Controverses sur les ressources naturelles, état des lieux prospectif
La finitude de la planète se comprend en termes de rareté et de pressions sur les milieux physiques.
Résumé
« Plusieurs articles composant ce dossier s’appuient sur un rapport détaillé publié par l’Association 4D en juin 2012 : « Etat des lieux des controverses sur les ressources naturelles ». L’Association 4D a souhaité approfondir la notion de limite, par le biais d’une approche différenciée de la rareté, en fonction de 5 catégories de ressources : biodiversité, ressources minérales, énergétiques et alimentaires et milieux physiques. Les pressions et limites ne se posent pas de la même façon et sont précisées au travers de 6 articles, en termes de stock disponible, d’accès (avec les enjeux géostratégiques que la localisation de certaines ressources peut poser), de coût d’exploitation et de qualité afin d’anticiper les enjeux économiques liés à l’utilisation de la ressource et enfin par rapport à leur potentiel de recyclage et d’optimisation. Le premier article de ce dossier (Synthèse de l’état des lieux prospectif) précise les enjeux pour la France, dans la perspective de l’optimisation de la gestion des ressources naturelles.
En précisant les limites posées par les milieux physiques et les ressources naturelles, il s’agit de délimiter les marges de manœuvre, ainsi que les contradictions potentielles dans le cadre de l’élaboration des chemins de la transition vers une économie écologique. »
Auteur·e
est chargée de mission à l’association 4D et chargée d’étude sur la Transition vers une économie écologique.
La finitude de la planète se traduit par la notion de rareté, distincte selon les ressources, et fait référence aux pressions sur les milieux physiques. Si la globalité des menaces est reconnue, elle demeure controversée quant à son ampleur, ses temporalités, et suscite de larges débats quant aux tendances à infléchir et aux réponses à apporter. C’est donc pour répondre à un souci de clarification et de pragmatisme que nous abordons ici les problèmes posés par la rareté. Ceux-ci définissent l’ampleur de la mutation à engager. La maîtrise de la rareté des ressources naturelles peut être un moteur pour engager la transition vers une économie écologique.
Il convient de distinguer plusieurs catégories de ressources, chacune étant marquée de manière spécifique par sa confrontation aux limites, selon un ensemble de critères, à la fois environnementaux mais également sociaux, économiques et politiques.
- La biodiversité en tant que question globale et transverse, dont l’érosion est avérée, allant jusqu’à des grandes extinctions et des écosystèmes menacés qui affectent aussi des communautés, des modes de vie ;
- Les ressources métalliques et minérales (dont on exclut volontairement les ressources fossiles) : elles sont constitutives de la couche terrestre, ne sont pas dans l’absolu menacées par la rareté. En revanche, elles deviennent rares dès lors qu’elles ne sont pas réutilisées, ou recyclées, compte tenu d’un coût d’extraction croissant ;
- Les ressources énergétiques (ressources fossiles, nucléaires et renouvelables), se décomposent à l’usage. Ces combustibles fossiles étant d’origine biologique, leur présence est limitée sur la couche superficielle de la planète et les stocks sont déjà sous pression. Cependant ce sont des ressources déjà substituables par des énergies alternatives.
- Les milieux physiques : sols, eau, air et atmosphère, dont les contraintes, souvent sanitaires, sont vécues et perçues au niveau local, alors que leur gestion nécessite une gouvernance interterritoriale, régionale voire globale. Les différences territoriales sont très grandes. Les conflits d’usage sont aussi au cœur de problèmes de gouvernance
- Les ressources alimentaires, font l’objet d’un traitement à part même s’il s’agit surtout de l’usage transversale des ressources précitées, notamment les milieux et la biodiversité. Elles illustrent la complexité et le traitement nécessairement systémique de ces enjeux.
Si la rareté des ressources naturelles fait l’objet d’un constat scientifique partagé, elle désigne surtout un processus dynamique, relatif à l’intégration des sociétés à leur environnement. En premier lieu, la rareté doit être comprise dans ses deux dimensions :
- quantitative : manque, vacuité, finitude… d’un stock objectif (mesuré selon les connaissances disponibles et pouvant donc être variable) par rapport à des besoins de manière permanente, régulière, ponctuelle ; elle peut être globale ou locale.
- qualitative : peu fréquente, précieuse… qui peut donc avoir une valeur.
