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n°228/229 - février 2016
Le REDESFITO - Réseau brésilien d’innovation en médicaments de la biodiversité -
Mots clés associés : innovation, sciences et techniques | risques, santé, précaution | agroécologie | biodiversité | Economie verte | modes de production et de consommation | organisation en réseau | santé | sciences citoyennes
Résumé

À l’heure où les pays s’engagent par des accords internationaux à prendre les moyens de maîtriser les changements climatiques ; tandis qu’il est attendu des politiques concernant les sciences, technologies et innovations, qu’elles soient véritablement le fer de lance du développement durable, nous présentons ici brièvement la contribution d’un réseau tourné vers l’innovation dans le domaine des médicaments issus de la biodiversité. Les innovations du Réseau RedesFito naissent dans le cadre d’Arrangements ÉcoProductifs Locaux (AEPL) situés dans les principaux biomes brésiliens, réunis en une chaîne de production, organisés en réseau pour discuter et mettre en pratique leurs projets situés dans la perspective agroécologique.

Portail du RedesFito : www.redesfito.far.fiocruz.br

Auteurs
Gilon Christiane

Docteure en sociologie. Socianalyste du Centre d’Analyse des Pratiques Professionnelles (CAPP). Spécialiste de la recherche-action et des réseaux d’innovation.
Enseignante-chercheuse Laboratoire EXPERICE- Éducation tout au long de la vie (ETLV), Département des Sciences de l’Éducation, Université de Paris 8 Vincennes à Saint Denis, France.


Glauco de Kruse Villas Bôas

Docteur en sciences de la santé publique. Coordinateur du Noyau de Gestion de la Biodiversité et Santé (le NGBS) basé à Farmanguinhos, Fundação Oswaldo Cruz (Fiocruz), Rio de Janeiro.
Ingénieur principal de la Fondation Oswaldo Cruz / Ministère de la Santé. Membre du Groupe de recherche sur les « politiques et la gestion du développement des Phytomédicaments » au sein du Conseil National de la Recherche Scientifique du Brésil (CNPq).

Texte

Dans le contexte complexe des crises économiques successives et devant l’aggravation de la crise climatique, considérant que l’innovation est la clé du développement, une question se pose selon nous : quel genre d’innovation pourrait induire les changements souhaités aujourd’hui, à l’aube du nouveau paradigme vert ? Quel type de sciences, technologies, innovations et quelle praxis sont nécessaires pour bâtir une économie durable dans ce nouveau paradigme ? En réponse à ces questions, voici la contribution du réseau de production de médicaments à base de plantes de la biodiversité brésilienne, le RedesFito. Mais avant de présenter ce réseau, il faut replacer sa démarche dans le cadre historique du développement durable. Quarante trois ans après la Conférence des Nations Unies de Stockholm, vingt trois ans après celle de Rio de 1992, c’est dans ce contexte que veulent se situer les auteurs de cette recherche-action.
Le document final de la seconde Conférence de Rio (Rio + 20) décrit une vision commune de l’avenir que nous voulons. Il vise à établir des lignes directrices pour les politiques dans un contexte du développement durable, à partir du droit international : la souveraineté nationale sur les ressources naturelles ; un environnement favorable entre gouvernement, institutions et société civile ; une croissance économique durable, encourageant l’innovation, réduisant la dépendance technologique des pays en développement, garantissant l’amélioration des conditions de vie ; la lutte contre les inégalités, la protection de la culture traditionnelle et des connaissances, le renforcement des capacités des groupes de personnes pauvres et vulnérables, l’inclusion sociale ; la promotion de modes de consommation et de production durables. Et en même temps, la perspective d’une économie verte apparaît dans le nouveau panorama dessiné par la globalisation. Depuis l’introduction de la notion de durabilité dans le débat international, les discussions sémantiques concernant l’utilisation des termes de développement, croissance et progrès révèlent une tension entre les différents groupes d’intérêt (Villas Bôas, 2013). Cette tension augmente à mesure que la connaissance - considérée comme un bien commun - et l’information, sont utilisées à des fins privées. Pour beaucoup, la croissance, et non le progrès ou l’évolution, est essentielle pour une économie mondiale. Mais pour d’autres, il serait possible de parvenir à un équilibre et à un bien-être global sans un mouvement permanent de croissance générateur de pollution continue (Daly, 1997). Les solutions technologiques aux problèmes environnementaux doivent résoudre cette équation face à des menaces climatiques désormais avérées, figurant dans le 4e rapport sur le changement climatique (GIEC, 2007). En 2012, après la Conférence des Nations Unies Rio + 20, et aujourd’hui, après la COP 21, la preuve de l’accélération du changement climatique impose la question du développement durable aux gouvernements, créant une énorme attente d’adoption de mesures concrètes dans les programmes des nations, en faveur de l’avenir que nous voulons.

