Nutrition et Systèmes alimentaires.
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Résumé
Le rapport sur la nutrition et les systèmes alimentaires vise à analyser quelle est l’influence des systèmes alimentaires sur les modes d’alimentation et les résultats nutritionnels. Il met en avant des politiques et programmes efficaces qui pourraient façonner ces systèmes alimentaires, contribuer à améliorer la nutrition et promouvoir des modes de production, de distribution et de consommation alimentaires durables, qui protègent le droit à une alimentation adéquate pour tous. Il s’intègre dans les objectifs de développement durable (ODD), la mise en œuvre de la Déclaration de Rome sur la nutrition adoptée en 2014, la Décennie d’action des Nations Unies pour la nutrition. Il montre les multiples difficultés engendrées par la malnutrition, classifie les types de systèmes alimentaires rencontrés dans le monde et présente leurs évolutions possibles et les facteurs déterminants qui influent sur ces changements.
Auteur·e
Le CSA est rattaché au Conseil économique et social des Nations Unies à New York.
- Contexte général : Approche et cadre conceptuel
- Les multiples difficultés engendrées par la malnutrition
- Des régimes alimentaires en transition
- Facteurs déterminants de l’évolution des systèmes alimentaires
- Orientations positives pour les systèmes alimentaires, les régimes alimentaires et la nutrition
- Transformer nos connaissances en plans d’actions concrets
Cet article est adapté du résumé du rapport paru en septembre 2017 « Nutrition et systèmes alimentaires » du groupe d’experts de haut niveau sur la sécurité alimentaire et la nutrition (HLPE). Les graphiques sont extraits de la version intégrale.
Ce rapport « Nutrition et systèmes alimentaires »
a été préparé par le Panel d’experts de haut niveau du Comité de la sécurité alimentaire mondiale (CSA). [1]
HLPE. 2017.
« Nutrition and food systems ». A report by the High Level Panel of Experts on Food Security and Nutrition of the Committee on World Food Security, Rome
http://www.fao.org/3/a-i7846e.pdf
Il a été rédigé par une équipe pilotée par Jessica Fanzo (USA).
Le résumé et les recommandations [2] , dont rend compte cet article, sont accessibles en version française sur le site du FFAS, http://alimentation-sante.org/Event... ainsi que la version intégrale du rapport en anglais.
Le rapport analyse de quelle manière les systèmes alimentaires influencent les régimes alimentaires et la nutrition. Il propose trois apports majeurs aux cadres précédemment établis. Tout d’abord, il met en relief le rôle des régimes alimentaires, considérés comme un maillon essentiel entre les systèmes alimentaires et les résultats qui en découlent sur les plans de la santé et de la nutrition. Ensuite, il souligne l’importance déterminante de l’environnement alimentaire, s’agissant d’aider les consommateurs à faire des choix alimentaires qui soient à la fois bénéfiques pour la santé et propices au développement durable. Enfin, il prend en considération les incidences de l’agriculture et des systèmes alimentaires sur le développement durable dans ses trois dimensions (économique, sociale et environnementale).
Un système alimentaire est constitué de l’ensemble des éléments (environnement, individus, apports, processus, infrastructures, institutions, etc.) et des activités liés à la production, à la transformation, à la distribution, à la préparation et à la consommation des denrées alimentaires, ainsi que du résultat de ces activités, notamment sur les plans socioéconomique et environnemental. Le rapport prête une attention particulière aux résultats en matière de santé et de nutrition qui découlent des systèmes alimentaires. Il recense, au sein de ces systèmes, trois composantes qui constituent des points d’entrée ou de sortie de la nutrition : les chaînes d’approvisionnement alimentaire, les environnements alimentaires et le comportement des consommateurs.
- La chaîne d’approvisionnement alimentaire englobe toutes les activités qui vont de la production à la consommation, notamment la production, l’entreposage, la distribution, la transformation, le conditionnement, la vente au détail et la commercialisation. Les décisions prises par les multiples intervenants à chacun des stades de cette chaîne ont des conséquences sur les autres stades. Elles influent sur les types de denrées alimentaires disponibles et accessibles, ainsi que sur la façon dont ces denrées sont produites et consommées.
- L’environnement alimentaire désigne le contexte physique, économique, politique et socioculturel dans lequel les consommateurs entrent en contact avec le système alimentaire pour acquérir, préparer et consommer des aliments. L’environnement alimentaire se compose de plusieurs éléments : les « points d’entrée des aliments », c’est-à-dire les lieux où les aliments sont obtenus ; l’environnement bâti qui permet aux consommateurs d’accéder à ces lieux ; les déterminants personnels des choix alimentaires (entre autres, le revenu, l’éducation, les valeurs et les aptitudes) ; et les normes politiques, sociales et culturelles qui sous-tendent ces interactions. Les principaux aspects de l’environnement alimentaire qui influencent les choix alimentaires, l’acceptabilité des aliments et les régimes alimentaires sont les suivants : l’accès physique et économique aux aliments (proximité et caractère abordable) ; les activités de promotion, de publicité et d’information portant sur les produits alimentaires ; et, enfin, la qualité et la sécurité sanitaire des aliments.
