Pour une agriculture efficace sur les plans économique, social, environnemental, avec des produits de qualité

25 janvier 2011

Résumé

Après un rappel historique sur la remise en marche de l’agriculture en France après la guerre, grâce notamment à la « révolution fourragère », l’article montre qu’un basculement a eu lieu au début des années soixante, au moment de la création de la PAC, en faveur d’une agriculture productiviste : spécialisation, importations d’aliments pour le bétail, maïs fourrage et soja, élevage hors-sol, élevage intensif des porcs… L’équilibre sol-plantes-animaux est alors rompu, les pollutions par nitrates et pesticides se développent et en même temps, sous l’influence des lois d’orientation, de nombreuses exploitations agricoles, disparaissent.
En 1982, André Pochon et un groupe d’agriculteurs du CEDAPA (Centre d’études pour un développement agricole plus autonome), appuyés notamment par des chercheurs de l’INRA, proposent de changer de modèle, revenant aux principes de l’agronomie avec une agriculture fondée sur la redécouverte de la prairie à base de trèfle blanc, avec de petites exploitations, sans polluer l’air, l’eau et les aliments. Un programme de recherche de cinq ans montre l’intérêt économique, social, environnemental de la nouvelle démarche. Le cahier des charges qui en résultera, deviendra celui de l’agriculture durable soutenu par plusieurs réseaux dont le RAD (Réseau agriculture durable).

Aujourd’hui, l’avenir de l’agriculture repose en grande partie sur les orientations qui seront prises pour la nouvelle PAC. Celle-ci doit être ciblée sur des règles agronomiques simples, sur l’environnement, les petites exploitations, un contrôle des importations par l’Europe de produits à bas prix… Il faut que les citoyens consommateurs se mobilisent.

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Auteur·e

Pochon André

Connu par la publication de son livre La prairie temporaire à base de trèfle blanc en 1981, considéré par L’INRA comme un éleveur chercheur, André Pochon est l’un des principaux promoteurs de l’agriculture durable.

La « méthode Pochon » fondée sur l’expérience et sur des programmes de recherches/actions menées notamment avec l’INRA, propose des solutions alternatives à l’élevage intensif hors-sol, dans l’esprit du développement durable : polyculture, redécouverte de la prairie à base de trèfle blanc, élevage sur litière, retour aux principes de l’agronomie…

André Pochon est l’auteur de nombreux ouvrages.


 Rappel historique

Au lendemain de la guerre, la France est ruinée ; le pays est à reconstruire. L’agriculture appauvrie par la pénurie totale d’engrais de fond – calcium, phosphore, potasse – est incapable de nourrir le pays. Le rationnement perdurera jusqu’aux années cinquante. Pour relever ce défi, le nouveau pouvoir issu de la Résistance crée l’Institut National de la Recherche Agronomique – INRA - ; il nationalise les mines de potasse d’Alsace, subventionne les amendements calcaires, les transports de scories Thomas (résidus des aciéries de Lorraine riches en phosphore) et les engrais potassiques. Grâce à ces engrais de fond, les rendements des céréales bretonnes passent de 15 quintaux à 30 quintaux à l’hectare.

 L’herbe

Mais la force de frappe des jeunes chercheurs de l’INRA pour augmenter la productivité agricole est dans le développement de la prairie : « Avec l’herbe, vous pouvez produire l’équivalent de 100 quintaux de céréales à l’hectare avec peu de dépenses tout en travaillant beaucoup moins. La vache a une barre de coupe à l’avant, un épandeur à l’arrière ; elle fait le travail toute seule ». De plus cette prairie, incluse dans la rotation des cultures, enrichit le sol en humus, en vers de terre et en vie microbienne.

C’est ce développement qui se met en route dans les campagnes françaises et spécialement dans ma région, la Bretagne. Il est propulsé par l’INRA, associée au mouvement des Centres d’Études Techniques Agricoles (CETA), émanations des paysans eux-mêmes. L’initiative en revient à Bernard Poulain, agriculteur en Seine et Oise.

