Résumé
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Après avoir rappelé que les transports sont au cœur des stratégies de développement des grandes métropoles, l’auteur souligne que pour la métropole parisienne, plusieurs axes de travail s’imposent :
- tout d’abord remise à niveau en urgence de certains réseaux saturés ;
- désenclaver les zones urbaines sensibles ;
- desservir à moyenne distance des centres secondaires ;
- promouvoir les modes doux de déplacement
- organiser l’intermodalité ;
- concevoir et mettre en œuvre de grandes infrastructures préparant l’avenir qui ne doivent pas ignorer la résorption des inégalités.
Il s’agit donc de mettre en œuvre un ensemble complexe de programmes, ne se résumant pas à la création d’un « grand huit » des transports, dont le coût important exige la recherche de nouvelles ressources.
Pour leur mise en œuvre, un système de gouvernance est à rechercher non pas dans une structure artificielle et dérogatoire telle que le projet de « Société du Grand Paris » mais plutôt dans une organisation démocratique à deux niveaux : le niveau régional pour l’équilibre général et le pilotage des réseaux structurants ; le niveau des intercommunalités pour les projets de développement et la prise en compte de la dimension sociale.
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• 3.4- Politiques de transport
Auteur·e
Michel Rousselot est ingénieur général des Ponts et Chaussées. Il a dirigé l’établissement public d’aménagement de la Ville nouvelle de Marne la Vallée.Il a été directeur général de la RATP. Directeur régional d’Ile de France, il a contribué à l’élaboration du schéma directeur de l’Ile de France. Il a présidé une
société concessionnaire d’autoroutes. Il préside le groupe opérationnel N° 11 du PREDIT (Programme
interministériel de recherches sur les transports) chargé des recherches sur les politiques des transports.
Dans les nombreuses réflexions et études en cours sur l’avenir de la métropole parisienne, la question des transports est souvent évoquée sous forme de projets de grandes infrastructures nouvelles dont le financement apparaît problématique sinon improbable. Mais cette question des transports est beaucoup plus vaste et complexe que cela car les transports sont au cœur de l’activité économique mais aussi au cœur de la vie quotidienne des habitants. A plus long terme, ils conditionnent les formes et le dynamisme des développements futurs, à tous les niveaux, depuis les relations de voisinage jusqu’aux relations internationales, en passant par les pôles de compétitivité.
Pour progresser, il faut donc replacer les transports dans une vision globale et cohérente de la stratégie de développement de la métropole aux différentes échelles du territoire et les analyser selon les trois axes du développement durable : économique, social et environnemental.
Le programme de transports de la métropole fait partie intégrante de sa stratégie de développement dans la compétition entre grandes métropoles mondiales. Cette stratégie consiste essentiellement à créer et renforcer des pôles d’excellence (ou clusters) dans les activités les plus novatrices et à leur donner les meilleures conditions de fonctionnement et notamment d’accessibilité et de communication. Le schéma d’urbanisme doit donc comporter le choix des pôles d’excellence et leur organisation en réseaux structurés par de puissantes infrastructures de transports.
Ainsi se dessine le schéma des transports qui comprend d’abord le renforcement des grands axes existants. Il faut remédier en urgence à la saturation de plusieurs lignes de RER par des investissements en matériel roulant et par de nouveaux progrès dans la capacité des voies existantes. Dans le même esprit, il est important d’assurer enfin le bouclage des rocades routières A86 et A104 (couplé avec un système efficace de limitation et régulation du trafic), la congestion étant toujours le plus mauvais moyen de réguler les trafics routiers.
Ensuite se pose la question de la création de nouvelles liaisons ferroviaires en rocades où plusieurs propositions de tracés ont été faites, plus ou moins éloignées du centre historique avec des matériels différents, de plus ou moins grande capacité, en souterrain ou en aérien.
Au « plan de mobilisation pour 2020 » élaboré par l’Etat et la Région Ile de France comprenant notamment les « arcs express nord et sud » est venu s’ajouter le projet de deux grandes boucles de métro automatique proposé par le Secrétariat d’Etat chargé du développement de la région capitale. Il faut évidemment trouver une synthèse de ces démarches.
Le choix entre les nouvelles rocades ferroviaires proposées dépend du choix des pôles prioritaires sur lesquels pourront se développer des opérations d’intérêt national ou d’intérêt régional. Pour laisser les plus grandes chances aux développements futurs, il convient de privilégier les tracés plus éloignés et de plus grande capacité. Mais plus ils sont éloignés et plus leurs coûts sont élevés, ce qui obligera à en échelonner la réalisation dans le temps et donc à poser clairement la question des pôles prioritaires. La mission chargée d’étudier le financement du projet de transports du grand Paris (mission confiée à Gilles Carrez) a retenu un programme en deux phases, avant et après 2025, déjà très ambitieux au regard des possibilités de financement. La première phase comprend notamment :
- une première rocade bouclée en moyenne couronne ;
- le prolongement au nord de la ligne 14 et la desserte de Roissy ;
- le prolongement de la ligne 14 au sud à Orly ;
- un programme de reconfiguration et renforcement du réseau RER.
