Résumé
Il est proposé de porter un nouveau regard sur les ressources minérales, venant compléter notre propos antérieur (voir Encyclopédie du DD, les articles de Juin 2007 : Ressources minérales, N° (43) et Le type même de développement non durable : le pétrole et les ressources énergétiques fossiles, N° (44)). En effet, condamnées pour vice majeur de non durabilité, notamment au regard d’indicateurs comme « l’empreinte écologique », il est temps de revisiter le sujet. L’analyse fait dès lors apparaitre qu’il est nécessaire de regarder ces ressources avec plus d’acuité. Cet article traitera plus en détail le cas des ressources fossiles, dont on perçoit de mieux en mieux les limites du fait de l’importance et de la croissance des consommations énergétiques. Ainsi s’impose d’urgence la mise en place de politiques de gestion au niveau planétaire, pas seulement du fait de l’impact de leur combustion sur le climat.
Par contre, les matériaux de construction, les minéraux industriels, et la plupart des métaux peuvent être encore trouvés en abondance dans la lithosphère, même si beaucoup de gisements de proximité ou les mines métalliques connues les plus riches ont été épuisées. Du fait de cette différence, ce sujet sera à nouveau repris dans un article ultérieur. En effet, concernant ces dernières, en extrayant des substances minérales de la lithosphère, l’humanité incorpore dans la « technosphère » des substances de qualité éventuellement supérieures, qui peuvent être réutilisées ou recyclées moyennant des dépenses éventuellement moindres.
C’est ici une différence majeure entre substances minérales métallique et autres minéraux industriels ou matériaux de construction et le pétrole, le gaz naturel ou le charbon. En effet, par nature, l’usage énergétique des combustibles fossiles s’accompagne de leur destruction définitive. On constate au passage et par contraste tout l’intérêt – à privilégier en terme de durabilité - de l’usage non-énergétique des hydrocarbures pour la production des plastiques en particulier.
Les substances minérales extraites pour fabriquer les intrants agricoles (N, K, P) amènent quant à elles à une dissémination sans possibilité de récupération tandis que des perspectives de recyclages croissantes existent depuis les matériaux de construction, les minéraux industriels jusqu’aux métaux.
Ainsi, les politiques de développement durable doivent être modulées et adaptées aux caractéristiques géologiques propres de ces ressources et aux modes d’usage par la demande qui les concernent.
Auteur·e
Volcanologue, ancien chef du département géothermie du BRGM puis directeur du Service Géologique National et président de l’association des services géologiques européens (Eurogeosurveys), Jaques VARET a également présidé le conseil scientifique de la Mission Interministérielle de l’Effet de Serre, a été le fondateur de l’Institut Français de l’Environnement et a présidé le CESMAT.
Il préside encore aujourd’hui le conseil scientifique du Parc National des Cévennes, conseille la société Electerre et enseigne la géothermie au Kenya.
Jaques Varet est Vice-président de 4D et Gérant de GEO2D (Ressources Géologiques pour le Développement Durable).
- Introduction
- Les ressources minérales et la vie : les enveloppes terrestres
- Tentative de classification des ressources minérales en termes de durabilité
- Les énergies fossiles (pétrole, gaz et charbon), ressources minérales les moins durables
- Les ressources en Uranium
- La question de la durabilité des productions minérales
- Conclusion
Les ressources minérales constituent par définition, à l’intérieur de la terre, un stock fini. A la différence des ressources biologiques, renouvelables par photosynthèse et plus généralement la dynamique des systèmes vivants, ces ressources ne sont dans l’ensemble pas renouvelables. Mais cette caractéristique ne doit pas amener à exclure ces ressources du champ de la réflexion et de l’action dans une optique de développement durable. En effet, compte tenu de l’étendue de la surface terrestre, et de l’épaisseur de la lithosphère, ces stocks représentent des quantités considérables que l’humanité sera toujours très loin d’avoir la capacité d’épuiser ! D’autant que la terre est toujours en activité, au plan géodynamique et de la géologie de surface, avec un renouvellement permanent des formations géologiques – et donc des matières premières minérales – que ce soient pas des mécanismes endogènes (remontées magmatiques, surrection des montagnes, renouvellement des plaques lithosphériques…) ou exogènes (altération, sédimentation, terrestre et marine).
