un siècle.

Aujourd’hui, la prise de conscience et la sensibilisation se sont faites pour l’essentiel. Les agents de l’équipement perçoivent qu’ils ont un rôle actif à jouer pour faire en sorte que le développement soit durable. Encore faut-il pouvoir orienter cette action et lui donner des repères.

 Deux thèmes à privilégier

Deux thèmes transversaux, communs à toutes les politiques du ministère, apparaissent comme pouvant guider l’action du ministère de l’équipement vers le développement durable : il s’agit d’une part de la maîtrise de l’énergie et d’autre part de l’aménagement durable des territoires.

Le ministère de l’équipement n’a pas en charge la politique énergétique nationale, mais les bâtiments et les transports correspondent, comme l’illustrent les graphiques ci-dessous, à la moitié de la consommation d’énergie et des émissions de Gaz à Effet de Serre (GES), si l’on ventile les gaz à effet de serre résultant de la production d’énergie en fonction des utilisations finales. Les transports sont de plus extrêmement dépendants à l’heure actuelle du pétrole.

Les actions de maîtrise de la dépense énergétique et de son origine vont bien dans le sens du développement durable, ayant des bénéfices à la fois économiques, environnementaux et même sociétaux, un réchauffement climatique significatif se traduisant vraisemblablement par un exode important de populations.

Les actions à poursuivre sont aujourd’hui bien identifiées : améliorations notoires des caractéristiques thermiques des bâtiments, et principalement des bâtiments existants, diminution de la consommation énergétique des véhicules, développement des biocarburants, organisation des transports, tarifications et fiscalités reflétant les coûts externes induits par l’utilisation des énergies et la rareté des ressources.

Quant à l’aménagement durable des territoires, il peut se définir en paraphrasant la célèbre définition de Mme Bruntland : “un aménagement qui satisfasse les besoins de la génération présente sans obérer la capacité des générations futures à satisfaire les leurs”. L’aménagement durable du territoire suppose une vision prospective pour disposer dans l’espace les hommes et leurs activités, en mobilisant le développement économique, l’habitat, les transports et les communications.
Les politiques foncières et patrimoniales identifiées, il y a douze ans dans le rapport Lacaze, pour progresser vers l’aménagement durable restent d’actualité. À ces pistes sont venues s’ajouter la prise en compte des risques, la bonne articulation entre l’urbanisme et les déplacements, l’efficacité économique et énergétique globale des options d’aménagement retenues.
Si les voies de progrès sont identifiées, leur mise en œuvre ne s’avère pas toujours aisée. Mais le développement durable, c’est à la fois un ensemble de thèmes et une démarche. La démarche peut parfois rendre la mise en œuvre des objectifs identifiés un peu plus aisée.

 La démarche est importante

Un récent document préparé par la délégation interministérielle du développement durable dans un cadre effectivement interministériel identifie cinq caractéristiques d’une démarche de développement durable : la participation des acteurs, l’organisation du pilotage, la transversalité de la démarche, l’évaluation et enfin une stratégie d’amélioration continue.

Conçus pour qualifier les démarches locales de développement durable, ces critères sont également bien adaptés à la mise en œuvre, au sein du ministère, de politiques et de projets durables.

La participation des acteurs ou plus exactement des parties prenantes (les stakehoders anglo-saxons) ne s’improvise pas. Elle requiert méthode, disponibilité, et qualité d’écoute. Elle peut remettre en cause des projets ou des programmes, et donc être dérangeante. On en attend une amélioration des choix, une plus grande acceptation des changements, une mise en perspective des syndromes de refus type NIMBY (“not in my backyard”).

Le ministère a su progresser ces dernieres années dans sa pratique des débats publics. Les nouvelles technologies de l’information et de la communication constituent par ailleurs un formidable outil de dialogue pour développer la participation.
La participation des parties prenantes, c’est aussi l’adhésion des professionnels pour mettre en œuvre une politique. L’amélioration des caractéristiques thermiques des bâtiments ou de leur résistance antisismique réussira en grande partie grâce aux professionnels du bâtiment.

Elle suppose enfin une sensibilisation des consommateurs et usagers, d’où l’importance des étiquetages et autres labels. La consommation d’énergie dans le bâtiment existant diminuera le jour où les consommateurs achèteront des vitres et des chaudières de bonnes caractéristiques ; la sécurité routière progresse grâce aux modifications de comportement des conducteurs ; les consommations énergétiques des véhicules sont conditionnées pour près d’un tiers par le type de voiture acheté ou proposé.