Elle constitue un bon compromis entre les exigences à court et moyen termes et l’ouverture de nouvelles perspectives stratégiques. Son coût, en investissement est estimé à 24,4 Md€.
La réalisation des nouvelles infrastructures en surface permettrait de substantielles économies et permettrait d’intégrer ces équipements dans des aménagements urbains de qualité : ceci devrait pouvoir se faire dans le cadre de processus décisionnels associant les acteurs locaux et la population, améliorant les projets dans des délais raisonnables.
La réalisation des grandes infrastructures du futur ne doit pas masquer l’urgence de la résorption des grandes inégalités existantes au détriment de zones urbaines sensibles. De ce point de vue, les plans de transports sont indissociables des plans de rénovation urbaine et, plus généralement des plans d’urbanisme établis au niveau des intercommunalités. Ces zones sensibles doivent être mises en relations efficaces avec les zones en développement capables d’offrir des emplois à une distance raisonnable.
De nombreux problèmes sont ainsi à résoudre au cas par cas, souvent par amélioration du fonctionnement de dessertes existantes et de leurs correspondances, parfois par création de dessertes nouvelles en surface. Ces dessertes nouvelles, notamment par tramways, font alors partie de projets d’urbanisme ambitieux.
D’autres questions d’inégalités se posent dans les implantations périurbaines lointaines. Il faut évidemment décourager de nouvelles implantations de ce type. Mais dans celles qui existent, les ménages seront touchés de plein fouet par l’augmentation du coût d’usage des voitures particulières alors qu’il n’existe pas d’autres moyens de déplacement. Il faudra imaginer des compensations dégressives et organiser les transitions nécessaires.
Il ne peut y avoir un développement durable de la métropole sans une considérable réduction du bruit et de la pollution engendrés par les transports ainsi que de leurs consommations d’énergies non renouvelables. Il exige donc un important transfert de la mobilité des personnes vers les transports collectifs, dont la plus grande partie peut être obtenue par une organisation rationnelle des échanges entre modes. D’où l’importance des parcs d’échanges en périphérie : leur nombre et leurs capacités doivent être considérablement augmentés. De même, les gares de correspondances et les zones qui les entourent ont un rôle considérable à jouer pour dynamiser les pôles de développement.
Mais ces transferts ne pourront atteindre l’ampleur nécessaire sans des mesures incitatives et coercitives. L’accès à Paris et aux plus importants centres secondaires pourrait être réservé aux véhicules non polluants et/ou soumis à un péage urbain (sauf pour certains véhicules prioritaires).
A plus petite échelle, les plans de transports locaux doivent comporter des programmes de promotion des modes de transports doux et notamment des réseaux de pistes cyclables avec une redistribution de l’usage des espaces publics au profit de ces réseaux.
On aboutit ainsi à un ensemble de programmes très important puisqu’il cumule :
- un programme urgent de remise à niveau des grands réseaux arrivant à saturation ;
- un programme de mise en accessibilité des réseaux ;
- un programme de grandes infrastructures structurantes préparant l’avenir, comprenant notamment le bouclage des rocades routières et le début d’une ou plusieurs grandes rocades ferroviaires ;
- un programme de désenclavement de zones urbaines sensibles ;
- des programmes de desserte à moyenne distance des centres secondaires ;
- des programmes de promotion des modes doux de déplacements ;
- la création de nouveaux parcs d’échanges et l’aménagement de gares de correspondance.
Ces programmes ont des coûts très importants, en investissements et en frais de fonctionnement. La mission Carrez les chiffre en première phase (de 2010 à 2025) à 24,4 Md€ pour les investissements et 43,2 Md€ pour les frais de fonctionnement supplémentaires. Ces coûts dépassent largement les ressources actuellement disponibles.
Il est donc indispensable de prévoir des ressources nouvelles telles que :
- une augmentation du versement transport ;
- un relèvement des tarifs des transports collectifs (qui devraient couvrir au moins la moitié des coûts de fonctionnement) ;
- la récupération d’une partie des plus-values foncières engendrées par les nouvelles infrastructures ;
- et surtout la taxation, en circulation et en stationnement, de l’usage des voitures particulières en zones centrales, sans oublier les nécessaires efforts de productivité des opérateurs des réseaux.