À l’époque actuelle de changements vertigineux, l’élaboration des politiques de la science, de la technologie et de l’innovation, nécessite un élargissement de la vision de leur champ d’application, en particulier lorsque la biodiversité est en jeu et est considérée comme centrale… Le défi onusien de l’économie verte les met en réalité au défi de faire leur transition vers une économie basée sur le développement durable. Cette transition peut être analysée sous différents prismes de l’économie.

 Le premier est le caractère libéral (néoclassique) toujours hégémonique selon lequel un marché en parfait équilibre permettra de trouver les solutions.

 Le second, néoclassique mais sensible aux questions environnementales, repose sur un système de taxes pour compenser une externalité négative, la pollution. Mais, selon Ignacy Sachs (2012), une économie verte n’a de sens que si elle est axée sur le bien-être de la société dans son ensemble. L’auteur ne croit pas en la « main invisible » d’Adam Smith ; en réalité, le libre jeu des forces du marché est insensible aux problèmes sociaux. Face à l’urgence de changer les stratégies globales de développement, Sachs propose un nouveau contrat social entre les nations et au sein des nations, un dialogue entre planificateurs, entrepreneurs, travailleurs et société civile, fondé sur le respect de l’environnement, la viabilité économique, la sécurité alimentaire et énergétique, la coopération internationale.

 Un troisième prisme, à partir de l’économie évolutionniste (Nelson, Winter, 1982), s’oppose à la vision néoclassique et se fonde sur la théorie de la techno-économie (Dosi,1982). Ces auteurs reconnaissent un nouveau paradigme « techno-économique vert » ou « théorie de l’apprentissage vert », où l’industrie aurait le potentiel de substituer un rôle d’entrepreneur réalisant des éco-innovations au rôle de pollueur (Andersen, 2008, 2008b, 2010).

 Un quatrième prisme, également évolutif, vient de l’économie écologique reposant sur la vision entropique des ressources naturelles et l’inexorabilité de la finitude de la biosphère. Ici, croissance et développement sont différenciés. L’importance d’un nouveau type d’innovation (Georgescu-Reagan, 1976), un nouveau mode de production et de consommation sont les bases d’une rupture paradigmatique copernicienne Chesnais (2015).

 Histoire du réseau REDESFITO


C’est l’histoire d’un petit groupe de chercheurs brésiliens, le Noyau de Gestion de la Biodiversité et Santé (NGBS) créé en 2006 pour trouver à travers une approche pragmatique de R&D, les fondements conceptuels et les modes de fonctionnement d’une nouvelle façon d’innover dans la recherche pharmaceutique au Brésil. Les hypothèses stratégiques (économie verte, théories de l’apprentissage, économie écologique) retenues par le NGBS, s’opposent aux théories économiques néoclassiques, y compris à la proposition de l’économie verte de l’ONU, les considérant comme insuffisantes et inefficaces ou obsolètes, car elles ne comprennent pas la relation entre la politique, le développement, l’innovation, la technologie, l’information, la connaissance et l’environnement.