- Le comportement des consommateurs reflète les choix que font les consommateurs, au niveau individuel ou au niveau du ménage, en ce qui concerne, d’une part, les aliments qu’ils souhaitent acquérir, stocker, préparer et consommer et, d’autre part, la répartition de ces aliments au sein du ménage (répartition entre les sexes et alimentation des enfants, par exemple). Le comportement des consommateurs est influencé par les préférences personnelles, lesquelles sont déterminées par des facteurs tels que le goût, la commodité et la culture. Il convient cependant de noter que l’environnement alimentaire dans lequel les consommateurs évoluent contribue également à façonner leur comportement. Une évolution collective des comportements des consommateurs pourrait ouvrir la voie à des systèmes alimentaires plus durables, propices au renforcement de la sécurité alimentaire et de la nutrition et à l’amélioration de la santé des populations.
Pour une meilleure lisibilité du schéma cliquer : Ici
Ces trois composantes des systèmes alimentaires influent sur la capacité des consommateurs à adopter des régimes alimentaires durables qui contribuent à protéger et à respecter la biodiversité et les écosystèmes et qui soient culturellement acceptables, accessibles, économiquement équitables et abordables, nutritionnellement satisfaisants, sans danger et sains, tout en permettant d’optimiser les ressources naturelles et humaines.
Un large éventail de systèmes et d’environnements alimentaires peuvent exister ou coexister aux niveaux local, national, régional et mondial. La typologie proposée dans le rapport est fondée sur une évaluation des systèmes alimentaires sous l’angle combiné des composantes de la chaîne d’approvisionnement et des composantes de l’environnement alimentaire. Elle définit trois grands types de systèmes alimentaires : les systèmes alimentaires traditionnels, les systèmes alimentaires mixtes et les systèmes alimentaires modernes.
- Dans les systèmes alimentaires traditionnels, les consommateurs s’alimentent principalement de produits saisonniers très peu transformés, récoltés ou produits à des fins d’autoconsommation ou vendus essentiellement sur les marchés informels. Bien souvent, les chaînes d’approvisionnement alimentaire sont courtes et locales, ce qui signifie que l’accès aux denrées périssables, par exemple aux aliments d’origine animale ou à certains fruits et légumes, peut être restreint ou saisonnier. Les environnements alimentaires se limitent généralement à l’autoproduction ainsi qu’aux marchés informels, quotidiens ou hebdomadaires, qui peuvent être éloignés des communautés.
- Dans les systèmes alimentaires mixtes, les producteurs d’aliments passent à la fois par les marchés formels et informels pour vendre leurs produits. Les aliments fortement transformés et emballés sont plus accessibles, tout autant du point de vue physique que du point de vue économique, mais les aliments riches en nutriments sont plus onéreux. Les opérations de promotion de l’image de marque et de publicité – sur les panneaux d’affichage et dans les publications papier – sont fréquentes au quotidien, et il arrive qu’on ait recours à l’étiquetage des produits sur certains marchés. Même lorsqu’il existe des recommandations nutritionnelles fondées sur le choix des aliments, la plupart des consommateurs ont rarement, voire jamais, accès à ces informations. Bien que des normes en matière de sécurité sanitaire et de qualité des aliments soient en vigueur, celles-ci ne sont pas toujours appliquées par les producteurs.
- Les systèmes alimentaires modernes se caractérisent par la disponibilité d’une plus grande variété d’aliments tout au long de l’année ainsi que par le recours à la transformation et au conditionnement pour prolonger la durée de conservation des aliments. Ces systèmes comprennent, d’un côté, des marchés structurés et faciles d’accès dans les régions à revenu élevé et, de l’autre, des « déserts alimentaires » [3] et des « bourbiers alimentaires » [4] dans les régions à faible revenu. Alors que les aliments de base coûtent moins cher que les aliments d’origine animale et les denrées périssables, le prix des produits de spécialité (biologiques ou locaux, par exemple) est plus élevé. D’importants efforts sont déployés pour favoriser l’accès des consommateurs à des informations détaillées sur les étiquettes des produits, dans les rayons des magasins, sur les menus et sur les aliments. Des mesures sont en place pour contrôler la sécurité sanitaire des aliments et faire appliquer les normes en la matière, et les infrastructures d’entreposage et de transport (y compris pour le maintien de la chaîne du froid) sont en général bien établies et fiables.