Chacune des catégories de ressources connaît des niveaux de rareté qui peuvent varier dans le temps et dans l’espace, être la résultante de facteurs physiques ou anthropiques. Il ne faut d’ailleurs pas seulement parler en termes de vitesse mais d’accélération. Si le vivant, avec ses phénomènes d’émergence et ses complexités, ses instabilités et variabilités, s’adapte à tout, il ne s’adapte peut-être pas à toutes les vitesses et encore moins à toutes les accélérations. Les interactions entre les différents facteurs peuvent venir accentuer un phénomène de rareté d’où l’importance à donner aux activités humaines, aux logiques socio-économiques, institutionnelles et organisationnelles. en vue d’une optimisation de la gestion des ressources naturelles.
La non renouvelabilité des ressources
Les ressources fossiles et nucléaires sont limitées et disparaissent lors de leur utilisation. Il n’y a pas - à ce jour - de recyclage possible. Une réelle contrainte physique existe donc pour ces ressources, qui se traduit par une augmentation croissante du prix de l’énergie dans un contexte de croissance de la population et des niveaux de consommation énergétiques. Au-delà des controverses réveillées sur les opportunités offertes par l’exploitation des gaz et pétroles non conventionnels, il faut admettre les limites physiques de ces ressources, qui contraignent leur exploitation. Le pétrole sera cher avant d’être rare.
La perte de la biodiversité, extinction des espèces et atteintes au patrimoine génétiques, sont autant de ressources naturelles perdues pour la subsistance des populations, et autant d’atteintes au patrimoine global, sans même que cette perte soit, au vu de l’état des connaissances actuelles, réellement mesurable.
La répartition inégale des ressources sur la planète amplifie les inégalités territoriales
La non correspondance entre la carte des besoins et la carte des ressources génère une rareté de fait. Les ressources naturelles sont en effet inégalement réparties sur la planète. Cette acception est valable pour les différentes catégories de ressources : ressources en eau disponibles, qualité des sols variables… Les principaux réservoirs de biodiversité mondiale sont de manière remarquable inégalement répartis sur la planète. Les ressources énergétiques, les matériaux dont la demande explose (terres rares notamment) et les capacités de production de ressources alimentaires sont inégalement réparties et / ou exploitées.
Deux facteurs d’accélération de raréfaction des ressources naturelles
L’impact des espèces exotiques envahissantes sur la biodiversité par exemple, par modification des chaines alimentaires et du fonctionnement des écosystèmes, qui menacent certaines espèces, qui peuvent altérer les capacités de production agricole.
Les changements climatiques : le réchauffement global a des impacts territoriaux spécifiques, sur la biodiversité, les sols, les ressources en eaux, qui alimentent en fonction des contextes locaux le processus de raréfaction de ces ressources naturelles.
« L’infini dans un monde fini » : l’optimisation de la gestion de la ressource jusqu’au moindre grain de matière
Cette gestion de la rareté ou de la pression sur les milieux se pose :
- en termes de potentiel d’optimisation des processus de production et des comportements de consommation, dans l’optique de passer d’une gestion de stocks à une gestion de flux
- en fonction de la demande et donc de nos modes de vie. Penser d’autres usages, qui exerceraient moins de pression sur les ressources, revient aussi à interroger nos modes de vie futurs.
- en termes d’accès, et donc de droits.
- selon les gestions des conflits d’usage.
Si une vision intégrée est communément défendue, paradoxalement, l’approche est bien souvent thématique voire sectorielle. Ainsi tous les secteurs économiques sont interpellés quant aux finalités, conditions de production et de développement à court, moyen ou long terme : agriculture, industrie, mines, tourisme, aménagement, urbanisme… Ces activités humaines posent invariablement la question des conditions d’accès aux ressources et en arrière fond celles des marchés (évolution des prix) et des nouvelles technologies. Quelles sont les vraies ou fausses solutions face à ces défis ? Y a-t-il un pré-requis technologique pour parier sur l’avenir et apprécier l’ambition portée à la durabilité environnementale ?
Les impacts des modes de production
La dégradation indirecte des ressources naturelles par les pratiques d’exploitation. Les activités d’extraction minière, comme l’usage intensif d’intrants en agriculture ont un impact sur l’environnement et contribuent à la raréfaction des ressources en eau, à la dégradation de la qualité des sols. Ce sont des pollutions à la fois locales et globales (pollution des nappes phréatiques, des mers et océans ; rejets industriels…).
La non prise en compte des capacités de régénération dans le temps, pour ce qui concerne l’exploitation de la forêt par exemple.
