L’instrumentalisation des crises environnementales, question émergente du développement durable. La Nouvelle-Orléans après Katrina : un cas d’école.

27 avril 2011

Résumé

Derrière toute catastrophe naturelle et toute crise environnementale se cache, soit une analyse coûts-avantages qui a mal tourné, soit un choix délibéré bénéficiant à certains acteurs ou groupes sociaux au détriment d’autres. Qualifier une catastrophe de « naturelle » présente l’avantage de jeter un voile pudique sur les dysfonctionnements et les responsabilités humaines.

Une telle qualification permet aussi, dans les phases de reconstruction, d’instrumentaliser le développement durable au service d’intérêts qui ne sont pas nécessairement ceux des populations affectées. Ainsi, la reconstruction de La Nouvelle-Orléans est devenue le moyen de mener à bien une vaste opération de reconfiguration urbaine, instrumentalisant le développement durable. Elle vise à transformer radicalement l’image de la ville tout en empêchant, autant que possible, le retour des populations les plus déshéritées qui l’ont quittée lors de la catastrophe. Cette politique met en avant des opérations d’urbanisme durables et de maisons écologiques, alors que peu est fait pour rectifier les choix d’aménagement aberrants qui ont conduit à la catastrophe.

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Auteur·e

Mancebo François

Professeur des universités / Full Professor


Depuis une dizaine d’années, catastrophes et crises interfèrent de plus en plus fortement avec les politiques de développement durable. A chaque événement catastrophique ( tsunami, cyclone, tremblement de terre, pandémie, inondation, etc. ) des aménagements inadéquats parce que non-durables sont invoqués. Les catastrophes questionnent ainsi les temps d’action du développement durable et le devenir de populations en mouvement.

 Stratégies de dédouanement.

L’environnement, loin d’une transcendance s’imposant d’elle-même, est construit par les sociétés. Si les écosystèmes existent per se, avec leurs flux de matière, d’énergie et d’information plus ou moins régulés selon des lois biophysiques et biochimiques, l’environnement est la manifestation de la manière dont l’humanité négocie sa survie au sein de ces écosystèmes. Pour cette raison, ce que les sociétés humaines perçoivent de leur environnement résulte d’un travail de négociation et d’interprétation du réel.

Des catastrophes pas si « naturelles » que cela.

Un distinguo de même nature peut être établi entre phénomène naturel et catastrophe concrétisant un risque. Il existe, certes, des phénomènes naturels dont les cyclones font bien partie. Ils n’ont pas pour cause l’action humaine, même si leur intensité ou leur fréquence peut en être affectée : hypothèse d’une relation entre changement climatique et activité cyclonique [1] . Par contre, leurs effets catastrophiques dépendent de la manière dont les hommes aménagent leur espace de vie ou plus exactement du risque qu’ils acceptent de prendre volontairement ou non, consciemment ou non : choix historique de fonder la ville là plutôt qu’ailleurs, choix individuels cumulatifs d’y habiter, choix sociétaux et choix institutionnels d’urbanisation. Une catastrophe « naturelle » est donc, fondamentalement, une catastrophe « humaine » en ce qu’elle résulte de choix d’exposition ou non à l’aléa [Beck U., 2003]. Si les phénomènes naturels affectent les écosystèmes, c’est surtout pour les humains qu’il y a catastrophe. Derrière la catastrophe « naturelle » se cache donc souvent, soit une analyse coûts-avantages qui a mal tournée, soit un choix délibéré bénéficiant certains acteurs ou groupes sociaux au détriment d’autres. Qualifier une catastrophe de « naturelle » présente un grand avantage. Cela jette un voile pudique sur les dysfonctionnements et les responsabilités humaines. Cette sorte de formule magique de dédouanement désigne un bouc émissaire (« marâtre nature ») aux populations sinistrées [Jeudy H. P., 1990]. Examiner les catastrophes selon cette perspective, qui fait la part belle à l’acceptabilité du risque et qui relie les dimensions environnementales, économiques et sociales, place leur gestion au cœur des politiques de développement durable.