Le résultat est spectaculaire : avec l’herbe, nous doublons le nombre de vaches à l’hectare (36 ares pour nourrir une vache dans ma petite exploitation de Saint Mayeux en Côtes d’Armor) et grâce à la prairie incluse dans la rotation des cultures nous doublons le rendement de celle-ci, 60 quintaux à l’hectare d’orge de printemps en 1961 sur mon exploitation de Saint Mayeux. L’agronome René Dumont, à la suite de sa tournée dans les CETA publiera « Révolution dans les campagnes françaises » et l’INRA lancera la révolution fourragère. La place faite à l’herbe dans les exploitations est bien à la base du développement. Il s’agit de polyculture élevage que les chercheurs de l’INRA vont orienter vers le couple production laitière – production porcine. L’augmentation considérable de la production laitière grâce à l’herbe (et aussi grâce aux races plus performantes comme la normande ou la frisonne qui produisent 4 à 5000 litres de lait, au lieu de 1500 pour nos vaches du pays) permet du même coup de quintupler la production porcine. Les paysans ne commercialisent en effet que la crème ou le beurre ; le lait écrémé reste donc sur la ferme et sert de complément protéique à la nourriture des porcs. Ainsi le nombre de porcs engraissés est directement lié à la quantité de lait écrémé. Nos amis danois qui sont nos modèles disent « le porc est pendu au pis de la vache ». C’est ainsi que sur ma petite ferme de 9 hectares, je deviendrai le plus gros producteur de lait et de porc de la commune : plus de 100 porcs gras vendus par an ; mon père sur sa ferme de 25 hectares en produisait 12 !

De plus la technique de l’élevage du porc est améliorée par la généralisation de la porcherie danoise, système astucieux, qui tout en améliorant le confort de l’animal, nous facilite grandement le travail – le cochon, animal propre, fait ses besoins dans un couloir de déjections judicieusement aménagé -. Mieux encore, sous l’impulsion de Raymond Février, ex-directeur de l’INRA, actuellement membre de l’Académie d’agriculture, une méthode d’alimentation simple, la méthode Leman, est vulgarisée à travers tous les CETA : 1 kg d’orge, 3 litres de lait écrémé + betterave danoise à volonté, quel que soit l’âge et le poids du porc à l’engrais ; seule la quantité de betteraves augmente.

Produisant plus sans dépense supplémentaire, le revenu de l’exploitant augmente considérablement. C’est pendant cette période que la Bretagne, ma région, sort de son état de pauvreté. L’habitat se modernise : eau, électricité, machines à laver, chauffage central, sanitaires, carrelages, parquets, chambres confortables… réfrigérateurs, aspirateurs, TSF, télévision, automobile… Nous nous paierons une 2cv flambant neuve dès 1960, elle était payée un an à l’avance !

Comme le revenu augmente dans les fermes, les artisans et les commerçants prospèrent aussi car tout se tient. Le tissu rural est vivant : jusqu’en 1965, pas une exploitation ne disparaît, les familles paysannes restent nombreuses.

Et il n’y a pas de nitrate ni de pesticides dans l’eau, dans l’air, ni dans l’alimentation et pas d’algues vertes dans la baie de Saint Brieuc ! Sous l’impulsion des CETA et de l’INRA un développement à forte valeur ajoutée, respectueux de la terre, de l’eau, des écosystèmes et de la qualité des aliments, s’est mis en marche. Du développement durable, avant que ce concept ne fasse la une des médias ! Du bon travail. Je suis fier d’avoir été cheville ouvrière de ce développement-là.