La situation initiale

Les lignes directrices proposées en 2012 à Rio + 20 pour formuler de nouvelles politiques dans le contexte du développement durable, affirmer la souveraineté nationale sur les ressources naturelles dans un cadre favorable entre gouvernement, institutions et société civile, la promotion de l’innovation et la réduction de la dépendance technologique des pays en développement, sont autant d’ambitions absolument compromises si la situation de l’industrie du médicament n’est pas radicalement modifiée. Un audit, mené par une firme spécialisée, a révélé que le marché pharmaceutique mondial en 2015 pèse environ 1,1 billion de dollars. Or, depuis le début du siècle dernier jusqu’à nos jours, le développement des médicaments obéit à la logique d’accumulation utilisant les innovations ayant un impact positif sur la santé pour faire du profit. Les pays qui possèdent une très grande biodiversité et les pays en développement, ont beaucoup de difficultés à réduire leur degré de dépendance technologique envers l’industrie pharmaceutique, et à ne pas se laisser guider par des programmes de R&D imposés par le modèle hégémonique. Dans le cas particulier du Brésil, avec une industrialisation tardive, marquée par la vente systématique des laboratoires nationaux à l’industrie transnationale dans les années 1950 et 1960, l’industrie pharmaceutique a été marginalisée, souffrant d’un écart technologique chronique. En dépit de son rang (la 6e place actuellement) dans la consommation mondiale du médicament (IMS Health), le Brésil est dépendant au niveau des intrants agricoles, matières premières et technologies nécessaires, parce que son industrie pharmaceutique a pris un retard considérable et s’est retrouvée dépourvue de politiques qui auraient pu favoriser sa croissance, notamment R&D. Les deux seules initiatives pertinentes avant 1990, ont été la création de la Centrale des médicaments (CEME) et de la Compagnie de Développement Technologique. La première visait à développer des médicaments d’origine végétale, la seconde à développer des matières premières pour l’industrie pharmaceutique nationale. Toutes deux ont été laminées par la vague néo-libérale qui a changé l’économie brésilienne dans les années quatre-vingt-dix.

L’innovation en médicaments de la biodiversité

Mais à partir des années 2000, un changement a été amorcé par les nouvelles politiques stimulant l’innovation dans l’industrie pharmaceutique brésilienne. Le cheminement du Redefito a commencé par l’élaboration du concept d’innovation dans les médicaments de la biodiversité pour essayer de tracer une nouvelle voie de développement. L’utilisation croissante de la connaissance de la biodiversité a accompagné l’histoire de la médecine, de la pharmacie et de l’industrie pharmaceutique jusqu’à nos jours. Les exemples historiques de médicaments tirés de la diversité des espèces sont nombreux. Citons l’utilisation de plantes supérieures telles que la morphine, un dérivé du pavot à opium (papaver somniferum), l’aspirine, un dérivé du saule (salix alba), la pénicilline dérivée du penicillium notatum ou les médicaments d’origine animale comme cet anti-hypertension développé à partir du venin de la vipère (bothrops de jararaca), etc. Selon la Convention sur la diversité biologique (CDB, 1992), les médicaments de la biodiversité sont ceux qui proviennent de l’ensemble des gènes, espèces et écosystèmes présents dans une région. Cette définition a été rendue possible par le développement de la microbiologie, l’écologie et la génétique, autant de disciplines qui ne se sont organisées qu’à partir de la fin du XIXe siècle, puis ont été consolidées tout au long du XXe siècle. Il faut souligner que cette définition de la biodiversité couvre, en particulier dans le cas des médicaments issus de plantes supérieures, la relation fondamentale entre gènes, espèces et écosystèmes. Dans le cas des plantes, les substances pharmacologiquement actives (ingrédients actifs) sont liées à notre métabolisme secondaire, qui est à son tour influencé par le microclimat dans lequel nous vivons, les facteurs nutritionnels, entre autres (écosystème). Autrement dit, le concept d’innovation dans les médicaments de la biodiversité, définit l’innovation comme un processus historique, social et dynamique (Villas Boas, 2013). La définition des médicaments de la biodiversité présentée ci-dessus, permet d’envisager autrement l’insertion des pays à très grande biodiversité, tels que le Brésil, dans le marché pharmaceutique mondial, puisque la plupart des nouvelles entités pharmacologiquement actives sont d’origine chimique ou biologique, issues de la biodiversité. Donc, le développement des médicaments peut être envisagé du point de vue écologique et durable, en observant les recommandations économiques évoquées en introduction.