Une personne sur trois dans le monde souffre de malnutrition. Si la tendance actuelle se maintenait, cette proportion pourrait atteindre une personne sur deux d’ici à 2030, bien loin de l’objectif visant à éliminer toutes les formes de ce fléau à ce même horizon. Les manifestations de la malnutrition sont variées, allant de la dénutrition (insuffisance pondérale, retard de croissance et émaciation) aux carences en micronutriments, en passant par l’excès pondéral et l’obésité. Ces diverses formes de malnutrition touchent tous les pays, qu’ils soient développés ou en développement, et il arrive qu’elles coexistent à l’échelle du pays, de la communauté, du ménage ou de l’individu.
Dénutrition : à l’échelle mondiale, malgré les progrès réalisés au cours des dernières décennies, près de 800 millions de personnes continuent de souffrir de sous-alimentation, 155 millions d’enfants de moins de 5 ans présentent toujours un retard de croissance [5] et 52 millions sont atteints d’émaciation [6] . La dénutrition est responsable d’environ 45 pour cent des décès chez l’enfant de moins de 5 ans, principalement dans les pays à revenu faible et à revenu intermédiaire. La crise actuelle, avec quatre pays (Nigéria, Somalie, Soudan du Sud et Yémen) confrontés à la famine, risque par ailleurs d’enrayer certains des progrès accomplis jusqu’ici.
Les carences en micronutriments désignent un apport insuffisant en vitamines et minéraux. En matière de santé publique, les carences les plus préoccupantes sont celles en vitamine A, en fer et en iode. Principale cause des cas de cécité infantile qu’il est possible de prévenir, la carence en vitamine A augmente en outre le risque de maladie et de décès des suites d’une infection. L’anémie ferriprive constitue un problème de santé majeur pour un grand nombre de femmes dans le monde, qui peut entraîner un affaiblissement des facultés cognitives et une diminution de la productivité au travail. La carence en iode pendant la grossesse peut avoir des effets néfastes sur la santé mentale des enfants, voire mettre leur vie en danger. D’autres carences importantes concernent les vitamines D et B12, le folate, le calcium et le zinc.
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L’excès pondéral et l’obésité progressent à un rythme rapide et n’épargnent aucun pays. À l’échelle mondiale, l’obésité a plus que doublé depuis 1980. En 2014, on ne dénombrait pas moins de 1,9 milliard d’adultes en excès pondéral, parmi lesquels 600 millions étaient obèses. Pour cette même année, on estimait à 41 millions le nombre d’enfants de moins de 5 ans présentant une surcharge pondérale, dont un quart vivait en Afrique et près de la moitié en Asie. La détérioration de la situation est liée au développement des maladies non transmissibles liées au régime alimentaire, telles que le cancer, les maladies cardio-vasculaires et le diabète. Aujourd’hui, l’excès pondéral et l’obésité sont à l’origine d’un plus grand nombre de décès dans le monde que l’insuffisance pondérale.
La malnutrition sévit tout au long du cycle de la vie et ses effets peuvent même perdurer d’une génération à l’autre. Certains groupes se trouvent dans un état de plus grande vulnérabilité, notamment ceux qui ont des besoins particuliers en nutriments à des stades importants de leur vie (comme les jeunes enfants, les adolescentes, les femmes enceintes ou allaitantes, les personnes âgées et les personnes malades ou immunodéprimées) ou des groupes marginalisés dont l’alimentation est davantage tributaire de facteurs hors de leur contrôle (comme les pauvres en milieu urbain ou rural ou encore certains peuples autochtones). Lorsqu’elle survient pendant les 1 000 premiers jours de la vie, la malnutrition augmente le risque de morbidité et de mortalité ; elle freine également le développement mental et physique des enfants, qui ne seront pas en mesure de réaliser leur plein potentiel génétique et s’exposeront ainsi à de graves conséquences tout au long de leur vie.
À l’heure actuelle, les systèmes alimentaires traditionnels sont ceux où l’on observe la plus forte prévalence de la dénutrition – notamment du retard de croissance, de l’émaciation et de la mortalité des enfants de moins de 5 ans – ainsi que les taux les plus élevés de carences en micronutriments, mais ils se caractérisent par une plus faible prévalence de l’excès pondéral et de l’obésité chez l’adulte. Toutes les formes de malnutrition coexistent dans les systèmes alimentaires mixtes, ce qui pose un réel défi quand il s’agit de déterminer les priorités parmi les politiques et programmes destinés à lutter contre ces différents fléaux. Enfin, les systèmes alimentaires modernes sont associés à des taux inférieurs de dénutrition et de carences en micronutriments, mais à des niveaux plus élevés d’excès pondéral et d’obésité.
