Pour télécharger cet article, il vous suffit de cliquer sur fichier/Enregistrer sous ou Ctrl+S
n°03 - mai 2006
Les compromis de la Convention sur la diversité biologique
Mots clés associés : gouvernance mondiale, mondialisation | biens communs, biens publics | nature, milieux, ressources, biodiversité | biodiversité | biosphère | conventions internationales
Résumé

L’érosion de la biodiversité, conjuguée à l’essor des activités liées aux biotechnologies depuis le début des années 80, a rendu indispensable la mise en place d’un système de régulation internationale des ressources biologiques. Dans cette optique, la Convention sur la diversité biologique (1992), objet de nombreux
compromis, s’est efforcée de concilier des intérêts parfois divergents ou contradictoires (États, industries, populations autochtones), cherchant à instituer un nouvel ordre mondial où la logique marchande serait mise au service de la conservation.


Télécharger l’article en format pdf :

EDD3Aubertin


Mise en garde : Cette version imprimable fait référence à l’ancien plan de classement de l’encyclopédie.


La nouvelle classification de cet article est :

2.1- Conférences internationales et forums sociaux
5.2- Milieux naturels et biodiversité

Auteurs
Aubertin Catherine

Catherine Aubertin est directrice de recherche à l’Institut de recherche pour le développement (IRD). Économiste,elle dirige le groupe “ Politiques de l’environnement ” de l’UR 168 et coordonne plusieurs groupes de recherche sur les questions du développement durable et de la biodiversité. Elle a coordonné l’ouvrage Représenter la nature ? ONG et biodiversité (Ed.de l’IRD, 2005) et publié, avec F-D.Vivien, Le développement durable, enjeux politiques économiques et sociaux (La Documentation française, Ed de l’IRD, 2006). Elle est membre du comité de rédaction de la revue Natures, Sciences, Sociétés.

Texte

L’érosion de la diversité biologique (la diversité des espèces, des gènes et des écosystèmes) est devenue, sous le nom de biodiversité, un problème d’environnement global. L’hypothèse d’une disparition au niveau mondial de 50% des espèces avant 2100, compromettant les potentiels d’évolution et d’adaptation du monde vivant, est aujourd’hui sérieusement envisagée. Mais la biodiversité ne se réduit pas aux listes d’espèces établies par les naturalistes. Dès les années 1980, les progrès de l’écologie et de la biologie moléculaire poussent à rompre radicalement avec une tradition de conservation focalisée sur le niveau spécifique. L’adoption de la notion de biodiversité implique de choisir l’écosystème comme niveau de gestion pertinent, avec la promotion de la conservation in situ par les populations locales et avec la valorisation des ressources génétiques. Cette association est déterminante pour la notion de biodiversité car elle implique de lourds engagements et d’importants impacts économiques et sociaux. Elle oblige en effet à aborder les questions du développement, du commerce, de l’équité. Elle introduit ainsi des thèmes nouveaux pour la conservation : les droits de propriété intellectuelle, les droits collectifs et indigènes, les ressources génétiques.

Au-delà de la nécessité de répondre à la menace d’une “sixième extinction de masse” et de multiplier les aires protégées, la décision de négocier une convention relative à la biodiversité témoigne donc surtout de conflits d’intérêts sur fond de grande incertitude scientifique.

Nécessité d’une réglementation internationale : la FAO estime que
15 millions d’hectares de forêts disparaissent chaque année.
© deforestation-amazonie.org

 Les intérêts économiques sur le vivant

La question centrale concerne l’accès aux ressources génétiques et la brevetabilité du vivant. À la fin des années 1980, de grands espoirs sont placés sur une percée rapide des biotechnologies,en escomptant même un bouleversement économique et social comparable à ce que les pays riches ont connu lors de la révolution industrielle. Avec les progrès du génie moléculaire, le vivant est devenu un enjeu économique et les ressources génétiques d’un pays sont perçues comme des gisements de biomolécules normalement soumis aux lois de l’offre et de la demande : d’un côté, les pays du Sud disposent d’une riche biodiversité en accès libre et,de l’autre,les pays du Nord possèdent des techniques et des produits industriels permettant de l’exploiter. Parallèlement,une grande effervescence législative marque la mondialisation des échanges qui s’accompagne d’une diffusion des normes et pratiques commerciales issues des pays industrialisés. Le contrôle de l’information et des savoirs est devenu un enjeu économique majeur. On assiste alors à un développement généralisé des droits de propriété intellectuelle,en particulier des brevets. Cette tendance gagne un secteur relativement protégé jusqu’alors, celui du vivant. Le séquençage d’un gène peut être considéré par l’Office américain des brevets comme une innovation,le gène pouvant alors être protégé par un droit de propriété intellectuelle. Les start-up fleurissent dans le secteur des biotechnologies et, dans l’euphorie de la “nouvelle économie”, les brevets qu’elles déposent apparaissent autant comme des promesses d’innovation que comme des signaux envoyés aux marchés financiers.