En 2006, le Noyau de Gestion de la Biodiversité et Santé (NGBS) dont Glauco de Kruse Villas Boas est le coordinateur, est créé au cœur de l’Institut des Technologies Pharmaceutiques (Farmanguinhos), de la Fondation Oswaldo Cruz (Fiocruz), institution phare dans le développement et la production de médicaments stratégiques pour la santé brésilienne [1] . On peut considérer la création du NBGS comme une institutionnalisation de la participation active de FIOCRUZ à la préparation de la Politique Nationale des Plantes Médicinales et phytothérapies (PNPMF) et à la définition de son programme d’application (Brésil, 2006, 2008). La mise en œuvre de ce programme prévoit la participation du NGBS à un groupe de la Direction du Ministère de la Santé, créé lui aussi pour soutenir la mise en œuvre de cette politique (Journal officiel, 2008). D’emblée, le NGBS plaide pour une mise en œuvre ascendante, « bottom up », de bas en haut. Compte tenu de l’exubérance de la biodiversité brésilienne, avec ses multiples caractéristiques géographiques, biologiques, économiques, institutionnelles et sociologiques, le NGBS propose une organisation en réseaux soutenant des arrangements écoproductifs locaux (les AEPLs) dans chaque biome brésilien. Les recherches-actions menées en France par Christiane Gilon et Patrice Ville ont contribué à l’élaboration de ce concept de réseau (VILLE & GILON, 2013). Ainsi, pendant neuf ans de travail intense, partant de l’hypothèse que l’innovation est un processus dynamique, social, environnemental et politique, le NGBS a développé les actions suivantes, conduites avec différents acteurs de la société brésilienne.

L’ensemble a permis de mettre progressivement en place un système national d’innovation dans les médicaments de la biodiversité. Construit à partir des arrangements locaux (les AEPLs) reconnus dans chaque biome, le réseau brasse de bas en haut les différents acteurs de la chaîne de production : des associations et des coopératives agricoles, des établissements scientifiques et technologiques, des entreprises agricoles et pharmaceutiques, des membres des gouvernements et des organisations à but non lucratif, et enfin, last but not least, des acteurs des mouvements sociaux. Les AEPLs sont comme les synapses du réseau en ce qui concerne la production et la circulation transverse de connaissances ou d’informations visant à l’application de technologies, innovant dans la production des médicaments de la biodiversité. Actuellement, le réseau réunit une cinquantaine d’AEPLs. Le NGBS coordonne 20 projets structurants de l’innovation dans la biodiversité de médicaments au Brésil. Pour aider à saisir comment tout cela fonctionne, c’est le réseau Amazonie qui a donné un modèle de départ, avec l’organisation d’une grande assemblée fondatrice à Manaus, réunissant des dizaines d’invités de la région amazonienne, autant membres des agences gouvernementales, que des associations à but non lucratif, ou de l’industrie pharmaceutique. Un conseil de gestion du réseau Amazonie a été constitué. Le Cerrado a suivi, puis le réseau Mata Atlantica (forêt atlantique) de Sao Paulo, ensuite le réseau Mata Atlantica (forêt atlantique) de Rio de Janeiro, puis le Caatinga et ainsi de suite, par propagation horizontale, en rhizomes, caractéristique des réseaux. Aujourd’hui, il existe des AEPLs dans tous les biomes (Amazonie, Caatinga, Cerrado, Pantanal, Forêt Atlantique autour de Rio et autour de Sao Paulo, Pantanal et Pampa). Ces arrangements sont soutenus par le Bureau de gestion du RedesFito basé à Rio. Outre l’identification d’arrangements locaux, le réseau promeut la coordination interne entre les acteurs au sein d’un AEPL, au sein d’un même biome, et entre les différents biomes. Dans chaque biome, des diagnostics participatifs servent de point de départ, l’animation passe à la fois par des réunions locales, régionales et nationales pour diffuser les actions qui s’inscrivent dans cette nouvelle perspective. Soulignons ici que le RedesFito n’est ni un acteur académique ni un acteur industriel. Le déploiement de réseaux par biome est en soi une innovation organisationnelle, à la différence des autres organisations qui ne sont pas transverses mais, ou bien académiques, ou bien industrielles. La relation entre les réseaux et l’innovation est reconnue dans le monde entier comme une nouvelle forme d’organisation intensifiée par les technologies de l’information et de la communication. Ces nouvelles formes constituent une alternative pour les différents agents économiques et sociaux face à la concurrence féroce entre les entreprises, les industries et les pays.