À l’échelle mondiale, les modes d’alimentation connaissent une évolution rapide depuis les dernières décennies. Sous l’effet de la mondialisation, de l’urbanisation et de la croissance des revenus, de nouveaux environnements alimentaires se font jour, propices à un élargissement des choix alimentaires et à une diversification des modes d’alimentation dont les effets peuvent être aussi bien positifs que négatifs.
Dans certains pays à faible revenu, l’alimentation d’un grand nombre de pauvres est essentiellement composée de céréales et de tubercules à teneur réduite en micronutriments, car il s’agit des seules denrées qui sont accessibles et abordables. Certains aliments traditionnels, tels que les légumineuses, les fruits de saison, les légumes feuilles et les aliments forestiers, permettent certes de combler en partie les déficits en nutriments, mais les autres fruits et légumes frais de même que les aliments d’origine animale demeurent souvent coûteux et difficiles d’accès. À mesure que les revenus des ménages augmentent, on observe généralement une hausse de la consommation d’aliments associés à des régimes alimentaires aussi bien bénéfiques que néfastes pour la santé. Les ménages à revenu élevé ont tendance à diminuer leur consommation de céréales de base au profit d’aliments d’origine animale, de fruits et de légumes. Cependant, ils vont en général être portés à consommer davantage d’aliments à forte teneur en sucre, en sel et en acides gras saturés et trans, notamment des aliments emballés et fortement transformés, des boissons sucrées ou encore de la viande rouge et des produits transformés à base de viande. À cela s’ajoute une tendance accrue à consommer des encas et à manger à l’extérieur du domicile puisque ces ménages cuisinent moins.
La transition nutritionnelle renvoie à l’évolution du mode de vie et des modes d’alimentation – attribuable à l’urbanisation, à la mondialisation et à la croissance économique –, ainsi qu’aux effets de cette évolution sur la nutrition et la santé. Plus les pays s’urbanisent et s’enrichissent, plus l’obésité a tendance à prendre de l’ampleur. Ces phénomènes mondiaux ne doivent toutefois pas masquer l’incroyable diversité des régimes alimentaires de par le monde, qui témoigne de la multiplicité des paysages et écosystèmes dans lesquels la production alimentaire s’opère, des conditions socioéconomiques, des cultures et des croyances. L’étude des systèmes alimentaires adaptés au contexte local et des connaissances traditionnelles associées, qui ont été accumulées au fil des millénaires, peut s’avérer riche en enseignements et mettre en lumière de nouvelles voies possibles vers des systèmes alimentaires plus durables.
On s’attend à un accroissement notable de la consommation d’aliments d’origine animale dans les pays en développement, avec des résultats inégaux en matière de nutrition : alors que les pays à faible revenu risquent de peiner à faire progresser la consommation dans une mesure suffisante pour faire reculer la prévalence des carences en micronutriments, les pays à revenu intermédiaire et ceux à revenu élevé pourraient se trouver confrontés à une consommation excessive et aux problèmes de santé qui en découlent. L’inversion de ces tendances demeure un enjeu majeur, particulièrement en raison des défis que pose l’approvisionnement en aliments d’origine animale en matière de développement durable, compte tenu de la complexité des incidences de ces aliments sur la santé, l’état nutritionnel et l’environnement. Dans un système alimentaire interconnecté et mondialisé, le maintien d’un juste équilibre entre protection de la santé humaine et préservation de la planète représente une gageure en termes de politique générale : certains modes d’alimentation, comme celui des populations méditerranéennes, fournissent des indications utiles quant aux solutions à notre portée.
La question de la sécurité sanitaire des aliments demeure un enjeu important. Les déficiences en matière de sécurité sanitaire dans la filière alimentaire combinées à la mauvaise qualité de l’eau créent un terrain favorable à l’apparition de la diarrhée et d’autres maladies transmissibles dans les taudis urbains et les zones rurales. Les enfants de moins de 5 ans sont les plus exposés puisqu’ils supportent 40 pour cent de la charge de morbidité imputable aux maladies d’origine alimentaire. Le manque d’infrastructure, notamment l’absence d’une chaîne du froid, dans nombre de pays à faible revenu peut rendre les denrées périssables insalubres et accroître le risque de transmission d’agents pathogènes tout au long de la chaîne d’approvisionnement alimentaire. Il faut absolument pouvoir s’appuyer sur des institutions fortes pour mobiliser les investissements nécessaires et pour élaborer et faire appliquer des réglementations et normes alimentaires
Le rapport recense cinq grandes catégories de facteurs à l’origine des changements qui s’opèrent au niveau des systèmes alimentaires et qui influent sur la nutrition et les régimes alimentaires :
- les facteurs biophysiques et environnementaux ;
- les facteurs liés à l’innovation, à la technologie et à l’infrastructure ;
- les facteurs politiques et économiques ;
- les facteurs socioculturels ;
- les facteurs démographiques.