Dans une optique de développement durable, l’usage de ces ressources se pose plus particulièrement en termes d’équité intergénérationnelles et intragénérationnelles, au regard du haut niveau d’exploitation atteint à l’aube du 21ème siècle par une partie dite « développée » de l’humanité. Pour ce faire, il est intéressant de resituer cette question dans le contexte plus large de la relation de l’homme et de son écosystème aux diverses « enveloppes » terrestres.
Que les terres soient émergées ou immergées, le système vivant se situe à l’interface entre l’atmosphère et la géosphère, dans la zone dominée par l’hydrosphère. L’homme est partie de cette biosphère, dont il partage la caractéristique commune d’être formé essentiellement d’eau. Un autre élément joue un rôle majeur dans le développement du système vivant, le carbone qui, comme l’eau, est partie prenante de cycles impliquant l’atmosphère, l’hydrosphère et la géosphère, avec d’incessantes interactions physiques entre ces 3 ensembles, elles-mêmes essentielles à la vie (Fig.1). Il faut aussi compter sur l’azote, présent dans l’atmosphère et dont la fixation dans les sols est essentielle aux systèmes vivants végétaux. Les systèmes vivants y compris les plus évolués du monde animal bénéficient en outre de nombreux autres éléments minéraux, puisés dans la géosphère et tout aussi essentiels à leurs développements. Parmi ceux-ci, on peut citer les majeurs, dont les principaux sont le phosphore, le fer ou la silice, mais aussi de nombreux autres éléments moins abondants mais également essentiels comme le cuivre, le fluor ou le lithium.
Fig.1 : Les grands cycles vitaux terrestres : eau et carbone notamment
Si les substances minérales sont essentielles à la vie, et si les écosystèmes développent naturellement les capacités nécessaires pour puiser les éléments minéraux indispensables dans la géosphère, l’homme, depuis son émergence comme homo sapiens a appris en outre à extraire et utiliser lui-même les matières premières minérales utiles à l’amélioration de sa condition : matériaux de construction et pour faire des outils, métaux pour l’artisanat, l’industrie et l’armement, minéraux pour amender les sols et améliorer la productivité de l’agriculture. On peut même aller jusqu’à affirmer que ce qui caractérise l’homme relativement aux autres espèces, c’est justement cette capacité à maîtriser, jusqu’à un certain degré, la nature et plus particulièrement les substances minérales. Ainsi, de tous temps, mais avec une intensité croissante depuis l’avènement de l’aire industrielle, l’homme a appris à identifier puis extraire les substances minérales dont il avait besoin. Ainsi a été établi un nouveau cycle anthropique, venant s’ajouter aux cycles naturels, par lequel une substance est extraite du sous-sol, transformée en surface pour en séparer la fraction utile, puis l’utiliser dans la fabrication des produits voulus. Ce cycle a généralement pour conséquence de générer des sous-produits, ou déchets, qui peuvent être solides, liquides ou gazeux, et modifier la composition des sols, de l’hydrosphère ou de l’atmosphère, d’abord localement, puis à l’échelle globale selon le cas (nature des produits émis et importance des émissions).
La diversité des produits minéraux ainsi consommés, et leur volume, atteint progressivement des proportions considérables, notamment lorsque l’ensemble de l’humanité tend à s’aligner sur des niveaux de consommation élevés (Fig.2). Pour ce qui concerne le devenir de ces produits eux-mêmes, il faut prendre en compte deux situations fort différentes. Certains, c’est le cas des combustibles fossiles utilisés pour la production énergétiques, sont détruits par leur utilisation même. D’autres, c’est le cas des métaux et de la plupart des minéraux, sont réutilisables après usage dans la technosphère.