Les pertes et non usages ou gaspillages
Le gaspillage s’exprime par des pertes de ressources tout au long du cycle d’exploitation. La production mondiale de déchets est équivalente à 12 milliards de tonnes par an [OCDE]. 1/5e de l’extraction mondiale est transformée en déchets. Si 60 GT de matières sont extraites par an : destinées à un usage économique, l’équivalent de 40 GT est extrait sans être utilisé (extraction intérieure inutilisée) : morts-terrains, résidus de récoltes, pêches accessoires, gaspillages alimentaires… a contrario l’efficacité est à envisager au regard de la productivité de la ressource.
La non prise en compte du caractère renouvelable, car certaines ressources naturelles, sont renouvelables, telles que les ressources minérales, mais ne bénéficient pas aujourd’hui des technologies de recyclage suffisantes. Constitutives de la croûte terrestre, ces ressources sont abondantes, même si leur disponibilité varie très fortement d’une ressource à l’autre. En outre, elles peuvent être recyclées et réutilisées. Contrairement aux ressources fossiles, les ressources minérales non fossiles posent une confrontation à la rareté en termes d’abord technique, puis en termes économiques et géostratégiques.
La pression anthropique croissante, avec l’accroissement démographique et des modes de vie urbains sont des facteurs d’accroissement des besoins, donc de la demande et contribuent à l’épuisement des ressources. Nous serons 9 milliards en 2050. Les ressources per capita se réduisent d’autant si l’on projette les tendances actuelles dans le futur.
La privatisation et les limites au droit d’accès. Le modèle de développement et de gestion des ressources hérité de la révolution industrielle et qui s’est répandu avec la société de consommation (et de surconsommation), créé une rareté économique, sous l’effet des conditions d’approvisionnement, d’exploitation et de récupération, et d’allocation des ressources. Cette rareté fonde les prix relatifs des ressources en fonction des techniques de production. La rareté économique est par définition l’expression de l’appropriation privée des ressources et de l’omniprésence du mode de régulation par le marché.
Jusqu’à une monopolisation voire une privatisation dénoncée des ressources. Le phénomène de biopiraterie traduit le conflit qui peut opposer les territoires pourvus en richesse biologique et des acteurs « exploitant » en l’absence de règles internationales justes et d’instances de régulation transparentes dotées de réelles capacités d’intervention.
La concurrence des usages de l’eau, des sols s’accroît fortement, en témoigne le phénomène d’accaparement des terres à vocation énergétique ou alimentaire au niveau international. En France, la question des sols est mal appréhendée, et pâtit de l’absence de vision globale seule à même de proposer une répartition des usages conforme aux besoins et à la nécessaire préservation de la ressource.
La restriction des usages avec le réchauffement climatique notamment qui impose une contrainte globale inédite à l’humanité : la réduction des émissions de gaz à effet de serre par deux d’ici 2050 par rapport à 1990 au niveau mondial et par 4 (facteur 4) pour les économies développées. Pour stabiliser le climat la création artificielle de marchés de permis d’émission, utilisant les mécanismes de régulation économique concurrentielle, encore limitée à certaines zones géographiques, semble impuissante à obtenir un fort découplage entre production et émissions de gaz à effet de serre.
Considérant l’importance des facteurs économiques et politiques, les sociétés sont en mesure d’intervenir et d’agir en faveur d’une optimisation de la gestion des ressources naturelles. Non homogènes, non reproductibles, et connaissant des seuils d’irréversibilité, les ressources naturelles ne peuvent être apparentées à de simples facteurs de production et appellent à une adaptation / transformation du modèle économique, soutenue par un nouveau contrat social. On retiendra un ensemble d’interactions et de dynamiques structurant l’organisation sociale :
- les formes et instances de régulations aux différentes échelles, de l’international au local, et les interactions inter échelles ;
- les normes et réglementations ;
- les formes de démocratie territoriales et locales ;
- la mise en œuvre des droits pour tous.
Ces relations sociales imposent de prendre en compte les rapports de pouvoirs et de domination, les capacités d’intervention de chaque acteurs : citoyen, entreprise, collectivité, organisations de la société civile, quel rôle et responsabilité, quels droits pour chacun dans la gestion et l’accès à ces ressources ? Système fiscal, droit environnemental et droit de propriété sont des outils privilégiés pour agir en ce sens.
Enfin, les modes de production et de consommation ont un rôle moteur central dans la transition vers une économie écologique. Ils doivent évoluer vers une plus grande sobriété et viser une durabilité forte. Dans cette optique, la productivité des ressources naturelles constitue un indicateur phare tout comme le découplage entre la croissance économique et la consommation de ressources et ses retombées sur l’environnement.
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