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n°27 - janvier 2007
La dérive du climat, une crise écologique
Mots clés associés : climat et énergie | générations futures, prospective, temporalités | atmosphère | climat | crise écologique | risques naturels
Résumé

Un précédent article (“L’effet de serre, c’est la vie”, N°26) décrivait le mécanisme de l’effet de serre à l’équilibre. C’est fini, l’équilibre est rompu. Ce n’est pas la première fois que cela arrive, mais cette fois-ci c’est l’homme qui en est la cause au moins principale avant d’en être la victime.

Cet article prend en compte les éléments nouveaux figurant à ce sujet dans le “résumé pour les décideurs” du groupe I du GIEC (4ème rapport d’évaluation, noté ici GIEC4 rendu public le 2 février à Paris). Ces éléments sont surlignés comme pour la présente phrase.


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Mise en garde : Cette version imprimable fait référence à l’ancien plan de classement de l’encyclopédie.


La nouvelle classification de cet article est :

5.3- Changement climatique

Auteurs
Mousel Michel

a exercé ses activités professionnelles dans les domaines de l’administration économique et financière et dans celui l’environnement – en dirigeant notamment la Mission Interministérielle de l’Effet de Serre (1997–2002) .
Il a également assumé des responsabilités syndicales, politiques et associatives, a fondé l’association 4 D en 1993 et en a été longtemps le président.
Président du Comité français pour le ’Sommet mondial du développement durable’ de Johannesburg en 2002.

Texte

 REPERES HISTORIQUES

L’état d’équilibre du rayonnement solaire et de l’effet de serre décrit dans l’article 26 (partie 2.4.1.0) ne constitue pas une constante remontant aux origines de la terre (quatre milliards et demi d’années). Il résulte d’un ajustement sur très longue période des interactions entre les paramètres qui y concourent, avec des cycles récurrents tant de concentration du carbone que de températures. Ainsi l’ère quaternaire s’ouvre-t-elle avec des variations de température qui sont encore d’une amplitude de l’ordre de 10 °C, au moins au début.


Graphique 1 :

Evolution des températures de l’air et de la concentration en CO2 durant les 400 derniers millénaires

Source : GIEC


Des cycles de 100 000 ans suivis d’une stabilisation

Le graphique 1 fait apparaître sur 400 000 ans du quaternaire quatre grands cycles “de glaciation” accompagnés d’un cycle comparable du carbone ; la dernière d’entre elles, a connu à son maximum une température inférieure de 4 °C au niveau d’aujourd’hui.

Mais la nouvelle période “interglaciaire” qui lui a succédé (holocène), il y a donc plus de 10 000 ans, a constitué une période de stabilisation – longue à nos yeux, minuscule à l’échelle du temps géologique – qui aurait dû se poursuivre encore pendant au moins 20 000 ans, selon la théorie qui lie les cycles en question aux variations orbitales de la terre.

Il est à noter qu’à ces grands tournants de l’histoire du climat correspondent des étapes de celle de l’humanité : au début du quaternaire, l’apparition de l’homo erectus ; l’avant dernière période interglaciaire voit naître l’homo sapiens et, peut-être plus significatif encore, le début de notre période interglaciaire dite de Riss-Würm correspond à la sédentarisation des communautés humaines.

Plusieurs autres types de cycles solaires ont été identifiés :

Cette période stable commencée il y a 10 000 ans a pu cependant être perturbée par des phases beaucoup moins aiguës de refroidissement.

Ces épisodes sont, eux, imputables à des variations de l’activité solaire. Il est probable qu’on en retrouve certaines manifestations au cours du XXe siècle, comme par exemple la “pause” visible sur le graphique 1 entre 1945 et 1970 – ce qui ne remet pas globalement en cause la tendance sur l’ensemble du siècle.

Or cette tendance est à la hausse, elle paraît bien avoir une dynamique propre étrangère aux phénomènes cycliques répertoriés, et, lorsque l’on étudie ses causes, on ne perçoit pas de probabilité d’un retournement naturel qui permettrait de l’assimiler au début d’un nouveau type de cycle.