Fig. 2 : Principales matières premières minérales consommées au cours de la vie d’un homme européen
Parmi les substances extraites du sous-sol, si les matériaux de construction (la pierre de taille, la lauze, la brique, le ciment puis le plâtre…), les minéraux utiles pour l’artisanat et l’industrie (de l’obsidienne ou du silex à la chaux ou la silice) et les métaux (du cuivre ou du fer au zinc ou au titane…) ont pris très tôt une place importante, c’est incontestablement les produits carbonés (charbon, pétrole et gaz naturel) qui ont joué le rôle le plus déterminant dans l’essor et la « richesse » de l’humanité (Fig.3). En facilitant les transports et les transformations industrielles, le développement de l’usage de l’énergie fossile, elle-même facilement transportable, a bouleversé le paysage des activités humaines, et partant de leur expansion sur l’ensemble de la planète. Mais ces dernières années, les usages des diverses substances minérales se sont considérablement diversifiés, et la notion d’ « utilité » autrefois limitative en est bouleversé. Au point qu’il n’existe aujourd’hui pratiquement plus aucun élément de la table de Mendeleïev qui ne soit utilisé dans telle ou telle application technologique.
Nous proposons de distinguer 5 types de ressources minérales, dont les caractéristiques varient considérablement en termes de durabilité :
Les matériaux de construction :
Pierre de taille, graviers, sables, argile, calcaire et marne pour le ciment et gypse pour le plâtre. Il s’agit de pondéreux. Compte tenu des coûts de transports, on a intérêt à les produire à proximité des sites de consommation. Ils sont heureusement souvent disponibles en abondance du point de vue de la ressource géologique (même si certains pays ou régions dépourvus de couches sédimentaires appropriées peuvent accuser un déficit en capacité de production de ciment). Ces substances constituent néanmoins un paradoxe lié aux tendances de l’urbanisme. Les mégapoles sont des lieux de forte demande, qui repoussent mécaniquement les limites des zones de production à des distances toujours plus grandes. C’est une question soluble par de nouvelles approches de l’usage de l’espace souterrain, combinant création d’espace et production de matière première, et par le recyclage des matériaux de démolition (voir Revue Géosciences, Géologie urbaine, 2009).
Les minéraux industriels :
Il s’agit de l’ensemble des minéraux naturels utilisés pour leurs propriétés physiques ou chimiques naturelles. Il s’agit là aussi de substances issues de formations géologiques qui ne se caractérisent pas par leur rareté, mais par des propriétés plus ou moins favorables à leur exploitation : accessibilité, géométrie du gisement, pureté notamment. Dans cette catégorie on trouve le quartz (pour la silice), le graphite (pour le carbone), la baryte (comme adjuvant pondéreux), le kaolin et les argiles (pour la céramique et les terres cuites), la calcite (pour le blanc ou la chaux), le sel gemme et la potasse, le feldspath (pour la verrerie), le talc, la fluorine, les zéolites, l’amiante, et bien d’autres minéraux moins répandus choisis pour leurs propriétés particulières. Il peut s’agir de roches, comme la ponce, l’obsidienne, la perlite, la craie, certains trachytes…C’est un domaine des ressources minérales très ouvert à l’innovation, qu’elle soit technologique et industrielle ou qu’elle porte sur la dimension géologique de la ressource. Comme dans le cas précédent, on ne se heurte pas généralement ici à des problèmes de finitude des ressources géologiques, mais plutôt à des questions d’accessibilité ou de coût de transport ou de traitement.
La question de l’agriculture : adjuvants minéraux et disponibilité des terres :
Il peut apparaître convenable de distinguer cette catégorie, cruciale en termes de développement durable (voir H.F. Wellmer, 2010) dans la mesure où elle joue un grand rôle en matière de productions agricoles et d’alimentation humaine. La disponibilité des terres est un élément essentiel à prendre en considération. Avec l’accroissement de la population et le développement des villes, on assiste à une réduction régulière des espaces naturels et des surfaces agricoles. Avec 11% des surfaces émergées consacrées à l’agriculture, il faut compter sur une intensification des cultures, ce qui passe par l’usage d’intrants nécessaires à la croissance des végétaux. Il s’agit essentiellement de l’azote, de la potasse et du phosphore (N, K, P). Ces minéraux très demandés sont relativement fréquents dans la croûte et les enveloppes externes de la terre.