Les fonds pour animer le réseau ont constamment manqué, conduisant à une perturbation des activités et à la nécessité de repenser à plusieurs reprises le fonctionnement du RedesFito. Dès le début d’ailleurs, la question de l’autonomie de financement a été posée, la nécessité pour chaque biome de trouver des ressources pour développer ses propres projets sans attendre que cela descende d’en haut, rompant avec le modèle dominant patriarcal et protecteur de l’Etat. La réorganisation des conseils de représentants de chaque biome, a découlé de cette exigence d’autonomie. L’étape suivante a permis de discuter de nouveaux concepts d’organisation et d’infrastructure. Il a été clarifié que tous les projets doivent tous s’inscrire dans la perspective écologique pour une production de matières premières, intrants agricoles, ou médicaments à base de plantes médicinales à usages multiples dans des systèmes de production agroécologiques. Cette approche a permis d’organiser la construction et la circulation de la connaissance, la capacitation des agriculteurs, des apprentissages favorables à la création d’emplois, contribuant à un développement régional durable. Les réseaux visant l’innovation supposent l’établissement de relations de coopération entre les différents acteurs dans l’échange d’informations, soit pour permettre cette capacitation  [3] technologique et industrielle, soit pour assurer la production et la commercialisation des produits résultant du développement régional (Lemos, 1997).

La définition de l’identité du RedesFito a été maintes fois mise sur la table, ainsi que la question de la communication au sein des réseaux. Pour répondre à la question de la communication a été développé un système de géoréférencement et de soutien aux AEPLs, facilitant la dynamique de conseil, gestion et développement des arrangements locaux, la participation aux appels de fonds, les réunions, séminaires et autres actions collectives. C’est un espace permanent de cartographie et d’identification des personnes et des projets.


Un observatoire socianalytique du fonctionnement du réseau complète ce dispositif en 2016. Dans la trajectoire du RedesFito, divers séminaires et workshops thématiques ont été à l’origine de la définition/redéfinition des concepts qui guident les actions, et ont jalonné la vie du réseau : le Séminaire III sur Le RedesFito et la politique nationale sur les plantes et les herbes médicinales, le 25 août 2009 ; le Séminaire IV sur le rôle des arrangements locaux, le 16 décembre 2009 ; le workshop 3 sur Biodiversité et Innovation en Phytothérapie à Rio de Janeiro, le 4 novembre 2010 ; la rencontre proposée par le réseau Rio sur l’innovation dans les médicaments de la biodiversité et l’agroécologie, le 29 novembre 2012 ; le Séminaire V sur les Politiques et stratégies pour l’innovation dans les médicaments de la biodiversité dans une perspective de développement durable, le 12 avril 2013 ; le cercle de discussions (la ronda de conversa) sur le rôle de R & D dans l’innovation du réseau des médicaments de la biodiversité, le 30 septembre 2014 ; l’assemblée socianalytique du RedesFito organisée par les étudiants sur le thème du portefeuille national d’innovations en médicaments de la biodiversité, le 25 juin 2015. Ces moments de partage des expériences, de prise de distance et de capitalisation, ont aussi permis d’ouvrir les conflits et les sujets tabous, pour continuer à avancer, avec l’aide de la socianalyse notamment, en corrigeant les dysfonctionnements constatés sur le terrain.

 Quatre projets structurants


Ces neuf années ont été des années d’apprentissage pour tout le monde. Mais au bout du compte, une nouvelle définition a émergé pour la macro-organisation du Redesfito : le réseau existe là où l’action existe. Voici trois projets liés à des initiatives régionales et locales, et une proposition (le portefeuille d’innovations) qui vient d’être adoptée par le ministère de la Science et la Technologie de l’Innovation et au Ministère de la Santé du Brésil (janvier 2016). Ce sont des projets structurants au sens où ils rejaillissent sur l’ensemble du réseau, par leurs effets d’exemplarité, de démonstration (oui, c’est possible) et de légitimation du pari sur l’innovation en réseau.