D’autant que le CETA de Mûr-Corlay que j’ai créé en 1954 avec mon ami Albert Mahé de sept ans mon aîné, va montrer que contrairement à ce que vulgarise l’INRA, « la vache a besoin d’herbe, l’herbe a besoin d’azote » ; on a au final plus d’herbe, sans engrais azoté. Nous en faisons la démonstration par une comparaison fine dans chacune de nos exploitations, contrôlées par le technicien de la Chambre d’agriculture, M. Menguy. De fait, l’engrais azoté contrarie le trèfle blanc, celui-ci végète et finalement disparaît. Or le trèfle capte l’azote de l’air par des bactéries spécifiques présentes dans ses nodosités. La graminée associée bénéficie aussi de cet azote, d’où de magnifiques prairies sans engrais azotés ! Les chercheurs interpellés par le biais de notre CETA viennent voir et constatent nos résultats. Dès l’année suivante, la station de l’INRA de Quimper teste la méthode du CETA de Corlay. Au bout de trois ans, l’expérimentation confirme nos vues : « les prairies sans engrais azotés produisent plus, une herbe de meilleure qualité, mieux répartie dans l’année ».

La publication de mon livre « La prairie à base de trèfle blanc » fait la une de toute la presse agricole, l’INRA me consacre « éleveur–chercheur », l’Académie d’agriculture me distingue, la Légion d’honneur s’en mêle… La méthode Pochon est née et l’agriculture durable avec !

 Le basculement dans le productivisme

Alors pourquoi ce développement équilibré, à forte valeur ajoutée, qui a sorti l’agriculture française de son état de sous-développement bascule-t-il brutalement à la fin des années soixante dans le productivisme ? L’agriculteur augmente sa production mais il augmente encore plus ses dépenses ; il voit passer beaucoup d’argent mais il lui en reste peu ! Difficulté économique donc qu’il croit résoudre dans l’agrandissement de son exploitation, encouragé par la loi d’Orientation pour l’agriculture. Nombre de fermes disparaissent, c’est autant de familles paysannes en moins, de commerçants, d’artisans, d’écoles… Le tissu rural s’appauvrit et les pollutions apparaissent par les nitrates, les pesticides, et le saccage des talus, des haies, des zones humides. Car les nouvelles techniques mises en œuvre sont la culture du maïs – fourrage et l’importation de soja pour nourrir les vaches, l’élevage industriel des porcs sur lisier ; finie l’herbe, la porcherie danoise fait place à la porcherie hollandaise, fini l’élevage lié au sol. Les aliments des porcs, des volailles, des bovins rentrent à flot dans les ports bretons, hollandais, danois, belges. Ces aliments sont importés au prix mondial cependant que la viande et le lait produits avec ces aliments sont payés à l’éleveur au prix garanti européen, le double du prix mondial ! Le budget européen paie la différence : c’est l’effet pervers de la Politique agricole commune (PAC) signée par 6 pays européens en janvier 1963. Les prix agricoles sont désormais garantis par l’intervention sur le marché. On stocke pour faire remonter les cours et les excédents sont vendus sur le marché mondial grâce aux subventions européennes, ce qui met à mal l’économie paysanne des pays africains.
Les prix sont garantis aussi du fait de la protection du marché européen : les céréales, la viande, les produits laitiers américains, canadiens sont taxés (prélèvements) à leur entrée dans la Communauté, sauf qu’il y a cette brèche dans la protection : le soja et les produits de substitution aux céréales (PSC) échappent au prélèvement. Situation économique ubuesque, économie artificielle comme le reconnaît dès 1973 Edgar Pisani. Cette situation booste l’élevage (hors sol) dans les pays européens situés près des grands ports.

Mais ces importations d’aliments sont des importations d’azote et de phosphore sans commune mesure avec les besoins des plantes ; l’équilibre ancestral « sol, plantes, animaux » est rompu, les excédents d’azote se retrouvent dans les nappes phréatiques, les cours d’eau et nos baies, d’où les nitrates dans l’eau et les algues vertes, d’où les excédents de phosphore dans les retenues alimentant les stations de pompage.