Facteurs biophysiques et environnementaux. La production alimentaire est fortement tributaire de la diversité biologique ainsi que des écosystèmes, à savoir non seulement de l’agriculture, mais également des forêts, des écosystèmes aquatiques et des paysages en mosaïque. Les systèmes agricoles et l’offre alimentaire deviennent de plus en plus homogènes et dépendants d’un nombre restreint de cultures « mondiales », notamment des grandes cultures céréalières et oléagineuses. Parallèlement, on observe une adoption croissante de pratiques agricoles axées sur la monoculture intensive, qui peut certes améliorer les rendements à court terme, mais qui limite la diversité biologique indispensable à une alimentation de qualité. Le changement climatique et la variabilité du climat de même que l’augmentation de la fréquence et de l’intensité des inondations et des sécheresses auront des répercussions sur la santé, la productivité et la résilience des écosystèmes, des communautés et des ménages, à commencer par les plus vulnérables. Les systèmes alimentaires doivent s’adapter au changement climatique et peuvent par ailleurs jouer un rôle de premier plan dans son atténuation.
Facteurs liés à l’innovation, à la technologie et à l’infrastructure. L’innovation a été l’un des principaux moteurs de la transformation des systèmes alimentaires au cours des dernières décennies et sera d’une importance cruciale pour répondre aux besoins d’une population qui se développe rapidement dans un contexte marqué par le changement climatique et la raréfaction des ressources naturelles. La mise en place de systèmes alimentaires plus durables pour renforcer la sécurité alimentaire et la nutrition nécessitera, outre des avancées scientifiques et technologiques, un meilleur accès aux technologies existantes et une utilisation plus efficace de ces dernières en vue de mettre au point des solutions adaptées à des contextes différents à l’appui des écosystèmes locaux, en tenant compte des conditions socioéconomiques et socioculturelles locales. Il faut investir davantage dans la recherche et le développement visant les denrées alimentaires nutritives (comme les fruits, les légumes et les légumineuses ainsi que les cultures négligées et orphelines) plutôt que les principaux aliments de base. Il importe également de se pencher sur les lacunes des technologies et les risques qu’elles peuvent faire peser sur la sécurité alimentaire et la nutrition, la santé, les moyens d’existence et l’environnement. Enfin, des efforts doivent être déployés pour améliorer les infrastructures et y permettre un accès équitable, en particulier pour le transport des aliments.
Facteurs politiques et économiques. Une impulsion politique de même que des mécanismes de gouvernance inclusifs, depuis le niveau mondial jusqu’au niveau local, sont indispensables pour : stimuler l’investissement dans les systèmes alimentaires durables, élaborer et mettre en œuvre des politiques et des programmes permettant de consolider les systèmes alimentaires, d’améliorer la qualité des régimes alimentaires et de renforcer la sécurité alimentaire et la nutrition et venir à bout des déséquilibres dans les rapports de forces. Une forte volonté politique devra être de mise pour créer un climat propice à la reddition de comptes et susciter un engagement soutenu. D’autres facteurs politiques et économiques entrent en jeu, notamment : la mondialisation, les investissements étrangers et le commerce, les politiques alimentaires, notamment les recommandations nutritionnelles fondées sur le choix des aliments, les taxes et les subventions, les prix des produits alimentaires et leur volatilité, les régimes fonciers, les conflits et les crises humanitaires. Dans des situations de conflit ou durant des crises prolongées, il est primordial de mettre en place des interventions tenant compte de la nutrition, qui permettent d’associer l’action humanitaire à des stratégies à long terme visant à renforcer la résilience des systèmes alimentaires et à améliorer la sécurité alimentaire et la nutrition.
Facteurs socioculturels. Les choix alimentaires de chacun, bien qu’ils soient très personnels, sont aussi le reflet des cultures, des rituels et des traditions sociales. L’alimentation occupe une place importante dans la culture, et plus particulièrement chez les peuples autochtones : le type d’aliments que l’on consomme, la façon de les préparer et de les manger, l’endroit où l’on prend son repas et les personnes avec lesquelles on le partage, sont autant d’éléments qui sont porteurs de traditions et qui forgent l’identité culturelle. Les systèmes et les environnements alimentaires façonnent constamment les cultures et les traditions, et inversement. Les relations entre hommes et femmes et les normes en la matière comptent parmi les facteurs qui influent le plus sur les environnements et les régimes alimentaires. Les femmes peuvent avoir une influence sur l’alimentation du ménage et, étant donné qu’elles sont les principales dispensatrices de soins, elles jouent également un rôle dans l’état nutritionnel des enfants. Par conséquent, l’autonomisation des femmes et des filles, par l’intermédiaire de l’éducation, de l’information et de l’accès aux ressources et aux services, s’impose comme un enjeu primordial dans la perspective de la sécurité alimentaire et de la nutrition.