“Les informations paléoclimatiques confirment l’interprétation que le réchauffement du dernier demi-siècle est atypique sur au moins les 1 300 dernières années. La dernière fois que les régions polaires ont été significativement plus chaudes qu’actuellement pendant une longue durée (il y a environ 125 000 ans), la réduction du volume des glaces polaires a conduit à une élévation du niveau des mers de 4 à 6 mètres”(GIEC4).

 LE RECHAUFFEMENT EST LA.....

Le constat est double :

1) le réchauffement depuis le milieu du XIXe est un fait, de même que son accélération. Les deux courbes ci-contre permettent de le lire sur une durée de 1 000 ans d’abord, puis sur 150 ans (1856 – 2005).

Le GIEC4 réévalue à 0,74 °C le réchauffement moyen sur le dernier siècle (au lieu de 0,6 °C).
Il affirme qu’il est“sans équivoque”.


Le GIEC (Groupe d’Experts intergouvernemental sur l’Evolution du Climat – IPCC) est chargé depuis 1988 d’expertiser l’information scientifique, technique et socioéconomique qui concerne le changement climatique provoqué par l’homme. Il est co-piloté par l’Organisation Météorologique Mondiale et le Programme des Nations Unies pour l’Environnement. Ses trois premiers rapports (le troisième date de 2001) ont rythmé la prise de conscience internationale du problème.

Le quatrième Rapport du GIEC recadrera l’ensemble du sujet climat autour du développement durable à Valence du 12 au 16 novembre. Préalablement, après le groupe I (qui vient d’achever ses travaux à Paris, les groupes II (conséquences des changement climatique, analyse de la vulnérabilité des systèmes socio-économiques et adaptation) et III (solutions pour réduire les émissions de gaz à effet de serre) font de même respectivement à Bruxelles du 2 au 5 avril et à Bangkok du 30 avril au 3 mai.

Sur le fonctionnement du GIEC cf Michel PETIT, ouvrage cité. www.ipcc.ch

Graphique N° 2 :

Températures moyennes des mille dernières années

Source : GIEC


Graphique N° 3 :

Variation de la température, du niveau de la mer et de la couverture neigeuse de 1850 à nos jours.

Source : GIEC



2) les indications du thermomètre sont confirmées par d’autres observations :

Les autres signes du changement climatique

 Il n’y a pas que la température

“La température ne constitue qu’un indice des changements
climatiques, qui se manifestent aussi de manière plus sensible
par des variations de précipitation, de couverture de neige ou
de glace, voire (…) dans certaines formes de variabilité climatique.
Ces variables fluctuent de manière naturelle, à des échelles de
temps très variées : cycles saisonniers, fluctuations
interannuelles – la plus célèbre et la plus puissante de ces
fluctuations est El Niño - ou décennales. (…) Déterminer que le
climat change revient à montrer soit qu’une tendance continue
se superpose à ces fluctuations naturelles, soit que ces
fluctuations elles-mêmes changent de caractère” Hervé Le
Treut, “La base scientifique”in Science du changement climatique,
Acquis et controverses, Iddri, 2004.

Pour l’Europe et la France, l’ONERC [1] considère comme “les plus convaincantes” les observations suivantes :


Graphique N° 4 :

Dates de vendanges en Côtes du Rhône méridionales
(appellations Châteauneuf du Pape & Tavel).

