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n°209 - juin 2014
Le commerce équitable
Mots clés associés : agriculture, alimentation | modèles de développement, (dé)croissance | agriculture biologique | alimentation | Amérique Latine | commerce équitable | economie sociale et solidaire | ethique | modes de production et de consommation
Résumé

Après avoir rappelé l’histoire du Commerce équitable, né dans les années soixante en Grande Bretagne, aux Pays Bas puis en France ; qu’il s’est développé sous deux formes : une filière dite « intégrée » (du type Artisans du monde) et une filière « labélisée » (du type Max Havelaar), l’article indique que c’est aujourd’hui un mouvement international qui concerne 10 millions de producteurs dans 70 pays.

En France, la Plateforme pour le Commerce Équitable (PFCE) s’attache à en promouvoir la démarche.
Dans une seconde partie, l’article montre que si le commerce équitable a encore une place très faible dans les échanges mondiaux, il a cependant une influence importante sur plusieurs plans :

Le commerce équitable est un mouvement citoyen qui se mobilise pour que les règles du commerce mondial changent et que les droits des paysans et artisans soient partout respectés.

Auteurs
Dufumier Marc

Professeur émérite à l’AgroParisTech.
Président de la plateforme pour le commerce équitable (PFCE), Président de la Fondation René Dumont.
Il est l’auteur de nombreux ouvrages dont récemment Famine au Sud, Malbouffe au Nord, (Édition NiL ; Paris 2012) et 50 idées reçues sur l’agriculture et l’alimentation. (Allary éditions ; Paris 2014).

Texte

 À l’origine : un mouvement tiers-mondiste.

Le “Commerce équitable” est un mouvement citoyen mondial qui s’inscrit dans la perspective d’une économie sociale et solidaire et dont l’ambition depuis plusieurs dizaines d’années est de rééquilibrer les relations économiques entre producteurs des pays du Sud et entreprises des pays du Nord. Il trouve son origine dans les années 1960, suite à plusieurs initiatives caritatives ou militantes de la mouvance tiers-mondiste, dans le contexte de décolonisation de nombreux pays africains et asiatiques. L’idée était de promouvoir les conditions d’une plus grande équité dans le commerce Sud - Nord plutôt que de pratiquer un quelconque assistanat en direction des peuples les plus pauvres du monde (Trade : not aid). Ainsi l’organisation non gouvernementale (ONG) britannique Oxfam a-t-elle établi en 1964 une des premières filières alternatives d’importation et de distribution de produits en provenance du Tiers-Monde. En France, c’est la fédération Artisans du monde (ADM) qui prit très vite le relais avec la création progressive d’un réseau de boutiques spécialisées dans la vente de produits artisanaux et agroalimentaires importés du Sud.
Aux Pays Bas, c’est l’association œcuménique (Solidaridad) qui, soucieuse d’atteindre rapidement un plus grand nombre de consommateurs au Nord et de bénéficiaires au Sud, s’efforça de faciliter la vente des produits du Sud dans des lieux d’achat plus fréquentés, tels que les grandes et moyennes surfaces. Elle entreprit alors d’introduire ces derniers dans les circuits classiques de distribution et de mettre en place un système de labellisation garantissant aux consommateurs du Nord que leurs achats et l’éventuel surcoût payé dans leurs pays assurent bien un revenu décent aux producteurs les plus démunis du Sud. C’est dans cet esprit que furent créés l’association Max Havelaar et son label éponyme en 1988. Une première filière de commercialisation labellisée de cafés originaires du Mexique fut établie peu après.

Ainsi a-t-on coutume depuis lors de distinguer deux catégories de circuits d’acheminement et de commercialisation des produits du commerce équitable : les filières dites intégrées (du type de celles mises en place par Artisans du Monde et les filières simplement labellisées, du type de celles encouragées par Max Havelaar. Le mouvement très vite élargi à un plus grand nombre de produits (cacao, bananes, épices, coton, etc.) et de pays (du Nord comme du Sud), avec la participation d’un nombre toujours plus élevé d’acteurs associatifs ou entrepreneuriaux. Une première organisation internationale destinée à fédérer toutes ces initiatives fut créée en 1989 sous le nom de International Federation of Alternative Traders (IFAT). Celle-ci a été renommée World Fair Trade Organisation (WFTO) en 1998 et l’intitulé Commerce équitable s’est substitué définitivement à l’expression initiale de « commerce alternatif ».