L’azote est un des principaux composants de l’air, et la fabrication des engrais azotés renvoie aux questions d’énergie, notamment aujourd’hui le pétrole. Le potassium est un des composants de l’eau de mer, et là encore, la production d’engrais de potasse renvoie à une question d’énergie. Néanmoins, il existe des gisements de sel de potasse (KCl ou sylvinite) qu’il est plus avantageux d’exploiter. Il s’agit de formations géologiques qui ne sont pas rares, mais les meilleurs gisements sont situés à proximité des zones de consommation (c’est notamment le cas en Europe). Le phosphore est par contre un intrant agricole – également très demandé dans l’industrie, chimique notamment – dont l’approvisionnement repose sur des formations géologiques, heureusement assez abondantes et ne posant pas de problème de limitation des ressources à long terme, si ce n’est en terme de qualité, d’impact environnemental (substances chimiques indésirables en agriculture associées dans les gisements, comme l’uranium) et de coûts d’extraction et de traitement. Néanmoins, c’est un ensemble de substances minérales sur lequel les tensions, en termes de durabilité, pourraient s’avérer plus fortes que sur les métaux.
Les métaux :
Ils sont présents à toute profondeur dans la lithosphère de sorte que l’on ne se heurte pas à un problème de limite physique les concernant, mais de difficulté géopolitique d’accès concernant les gisements les meilleurs, et de coût pour les gisements de qualité plus médiocre (teneurs, profondeurs, risques, distances…). En outre, les métaux sont tous recyclables, voire réutilisables. La plupart d’entre eux sont moins coûteux à recycler – une fois dans la technosphère – qu’à extraire du sous-sol. En effet, les coûts énergétiques de l’extraction des minerais et de la transformation en métaux, généralement très élevés, sont généralement plus élevés que ceux de la collecte et du traitement des déchets métalliques.
Les ressources minérales énergétiques :
On doit distinguer ici le cas des hydrocarbures (pétrole et gaz), du charbon et autres composés carbonés (hydrates de carbones, gaz de schistes, sables asphaltiques, etc…), d’une part, et des minerais radioactifs de l’autre (essentiellement l’Uranium aujourd’hui, la Thorium demain, pour les centrales nucléaires. Comme on le voit sur la figure 4 , l’essentiel du tonnage extrait, après les sables, graviers et matériaux de carrières, est constitué de charbon, de pétrole, de gaz naturel et de lignite. C’est sur cet ensemble de substances fossiles que les problèmes de durabilité, en terme de limite des ressources – et d’impact de l’utilisation - se pose avec le plus d’acuité, notamment du fait que la substance est détruite par son usage. Elle est donc non recyclable. Dans l’ordre de gravité des problèmes de limites des ressources, on peut établir l’ordre suivant : pétrole, gaz naturel et combustibles fossiles.
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La question du « pic »
Ces matières premières carbonées sont des formations sédimentaires, résultant de la fossilisation de biomasse ancienne, accumulée dans la partie supérieure de l’écorce terrestre seulement, c’est-à-dire en quantité limitée. Dès les années 1956 le géologue pétrolier américain King Hubbert a démontré que, face à une exploitation en croissance exponentielle, la courbe de production d’un gisement – par essence fini - prenait la forme d‘une courbe « en cloche » avec un « pic » dont on pouvait prédire l’année de survenue. Ce qu’il fit avec succès dans le cas du pétrole extrait du sous-sol des Etats-Unis. Par sommation de l’ensemble des gisements connus ou possibles sur l’ensemble de la planète, on peut dessiner la courbe et préciser l’année du pic pour chacune de ces ressources. Bien entendu, la courbe varie selon les hypothèses retenues, notamment en termes de coûts d’extraction (gisements sous-marins profonds, gaz de roche, schistes et sables bitumineux, récupération assistée…).