Parallèlement à cette explosion de l’élevage hors sol dans des régions comme la Bretagne, d’autres régions comme la Beauce, la Brie.., abandonnent toute sorte d’élevage et se spécialisent en productions céréalières, sans risque puisque le prix en est garanti quelles que soient les quantités produites. Au bout de 30 années de cette monoculture céréalière, les sols en panne de prairie dans la rotation, en panne de fumier, descendent à des taux de matières organiques en dessous de 1 %. Il s’agit d’une catastrophe agronomique puisque les sols ne produisent plus qu’à grand renfort d’engrais azotés, de pesticides et de gros matériel pour décompacter les terres. Catastrophe écologique aussi : la nappe phréatique de la Beauce est polluée pour des années. De plus, ce système nécessite de grosses consommations d’énergie pour produire engrais et pesticides et pour faire tourner les tracteurs de plus en plus puissants. Cette agriculture contribue ainsi à l’épuisement des réserves fossiles de la planète et à l’effet de serre, effet de serre considérablement aggravé du fait de la baisse du taux de matière organique (de 3,5 % à 1 % en 30 ans) ; on a largué dans l’atmosphère des tonnes considérables de gaz carbonique.

La cause principale de l’abandon du modèle de polyculture/élevage autonome et économe, initié par la Révolution fourragère dans les années cinquante, est bien dans la garantie de prix sans aucune limite de production, aggravée par la brèche dans la protection du marché européen en ce qui concerne le soja et les PSC. Ce nouveau modèle bénéficie en outre d’importations de pétrole de plus en plus bon marché ; il est appuyé par l’agro business qui en vit ; les écoles, la vulgarisation et la profession agricole s’y mettent également. Le progrès, c’est désormais le maïs-fourrage, l’élevage sur lisier, les arasements, le drainage, la monoculture céréalière, au mépris des lois les plus élémentaires de l’agronomie. Fi des assolements, fi de l’équilibre sol-plantes-animaux, fi des écosystèmes et de la biodiversité. Au bout de 30 années de ce modèle, l’impasse est totale : pollutions, érosions, sol sans vie, saccage des paysages et vide des campagnes ! Les paysans de moins en moins nombreux crient à la ruine cependant que les contribuables les accusent de leur coûter cher, les consommateurs de produire de la « mal-bouffe », les écologistes de polluer l’eau, l’air, les baies et les paysages.

Le CETA de Corlay dont je suis le Président depuis 1966, est confronté au nouveau modèle. Les fils qui ont succédé à leur père au sein du CETA et qui sont passés par les écoles d’agriculture, sont emballés par le maïs-fourrage et l’élevage du porc sur lisier, bien que reconnaissant le travail fait par leurs aînés du CETA sous ma houlette. La pression ambiante est tellement forte que nous labourons nos belles prairies de trèfle blanc pour y mettre du maïs et que la porcherie hollandaise sur lisier remplace la porcherie danoise. Une frénésie d’augmentation des élevages de porcs s’installe chez les éleveurs qui se sont spécialisés dans cette production. Quant à ceux qui se sont spécialisés en lait, seul le maïs/fourrage les intéresse, les prairies passent à la trappe !

L’INRA promoteur de l’herbe adopte le nouveau système fourrager maïs-soja. L’Institut crée ses propres variétés de maïs hybride en concurrence avec les américains.

Bref, résister à la frénésie du maïs-fourrage, c’est apparaître comme attardé, ennemi du progrès. Si je programme une réunion sur l’herbe au CETA, je n’ai personne et ma propre mère, paysanne de bon sens, m’apostrophe : « Comment toi, Dédé Pochon, qui est tant pour le progrès, pourquoi ne fais-tu pas comme les autres, du maïs ? ». Je craque et rentre aussi dans la danse du fabuleux maïs.

Celui-ci est déclaré sinistré en 1972, puis en 1974, puis en 1976 ! Tous les deux ans dans ma région jusqu’en 1994 où, grâce à la nouvelle PAC, le maïs-fourrage bénéficie tous les ans d’une subvention de 2500 F. à l’hectare ! Mais pour l’herbe, rien ! C’est dire la force du lobby de l’agrobusiness à Bruxelles. Ma région bretonne se couvre de maïs fourrage, les arasements, le drainage s’accélèrent, les pollutions de l’eau et de l’air apparaissent, les agriculteurs s’endettent, les commissions pour agriculteurs en situation financière difficile sont mises en place, en 30 ans les 3/4 des exploitations disparaissent, les bourgs se vident.