En Europe, du côté des filières dites intégrées, une Association européenne du commerce équitable (European Fair Trade Association - EFTA) fut créée en 1991 afin de rassembler dix centrales d’achat de produits du commerce équitable (dont Solidar’Monde en France) et de rendre moins coûteuses leurs filières d’importation et de commercialisation, au moyen d’achats groupés et grâce à la mutualisation de leurs systèmes de garantie et d’accompagnement des groupements de producteurs. Il existe finalement aujourd’hui plus de 3000 distributeurs associatifs européens (“magasins du monde”) affiliés à des réseaux nationaux.

Du côté des filières labellisées, fut créée aussi une fédération internationale, la Fairtrade labelling organization (FLO), rebaptisée Fairtrade International en 2011, en vue de rassembler les diverses initiatives de labellisation, avec notamment la présence d’organisations de producteurs du Sud. Les fonctions de création et de certification du respect du label commun sont formellement séparées en 2004 en vue d’assurer à l’ensemble une plus grande crédibilité. C’est désormais FLO-cert qui réalise les inspections et les vérifications auprès des producteurs et des importateurs, tandis que Fairtrade international négocie et conçoit les règles à respecter pour que les filières puissent être labellisées « commerce équitable ».

 Des labels privés pour un partenariat juste et durable

Né en 1998, un collectif dont l’acronyme reprend les premières lettres de FINE, FLO, NEWS et EFTA était déjà parvenu à rassembler les principaux opérateurs des deux filières : intégrées et labellisées. Sous son égide, les critères correspondant à la mention « commerce équitable » ont été peu à peu standardisés à l’échelle internationale. Le Commerce équitable concerne ainsi désormais surtout des produits d’exportation (café, chocolat, bananes, épices, artisanat, etc.) destinés à ceux des consommateurs du Nord qui acceptent de les acheter à un tarif souvent légèrement supérieur à ceux des marchés nationaux, moyennant l’assurance que les producteurs du Sud bénéficieront en échange de trois avantages : un prix minimum garanti supérieur aux cours internationaux (notamment lorsque ceux-ci viennent à s’effondrer) ; une prime de développement accordée aux associations de producteurs ou à leurs coopératives ; un préfinancement via l’achat d’une partie de leur récolte à l’avance. Ces engagements commerciaux s’inscrivent dans la durée et les avantages économiques dont bénéficient les producteurs doivent alors être mis au service de projets de développement authentiquement durables.

Le mouvement du Commerce équitable se présente finalement de nos jours sous la forme d’un mouvement international destiné à réduire la pauvreté de nombreux petits producteurs (paysans, artisans et salariés) des pays en voie de développement : plus de 10 millions de personnes en bénéficieraient aujourd’hui dans environ 70 pays. Grâce à des relations commerciales un peu rééquilibrées, le Commerce équitable apparaît comme un outil de promotion sociale pour les familles concernées et une façon de promouvoir des formes de développement durable dans les pays du Sud. Il permet en effet de diffuser les principes de l’agro-écologie et de la préservation de la biodiversité via un appui à l’agriculture paysanne et à l’agriculture biologique. C’est l’une des premières démarches de consommation responsable qui permet à des citoyens du Nord d’affirmer leurs préférences pour l’achat de marchandises labellisées produites dans le respect des humains et de l’environnement.
En France, la Plate-Forme pour le commerce équitable (PFCE) représente et fédère une trentaine d’entreprises, ONG, labels et réseaux de distribution bio et équitable. Fondé en 1997, ce collectif défend une conception exigeante du commerce équitable et s’efforce d’en promouvoir la démarche auprès des citoyens, des entreprises et des pouvoirs publics, etc. La PFCE veille notamment au respect des principes et pratiques du Commerce équitable par ses adhérents qui vendent, distribuent ou labellisent, les produits concernés en provenance des pays du Sud. Elle intervient par ailleurs auprès des pouvoirs publics en vue de parvenir à une reconnaissance publique des labels privés de “Commerce équitable [1], qu’ils soient d’origine française ou européenne.