Facteurs démographiques. L’accroissement de la population et l’évolution de sa composition par âge, l’urbanisation, les migrations et les déplacements forcés ont entraîné une profonde mutation des systèmes alimentaires et des modes d’alimentation au cours des dernières décennies, et demeureront d’importants moteurs de changement à l’avenir. Le fait que l’expansion de la population se concentre dans les pays les plus pauvres compliquera encore davantage les efforts des gouvernements concernés en vue de lutter contre la faim et la malnutrition. L’urbanisation devrait faire peser un poids supplémentaire sur les systèmes alimentaires puisque, dans son sillage, les consommateurs sont de plus en plus désireux d’avoir à disposition des aliments plus variés. Progressivement, la demande urbaine dictera quels seront les aliments cultivés par les producteurs ruraux et de quelle manière ils seront transformés, distribués et commercialisés. L’insécurité alimentaire peut à la fois être une cause et une conséquence des migrations et des déplacements forcés. L’inquiétude ne cesse de croître au sujet du nombre d’enfants qui sont contraints de migrer en raison des conflits et qui, ce faisant, s’exposent à un risque accru de malnutrition du fait qu’ils n’ont pas accès à une alimentation saine ni aux services sociaux.
Un grand nombre de politiques et de programmes prometteurs destinés à s’attaquer aux problèmes multiples que pose la malnutrition font actuellement l’objet de projets pilotes, de tests et d’applications à plus grande échelle. Les systèmes alimentaires offrent de nombreuses possibilités d’intervention : tout au long de la chaîne d’approvisionnement, au sein des environnements alimentaires et au niveau du comportement des consommateurs. Il est également possible d’agir sur les différents facteurs qui influent sur les systèmes alimentaires, directement ou indirectement.
La chaîne d’approvisionnement alimentaire peut avoir une incidence aussi bien positive que négative sur les régimes alimentaires et la nutrition, car elle crée des points d’entrée et de sortie de la nutrition, ce qui a des effets sur la valeur nutritionnelle des aliments produits. Elle constitue pour le secteur agricole un moyen d’intervention en vue d’améliorer la nutrition, notamment par le biais de systèmes de production traditionnels centrés sur les aliments à teneur élevée en micronutriments. La chaîne d’approvisionnement influe également sur la transformation, la distribution et la commercialisation des aliments – autant d’activités qui peuvent faire varier la qualité nutritionnelle des denrées qui sont accessibles dans un environnement alimentaire donné. Les activités de sensibilisation aux questions de nutrition menées auprès des acteurs de la chaîne d’approvisionnement peuvent inciter ces derniers à optimiser la valeur nutritionnelle qui entre aux différents stades de la chaîne.
L’amélioration de l’environnement alimentaire donne aux consommateurs les moyens d’acheter et de consommer des aliments plus nutritifs et meilleurs pour la santé. Les environnements alimentaires des pays à revenu élevé – notamment dans les centres urbains – ont fait l’objet d’un nombre considérable d’études, mais on ne dispose pas d’une telle abondance de données pour les pays à revenu faible ou intermédiaire. Plusieurs facteurs limitent l’accès à des aliments sains et nutritifs, parmi lesquels les contraintes économiques, le manque de connaissances et, par voie de conséquence, la faiblesse de la demande. Malgré tout, des politiques et programmes axés sur l’environnement alimentaire ont été mis en œuvre dans le monde entier, notamment en vue d’atteindre les objectifs suivants : améliorer l’accès à des aliments sains et nutritifs dans les déserts alimentaires ; offrir une alimentation équilibrée dans les établissements publics ; et promouvoir une alimentation plus saine au moyen de réglementations et de normes, de taxes, de subventions, de politiques commerciales et de mesures en matière d’étiquetage et de publicité.
La réglementation, l’information et l’éducation peuvent orienter les consommateurs vers des choix alimentaires à la fois meilleurs pour la santé et plus judicieux du point de vue du développement durable. Les campagnes médiatiques, la communication pour le changement social et les changements de comportement, les campagnes de protection sociale et les recommandations nutritionnelles fondées sur le choix des aliments sont autant d’outils qui permettent de sensibiliser les consommateurs aux questions de nutrition et d’influencer leur comportement. D’après les données dont on dispose, il semblerait que l’information et l’éducation seules ne suffisent pas pour impulser un changement en profondeur des habitudes et que, pour être plus efficaces, les programmes de communication doivent mieux faire comprendre les mesures concrètes à prendre. Tous les efforts visant à promouvoir les aliments traditionnels et la cuisine de même qu’à donner aux consommateurs, en particulier aux femmes, les moyens de devenir des défenseurs de la nutrition et des régimes alimentaires sains contribuent à façonner les choix alimentaires.