 Changer de modèle

Administrateur de la caisse régionale de Crédit agricole de mon département, Président de Coopérative, membre de la Commission nationale agricole du Parti socialiste, Conseiller municipal depuis 24 ans, je reprends mon bon sens de paysan et je déclare publiquement : « La Bretagne est mal partie, si nous continuons dans ce modèle de maïs/fourrage à outrance et d’élevage industriel de porcs et de volailles, nous allons dans le mur ». Ces propos me valent l’approbation des élus du Conseil général, droite et gauche confondues, mais une opposition farouche – qui ne s’est pas apaisée – des dirigeants agricoles des coopératives. D’autant que je fais figure de notable dans le département avec une réussite professionnelle incontestée.


1.

La publication de mon livre en 1981 crée l’évènement. Les chercheurs des stations de recherche emmenés par le Secrétaire général de l’INRA, M. Gauderon, débarquent sur mon exploitation. Consacré « éleveur-chercheur », j’ai tout le crédit nécessaire pour lancer l’année suivante, en 1982, le Centre d’études pour un développement agricole plus autonome (CEDAPA) dans la foulée du rapport de Jacques Poly, Président de l’INRA. Nous sommes 8 agriculteurs au départ. Tous les six mois, nous sortons un projet d’installation alternatif : s’installer avec 20 vaches laitières sur 15 hectares ; s’installer avec 24 truies naisseurs- engraisseurs sur 24 hectares ; s’installer en vaches allaitantes sur 30 hectares ; vivre du mouton ; s’installer avec 100 000 litres de lait de quotas ; fourrage, grains et coûts de production qui montrent après enquête le coût exorbitant de la culture du maïs-fourrage... Ces études ont l’aval des ingénieurs de l’Etablissement départemental de l’élevage (EDE) et du Centre de gestion (CGER) des Côtes d’Armor. Le succès est immédiat, les visiteurs affluent sur les exploitations du CEDAPA, les écoles nous sollicitent pour intervenir auprès des élèves. Peu à peu, le nombre des adhérents du CEDAPA augmente : 12, 30, 100…450. Nos résultats économiques font mouche : après reconversion, le revenu augmente d’un tiers ! Le CEDAPA sert de site pilote pour les plans de développement durable initiés par le Ministère de l’agriculture.

Enfin L’INRA au plus haut niveau, signe avec le CEDAPA et le Conseil général des Côtes d’Armor un programme de recherche/action baptisé « Terre et eau ». Vingt sept exploitations du CEDAPA sont suivies pendant cinq années ; dix éminents chercheurs y collaborent ; les étudiants des écoles agronomiques y consacrent leur mémoire de fin d’études. L’objectif du programme est d’évaluer l’intérêt économique, social et environnemental du cahier des charges du CEDAPA. Deux mini bassins versants sont suivis en comparaison et les nitrates et les pesticides mesurés à l’exutoire du Stand Cau pour le bassin versant du CEDAPA et à l’exutoire du Pouldu pour le bassin versant conventionnel. L’INRA publiera le résultat de son programme/action dans un livre de 250 pages « À la recherche d’une agriculture durable, étude de systèmes herbagers économes en Bretagne ». Valérie Alard, Caude Béranger, Michel Journet, INRA Éditions, 2002. Les résultats sont sans conteste : les agriculteurs du CEDAPA gagnent plus, travaillent moins, la pollution par les nitrates est divisée par trois et les pesticides sont indétectables sur le Stand Cau !

Le CEDAPA est bien à l’origine, le fer de lance de ce qu’on appelle aujourd’hui l’agriculture durable ou l’agriculture écologiquement intensive qui concilie l’économie, l’environnement et le social. Des agriculteurs nombreux et prospères, respectueux de l’environnement et de la qualité des produits, c’est possible. La prairie permanente, mais surtout la prairie temporaire incluse dans la rotation des cultures en est à la base. Cette prairie avec trèfle blanc, sans engrais azotés est éminemment productive, nourrit deux vaches et plus à l’hectare, à l’opposé donc du concept d’extensification. L’étude conduite par Michel Journet, éminent chercheur, reconnu sur le plan international, montre que pour 1 équivalent fuel dépensé, un agriculteur du CEDAPA en produit 10 ; en comparaison un agriculteur conventionnel en produit 4 ! Pour 1 kg d’azote utilisé sur son exploitation, un agriculteur du CEDAPA en produit 3, en comparaison, un agriculteur conventionnel en produit 1 kg.