Bien entendu, dans chaque cas, la « date du pic » - et son existence même - est très contestée. Soutenu, et bien documentée par l’ASPO (Association for the Study of Peak Oil) une association internationale créée par des géologues pétroliers retraités, le concept tend aujourd’hui à être de mieux en mieux accepté. Longtemps même niée par de nombreux opérateurs, y compris par l’AIE, l’imminence du « pic » s’impose néanmoins à tous, même si le terme de « plateau » est encore préféré par quelques-uns. En effet, plusieurs faisceaux de données viennent corréler ces hypothèses. Notamment la courbe des découvertes annuelles en comparaison avec celle de la production.
Fig.5 : Tandis que la production ne cesse de croître, le volume des découvertes baisse inexorablement malgré les efforts d’exploration et de développement de gisements sans précédent.
Bien entendu, la date du pic dépend de l’évaluation du volume des ressources, mais dépend également du taux de croissance de la consommation. Ainsi, alors que les réserves de charbon paraissent suffisantes jusqu’à l’horizon 2050 pour un taux de croissance de 2% par an, la totalité des ressources identifiées suffit à peine pour un taux de croissance annuel de 10%.
La distribution géographique des ressources fossiles
Dans le domaine des énergies fossiles comme pour les autres ressources minérales, il faut aussi tenir compte de la distribution géographique mondiale des ressources (Fig.6). Ici comme pour les métaux, la disparité est frappante. On constate que l’Europe est la plus démunie, et donc dépendante des importations, notamment du Moyen-Orient et de la CEI.
Fig.6 : Localisation des principales réserves en énergie fossiles (en Gigatonnes équivalent pétrole). En jaune le pétrole, en bleu le charbon, en vert le gaz (source BP et WEC)
Les économies des pays dits développés sont lourdement dépendantes de la consommation en énergie fossile, au point que l’on peut avancer l’idée que la croissance assez exceptionnelle observée au cours des 60 dernières années a été directement liée à ce recours massif à une ressource fossile par essence non durable, payée à relativement bas prix au regard de sa rareté réelle.
Mais la question de l’économie réelle des énergies fossiles ne s’arrête pas là. On sait, depuis la publication des travaux du GIEC, notamment depuis le sommet de la terre à Rio en 1992 où a été élaborée la convention climat, que le déstockage massif du carbone contenu dans l’enveloppe solide de la terre, et son émission sans retenue dans l’atmosphère n’a pas été sans conséquence sur l’évolution de la composition de celle-ci. Le GIEC [1]2 a démontré que les gaz carbonés rejetés dans l’atmosphère par combustion des énergies fossiles ont pour conséquence une augmentation des températures et des phénomènes météorologiques extrêmes. Ainsi, malgré les avertissements de l’ASPO [2], il a fallu que l’on approche un niveau de consommation correspondant à la moitié du stock disponible pour que l’on se rende compte que non seulement il s’agissait d’une ressource limitée, déjà en voie d’épuisement, mais encore que sa combustion avait un impact significatif sur le climat.
L’industrie nucléaire civile et militaire repose sur l’Uranium. D’autres éléments, comme le Thorium, relativement plus abondant, pourrait également être utilisé, mais ces filières ont été privilégiées notamment du fait de la dualité des applications civiles et militaires (production de Plutonium). L’Uranium n’est pas un élément excessivement rare dans la lithosphère. Néanmoins, les gisements contenant des concentrations suffisantes pour justifier d’une exploitation ne sont pas si abondants. Ils sont pourtant relativement faciles à découvrir du fait de la radioactivité caractéristique de cet élément qui permet des prospections aéroportées efficaces. L’évaluation des ressources au niveau du globe n’a pas été facile à mener à cause du secret lié au caractère stratégique de cette ressource, notamment du fait de ses applications militaires. A la suite des développements des applications civiles, des tensions sont apparues sur le marché après chocs les pétroliers des années 70, ensuite dissipés par la fin de la guerre froide. Avec l’effondrement de l’Union Soviétique et la réduction des stocks militaires, à la fin des années 80, d’importantes masses de combustibles ont été mises sur le marché donnant l’impression d’une abondance à bon marché. Les filières des surrégénérateurs ont été abandonnées. Mais lors de la remontée des cours des énergies fossiles et la reprise de la construction des centrales nucléaires conventionnelles, la question de l’importance des ressources s’est à nouveau posée. Les compagnies concernées ont réinvesti dans l’exploration, notamment AREVA à partir des années 2005.