L’organisation du pilotage, c’est au départ une maîtrise d’ouvrage forte, confortée par une maîtrise d’œuvre compétente, voire disent certains, par une maîtrise d’usage. Deux évolutions sont à noter de ce point de vue dans la pratique des métiers de l’équipement, qui vont dans le sens souhaité : d’une part, les tâches d’ingénierie évoluent vers des tâches d’assistance à maîtrise d’ouvrage ; d’autre part, la récente réorganisation de la direction générale des routes a distingué très clairement des services de maîtrise d’ouvrage hébergés dans les directions régionales de l’équipement, et des tâches de maîtrise d’ ?uvre se situant dans les directions interdépartementales des routes.

Le porté à connaissance participe également à ce pilotage. Il permet d’indiquer à un maître d’ouvrage des objectifs qui sont généralement ceux d’une collectivité territorialement plus importante. Il évolue vers un document qui, au-delà d’un noyau ayant une valeur juridique codifiée, mentionne une vision et des objectifs. Son principe est valable à toutes les échelles.

Le rapprochement de l’urbanisme et du transport illustre de façon exemplaire l’intérêt de la transversalité. La Direction régionale de l’équipement d’Ile-de-France avait, il y a quelques années, proposé aux banques un formulaire de calcul de prêt récapitulant à la fois les dépenses de transport et les annuités de remboursement d’emprunts : il est dommage qu’il n’ait pas connu un plus grand succès. Les urbanistes prennent aujourd’hui mieux en compte la nécessité de penser l’urbanisme en fonction des possibilités de transport, de rapprocher activités non gênantes et habitat, de valoriser les espaces non soumis aux nuisances immédiates de bruit et de pollution à proximité des axes de transport. D’autres rapprochements sont également intéressants : une approche globale en termes de sécurité amènerait sans doute à utiliser différemment l’argent qui va être investi dans l’amélioration des ascenseurs (repenser globalement la réhabilitation des immeubles) et la lutte contre le plomb dans l’eau (politique plus large de santé publique).
L’évaluation environnementale se développe avec l’adoption de la directive plans et programmes qui oblige à évaluer les programmes de projets et non pas simplement les projets eux-mêmes. De même, l’évaluation économique des projets d’infrastructure a donné lieu à deux réactualisations récentes de la circulaire de base qui les organise, la seconde pour tenir compte des nouveaux taux d’actualisation présentés par le plan. Enfin, au niveau des projets, le CERTU (Centre d’études sur les réseaux, les transports, l’urbanisme et les constructions publiques) a développé un outil universel, la fameuse grille RST/01 [1] devenue cette année RST/02 qui commence à être déclinée dans plusieurs utilisations plus spécifiques.

En dépit de ces progrès, l’évaluation reste perfectible. Si l’aspect environnemental est bien pris en compte, la construction et l’urbanisme échappent largement, contrairement aux infrastructures de transports, à toute évaluation économique. L’aspect sociétal, notamment la satisfaction des besoins de la société, la faisabilité et l’efficacité des solutions proposées ou encore leur équité sont peu étudiées.

En dépit de nombreuses circulaires interministérielles, peu de textes réglementaires ou législatifs issus de ce ministère, comme des autres ministères, reposent sur une sérieuse évaluation de leurs conséquences.

L’amélioration continue est la dernière des cinq composantes de la démarche d’aménagement durable. Amélioration signifie que l’on ne sacrifie pas un des trois piliers du développement durable au bénéfice des deux autres, faute de quoi le projet a peu de chances d’être durable. “Primum non nocere” comme disaient les médecins antiques. “Continue” renvoie à des notions de mise en œuvre, d’entretien, d’observation, d’évolutions éventuelles. Le ministère cherche à développer actuellement ces fonctions en réhabilitant les diagnostics territoriaux, en développant des fonctions d’économistes des transports ou d’économistes des territoires.

 Deux types d'action

Au travers des exemples précédents, se dégagent néanmoins deux types d’action qui supposent sans doute des modalités différentes de prise en compte du développement durable.

D’une part, le ministère agit directement ou quasi directement dans le secteur de l’aménagement ou de la réalisation d’infrastructures : il est chargé d’un projet d’ingénierie, ou il a en charge l’exploitation des routes nationales. Ce mode d’intervention correspond à plus de la moitié de ses effectifs, même après transfert d’une partie des routes nationales aux départements.

D’autre part, le ministère agit également en définissant des politiques générales alors que la responsabilité opérationnelle est confiée à d’autres entités : collectivités locales en charge de l’urbanisme, établissements publics, voire sociétés dans le cadre de concessions en charge des infrastructures, opérateurs de transports privés et publics.