L’objectif du CEDAPA à sa création était de montrer qu’avec l’agronomie retrouvée, la prairie comme base de l’alimentation des ruminants, la production de fumier et de compost (parce que les animaux sont logés sur litière), en comparaison avec l’agriculture conventionnelle, l’agriculture durable produit autant en dépensant moins. D’où une forte valeur ajoutée : jusqu’à 60 % contre 30 % pour l’agriculture conventionnelle.

L’expérience du CEDAPA a fait des émules et a débouché sur le réseau Agriculture durable – le RAD – qui coordonne 30 associations sur l’Ouest de la France et sur le réseau « Impact » au plan national. J’ai moi-même lancé la plupart de ces équipes en animant des formations sur la prairie à travers tous les départements. Ces formations débouchent presque toujours sur la constitution d’une équipe locale qui adhère au développement durable. Elles font peu à peu tâche d’huile sur toute la France et dans des pays comme la Belgique autour de Daniel Rauc, mais aussi au Québec, au Brésil (j’y ai été à deux reprises). Les prairies à base de trèfle blanc y font merveille.

En Bretagne, le Réseau est sollicité pour la reconquête de la qualité de l’eau et dans le plan d’action « algues vertes ». Les élus sont désormais convaincus que la reconquête passe par le développement de la prairie dans le système fourrage, sans nuire aux revenus des agriculteurs puisque les résultats économiques des signataires du cahier des charges sont bien supérieurs à ceux des conventionnels, tels qu’on le voit dans les tableaux suivants.


Comparaison entre la production d’une ferme pratiquant l’agriculture durable
et dix fermes
de référence du département des Côtes d’Armor.
Moyenne de 10 fermes
de référence
Des Côtes d’Armor
Ferme de Saint Bihy
(agriculture durable)
Produit brut par kg de vif
(bovins)
2,23 € 2,67 €
Coût de production par
kg de vif (bovins)
0,99 € 1,34 €
Revenu par kg de vif
(bovins)
0,24 € 1,33 €

.

Comparaison entre une ferme pratiquant l’agriculture durable
et une ferme conventionnelle
pour engrais, traitements et semences,
Ferme conventionnelle Ferme d’agriculture durable
Engrais 80,36 € 24,37 €
Traitements 49,11 € 20,32 €
Semences 58,63 € 33,96 €

.

Comparaison entre prairie conventionnelle et prairie avec trèfle blanc
en ce qui concerne
les pollutions et la lutte contre l’effet de serre
- (J.C. Ryden et E.A. Garwood, chercheurs
anglais)
Ray-grass anglais pâturé
avec azote
Ray-grass avec trèfle blanc
pâturé sans azote
Lessivage des nitrates
sous la prairie
160 kg d’azote par ha 18 kg d’azote par ha
Volatilisation de l’ammoniac
dans l’atmosphère
120 kg d’azote par ha 10 kg d’azote par ha
Quantité de CO2 piégé
dans le sol
2 tonnes de CO2 par ha 2,8 tonnes de CO2 par ha

.