La PFCE vise aussi à sensibiliser les mouvements d’éducation populaire à la démarche du commerce équitable et à stimuler les comportements de consommation responsable au sein de la société française (consommateurs du grand public, associations, entreprises, collectivités territoriales, etc.). Elle offre enfin un appui juridique aux pouvoirs publics pour l’intégration de clauses sociales et environnementales dans leurs achats. Aujourd’hui près de 40 collectivités territoriales sont ainsi labellisées “Territoires de commerce équitable” (TDCE) sur la base de leurs engagements en faveur du Commerce équitable et d’opérations de développement durable.

Plus de 400 entreprises ou associations françaises sont impliquées de nos jours dans le développement du Commerce équitable, en tant qu’importateurs de matière première, transformateur et/ou metteur en marché. Que ce soit dans le secteur de l’agro-alimentaire, du textile (filature et confection) ou encore des cosmétiques, de nombreuses entreprises basent leur politique de RSE [2] et leur stratégie de développement économique sur le Commerce équitable qui leur fournit un cadre efficace de valorisation de leurs engagements.

Il est vrai cependant que le Commerce équitable représente encore moins de 0,1% du commerce mondial et que la consommation française de produits équitables reste encore largement confidentielle : moins de 7 € par an et par français, loin derrière les Britanniques (34 €) ou les Suisses (41 €). A l’échelle mondiale, le poids du commerce équitable est bien trop maigre pour enrayer la faillite paysanne qui sévit dans le monde ; même si cette goutte d’eau transforme déjà la vie de milliers de petits producteurs contribuant à générer des activités et des revenus pour plus de 2 millions de paysans et d’artisans dans les pays du Sud.

Certains peuvent d’ailleurs légitimement considérer que cette idée fort généreuse mais venue du Nord s’apparente encore à de la charité sans parvenir à remettre vraiment en cause les injustices occasionnées par les conditions actuelles du commerce international. Mais à y regarder de plus près, l’achat de produits issus du commerce équitable a des effets bien plus prometteurs que la seule aide à des paysans et artisans du Sud. Les effets positifs du commerce équitable sont en effet largement documentés par la communauté scientifique et par les professionnels du développement. Des dizaines d’études d’impact [3] ont été réalisées par des chercheurs indépendants sur les filières du Commerce équitable ; celles-ci ont pu témoigner de l’efficacité de la démarche pour structurer des organisations de producteurs, renforcer leur capacité à accéder à des marchés plus rémunérateurs, mettre en place des techniques de productions plus respectueuses de l’environnement, et améliorer les conditions de vie des communautés bénéficiaires.

Les acteurs du Commerce équitable ont d’ailleurs très vite pris conscience que les consommateurs qui consentent à payer un peu plus cher leurs produits (de l’ordre de 10%) font certes un geste militant mais qui n’a de chance de perdurer que si la qualité des produits le mérite. Pour cela, ils ont accompli un véritable travail auprès des paysans afin d’améliorer la qualité. D’où l’importance qu’ils accordent à la mise en place de filières de production biologique et de transformation artisanale susceptibles de pouvoir conquérir durablement des marchés plus rémunérateurs. Aujourd’hui plus de 65% des produits équitables sont bio et tous les labels de commerce équitable incluent des primes spécifiques d’encouragement à la conversion à l’agriculture biologique La prime de développement a aussi souvent servi à améliorer la première transformation des produits et c’est ainsi que se sont bâties à plusieurs endroits de vraies filières de cafés et chocolats gourmets.

  Modifier les règles du commerce international.

En fait, le grand mérite du Commerce équitable est de démontrer concrètement que beaucoup de choses peuvent changer pour les producteurs avec des prix rémunérateurs et stables et que ses effets bénéfiques se répercutent au sein des villages, et bien au-delà. Grâce à la prime de développement et aux prix rémunérateurs garantis, le Commerce équitable a amélioré le quotidien des producteurs concernés et, plus largement, du fait des effets induits, celui de toute leur communauté. Acheter des produits du Commerce équitable contribue donc bien à créer localement des dynamiques économiques et sociales prometteuses d’équité à l’échelle mondiale. Et des initiatives sont d’ores et déjà en cours au Nord comme au Sud pour élargir désormais le concept et les pratiques à des échanges Nord-Nord et Sud-Sud.