On estime aujourd’hui que les réserves géologiques atteignent 4,74 Mt d’Uranium, alors que la consommation annuelle est de 68.400 t, ce qui représente 69 ans de production à partir des réserves actuelles, auxquelles s’ajoutent 26 ans de production à partir des ressources secondaires (uranium militaire et recyclage). Ces ressources naturelles sont principalement localisées en Australie, en Amérique du Nord, en CEI et en Afrique.
Bien entendu, il est possible de découvrir encore de nouveaux gisements plus profonds, ou même d’extraire l’Uranium de l’eau de mer, mais il apparaît néanmoins que les ressources en Uranium à un coût acceptable atteindront leurs limites à la fin du siècle, notamment en cas d’augmentation du parc nucléaire.
Même si le Thorium, présent en abondance plus grande encore dans la lithosphère, permettait de nouvelles productions nucléaires si cette filière venait à être développée, force est de constater que, comme les hydrocarbures, les combustibles nucléaires accessibles à des coûts économiques sont en quantité limitée.
Les filières de surrégénération – si elles aboutissaient à des technologies sûres, ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui, les opérations de R&D ayant été abandonnées du fait des problèmes posés par ces filières – offriraient une solution en terme de durabilité. Mais, compte tenu des risques des filières classiques - cette voie autrement plus hasardeuse n’est pas prête à être ré-ouverte.
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L’augmentation de la demande et de la production des ressources minérales au cours des siècles
Face à une quantité par essence limitée, la durabilité d’une production est d’abord dépendante de la demande. Or, après des millénaires d’exploitation relativement stable, l’augmentation de la production des substances minérales terrestres a suivi au cours du dernier siècle, d’une manière plus générale, une croissance quasi-exponentielle, marquée toutefois par des paliers.
Le premier correspond à la période du début du siècle jusqu’à la seconde guerre mondiale : sur cette période de 40 ans, le total extrait du sous-sol passe de 200 à 800 millions de tonnes. Les « 30 glorieuses » marquent un second pallier de croissance – en occident et en URSS - pour atteindre 2.500 million de tonnes au moment du premier choc pétrolier. Après une période de croissance modérée, liée à la chute du modèle soviétique, la production repart en forte hausse à partir du milieu des années 2.000, essentiellement tirée par les pays émergents (Chine, Inde, Brésil…).
Il faut noter que cette croissance est à la fois quantitative et qualitative : on observe une diversification des substances utilisées dans l’industrie, au point de couvrir la quasi-totalité du tableau de Mendeleïev. Dès lors, devant cette reprise d’une demande exponentielle, on est en droit de se poser la question de la faculté qu’aura la planète à répondre à cette sollicitation. C’est la question que nous aborderons dans un prochain article.
Le recyclage des matières premières minérales
Les matières premières minérales sont pour la plupart recyclables. Ainsi, les substances minérales extraites de la lithosphère et utilisées dans la technosphère sont-elles à disposition pour de nouveaux usages une fois passé un premier « cycle de vie ». Et ainsi de suite…
Bien entendu, il faut tenir compte de la durée de vie des produits dans lesquels ces substances sont incorporées. L’évolution de la valeur du produit issu de la ressource primaire joue aussi un rôle déterminant.
Enfin, selon la conception initiale du produit dans lequel la substance est incorporée, le recyclage, ou même la réutilisation (généralement plus économique) est plus ou moins facilité. L’éco-conception des produits vise à faciliter le recyclage des éléments, notamment des métaux les composant.