1- Santé et plantes médicinales dans les systèmes de production agroécologiques de l’extrême sud de Bahia.

Ce projet réunit la Fiocruz, l’Université de São Paulo (ESALQ / USP) et le Mouvement des Sans Terre (MST). Le travail est développé dans neuf lieux différents situés dans quatre municipalités de Bahia, et vise l’insertion de plantes médicinales dans les systèmes de production agroflorestale ; le renforcement de l’utilisation locale des plantes médicinales de manière intégrée dans les actions de santé sur ces territoires ; la structuration d’une zone de démonstration de production agroécologique et de transformation des plantes médicinales pour l’innovation dans les médicaments de la biodiversité dans cette région ; le suivi des conditions de vie et de santé dans les territoires sélectionnés ; l’intégration des actions de santé dans ces territoires au Système unifié de la santé du Brésil (le SUS), au niveau municipal et local.


Parmi les résultats déjà obtenus par ce projet qui comprend la capacitation des agents de santé publique et la gestion de la connaissance des plantes médicinales, il est intéressant de noter le résultat partiel de l’enquête ethnobotanique : environ 600 espèces de plantes médicinales ont été repérées grâce aux connaissances traditionnelles et populaires, la plupart indigènes ou provenant d’espèces exotiques adaptées depuis des siècles, composant l’écosystème. C’est un point de départ pour une production agroécologique à plus grande échelle, une sécurisation des revenus des agriculteurs, une production respectueuse de l’environnement et de la biodiversité, une baisse des coûts de la sécurité sociale et un accès de tous à la santé.

2. Le projet Itapeva.

La ferme Pirituba occupée par le Mouvement des Sans Terres (MST) est une ferme partagée entre les municipalités d’Itapeva et Itaberá dans le centre-sud de la région de Sao Paulo. Elle met en œuvre la réforme agraire en partenariat avec Farmanguinhos depuis environ quatorze ans. Ce partenariat a toujours été axé sur la réalisation de projets avec des plantes médicinales. Au cours des dernières années, un rapprochement entre Cooplantas, une coopérative sui generis fondée par 30 femmes de cette localité, et le RedesFito, a permis de faire un examen historique de tout ce processus, pour développer un point de vue agroécologique au sein d’un arrangement écoproductif local. Dans le même ordre d’idées que celui décrit dans les pages précédentes, de recherche d’autonomie et de financement par les acteurs eux-mêmes, ce partenariat a remporté récemment quelques succès auprès du gouvernement fédéral (ministère de la Santé) pour le financement du projet. L’objectif du ministère est de favoriser la médecine par les plantes dans les agences de santé publique et de financer, pour cela, « la consolidation des arrangements locaux


de production de plantes médicinales et de médicaments à base de plantes ». Pour Cooplantas, c’était une opportunité de renforcer l’organisation de l’écosystème de production des plantes médicinales en partenariat avec le RedesFito, tisser des relations avec les universités et les entreprises, ouvrant la voie à l’innovation dans les médicaments de la biodiversité.