La catastrophe consécutive au passage du cyclone Katrina à la Nouvelle-Orléans en 2005, éclaire particulièrement cela. Ce n’est pas le cyclone Katrina qui a dévasté la Nouvelle-Orléans, ce sont les inondations qui ont suivi l’effondrement des levées. Ce ne sont pas les inondations qui ont suivi l’effondrement des levées qui ont dévasté la Nouvelle-Orléans, c’est la non prise en compte d’une information régulatrice qui existait depuis des années, ce sont des défaillances en chaîne du système d’alerte et des secours au moment de la catastrophe. Ce sont sur une plus grande échelle de temps, des pratiques d’aménagement aberrantes, dont la toute première fut de laisser prospérer une agglomération presque entièrement située en dessous du niveau de la mer. Mais le plus surprenant ici a été l’incapacité manifeste à faire face à la catastrophe après-coup, alors que depuis plus d’une vingtaine d’années de nombreux rapports prédisaient le scénario qui s’est réalisé, même avec un orage d’intensité assez faible. Quand Katrina a touché les côtes, le 29 août 2005, peu de risques aux Etats-Unis avaient été autant étudiés. Dès 2001, la FEMA (Federal Emergency Management Agency) a rangé le risque cyclonique sur la Nouvelle-Orléans en tête des plus grandes menaces pesant sur les Etats-Unis, devant le « Big One » californien.

1.

Cette catastrophe montre une situation où les dysfonctionnements ne sont pas reliés à un déficit d’information, mais à la négligence délibérée de l’information existante. Katrina soulève la question de l’arbitrage entre la place accordée à l’information fonctionnelle et celle accordée à l’information régulatrice dans les politiques d’aménagement [Raffestin C., 2006]. L’information fonctionnelle intéresse la mise en valeur des ressources territoriales et le fonctionnement des systèmes territoriaux. Elle inclut des systèmes de normes techniques, des connaissances scientifiques opératoires, des référents culturels, etc. L’information régulatrice, quant à elle, concerne la pérennité du système territorial concerné en évitant déséquilibres et destructions. Elle est composée de valeurs, de codes et de réseaux sociaux, de la mémoire des sociétés, mais aussi de la transposition analogique d’événements ayant déjà eu lieu « ailleurs » ou de connaissances acquises (simulations, études prospectives, modélisations) permettant d’envisager l’avenir. Sans information régulatrice, une société est condamnée à se détruire ainsi que le montre l’histoire jonchée de civilisations disparues parce qu’elles n’ont pas consenti les coûts de la connaissance.

Sacrifier l’information régulatrice.

En l’occurrence, derrière les défaillances de la réduction des risques, de la prévention, de l’alerte puis in fine des secours, on constate que l’information régulatrice est sacrifiée. Elle l’est parfois pour d’excellentes raisons, lorsque par exemple l’information appropriée manque, mais le plus souvent pour des raisons beaucoup moins avouables : d’une part, dans les sociétés humaines, la satisfaction immédiate des besoins l’emporte, car l’information régulatrice coûte dans l’immédiat et ne rapporte que dans le futur et par défaut ; d’autre part, les désastres sont toujours suivis de reconstruction, donc d’investissements massifs rapportant beaucoup de bénéfices. Ce courant de pensée s’exprime, aujourd’hui, dans divers rapports de la Banque Mondiale [Benson C., Clay E. J., 2004]. C’est sur ces fondements que l’administration américaine de l’époque a abandonné les politiques de prévention [National Academy of Public Administration, 1993]. Le Président Bush avait supprimé les 25 millions de dollars annuels affectés aux programmes de prévention : ces programmes, dits Project Impact, prévoyaient des acquisitions foncières dans les zones à risques et la mise en place de systèmes d’alerte. Dans le même temps, il avait réduit sévèrement les subventions accordées par la FEMA aux communautés locales impliquées dans des politiques de réduction des risques. Sous l’administration Clinton, au moins 15 % de l’argent dépensé pour les risques naturels devait correspondre à une réduction de l’exposition aux risques et à la prévention, là, le taux est abaissé à 7,5 %. Au même moment, le Congrès réduisait de moitié les fonds fédéraux affectés à la consolidation des digues autour du lac Pontchartrain. 29 millions de dollars étaient prévus pour leur réparation en 2005. La somme a été réduite à 3,9 millions sur insistance du gouvernement.