La représentation d’une molécule, encore inconnue et menacée au fond de la forêt tropicale, qui pourrait guérir toutes les maladies ou améliorer les plantes cultivées, est alors mise en avant pour justifier la conservation de la biodiversité dans son ensemble.Quelques cas très médiatisés, comme le contrat signé en 1991 entre la firme pharmaceutique Merck et l’Institut national de la biodiversité du Costa Rica portant sur la fourniture de quelques milliers d’échantillons biologiques en contrepartie de plus d’un million de dollars, achèvent de crédibiliser cette croyance en un nouvel Eldorado,en une ruée vers “l’or vert”,comme on désigne parfois les ressources génétiques. Les dénonciations de “biopiraterie” portées par les pays du Sud et les ONG protestant contre des dépôts de brevets sur des ressources biologiques et des savoir-faire locaux sans que les populations concernées ne soient informées et n’en tirent de bénéfices, se multiplient.

1.

Une représentation idyllique d’une notion floue.

 Des compromis délicats

Quand le Sommet de la Terre s’ouvre, le lien a déjà été fait entre innovation, protection juridique de l’innovation, accès aux ressources génétiques, érosion génétique et conservation. La Convention sur la diversité biologique devait dans ce contexte définir les termes d’un système de régulation internationale pour la protection de la biodiversité et mettre de l’ordre dans les multiples réglementations encadrant la protection de la nature. Il convenait surtout d’obtenir des compromis entre :

La Convention sur la diversité biologique a été conçue pour que tous les pays signataires partagent à la fois les efforts et les bénéfices de la conservation des biens et services fournis par la biosphère. Pour cela, le principal but de la CDB a été de produire, d’une part une uniformité de représentations de la biodiversité et d’autre part un intérêt commun de tous les pays pour sa protection. On comprend

ainsi que les pays du Sud aient obtenu en contrepartie des deux premiers objectifs - la conservation et l’usage durable

 un troisième objectif concernant l’accès et le partage équitable des avantages tirés de l’exploitation des ressources génétiques. On comprend aussi que certains aient pu présenter la CDB comme une tentative d’imposer un cadre légal pour la biopiraterie en procédant à une distribution de droits. C’est ainsi que la prise en considération du nécessaire rattrapage économique des pays du Sud et la reconnaissance des revendications des peuples autochtones ont pu être conciliées avec la marchandisation du vivant, portée par les progrès des biotechnologies et la généralisation des droits de propriété intellectuelle.

 La Convention sur la diversité biologique : une distribution de droits

La Convention sur la diversité biologique (CDB) signée sous l’égide des Nations unies au Sommet de la Terre de Rio de Janeiro en 1992,a marqué le temps fort du processus d’institutionnalisation de la biodiversité, entérinant le passage de la diversité biologique, objet scientifique, à la biodiversité, objet politique et économique. Elle compte à ce jour 188 Parties signataires.


© R. Gimeno, C.Milani, P. Turlan, P. Geffroy, R. Ullman

Pour conserver la diversité biologique, mais tirer avantage des ressources génétiques, la Convention distribue des droits entre les pays du Nord et du Sud, préalable à la création d’un marché des ressources génétiques. À cette fin, elle propose d’abandonner la notion de patrimoine mondial de l’humanité au profit de la reconnaissance de la souveraineté des États (art. 3), mais sans financement adéquat. Elle définit des droits d’usage et d’accès, avec la généralisation des droits de propriété intellectuelle sur le vivant qui deviennent des outils de conservation de la biodiversité : d’une part, les droits de propriété intellectuelle (brevets) des industries du vivant (pharmacie, cosmétique) doivent être reconnus (article 16.5),d’autre part, les droits (à définir) des populations locales et indigènes sur leurs ressources et leurs savoirs doivent être affirmés (article 8j).