Unis autour d’une vision critique du commerce actuellement en vigueur à l’échelle mondiale, les organisations du commerce équitable plaident aussi auprès des citoyens et des pouvoirs publics pour l’instauration de relations économiques plus justes et équilibrées (moins inéquitables) avec les producteurs des régions du monde les plus démunies. Le mouvement du Commerce équitable, à l’égal de nombreuses organisations de consommateurs responsables, est conscient que le commerce mondial ne deviendra vraiment équitable que lorsque les règles auront changé au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et d’autres enceintes internationales. À l’opposé de ce que certains appellent le “libre échange”.

Car ce dit “libre” échange met en compétition, sans protection aucune sur le marché mondial, des gens dont la différence de productivité du travail est absolument considérable. Lorsque sur le marché de Mexico, deux sacs de farine de maïs sont vendus au même prix, l’un produit par un paysan des hauteurs du Chiapas qui laboure ses terres à la houe et récolte ses épis de maïs au couteau, et l’autre importé des États-Unis où les agriculteurs disposent de puissants tracteurs et de moissonneuses-batteuses automotrices, il convient de savoir qu’il y a 200 fois plus de travail agricole dans le sac mexicain que dans celui importé (cf. encadré). Ce qui veut dire que le paysan du Chiapas doit accepter une rémunération de son travail 200 fois inférieure à celle de son concurrent de l’étranger. Comment pourrait-il, dans ces conditions espérer satisfaire les besoins vitaux de sa famille, épargner, investir, équiper sa ferme et accroître ses rendements ? Impossible !

Différence de productivité agricole de 1 à 200 entre un paysan du Chiapas mexicain et un farmer du Corn-belt nord-américain.
Production de maïs Chiapas mexicain Corn-belt

nord-américain

Surface par actif et par an : 1
hectare
200
hectares
Rendement (tonnes à l’hectare) 1,1
tonne/ha
5
tonnes/ha
Produit brut annuel par actif 1,1
tonne/actif/an
1000
tonnes/actif/an
Coût des valeurs détruites (mesuré en tonnes de maïs) Semences :

0,1 tonne/ha

Intrants et usure de
matériels :
800 tonnes/ha
Valeur ajoutée par actif et par an 1
tonne/actif/an
200
tonnes/actif/an

Avec ses gros matériels (tracteur, moissonneuse-batteuse, etc.), le producteur nord-américain parvient à récolter une surface de maïs 200 fois supérieure à celle du paysan mexicain muni d’outils manuels. Avec ses engrais et ses produits phytosanitaires, il obtient des rendements près de 5 fois supérieurs. Sa production annuelle de maïs est donc près de 1000 fois plus importante. Même en considérant que les valeurs qu’il a détruites dans le processus de production (engrais de synthèse, pesticides, usure des matériels) représentent environ les 4 cinquièmes du produit brut, sa valeur ajoutée annuelle n’en reste pas moins 200 fois supérieure à celle du paysan mexicain. Ce qui veut dire que contraint de vendre son maïs au même prix international, le paysan du Chipas ne peut percevoir qu’une rémunération 200 fois inférieure à celle de son concurrent nord-américain.

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Et telle est bien la situation de près d’un milliard d’agriculteurs du Sud qui n’ont accès qu’à des outils manuels (houes, bêches, machettes, bâtons fouisseurs, etc.) et doivent affronter, sans quasiment aucune protection, la concurrence des agricultures moto-mécanisées du Nord ou des grands latifundiums du Brésil et d’Argentine. À quoi s’ajoute le fait que de puissantes sociétés multinationales en position de quasi-monopoles sont bien souvent parvenues à imposer des conditions léonines aux diverses et nombreuses paysanneries d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine, qui ont, conformément aux principes de la spécialisation des agricultures selon les avantages comparatifs, opté pour livrer des produits tropicaux destinés à l’exportation : café, thé, cacao, bananes, vanille, etc.