Il importe de noter que, dans l’estimation de ce qu’il est convenu de nommer l’acceptabilité du risque [Fischhoff B., Lichtenstein S., Slovic P., Derby S., Keeney R., 1981], ceux qui décident ne sont pas nécessairement ceux qui sont ensuite le plus exposé. Ainsi, une des images emblématiques du cyclone Camilla, qui s’est abattu sur les côtes du Mississippi en 1969, est celle des ruines du complexe Richelieu à Pass Christian où plusieurs personnes avaient trouvé la mort. Le site est resté en l’état jusqu’en 1995, où il a été décidé d’y construire un centre commercial. Dix années plus tard, Katrina a répété Camilla et le centre commercial a été littéralement rasé. Mais le responsable du groupe Cress Realty Group qui gère cet espace, reste tout à fait optimiste pour l’avenir. Il declare lors d’un entretien : « It had been 36 years since the last storm, so once every forty years is not that bad a frequency ; storms are just a way of life down here » (« 36 ans entre deux tempêtes, cela ne fait jamais qu’une fois tous les quarante ans, ce n’est pas mal comme fréquence ; les tempêtes font partie de la vie ici »).

Depuis, la reconstruction de la Nouvelle-Orléans est devenue, au delà de l’opportunité économique, le moyen de mener à bien une vaste opération de reconfiguration urbaine, instrumentalisant Katrina par le filtre du développement durable. Elle vise à transformer radicalement l’image de la ville tout en empêchant, autant que possible, le retour des populations les plus déshéritées qui l’ont quittée lors de la catastrophe. Cette politique dite Towards a Sustainable New Orleans, met en avant des opérations d’urbanisme durables et de maisons écologiques, alors que rien n’est fait pour rectifier les choix d’aménagement aberrants qui ont conduit à la catastrophe.

 A La Nouvelle-Orléans, une reconstruction non dénuée d’arrière-pensées.

Pour comprendre les enjeux de la reconstruction, il convient de rappeler que Katrina a été à l’origine d’un des plus vastes mouvements de population aux Etats-Unis : près de 80 % de la population est partie ou a été évacuée [McQuaid J., 2006]. En janvier 2006, la Federal Emergency Management Agency (FEMA) réévaluait le nombre de déplacés à plus de 2 millions [Louisiana Family Assistance Center, 2006].

Certes, le passage de Katrina a détruit 300 000 logements à la Nouvelle-Orléans, mais la FEMA a aussi classé 60 000 immeubles et maisons en état de péril, c’est-à-dire inhabitables et destinés à être démolis [Lipton E., 2005]. Avant l’ouragan, existait une grande hétérogénéité dans le type d’urbanisation et le profil socio-économique et culturel des habitants entre les quartiers de la Nouvelle-Orléans. Après Katrina, cette hétérogénéité s’est révélée aussi dans les différences de vulnérabilité des bâtis et dans les inégalités spatiales de la reconstruction. Les plus anciens quartiers —French Quarter ou Garden District— sont situés sur les sites les plus élevés. Ce sont, aujourd’hui, des espaces touristiques habités par des populations aisées. Fort bien entretenus, ils n’ont que peu souffert. Il existe aussi des quartiers résidentiels dans des espaces très soumis aux inondations, soit parce qu’ils sont situés très bas par rapport au niveau de la mer, tels Holy Cross, Esplanade Ridge, Broadmoor ou Jackson Barrack, soit parce qu’ils sont à proximité immédiate du Lac Pontchartrain tels Jefferson Parish, Lakeview, Gentilly ou New Orleans East. Ils ont été submergés sous près de 2,50 mètres d’eau. Mais les habitants de ces lieux avaient la capacité financière de reconstruire, ce qu’ils ont fait malgré la dangerosité du site. Contrairement à un cliché tenace, les quartiers les plus pauvres formés de maisonnettes en bois ne sont pas ceux qui ont été le plus touchés par les inondations. Par contre, l’habitat précaire qui s’y trouvait n’a résisté ni au vent, ni à la montée des eaux. En ces endroits, peu de réhabilitations ont été réalisées car les habitants n’en ont pas les moyens, alors qu’elles seraient relativement peu coûteuses au regard d’autres quartiers. C’est ainsi que le Lower 9th ward, l’un des quartiers les plus déshérités, ressemble toujours à une ville morte. De surcroît, les fonds privés, mais aussi publics se sont orientés majoritairement vers les sites les plus rentables ou présentant un intérêt économique. Ces disparités dans la reconstruction vont modifier en profondeur la structure sociale de la Nouvelle-Orléans.