La mission Carrez envisage aussi
- un relèvement des ressources fiscales assises sur les bureaux, commerces et locaux de stockage ;
- la mise en place d’une taxe spéciale d’équipement additionnelle ;
- l’augmentation de la taxe de séjour, ainsi qu’un recours à l’emprunt de 9,3 Md€.
C’est dire combien la sortie de l’impasse financière exigera d’efforts de rigueur dans les prévisions et de courage dans les décisions financières, fiscales et tarifaires.
La politique des transports est au cœur de la stratégie de développement et d’aménagement durables de la métropole. Elle touche aussi bien les grandes perspectives de la compétition internationale que les détails de la vie quotidienne de chacun des citoyens. Son poids dans les budgets publics et privés est considérable et ne cesse d’augmenter.
Il en résulte que l’élaboration des programmes et de leurs financements, et les processus décisionnels correspondants posent des problèmes politiques redoutables qui ne pourront être résolus que par de nouvelles formes de gouvernance. Il ne s’agit pas, pour autant, de créer de nouvelles structures politiques. La stratégie d’ensemble et le dessin du réseau structurant doivent être décidés par la Région en concertation avec l’Etat dans le cadre de l’élaboration et l’approbation du schéma directeur. Les programmes de renforcement des réseaux existants et de création de liaisons nouvelles doivent être décidés au sein du Syndicat des transports de l’Ile de France dont les compétences devraient être étendues au réseau routier afin d’optimiser un système de mobilités vraiment intermodal.
Dans ce contexte, la création d’un établissement public à majorité d’Etat, la « Société du grand Paris », chargé de la réalisation d’une partie des nouvelles infrastructures, apparaît particulièrement inopportune. Au plan de la programmation et de la prise de décision politique, elle nuirait à la cohérence d’ensemble en affaiblissant la responsabilité du STIF et de la Région alors qu’il convient de la renforcer. Au plan de la réalisation, elle introduit la confusion des rôles respectifs du STIF, des collectivités publiques et des grands opérateurs SNCF et RATP. Cette confusion est telle que cette « Société du grand Paris » cumulerait des fonctions de planificateur stratégique, d’investisseur et d’opérateur de grandes infrastructures, d’opérateur foncier et d’aménageur urbain, toutes ces compétences étant reprises par dérogation aux acteurs légitimes actuels.
Les dessertes à moyenne distance des centres secondaires, couplées avec le désenclavement des zones sensibles, doivent s’intégrer aux programmes d’ « opérations d’intérêt régional » pour la promotion de ces centres, sous la responsabilité politique de syndicats mixtes réunissant les communes, et éventuellement les départements, concernés.
A tous ces niveaux, des procédures de concertation et de débats publics doivent permettre de faire partager, avec les populations concernées, les diagnostics, les stratégies, les programmes et les mesures tarifaires et fiscales indispensables pour les financements.
Plus largement, il est évident que le développement durable n’est possible qu’au prix de changements profonds de modes de vie, notamment ceux de l’habitat, des relations au travail, des habitudes commerciales, culturelles, etc. Ces changements ne sont possibles qu’avec l’adhésion des populations concernées, fruit d’une concertation réussie. D’où l’importance des méthodes de travail à retenir pour cette concertation : constitution de panels d’usagers, accord sur les enjeux, choix de scénarios du futur, description des transitions possibles, diagnostic des obstacles à franchir. C’est dans ce cadre seulement que l’on pourra promouvoir des mesures réglementaires coercitives (limitation de la circulation automobile, interdiction d’accès aux véhicules polluants, ..) et des incitations financières lourdes, (relèvement des tarifs, taxe carbone, ..). Toutes ces mesures devront être clairement affichées, mises en œuvre progressivement, et leurs effets devront être suivis et évalués.
En conclusion, il faut dénoncer une vision caricaturale de l’avenir des transports de Paris métropole qui se résumerait à la réalisation d’un « grand huit » et s’opposer à la création d’une structure artificielle et dérogatoire, la « Société du grand Paris », perturbant l’équilibre des compétences actuelles et fermant la porte au débat démocratique indispensable.
Il apparaît, au contraire, que les éléments techniques et financiers du dossier des transports de Paris métropole déjà disponibles sont suffisants pour engager au plus vite des débats publics à deux niveaux :
- un niveau régional, sur les réseaux structurants et l’équilibre général du programme y compris ses dimensions financières ;
- le niveau des intercommunalités, sur leurs projets d’aménagement et de développement, notamment dans leurs dimensions sociales.
L’avenir de la métropole doit être l’affaire de tous.
Michel Rousselot