Quel que soit leur type – traditionnel, mixte ou moderne –, les systèmes alimentaires sont confrontés à leurs propres défis, mais tous peuvent contribuer à tracer différentes voies menant à la durabilité et à des régimes alimentaires plus sains, qui sont et demeureront le gage d’une amélioration de la sécurité alimentaire et de la nutrition. Les systèmes alimentaires dits « modernes » ne sont pas une fin en soi. Leurs pendants traditionnels, et les systèmes de connaissances qui leur sont associés, recèlent une valeur importante et peuvent constituer une source d’inspiration pour les décideurs. Les trois types de systèmes alimentaires recensés doivent tous faire l’objet d’améliorations adaptées à leurs particularités, dans le but de favoriser l’accès à une alimentation plus équilibrée et de renforcer la sécurité alimentaire et la nutrition de l’ensemble des individus.
Dans le cas des systèmes alimentaires traditionnels, les politiques et programmes doivent viser en priorité à renforcer la disponibilité et l’accessibilité des aliments sains pour promouvoir une alimentation équilibrée. Dans cette optique, il pourrait s’avérer nécessaire d’adopter des stratégies destinées à protéger les agriculteurs, à commencer par les petits exploitants, qui sont souvent des acheteurs nets de produits alimentaires et qui sont particulièrement vulnérables aux chocs externes. L’investissement dans des infrastructures et des installations d’entreposage permettant un stockage plus sûr et un transport plus facile des denrées alimentaires, ainsi que l’intégration de technologies telles que l’enrichissement des aliments en éléments nutritifs et la transformation, pourraient également aider les populations à satisfaire leurs besoins nutritionnels. Les interventions devraient par ailleurs avoir pour objectif d’assurer l’accessibilité économique des régimes alimentaires sains, notamment en rendant les aliments riches en protéines et en micronutriments plus abordables.
Au sein des systèmes alimentaires mixtes, les politiques et programmes axés sur le renforcement de la sécurité sanitaire des aliments et sur l’amélioration des infrastructures jouent un rôle important, notamment dans le secteur informel. En outre, il serait possible d’optimiser ces systèmes alimentaires en mettant en place diverses mesures : incitations par les prix (par l’application de taxes et de subventions, par exemple), restrictions en matière de commercialisation, amélioration de l’étiquetage, promotions et incitations en faveur des aliments nutritifs, et politiques incitatives en matière de zonage pour favoriser l’accès aux détaillants qui vendent des aliments nutritifs dans les secteurs à faible revenu.
Dans les systèmes alimentaires modernes, les décideurs doivent s’attacher en priorité à favoriser la disponibilité et l’accessibilité de denrées alimentaires saines et variées au service d’une alimentation équilibrée, en particulier pour les personnes les plus vulnérables et marginalisées. Ils doivent s’efforcer de limiter la consommation d’aliments fortement transformés et pauvres en nutriments en ciblant à la fois les industries qui les produisent (entre autres, au moyen de restrictions quant à la commercialisation et à la composition des aliments ainsi que d’obligations d’étiquetage pour les acides gras et les sucres ajoutés) et les consommateurs (par exemple, grâce à l’application de taxes et de subventions ou à l’éducation en matière de nutrition). De telles politiques pourraient contribuer à atténuer en partie les effets néfastes sur la santé que l’on associe généralement aux systèmes alimentaires modernes.
La volonté d’agir est certes forte, mais il existe de nombreux obstacles à la conception, puis à la mise en œuvre de politiques et de programmes porteurs. Pour agir de manière efficace, il convient de reconnaître le droit à une alimentation adéquate et d’accorder la priorité à une approche fondée sur les droits pour les populations les plus vulnérables. Bien que les engagements pris récemment par les gouvernements, et les ODD eux-mêmes, mettent l’accent sur ce type d’approches, nombreux sont les pays qui ne reconnaissent pas le droit à une alimentation adéquate. À cet égard, les luttes d’influence ne sont pas sans poser problème, à l’heure où les sociétés agroalimentaires transnationales se servent de leur puissance économique pour entraver l’action politique visant à améliorer les systèmes et les régimes alimentaires. Les conflits d’intérêts compromettent également la réalisation des objectifs fixés, dès lors que les politiques ou pratiques adoptées par un individu ou une institution s’écartent des buts recherchés en matière de santé et de nutrition. Les exemples les plus marquants dans ce domaine concernent notamment la commercialisation des aliments et des boissons dans les environnements alimentaires insalubres, les campagnes de publicité visant à faire la promotion d’aliments à forte teneur en matières grasses, en sucre et en sel auprès des enfants ainsi que les pratiques discutables de financement de la recherche par l’industrie.