Cette spécialisation des agricultures selon les avantages comparatifs s’est en fait révélée être un leurre : trop nombreux ont été en effet les paysans du Sud qui, soumis à la concurrence des céréales importées du nord, ont préféré planter des caféiers, cacaoyers et théiers, avec l’espoir de pouvoir acheter à bas prix de quoi manger avec les revenus dégagés grâce à l’exportation de leurs produits tropicaux. La surproduction engendrée par cette spécialisation agro-exportatrice dans un trop grand nombre de pays du Sud a provoqué un effondrement des cours internationaux des marchandises exportées. À un point tel que ceux-ci ne les rémunèrent finalement guère plus que les produits vivriers. Et il leur est alors bien douloureux d’envisager l’arrachage d’arbres dont la plantation avait été envisagée pour des dizaines d’années. Les cours des produits tropicaux destinés à l’export ne permettent guère de rémunérer davantage les paysans que ne l’auraient fait les produits vivriers destinés aux marchés intérieurs.

Il faut donc bien reconnaître qu’on ne parviendra donc finalement à éradiquer la misère des paysanneries du Sud et la faim qui en résulte dans le monde qu’en modifiant de fond en comble les règles du commerce international afin de rendre celui-ci plus équitable. C’est d’abord une question politique.

Il conviendra en premier lieu d’autoriser les pays déficitaires du Sud à faire ce que l’Europe a fait avec succès au lendemain de la deuxième guerre mondiale : mettre des droits de douane conséquents à l’importation des produits alimentaires de façon à ce que leurs paysans puissent bénéficier de prix plus rémunérateurs et dégager ainsi des revenus suffisants pour épargner et investir dans l’amélioration de leurs systèmes productifs, afin de produire par eux-mêmes la nourriture dont leurs nations ont besoin. Une telle mesure peut être en effet salutaire pour les paysanneries et peuples du Sud. Cela a déjà été clairement démontré quand le gouvernement camerounais a fini par mettre des droits de douane à l’importation de découpes de nos poulets congelés (en 2005) ou lorsque le gouvernement sénégalais a établi des quotas à l’importation d’oignons (en 2011) pour protéger ses propres producteurs.

Les enjeux d’un commerce plus équitable à l’échelle mondiale sont connus : nourrir correctement et durablement l’humanité toute entière dans les meilleurs délais ; fournir une alimentation saine et divers services environnementaux sans polluer l’air, les eaux et les sols ; maintenir la fertilité des divers terroirs de façon à ne pas porter préjudice aux générations futures ; et permettre aux agriculteurs du monde entier de vivre et travailler dignement dans leurs « pays », sans être contraints de rejoindre prématurément les bidonvilles pour y chercher en vain des emplois ou de migrer clandestinement à l’étranger dans des conditions d’extrême précarité. Dans presque toutes les régions du monde, au Sud comme au Nord, il est d’ores et déjà techniquement possible de pratiquer des systèmes de production agricole inspirés de l’agro-écologie conciliant performances économiques et environnementales. Encore faudrait-il que les paysanneries puissent être correctement rémunérées et travailler dans des conditions socio-économiques favorables à leur mise en œuvre.

Mais les négociations actuellement en cours pour la signature de traités internationaux portant pour une très large part sur les échanges de produits agricoles et alimentaires ne sont pas sans susciter de grandes inquiétudes. Les projets d’accords de partenariat économiques (APE) entre l’Union européenne et les pays africains risquent fort d’exposer brutalement les paysans qui travaillent encore pour la plupart à la main à la concurrence de nos excédents produits à grande échelle par les agriculteurs du Nord déjà très équipés et subventionnés. Le projet de traité transatlantique (TAFTA) risque quant à lui d’exposer les paysanneries européennes à l’importation de produits agricoles ne répondant pas à un minimum de garantie du point de vue de la qualité sanitaire (OGM, poulets chlorés, viande ou lait aux hormones, etc.), avec de surcroît la crainte de voir les indications géographiques protégées réduites à de simples marques.