Source : GIEC


 .... ET CE SONT LES HOMMES QUI L’ONT ACTIONNE

Dans l’article 2410 consacré à l’effet de serre, on a vu que la température sur terre était principalement dépendante de deux facteurs :l’intensité du rayonnement solaire, et la concentration de gaz à effet de serre (et la combinaison des deux). Il est donc nécessaire d’abord de démêler ces deux causes principales du forçage radiatif additionnel. Dans l’épisode qui nous préoccupe de nos jours, la première catégorie n’est pas hors de cause, notamment jusqu’au milieu du XXe, mais plutôt comme “bruit de fond”auquel se superpose le facteur principal,la variation de la composition gazeuse de l’atmosphère depuis le début du réchauffement. Ainsi, avec le graphique 5, le GIEC fait-il apparaître que si l’on compare les forçages radiatifs tels qu’ils sont calculés par les modèles de simulation et, séparément, les causes de forçage d’origine naturelle ou d’origine anthropique, c’est avec ces derniers que la corrélation se révèle la meilleure (alors que la pause du milieu du XXe siècle est bien liée à la baisse du forçage naturel).

GIEC4 est encore plus affirmatif : il estime que les changements
de rayonnement solaire depuis 1750 ont provoqué un
forçage radiatif qui n’est que la moitié de ce qui était encore
estimé par GIEC3. Et, dans son échelle propre des certitudes
scientifiques, l’affirmation que “l’essentiel de l’accroissement
observé de la température moyenne globale depuis le
milieu du XXe siècle est dû à l’augmentation observée des
gaz à effet de serre anthropiques”est montée d’un cran, passant
de “vraisemblablement”à “très vraisemblablement”.


Graphique N° 5 :

Températures à la surface simulées et moyennées annuellement et globalement.

a) Forçages naturels

b) Forçages d’origine humaine

c) Tous forçages confondus

Source : GIEC 3ème rapport d’évaluation


Cycle du carbone (voir article “L’effet de serre,c’est la vie 2.4.1.0”)

Source : BRGM et GIEC


Ce que l’on sait des évolutions de teneur en gaz à effet de serre de l’atmosphère confirme cette approche des causes.

Or le GIEC4 observe une forte accélération de la croissance de la composition de cette teneur depuis le début de cette décennie, ce qui le conduit d’ailleurs à élargir l’intervalle des probabilités à la fin du XXIe siècle avec un haut de la fourchette à 6,3 °C.

En se plaçant sur la trace du cycle du carbone tel qu’il était décrit dans l’article sur l’effet de serre sur le graphique rappelé par la vignette ci-dessus, on repère facilement le caractère anthropique de cette dérive.

Si l’on considère le CO2, on constate qu’il est le principal contributeur au dérèglement du cycle du carbone, sous ses
deux branches, celle de la photosynthèse et du stockage


Graphique N° 6 :

Les deux branches du carbone d’origine anthropique

Sur le graphique ci-dessus sont figurées les émissions nettes des
écosystèmes terrestres. Or les émissions brutes atteignaient en
revanche (dans les années 90) environ 120 GtC par an, c’est-à-dire
près de 20 fois celles des combustibles fossiles ! Mais l’absoption
annuelle de gaz carbonique par la photosynthèse est presque aussi
importante que les émissions brutes. (…) La distinction entre émissions
nettes et émissions brutes est ici fondamentale. C’est à l’ignorance
de cette différence qu’est attribuable la majorité des erreurs d’interprétation sur le rôle des biomasses dans les évolutions des
concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère.

Arthur Riedacker


végétal, et celle des émissions liées aux utilisations de carbone fossile. Alors que chacune des deux branches étaient équivalentes en 1900, elles ont cru depuis, mais pas dans les mêmes proportions :on peut imputer un quart de l’augmentation de CO2 à la première catégorie, le bilan des mouvements dans les deux sens s’est déséquilibré non pas tant par augmentation des émissions,que par insuffisance de captation
terrestre (changement dans l’affectation des terres, les
pratiques agricoles, déforestation nette, provenant pour
beaucoup depuis la seconde moitié du XXe siècle des déforestations
tropicales).

Et les trois autres quarts proviennent de la combustion de combustibles et carburants fossiles, et des cimenteries. Les océans pour leur part n’ont pas vu leur capacité d’absorption s’adapter en temps voulu à l’accumulation supplémentaire de CO2 dans l’atmosphère. Au total,

Si l’on considère les autres gaz à effet de serre figurant dans le tableau de l’article sur l’effet de serre, on constate des tendances allant globalement dans le même sens.