En définissant ces droits, la CDB encourage une politique contractuelle d’accès à la biodiversité, plus précisément l’établissement de contrats bilatéraux de bioprospection. La bioprospection recouvre ici l’exploitation, l’extraction et le criblage ou le tri de la diversité biologique et des connaissances indigènes pour découvrir des ressources génétiques ou biochimiques ayant une valeur commerciale. Ces contrats de droit privé entre industriels et communautés sont ainsi supposés financer la conservation et rémunérer les communautés locales détentrices de ressources ou de savoirs potentiellement intéressants pour l’industrie du vivant. Rappelons que la CDB ne prévoit pas de financement de type obligatoire conséquent qui aurait permis aux États d’assurer la protection de la biodiversité. Les contrats devaient apporter une réponse aux réclamations des pays du Sud pour lesquels les actions de protection exigées par les conditionnalités l’aide internationale représentent des contraintes au développement économique et sont perçues comme répondant aux préoccupations des seuls pays industrialisés.


Les compromis de la CDB
Il fallait :

  • Permettre l’exploitation commerciale des ressources biologiques



  • Financer la conservation



  • Assurer des retombées financières aux “populations locales”



  • Article premier : objectifs

     Les objectifs de la présente Convention (...) sont la conservation de la diversité biologique, l’utilisation durable de ses éléments et le partage juste et équitable des avantages découlant de l’exploitation des ressources génétiques notamment grâce à un accès satisfaisant aux ressources génétiques et à un transfert approprié des techniques pertinentes,compte tenu de tous les droits sur ces ressources et aux techniques, et grâce à un financement adéquat.



  • Article 8 : conservation in situ

     8j : Sous réserve des dispositions de sa législation nationale, ( chaque Partie contractante...) respecte,préserve et maintient les connaissances, innovations et pratiques des communautés autochtones et locales qu’ incarnent des modes de vie traditionnels présentant
    un intérêt pour la conservation et l’utilisation durable de la diversité biologique…



  • Article 15 : Accès aux ressources génétiques

     2 : L’accès aux ressources génétiques est soumis au consentement préalable donné en connaissance de cause de la Partie contractante...

     7 : Chaque partie contractante prend les mesures législatives, administratives et de politique générale appropriées (...) pour assurer le partage juste et équitable des résultats de la recherche, de la mise en valeur ainsi que des avantages résultants de l’utilisation commerciale et autres des ressources génétiques avec la Partie contractante qui fournit ces ressources Ce partage s’effectue selon des modalités mutuellement convenues.

Avec l’article 8j, la diversité biologique est intrinsèquement liée à
la diversité culturelle.


 Un nouvel ordre international

La CDB a logiquement été présentée comme la première convention mettant en oeuvre le développement durable. Dans son article premier, avec la conservation de la biodiversité, l’utilisation durable de ses éléments et le partage juste et équitable des revenus tirés des avantages des ressources génétiques, elle associe en effet objectif environnemental, objectif économique et objectif social. Au nom de la biodiversité, la CDB ne vise rien de moins qu’un nouvel ordre international avec une redistribution des pouvoirs. Il s’agit en effet de :

L’initiative de la rédaction de la CDB émanant des pays industrialisés, sa conception ne pouvait être indépendante de la forme dominante de régulation des conflits des sociétés industrielles, c’est-à-dire de la régulation marchande, même si d’autres référents, comme la justice intergénérationnelle, s’imposaient également. Par ailleurs, la CDB se devait de postuler une uniformité des représentations et un intérêt commun de tous les pays pour la protection de la biodiversité. Cet énoncé performatif ne pouvait manquer d’être source de graves malentendus.

Bibliographie

Pour en savoir plus

 Aubertin C., Vivien F.-D. Les enjeux de la biodiversité,
Paris, Economica, 1998. (Col.Poche Environnement).

 Le Prestre Ph. The Long Road to a New Order., in Le
Prestre (ed.), 2002 : Governing Global Biodiversity, Ashgate, Aldershot : pp. 311-327.

Lire également dans l'encyclopédie

 Catherine Aubertin, la biopiraterie (N°7).

Sur Internet

Site Internet de la Convention sur la biodiversité : www.biodiv.org/convention

Toute reproduction ou citation devra mentionner 4D - l'encyclopédie du développement durable.
Les éditions des Récollets
c/o association 4D - 150, rue du Faubourg Saint-Martin - 75010 Paris
Tél. : 01 44 64 74 94 - dd.recollets@association4d.org
Directeur de la publication : Jean-Pierre Piéchaud