Grande puissance agricole, l’Union européenne devrait par ailleurs mener en interne une politique agricole commune (PAC) plus conforme aux objectifs d’un commerce mondial équitable et négocier avec les gouvernements étrangers des traités internationaux qui ne contribuent pas à ruiner les paysanneries du Sud mais créent au contraire les conditions les plus adéquates pour la mise en œuvre de systèmes de culture et d’élevage productifs et durables dans toutes les régions du monde.

 De l’expérimentation au plaidoyer

Les organismes du Commerce équitable s’efforcent de réunir de telles conditions dans un certain nombre d’entre elles. En mettant sur pied des partenariats avec leurs paysans et artisans, il expérimente sur le terrain la mise en place de chaînes d’approvisionnement et de distribution plus justes et moins précaires. Et la démonstration est faite désormais qu’avec des prix suffisamment stables et rémunérateurs et un préfinancement partiel des travaux agricoles, les choses peuvent rapidement changer dans les villages. Le Commerce équitable est donc un bel exemple de mise en pratique d’une autre façon de faire du commerce : un commerce à forte valeur ajoutée économique, sociale, environnementale, dont pourraient s’inspirer les règles du commerce international.

Le mouvement du Commerce équitable n’agit donc pas seulement pour vendre des produits labellisés “équitables”. C’est d’abord et avant tout un mouvement de citoyens qui se mobilisent pour que les règles du commerce mondial puissent changer et que les droits des paysans et artisans soient partout respectés, où qu’ils soient dans le monde. Il plaide pour que les produits agro-alimentaires ne soient pas considérés comme étant de simples marchandises soumises aux règles du dit “libre” échange. Il conviendrait en effet plutôt de réguler les marchés internationaux de façon à répondre aux enjeux d’un développement plus juste et durable : souveraineté alimentaire, sécurité sanitaire des aliments, durabilité des systèmes de culture et d’élevage, création d’emplois rémunérateurs pour le plus grand nombre, etc.

Marc Dufumier

Notes

[18 labels de commerce équitable : Ecocert Equitable, Fair for Life, Fairwild, Fairtrade Max Havelaar, Forest Garden Product, Main dans la main, Natureland Fair, WFTO.

[2Responsabilité sociale des entreprises

[3Voir : Cartographie et méta-analyse de 77 études d’impacts réalisée par le CIRAD en 2010. Ou encore : Assessing the Impact of Fairtrade on Poverty Reduction through Rural Development .

Bibliographie


* Dufumier Marc, Auteur de Famine au Sud, (Édition NiL Paris ; 2012)

* Dufumier Marc, Malbouffe au Nord, (Édition NiL Paris ; 2012)

* Dufumier Marc, 50 idées reçues sur l’agriculture et l’alimentation, (Allary éditions ; Paris 2014).

* Blanchet V. et Carimentrand A. (coordinateurs) : Dictionnaire du commerce équitable., Editions Quæ ; Versailles ; 2012.

* Doussin Jean-Pierre : Le commerce équitable., Presses universitaires de France. Paris ; 2011.

* Maré Cyril : Le commerce équitable., Éditions Studyrama ; levallois – Perret ; 2013.

* Lecomte Tristan : Le commerce sera équitable. , Éditions d’organisation-Eyrolles ; Paris ; 2011.

Lire également dans l'encyclopédie

dans l’Encyclopédie

* Catherine Aubertin, La biopiraterie., N° (7) , mai 2006.

* Aurélie Trouvé, Pour une agriculture et une alimentation dans la perspective du développement durable, N° (61) , 14/03/2008.

* Eléna Lasida, L’économie Solidaire : une manière nouvelle de penser l’économie, N° (63) , mars 2008.

* Jean Paul Van Houve, Le commerce équitable : une démarche exemplaire ?, N° (70) , octobre 2008.

* Matthieu Calame, L’agriculture Biologique, N° (83) , mars 2009.

* Sandrine Paillard, Ronzon, Tévécia, Agrimonde 1 : Un scénario pour des agricultures et des alimentations durables dans le monde à l’horizon 2050, N° (115) , mars 2010.

* Marc Dufumier, Quelles agricultures “durables” pour nourrir correctement l’humanité ?, N° (133) , décembre 2010.

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