3. Le programme Innovation dans les médicaments de la biodiversité amazonienne

L’État d’Amazonie est considéré comme stratégique au Brésil pour le développement de produits et médicaments dérivés de la biodiversité, en particulier d’origine végétale. Ce programme vise une articulation globale entre les instituts de science, technologie et innovation (STI), le milieu universitaire, l’industrie pharmaceutique, le secteur de la production agricole, ainsi que les communautés et les détenteurs de savoirs traditionnels. Le travail en réseau proposé par le RedesFito est considéré comme une contribution essentielle au déploiement d’arrangements écoproductifs locaux, démontrant la capacité locale de développer des médicaments de la biodiversité régionale. En 2014, le RedeFito Amazonie a été présenté au forum des responsables de l’enseignement et de la recherche en Amazonie, une initiative du Secrétariat Science Technologie Innovation et de l’État d’Amazonie, en lien avec son agence de financement, la FAPEAM. Ce secrétariat a fait l’apologie du travail en réseau, pour réussir à développer et produire au moins un phytomédicament d’Amazonie. L’Amazonie, qui possède la plus grande biodiversité du Brésil, ne produit paradoxalement aucun médicament issu de la biodiversité ! Ce programme se distingue par son caractère pionnier, de R & D en réseau, axé sur la faisabilité d’une technologie véritablement nationale basée sur le seul avantage concurrentiel de la région amazonienne, sa socio-biodiversité. Dans le but de créer à travers cette expérience les fondations de l’innovation dans les médicaments issus de la biodiversité amazonienne, le programme a été divisé en huit projets :

4- Le projet de Portefeuille d’innovations en médicaments de la biodiversité.

Ce projet décrit le panorama de la politique scientifique, de la technologie et de l’innovation et de la santé, pour ensuite proposer une nouvelle voie de développement de la pharmacie et des médicaments au Brésil. Le travail en réseau, ou réseautage (RedesFito) réalisé à partir des arrangements écoproductifs locaux (AEPL) identifiés dans les principaux biomes brésiliens prépare cette nouvelle voie. Comme cela a été dit et répété lors de la dernière assemblée socianalytique du réseau à Rio, nous n’avons pas les solutions, mais nous avons un chemin, reprenant ainsi une citation d’Edgar Morin : il n’y a pas de solutions, mais il y a un chemin. Un document a été rédigé à partir du débat des 25 et 26 juin 2015, réunissant à l’usine de Farmanguinhos / Fiocruz de Rio de Janeiro, là où le NGBS est basé, des membres du NGBS, des conférenciers (industriels, politiques, chercheurs), des étudiants du cours de socianalyse, ainsi que leurs deux enseignants-chercheurs français Patrice Ville et Christiane Gilon. Cette proposition, destinée aux ministres de la Santé et de la Science, Technologie, Innovation vise à légitimer le RedesFito et assurer la viabilité du portefeuille d’innovations. En présence d’étudiants du programme de formation de gestionnaires des réseaux et de l’innovation en médicaments de la biodiversité, le Directeur de Farmanguinhos (ci-dessous sur la photo, le 3e en partant de la gauche) a reçu ce document des mains de Glauco de Kruse Villas Boas coordinateur du NGBS (2e sur la photo), charge au Directeur de le faire parvenir à ses destinataires. Le projet vient de recevoir l’appui du ministère des sciences, technologies et innovations …


 Observations finales


Cela fait maintenant un demi-siècle que l’on parle de la nécessité d’une nouvelle économie, une économie décarbonée, une économie décroissante pour certains, ou stationnaire pour d’autres, une économie résultant de la croissance verte ou écologique pour d’autres encore. Cependant, ceux qui dominent le marché ne veulent pas changer le mouvement perpétuel de production/consommation de produits qui deviennent obsolètes ou jetables six mois après leur vente. Ils génèrent ainsi beaucoup d’argent et beaucoup de déchets. La contribution du RedesFito au débat sur la durabilité, basée sur neuf ans de travail de terrain et en transversalité, montre que la construction d’une nouvelle route dans cette période historique de changement de paradigme, est possible.
Cette expérience concrète montre la nécessité de profonds changements structurels, en commençant par la mise en place de nouveaux programmes scientifiques qui reconnaissent le fait que, plus la connaissance de la biodiversité sera grande, plus le potentiel de la biotechnologie augmentera, et non l’inverse. Les groupes de recherche et de développement technologique de l’industrie pharmaceutique doivent respecter la Convention sur la diversité biologique, et accepter le concept d’innovation dans les médicaments de la biodiversité, tel que nous l’avons décrit ici, pour faire face à la concurrence et saisir les opportunités offertes par l’exubérante biodiversité présente dans les pays en développement comme le Brésil. Les politiques de la Science, Technologie, Innovation devraient porter un regard critique sur le modèle économique hégémonique, puisque ce modèle est porteur de la privatisation de la connaissance et de l’information.
Le blocage de l’avancement des connaissances, réduit les discours de coopération à de la pure rhétorique. Ils devraient donc envisager la complexité et la transversalité de l’organisation de leurs systèmes nationaux d’innovation, contribuant ainsi à une performance digne de ces pays dans l’arène internationale.