Ainsi la preuve est faite qu’en agriculture aussi, économie et écologie vont ensemble. Des paysans nombreux et prospères, c’est possible : des milliers d’agriculteurs le réalisent sur leur exploitation et montrent la voie à suivre. Ainsi les défis auxquels nous sommes confrontés : la sauvegarde de notre environnement au sens large, la lutte contre l’effet de serre, la qualité de notre alimentation qui conditionne notre santé, nourrir le Monde comme le dit Edgar Pisani – nous serons 9 milliards d’humains dans 30/40 ans – ces défis qui concernent au premier chef l’agriculture parce que c’est elle qui occupe le territoire et est à la base de notre alimentation, peuvent être relevés. Cela passe par la fin du productivisme agricole enclenché dans les pays développés depuis 40 ans avec la spécialisation à outrance, la monoculture, l’élevage industriel hors-sol. Il faut revenir à la polyculture/élevage. Les plaines céréalières devront introduire des animaux : grâce au fumier et aux prairies, elles verront remonter le taux de matières organiques de leur sol aujourd’hui usé. Et les régions d’élevage intensif hors-sol devront diminuer leur production animale, loger leurs animaux sur litière et nourrir leurs vaches à l’herbe. Les unes comme les autres ont tout à y gagner : meilleur revenu, santé pour les exploitants eux-mêmes premières victimes des pesticides, considération de la société civile. Celle-ci applaudira alors les agriculteurs, comme elle applaudit déjà ceux qui pratiquent cette agriculture durable.

Il s’agit donc bien de réorienter en profondeur l’agriculture européenne des pays industriels, de la sortir du modèle actuel où l’agriculteur voit passer beaucoup d’argent mais il lui en reste peu. Par exemple la Bretagne qui produit 60 % des porcs français, 40 % de la volaille, 20 % du lait se classe 21ème région sur 22 pour le revenu agricole !

 Le rôle de l’enseignement

Les leviers pour amorcer le virage sont l’enseignement agricole dans les lycées et les grandes écoles agronomiques épaulé par une recherche s’appuyant sur les fondements de l’agronomie. Ceci débouchant sur la vulgarisation auprès des agriculteurs par le biais des services de l’État, des Collectivités territoriales, des Chambres d’agriculture. L’intérêt bien compris à long terme des coopératives et du négoce serait aussi de se reconvertir mais il ne faut pas se faire trop d’illusions, car ces organismes prolifèrent sur le modèle productiviste. Cependant l’influence de ces organismes est très grande auprès des agriculteurs et ils constituent actuellement un frein aux méthodes de l’agriculture durable.
Il s’agit pour tous d’une révolution puisque depuis 40 ans, tournant le dos au développement des années cinquante initié par l’INRA et les CETA, les écoles, la vulgarisation et la recherche ont fait fi des lois élémentaires de l’agronomie. Ils se sont engouffrés dans le modèle américano-hollandais, devenu modèle dominant. Hors de là, point de salut !

 Une nouvelle PAC

Mais le levier essentiel pour retrouver une agriculture productive – et non pas productiviste – à forte valeur ajoutée avec des paysans nombreux et prospères et des campagnes vivantes, des territoires préservés, est bien la Politique Agricole Commune, la PAC.

De même que c’est bien la PAC signée en janvier 1963 qui a enclenché la spécialisation à outrance et l’élevage industriel hors-sol, une nouvelle PAC devra initier un nouveau modèle de développement agricole basé sur l’équilibre sol-plante-animaux et la biodiversité. Les aides seront exclusivement réservées aux agriculteurs s’engageant sur des cahiers des charges agri/environnementaux prenant en compte la totalité de leur exploitation (cahier des charges bio, cahier des charges agro-écologique (CEDAPA), cahier des charges à haute valeur environnementale (HVE telle que définie par France Nature Environnement). Des aides couplées à l’herbe et aux oléo-protéagineux devront remplacer les aides aux céréales et au maïs-fourrage, avec un plafonnement à la surface et aux travailleurs, en privilégiant les petites exploitations… Le tissu rural et l’équilibre de nos sociétés en dépendent.

C’est l’objectif du nouveau Commissaire européen à l’agriculture, Dacian Ciolos. Il a proposé trois options allant dans ce sens.

La première option se limite à une plus juste répartition des aides et au renforcement de leurs conditionnalités.