Pour les interventions du premier type, les guides techniques, les références, les bonnes pratiques sont essentiels. Il est utile d’avoir des cahiers de clauses techniques types permettant d’intégrer des préoccupations environnementales (déchets et recyclage), économiques (coût global) et sociétales (sous-traitance, actions sur l’emploi) pour les marchés de fourniture ou de travaux publics. Il est utile d’avoir des check lists permettant de vérifier, à l’occasion de la réalisation d’un bâtiment, d’un lotissement ou d’une voirie, ou de l’entretien d’une infrastructure que l’on n’a pas oublié de se poser une question essentielle, dans une logique de développement durable. L’approche Haute Qualité Environnementale (HQE) donne une idée de ce type de démarche : ses quatorze cibles permettent d’identifier des niveaux d’exigence et l’attention à apporter à tel ou tel aspect. C’est l’esprit du travail demandé récemment au Certu, au Cemagref (Institut de Recherche pour l’Ingénérie de l’Agriculture et de l’Environnement) et à l’Ademe pour donner des outils aux services d’ingénierie des DDE et des DDAF fusionnés dans huit départements, leur apporter des références, leur éviter de devoir redécouvrir des méthodologies à chaque intervention. Ces apports permettront par exemple de faire progresser le concept de “voiries pour tous”, la concertation avec les utilisateurs, des questionnements simples mais systématiques sur les impacts des projets et leur devenir à long terme. Cette culture du développement durable est à intégrer dans les programmes de formation correspondants.

Pour les interventions du second type, les évaluations approfondies des impacts des options retenues sont essentielles. Par ailleurs, lorsque le ministère confie à une structure privée ou publique le soin de mettre en œuvre ses politiques, des exigences de développement durable et l’ obligation d’en rendre compte devraient être généralisées dans les contrats correspondants. Le développement durable est également à inclure dans les programmes de formation des managers et des administrateurs.

 Le développement durable, une nouvelle frontière pour les services de l'équipement

Le récent rapport du Conseil Général des Ponts et Chaussées sur la prise en compte du développement durable dans les services déconcentrés de l’équipement note que le développement durable est à la fois un impératif mais aussi une chance pour le ministère, en permettant à la compétence des services de l’équipement de s’exprimer. Pour cela, indique le rapport, il faut à la fois conquérir une légitimité, apporter plus de rigueur dans la traduction du développement durable en termes opérationnels, et développer une nouvelle culture professionnelle.

Une prise de conscience déjà ancienne

Déjà en 1993, au retour de la conférence de Rio, Jean Tutenuit, membre du Conseil Général des Ponts et Chaussées, écrit :

“La principale évolution à laquelle le développement durable invite se situe dans les esprits.

Aucun des principes sur lesquels il s’appuie n’est révolutionnaire : globalité des évaluations, décentralisation des responsabilités, participation des intéressés, souci du long terme, réalisme, invention et imagination sont des valeurs universellement reconnues.

Aucun renoncement intellectuel, ni aucun endoctrinement sectaire n’est nécessaire pour que les principes du développement durable soient adoptés, de façon générale, non comme un objectif social, politique ou idéologique, mais comme un langage commun, une sorte de méthode normalisée de motivation des choix et des décisions.

La généralisation dans les esprits, et, en conséquence, dans les actes, du souci du long terme et de la globalité du cadre de vie doit donc être diffuse et omniprésente.

Mais à l’opposé, cette apparente trivialité recèle le danger que l’adhésion aux principes du développement durable ne soit que superficielle, au niveau du discours. On a vu que, jusque dans les plus démonstratives des manifestations mondiales, un discours apparemment novateur pouvait dissimuler un attachement indélébile aux anciennes méthodes de protection stérile de la Nature ou de censure négative et tardive du développement.

La difficulté est grande de comprendre, à la fois, et la nouveauté fondamentale et l’évidente simplicité de ce nouveau mode de pensée”.

Cette évolution aura des conséquences sur les métiers de l’équipement : les références sont amenées à évoluer, les rapports avec les autres acteurs de l’aménagement et des transports à se développer sur une base d’échanges , le souci du long terme et l’approche patrimoniale sont amener à prendre de l’importance au travers de l’évaluation pour que la culture technique du ministère soit mise au service d’objectifs partagés et durables.

Notes

(pour revenir au texte, cliquer sur le numéro de la note)

[1Grille du “Réseau Scientifique et Technique” du ministère de l’équipement. Il s’agit d’un outil de questionnement et d’analyse pour prendre en compte le développement durable.

 Outils

Recommander cet article

Version imprimable de cet article Imprimer l'article

 Bibliographie

Pour en savoir plus

  • Jean Tutenuit, Mémoire sur le concept de développement durable et sur sa possible prise en considération au Conseil Général des Ponts et Chaussées,1993.
  • Dominique Bidou, Pierre Chassande, Jean-Pierre Piéchaud, Le développement durable au ministère de l’équipement. Bilan des années 1990 - Perspectives pour les années 2000.
  • Dominique Bidou, Dominique Schneider, Le développement durable : une nouvelle frontière pour les services déconcentrés de l’État, 2005.
 Lire dans l’encyclopédie
- Michel Rousselot, {[Politiques publiques de transports et développement durable->43]} (N°12).
 Documents joints
Envoyer un commentaire