Les conditions idéales sont réunies lorsque les gouvernements font montre d’une réelle volonté politique d’agir et qu’ils se dotent de mécanismes de coordination, de reddition de comptes et d’intervention appropriés pour améliorer la nutrition et répondre aux besoins des populations les plus vulnérables et marginalisées. La nature multisectorielle de la malnutrition suppose un engagement et une coordination misant sur la collaboration aux niveaux individuel, institutionnel et systémique. La coordination s’avère nécessaire tant au plan vertical (entre les différents ministères, et de l’échelon national à l’échelon local) qu’au plan horizontal (entre les différents secteurs et les différentes parties prenantes). Par ailleurs, la mise en œuvre efficace des politiques exige une délimitation claire des rôles et responsabilités de toutes les parties prenantes ainsi qu’un cadre de responsabilisation, fondé sur la confiance, l’ouverture, la transparence et la vérification. L’efficacité des interventions dépendra en outre de l’instauration d’un mécanisme de surveillance et de suivi.
Pour que les actions entreprises portent leurs fruits, il faudra investir davantage au profit de la nutrition, non seulement sur le plan financier, mais aussi en termes de capacités humaines, et appuyer le développement des coalitions, des réseaux et des mouvements sociaux. L’amélioration de la sécurité alimentaire et de la nutrition nécessite des investissements considérables, mais elle pourrait procurer des avantages non négligeables à long terme en réduisant les coûts inhérents aux soins de santé et en stimulant la croissance économique dans les pays à revenu faible ou intermédiaire.
Les intervenants engagés dans la nutrition doivent saisir l’occasion qui se présente à eux de faire de la Décennie d’action des Nations Unies pour la nutrition une initiative porteuse, axée sur l’action et débouchant sur des résultats concrets. Pour y parvenir, la communauté mondiale doit reconnaître pleinement la nature interdépendante des ODD et s’attaquer de front à toutes les formes de la malnutrition. Ainsi, quiconque intervient dans les systèmes alimentaires et dans le domaine de la sécurité alimentaire se devra d’agir. Il convient de porter attention à tous les acteurs des chaînes d’approvisionnement alimentaire et des environnements alimentaires, quelle que soit leur envergure, et de les accompagner dans leur transition vers des systèmes agricoles et alimentaires tenant compte de la nutrition. Les solutions envisagées doivent être adaptées au gré de l’évolution des demandes, des préférences et des goûts des consommateurs.
Le rapport conduit à émettre une série de recommandations [7] qui veulent être une contribution à la réalisation progressive du droit à une alimentation et à une nutrition adéquates. Les systèmes alimentaires façonnent les régimes alimentaires des populations, exerçant par là même une influence sur leur santé, leur nutrition et leur bien-être général. Les modes de production, de distribution et de consommation des aliments ont également des répercussions sur l’intégrité de la planète et la stabilité des nations.
Notes
(pour revenir au texte, cliquer sur le numéro de la note)[1] Trois agences onusiennes, à Rome, s’occupent d’agriculture et d’alimentation : la FAO (agence des Nations Unies pour l’agriculture et l’alimentation, créée en 1945), le PAM (Programme alimentaire mondial, créé en 1963) et le FIDA (Fonds international de développement agricole, créé en 1977). Le CSA est hébergé par la FAO mais rattaché au Conseil économique et social des Nations Unies à New York.
[2] Ont été présentés par M. Patrick Caron, président du Comité du groupe d’experts de haut niveau (HLPE) rédacteurs du rapport, lors d’une conférence du Fonds français pour l’alimentation et la santé le 15/11/17.
[3] Zones géographiques où les habitants ont un accès restreint, voire inexistant aux aliments en raison de l’absence ou du nombre limité de « points d’entrées des aliments » dans un rayon raisonnable.
[4] Zones où l’on trouve une surabondance d’aliments mauvais pour la santé, avec un accès limité à des aliments sains.
[5] Cela signifie que ces enfants ont une taille insuffisante par rapport à leur âge, ce qui est un indicateur de dénutrition chronique.
[6] Cela signifie que ces enfants ont un poids insuffisant par rapport à leur âge, ce qui est un indicateur de dénutrition aiguë.
[7] A consulter dans la version entière sur le site CFS (Commitee on world Food Security) – HLPE-