De fait, les personnes déplacées qui essaient de revenir ont d’énormes difficultés pour trouver un logement abordable à acheter ou à louer. À la Nouvelle-Orléans, les loyers ont augmenté de 40 % à 200 % une année après le cyclone [Meitrodt J., 2006]. Il en résulte une difficulté pour ceux qui désirent revenir, à trouver des logements disponibles. Il semble y avoir, dans ce domaine, une instrumentalisation de la catastrophe par les autorités locales, d’état et fédérales dans une stratégie concertée de d’exclusion économique des populations les plus dérangeantes. La FEMA a ainsi admis que leur évaluation du nombre de logements en état de péril était largement excessive, car la plupart des inspections n’étaient que des rapid exterior inspections [Lipton E., 2005]. Or, la grande majorité de logements détruits ou déclarés inhabitables —les sept dixièmes— étaient les logements modestes ou très modestes hébergeant des familles à très bas revenu [National Low Income Housing Coalition, 2005]. À leur place sont construits de logements de meilleure qualité, beaucoup plus chers.

Les personnes à la recherche de logements sociaux —public housing— rencontrent encore plus de problèmes. Avant Katrina, 5 100 familles vivaient dans des logements sociaux à la Nouvelle-Orléans [Bacon J., Kornblum J., 2005]. En juin 2006, alors que la pression immobilière était très forte dans le sillage de Katrina, l’US Department of Housing and Urban Development et le HUD-controlled Housing Authority of New Orleans a décidé paradoxalement de détruire les grands ensembles —public housing complexes— des quartiers de B. W. Cooper, C. J. Peete, Lafitte et St. Bernard, qui étaient en parfait état, pour les remplacer par des immeubles locatifs privés dont une partie seulement (moins de 50 %) seront des logements sociaux [Warner C., Krupa M., Filosa G., 2007]. Il est vrai que ces opérations étaient déjà planifiées avant le passage du cyclone. Toutefois, leur mise en œuvre volontariste, sans tenir compte de la nouvelle situation a été catastrophique pour les familles les plus pauvres qui, évincées des logements sociaux, ne peuvent espérer trouver où se loger en ville. Dans le même temps, la FEMA a accordé plus facilement des aides aux plus pauvres lorsqu’ils se sont réinstallés en dehors de la ville.

Un deuxième obstacle empêche le retour des déplacés qui le souhaitent : l’indemnisation des biens détruits par les compagnies d’assurances est très inférieure aux pertes réelles subies. Souvent les assurances ne couvrent pas ou mal les dommages dus au vent ou aux inondations. Plus de 6 600 contentieux ont été engagés contre des compagnies d’assurances auprès du tribunal fédéral de la Nouvelle-Orléans par des familles lésées. L’état de Louisiane a estimé que les propriétaires ont reçu en moyenne 4 000 € de moins que ce qu’ils auraient dû obtenir, ce qui est énorme au regard de la faible valeur des biens en jeu [Eaton L., Treaster J. B., 2007]. Dans son rapport The macroeconomic and budgetary effects of Hurricanes Katrina and Rita du 29 septembre 2005, le Congressional Budget Office (Commission des Finances du Congrès) craignait que le paiement des assurances-inondations ne soit pas assez réactif. En réalité, 70 % des demandes ont vite été traitées, mais les sommes attribuées étaient largement insuffisantes. Il convient de rajouter qu’une part non négligeable des populations les plus pauvres n’était tout simplement pas assurées ]->http://www.urbanconservancy.org/library/pdf/katrina-two-years-gulfblueprint.pdf]. Enfin, les nombreuses familles modestes habitant la même maison depuis des générations n’avaient fréquemment plus de titres de propriété, voire n’en avaient jamais eu. Elles se sont donc retrouvées inéligibles aux diverses aides.