Dans l’intérêt économique du recyclage, relativement au recours au métal primaire issu d’une mine, la question des coûts énergétiques respectifs des deux options joue un rôle déterminant, et bien sûr croissant avec le prix de l’énergie. Les métaux les plus consommateurs d’énergie pour leur production primaire à partir du minerai sont les plus intéressants à recycler. C’est notamment le cas de l’Aluminium. On observe que, tandis que la production totale augmente, la part respective de métal produit à partir de source primaire décroit tandis que la part du recyclage augmente. Néanmoins, la croissance de la demande est telle que le recyclage n’est pas en mesure de remplacer la production minière. L’aluminium est d’ailleurs un des métaux les moins rares dans l’écorce terrestre, même si les gisements les plus propices (la bauxite) sont souvent en voie d’épuisement.
Les ressources minérales constituent un ensemble extrêmement diversifié au regard de la durabilité. Si les matériaux de construction ne posent pas de problèmes autres que de proximité entre offre et demande, du fait du coût du transport des pondéreux, à l’opposé, toutes les ressources minérales à finalité énergétiques sont limitées, et non recyclables du fait qu’elles sont détruites par le procédé de combustion. Les minéraux industriels et les métaux présentent par contre à la fois des perspectives de production minières plus vastes et surtout des possibilités de recyclage de plus en plus attrayantes avec la croissance des prix de l’énergie. Par contre, l’usage des minéraux utilisés pour les intrants agricoles, s’ils favorisent les rendements, sont dispersés par l’usage et donc non recyclables, et ne constituent pas de ce fait des formes de gestion durable des ressources minérales.
Il en découle que, dans une perspective de développement durable, la conception des produits devra prendre en compte à la source les perspectives de recyclage - voire la réutilisation – des métaux et des minéraux industriels contenus. A cet égard, l’innovation dans les services offre des perspectives immenses.
Cette analyse de la durabilité des filières minérales amène à considérer qu’en matière d’énergie, le recours aux énergies renouvelable s’impose, qu’il s’agisse du solaire, de l’éolien, de la biomasse, de l’hydraulique ou de la géothermie, une autre ressource énergétique terrestre encore aujourd’hui très peu sollicitée. En effet, concernant le pétrole, le gaz naturel et le charbon, les usages non énergétiques – aboutissant en outre à des produits généralement recyclables - devront être privilégiés dans une optique d’optimisation de la gestion à long terme d’une ressource trop précieuse pour être trop rapidement transformée en gaz à effet de serre.
Notes
(pour revenir au texte, cliquer sur le numéro de la note)[1] IPCC : International Panel for Climate Change
[2] ASPO : Association for the study of peak oil ; voir ASPO France : http://aspofrance.org/
Bibliographie
* Varet, Jacques : Ressources minérales et minières, Futuribles, 2009
* Varet, Jacques, : Ressources minérales. Diagnostic stratégique France 2025, Groupe Ressources rares, CAS, 2009
* Varet, Jacques : Matières premières minérales : flambée spéculative ou pénurie durable ?, Futuribles, 2005
* Wagner, Markus & Wellmer, Friedrich-W. Global mineral resources, occurrence and distribution. In Engineering Geology, Environmental Geology & Mineral Economics, Encyclopedia of Life Support Systems (EOLSS) ; Oxford, UK. Available online : http://www.eolss.net, 2009
* Steinbach, Volker & Wellmer, Friedrich-W : Consumption and use of non-renewable mineral and energy raw materials from an economic geology point of view. Sustainability 2, 1408-1430, 2010
* Wellmer, Friedrich-W : Die Rohstoffsituation der Welt. Erzmetall, 12, 705-717, 2003
* Wellmer, F.-W. & Steinbach, V. Is a Road to Sustainable Use of Non-Renewable Mineral Raw Materials Possible ? SDIMI Aix-la-Chapelle (à paraître)
- info document (PDF – 758 kio)