La deuxième va beaucoup plus loin dans la réorientation du modèle agricole, cependant que les aides découplées du revenu (Droits à Paiement Unique - DPU), bien que diminuées, perdurent, ce qui pose question quand les cours s’envolent comme actuellement pour les céréales : les céréaliers alors touchent « le beurre et l’argent du beurre », ce qui est scandaleux. Au nom de quoi donner des aides compensatrices à la baisse des prix quand ceux-ci flambent ?

La troisième option supprime totalement les DPU pour ne conserver que les aides agro-environnementales (cahier des charges déjà cité : une aide couplée à l’herbe, aux oléo-protéagineux ainsi qu’une aide spécifique aux régions défavorisées, le tout plafonné à l’hectare et par travailleur). Cette troisième option a ma préférence. La prime à l’herbe se justifie au nom de la lutte contre le réchauffement climatique et celle aux oléo-protéagineux au nom de la recherche de l’autonomie de l’Europe en protéines : actuellement 75 % de l’alimentation en protéines de nos animaux proviennent des USA, du Brésil et de l’Argentine, via le soja OGM. Les européens consomment de la viande et des produits laitiers OGM parce que nos animaux consomment du soja OGM.

Les propositions de Dacian Ciolos sont en débat dans les 27 pays de la Communauté jusqu’en juillet 2011. Ce débat concerne évidemment les paysans mais tout autant les citoyens-consommateurs européens (ce sont ces citoyens-consommateurs qui alimentent le budget consacré à la PAC, près de la moitié du budget de l’Europe). Et du modèle agricole, dépend la qualité de leur environnement et de leur alimentation. Ils doivent donc se mobiliser pour une nouvelle PAC et soutenir Dacian Ciolos en privilégiant la troisième option.

Mais il faut aussi que l’opinion revendique la protection du marché européen d’importations à bas prix de viandes et de produits laitiers de pays extérieurs à la Communauté européenne comme la Nouvelle Zélande, le Brésil, l’Argentine, où les conditions de production, les salaires et les régimes sociaux sont aux antipodes des nôtres. Or la protection du marché européen est menacée par l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) et par les chantres du Libre échange. La nouvelle PAC doit tenir bon sur cette incontournable protection européenne vis-à-vis du marché mondial – préférence communautaire – montrant ainsi la voie pour les produits manufacturés et les services, car le problème est le même. Je préconise une taxe de mise à niveau sociale et environnementale (TMNSE) perçue sur les importations en Europe des marchandises et des services de pays où les salaires, les charges sociales et les règles environnementales sont en deçà de ceux des pays d’Europe les plus développés. C’est la seule façon de conserver nos usines, nos services et nos paysans et par conséquent le plein emploi. C’est la seule façon d’équilibrer nos budgets, d’éviter de répercuter sur la jeune génération nos déficits abyssaux. C’est la seule façon d’éviter la montée en puissance des partis xénophobes d’extrême droite.

En contrepartie de cette TMNSE l’Europe doit s’interdire tout dumping (subventions aux exportations) comme le sont les subventions données aux agriculteurs par le biais de la DPU qui sont, de fait, des subventions déguisées aux exportations. Ces subventions nous mettent en situation de faiblesse à l’OMC pour défendre l’essentiel : la protection du marché européen. C’est le point faible de la deuxième option proposée par la Commissaire européen puisque quoique diminuées, les aides aux revenus des paysans exportateurs subsistent. Les dirigeants agricoles sont-ils capables de comprendre que, en s’arc-boutant sur les primes PAC d’aide aux revenus, ils risquent de perdre l’essentiel : la protection du marché européen ?

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 Bibliographie

Les ouvrages d’André Pochon :

 La prairie à base de trèfle blanc, vingt cinq années de pratique, Technipel, 1981

 Du champ à la source, retrouver l’eau pure, Kreiz-Breizh, 1988

 Les champs du possible, plaidoyer pour l’agriculture durable, Syros – La Découverte, 1998

 Les sillons de la colère, la malbouffe n’est pas une fatalité, Syros – Alternative économique, 2001

 Le scandale de l’agriculture folle, Les Éditions du Rocher, 2008

 Agronomes et paysans, un dialogue fructueux, Éditions de l’INRA, 2008

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