Dans le même temps, les aides promises n’arrivent pas. Au lendemain du passage du cyclone, le gouvernement fédéral a accordé deux aides d’urgence pour un montant de 40 milliards d’euros et la FEMA une allocation plafonnée à 17 000 € pour 60 000 foyers sinistrés. Les financements fédéraux sont administrés directement par les états de Louisiane et du Mississippi, où les complications administratives se sont multipliées. La Louisiane a signé un contrat de 500 millions d’euros avec une société de Virginie —ICF International— pour gérer ces fonds sous la dénomination the Road Home Program. Plus d’un an après le cyclone, aucune aide n’avait encore été versée. En février 2007 —18 mois après Katrina— seules 630 personnes éligibles avaient reçu leur argent. En septembre 2007, moins de 50 000 sur 150 000 [Louisiana Road Home Program, 2007]. Après quoi, le programme subit une coupe budgétaire à hauteur de 2 milliards d’euros [Landrieu M., 2007]. De toute manière, dès décembre 2005, le fond d’indemnisation public —National Flood Insurance Program— avait suspendu ses remboursements et annoncé que les critères de prise en charge allaient être durcis. Au même moment, la FEMA suspendait le paiement des 50 000 chambres d’hôtel hébergeant les sinistrés. Plus de 10 mois après la catastrophe, le Congrès n’avait toujours pas ratifié une loi aidant financièrement les propriétaires à reconstruire leur logement [Russell G., 2006]. La situation financière de nombreux déplacés est d’autant plus difficile que nombre d’entre eux n’ont pas retrouvé de travail. En août 2006, le taux de personnes sans emploi parmi eux était de 23 %, soit cinq fois le niveau moyen national de 4,7 % [Associated Press, September 1, 2006]. Comme le gouvernement fédéral a supprimé, en juin 2006, les allocations aux déplacés sans travail —plus de 64 000 personnes—, la moitié des sinistrés avaient en 2007 un revenu annuel inférieur à 13 000 € [Louisiana Family Recovery Corps, 2007].

Les sinistrés qui parviennent à surmonter ces obstacles sont freinés par l’incertitude sur ce qui les attend au retour. Auront-ils à nouveau une épicerie, une école près de chez eux ? Retrouveront-ils leur communauté de voisinage ? Là non plus, les signaux ne sont pas rassurants. Ainsi, les personnes déplacées qui le souhaitent ont les plus grandes difficultés à participer à distance à la vie de leur communauté d’origine. Ils ne reçoivent aucune information sur les décisions majeures concernant les programmes de reconstruction de logements, écoles, établissements de soins, aucune invitation aux réunions de quartier —les neighborhood planning meetings— [Kromm C., 2006 ; Kromm C., Sturgis S., 2007]. Cet ostracisme s’est manifesté de la manière la plus brutale dans l’exercice du droit de vote, en avril 2006, lorsque La Nouvelle-Orléans a connu la première élection municipale après Katrina. À cette date sur 299 000 inscrits près de 200 000 n’étaient pas encore revenues [Louisiana Secretary of State, 2006]. Des avocats des mouvements des droits civiques déposèrent une demande pour que des bureaux de vote soient créés dans les villes où était concentré un grand nombre de déplacés (Houston, Atlanta, Memphis et Dallas). Le Département de la Justice refusa la requête puis, sous la pression de l’opinion publique, finit par autoriser 10 centres de vote hors de la Nouvelle-Orléans, mais tous dans l’état de Louisiane. De toute manière, ni les autorités fédérales, ni celles de l’état n’envoyèrent de bulletins de vote ou d’informations sur les élections à ceux qui n’habitent plus La Nouvelle-Orléans. Comme ces bureaux de vote ne disposaient pas de bulletins, il était impossible de voter à moins de faire une demande individuelle de bulletins bien avant le scrutin [Clarke-Avery K., 2006].

 Conclusion :

L’instrumentalisation de la gestion post-catastrophe, plus particulièrement dans la phase de reconstruction, au service d’enjeux masqués ou de stratégies inavouables s’appuie souvent sur une invocation systématique, mais a contretemps, du développement durable. Le Sustainable New Orleans Action Plan qui encadre la reconstruction de la Nouvelle-Orléans est un cas d’école de telles dérives. Les politiques menées ainsi accouchent d’objectifs souvent dérisoires au regard de l’ampleur des problèmes à résoudre, voire totalement déconnectés des problèmes réels : en quoi les panneaux photovoltaïques ou les maisons-conteneurs qui fleurissent aujourd’hui dans La Nouvelle-Orléans sont-ils une réponse à l’exposition au risque cyclonique et aux inondations ? Cette politique s’exprime avec une ardeur qui relève plus de la bonne conscience que d’une réelle intention d’en découdre. Deux corollaires à ces dérives :

  • Nombre d’acteurs publics et privés sont tentés de profiter de la confusion engendrée et du caractère flou des attentes pour infléchir, ici ou là, les politiques dans le sens de leurs intérêts particuliers au détriment de l’intérêt général.
  • Il en résulte des dispositifs très normatifs, excessivement réglementaire, mais bien peu adaptés aux besoins réels sacrifiant, souvent l’équité sociale à la viabilité environnementale. Il convient pourtant de rappeler que tout plan de reconstruction, loin d’un simple dispositif technique est avant tout un projet politique.

Notes

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 Bibliographie

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