Une mention particulière doit être faite du cas des avions, qui ne répond pas exactement à cette classification. Comme tout véhicule motorisé utilisant les énergies fossiles, l’avion émet du C02 (et des oxydes d’azote dont les combinaisons avec d’autres gaz à effet de serre perturbent la température de la troposphère). Mais de plus, ils contribuent à une présence supplémentaire d’eau dans la stratosphère, où elle augmente le forçage radiatif avec une efficacité décuplée par la durée longue de son séjour dans cette couche.

 UN COUP PARTI ?

Résumons-nous : l’effet de serre, c’est un équilibre fragile, qui n’a été réalisé jusqu’à présent que dans une période infime au regard des temps géologiques, mais infinie pour l’histoire humaine à laquelle il a permis de se dérouler. Cet équilibre est aujourd’hui menacé par une tendance qui s’est amorcée lors de ce qu’on appelle la “révolution
industrielle” opérée par la fraction de l’humanité installée en Europe ou dans des espaces de peuplement d’origine européenne. Il se confirme que la concomitance des deux événements n’est pas fortuite, puisqu’à la différence de tous les autres changements antérieurs, c’est principalement la perturbation du cycle du carbone par l’intensité de l’activité humaine qui est à la source de ce déséquilibre.

A ce stade, nous avons déjà des représentations des conséquences
qui peuvent en résulter pour les écosystèmes, la biosphère et l’homme en son sein. Nous commençons aussi à mesurer le désordre et les souffrances qui peuvent en résulter – et des assureurs nous alertent même sur des coûts monétaires dans un langage soudain accessible à certains grands décideurs planétaires devenus plus sages dans l’éloignement de leurs “staffs”, comme Sir Nicholas Stern sur le rapport de qui l’Encyclopédie reviendra. Se pose alors une question essentielle pour apprécier l’ampleur des risques encourus : pour combien de temps en avons-nous avec cette mutation, et est-elle susceptible d’un retournement naturel ? La question comporte deux aspects :

 Si l’on décidait d’arrêter maintenant les activités sources
d’émissions additionnelles,… ces émissions seraient
ainsi interrompues en. . 1 siècle,

 La stabilisation de la concentration de CO2 prendrait. . 2 à 3 siècles

 La stabilisation de la température serait acquise au bout de . . plusieurs siècles

 L’arrêt de l’augmentation du niveau des mers attendrait. . 1 à plusieurs millénaires.

Selon GIEC4, “si tous les forçages radiatifs étaient maintenus constants au niveau de 2000, un réchauffement induit se produirait au cours des deux décennies suivantes à une vitesse d’environ 0,1 °C par décennie”. Faut-il en conclure que les jeux sont faits et qu’il ne reste plus qu’à se protéger, sauve qui peut ? Pour le savoir, on regardera d’abord à quoi ressemblent les scénarios qui pourraient conduire ce monde à être durable ou non.

Notes

[1Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique. L’ONERC publie une batterie d’indicateurs très parlants sur les manifestations du changement climatique en France – http://www.onerc.gouv.fr

[2ppb = parties par milliard

Bibliographie

 Sylvie Joussaume, Le Climat :d’hier à demain, CNRS, 2000.

 Jean Jouzel et Anne Debroise, Le climat : jeu dangereux.

 Michel Petit, Qu’est-ce que l’effet de serre, Vuibert, 2003.

 GIEC, Bilan 2007 des changements climatiques, les bases scientifiques physiques, Panel Intergouvernemental sur les Changements Climatiques

Lire également dans l'encyclopédie

 Michel Mousel, L’effet de serre, c’est la vie (N°26).

 Collectif de l’Encyclopédie du DD, Visite guidée de la gouvernance mondiale du climat( n°75)

 Pierre Radanne, La négociation sur le climat à l’ouverture de la Conférence de Poznan(n°76)

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