Au Brésil, la connaissance de la biodiversité résultera de la connaissance de chaque biome, et la production de connaissances sur la biodiversité devrait inclure une perspective écosystémique. Les relations interdisciplinaires devraient être approfondies, notamment entre les écosystèmes génétiques et la chimie. On considère ici les connaissances générales au sens large, impliquant toutes les connaissances académiques et non-académiques (Gibbons et al., 1997), les connaissances tacites, ainsi que la connaissance populaire et traditionnelle.

Pour entrer dans le nouveau paradigme vert, il est nécessaire au-delà de la réorientation des structures universitaires et productives, d’incorporer la perspective agroécologique dans la pratique, de créer de nouveaux formats d’organisation pour gérer les programmes nationaux comme ceux qui concernent l’innovation dans les médicaments de la biodiversité.

Les changements attendus dans les formes de production et de consommation passeront nécessairement par des éco innovations. Le RedesFito peut être considéré comme un système de gestion de l’innovation important dans le domaine des médicaments de la biodiversité. Il répond à une demande croissante de la société, de durabilité socio-environnementale. Il est un outil puissant de mise en œuvre des politiques de Science, Technologie et Innovation en matière de santé durable et transverse, car il favorise une mise en œuvre du bas en haut, de type bottom-up, du local au régional et de là au niveau national.

Au Brésil, le développement effectué à partir de la vision contemporaine des systèmes nationaux d’éco-innovations, de développement local et, dans ce cas, à partir de chaque biome, représente une très grande, mais unique, alternative. C’est ainsi que le Brésil, et les pays en développement possédant une grande biodiversité, peuvent trouver de nouveaux produits, et promouvoir un saut technologique majeur dans la production de médicaments. Ils briseront ainsi le cercle vicieux d’une concurrence qui utilise les mêmes paramètres de développement technologique de médicaments, paramètres élaborés dans des pays dont la biodiversité ne se compare pas à celle du Brésil.

Christiane Gilon & Glauco de Kruse Villas Bôas

Notes

[1Fiocruz est l’équivalent de l’Institut Pasteur en France, ces deux Instituts sont partenaires. Ainsi Farmanguinhos a-t-il produit par exemple des médicaments anti sida en cassant des brevets américains sous le gouvernement du Président Lula (1996).

[2Voir les rubriques ‘Bibliographie’ et ‘Sur internet’

[3la capacitação correspond a un processus de formation et d’habilitation

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 16.VILLAS BÔAS, G.K. 2013 — Inovação em medicamentos da biodiversidade : uma adaptação necessária (ou útil) nas políticas públicas Tese de Doutorado. Escola Nacional de Saúde Pública (ENSP/FIOCRUZ) Rio de janeiro.

 17.VILLE & GILON, Arcanes du métier de socianalyse institutionnel, Éditions de Sainte Gemme, 2014 – et autres textes disponibles sur le site www.socianalyse.net

Lire également dans l'encyclopédie

dans l’Encyclopédie

 Catherine Aubertin, La biopiraterie., N° (7) , mai 2006

 Alain Ruellan, Développement durable en Amazonie brésilienne., N° (9) , mai 2006

 Ignacy Sachs, Les défis du Second de la Terre Rio de Janeiro, N° (163) , juin 2012 (reprise d’un article de la revue Estudos Avançiados)

Sur Internet

* Programa Nacional de Plantas Medicinais e Fitoterápicos (PNPMF) :
http://bvsms.saude.gov.br/bvs/publi...
* Convenção da Diversidade Biológica :
http://www.mma.gov.br/biodiversidad...
* Portail du RedesFito :
www.redesfito.far.fiocruz.br
* ONU _ Rio + 20 :
http://www.rio20.gov.br/documentos/....
* Le métier de socianalyse : www.socianalyse.net

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