Note de lecture

« La paix oubliée »

Karlheinz Koppe, « Der vergessene Frieden ». Leske + Buderich, Opladen, 2001

28 août 2020

Charte de Rio 1992 - principe 24 :

« La guerre exerce une action intrinsèquement destructrice sur le développement durable » .

La recherche sur la paix et les conflits, discipline interdisciplinaire enseignée dans de nombreux pays, est presque inconnue en France. Et pourtant sa reconnaissance et la prise en compte de ses recommandations face aux défis d’un développement durable seraient indispensables. Le livre d’un important chercheur allemand retrace l’histoire et le développement de ces recherches. Très impliqué dans la mise en place de cette discipline en Allemagne après la deuxième guerre mondiale, soulignant la responsabilité historique de ce pays, puis coordinateur des recherches au niveau international, Karlheinz Koppe souligne l’impératif de mieux connaître les causes de la paix et recommande de s’approcher d’une situation « pauvre en violences » entre les sociétés et entre les hommes et leur environnement.

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Cette fiche de lecture a été rédigée par :

Ranson, Ina

Ina Ranson, professeur de lettres et philologue de formation, journaliste, participe aux travaux de la
Fondation Léopold Mayer pour le Progrès de l’homme et à ceux de l’Alliance pour un monde responsable
et solidaire. Franco-Allemande, elle a mené plusieurs enquêtes en Allemagne et dans les pays scandinaves
sur le thème de l’approche territoriale du développement durable. Elle est l’auteure de nombreux
articles ou dossiers sur ce thème.

Karlheinz Koppe, éminent représentant européen de la recherche sur la paix et les conflits, nous avait promis un article. Il n’a pas pu nous l’envoyer car, en cours de rédaction, il a été victime d’une grave maladie.
Comme son approche des recherches nous semble particulièrement actuelle, en ce temps de crise suscitée par un

virus qui ne connaît pas de frontières, voici une brève présentation de son travail à travers une fiche de lecture de son livre « La paix oubliée » (Der vergessene Frieden), livre qui retrace l’histoire de la recherche sur la paix depuis ses origines, en particulier en Allemagne. [1]

Il importe à Koppe de "compléter la recherche classique sur les causes des guerres, toujours nécessaire, avec une recherche systématique sur les causes de la paix, dimension tout à fait négligée ». Et il insiste sur l’impératif « si vis pacem, para pacem : si tu veux la paix, prépare la paix » s’opposant à l’affirmation couramment admise : « si vis pacem, para bellum : si tu veux la paix, prépare la guerre ». Sans nier le poids de certains arguments en faveur de cette croyance, il soutient que la priorité doit être accordée au premier impératif.

  La recherche sur la paix pour conseiller la politique

Les débuts des recherches sur la paix en Allemagne allaient tout à fait en ce sens. L’impulsion définitive pour le développement de la nouvelle discipline fut donnée en 1969, quand Gustav Heinemann devint président de la République fédérale. Heinemann appela à un financement public de ces recherches, déclarant : « Ce n’est pas la guerre qui est la situation grave dans laquelle l’homme doit faire ses preuves, comme ma génération l’a appris… ce sont les circonstances de la paix qui nous demandent à nous tous de faire nos preuves » .Le Conseil scientifique de la RFA [2] rendit un avis favorable et en 1970 fut fondé la Société Allemande pour la Recherche sur la Paix et les Conflits (DGFK). Koppe en fut le président.

Retraçant le développement des recherches, Koppe rappelle l’avis du Conseil scientifique, avis vite oublié mais toujours actuel : il s’agirait tout d’abord d’étudier les méthodes permettant de prévenir le déclenchement de conflits armés. Cependant il serait nécessaire de mieux comprendre que la paix n’est pas seulement un problème de relations internationales, mais aussi un problème de relations internes aux États. Il s’agirait en même temps d’étudier les problèmes de transformations environnementales, causés par le développement de la science et de la technologie, avec une attention particulière pour leurs conséquences sociales ; d’autre part, il s’agirait d’analyser les problèmes de pouvoir et de domination et le rôle des inégalités sociales et politiques. La recherche sur la paix serait une discipline interdisciplinaire et une discipline engagée ayant des objectifs politiques et sociaux.

Au cours des années 1970 et encore au début des années 1980 les analyses de la nouvelle discipline suscitaient beaucoup d’intérêt. Les hommes politiques les consultaient, les media y consacraient des pages entières, le mouvement pour la paix (1979 – 1983), vaste mouvement citoyen contre le déploiement de missiles nucléaires, annoncé dans la double décision de l’OTAN, s’y référait. Mais certains résultats de recherches n’étaient guère appréciés par tous et entraînaient la DGFK dans des débats politiques passionnés. Ils concernaient par exemple la relance de la production d’armes et la politique envers les pays en développement. Lors du changement de gouvernement en 1982-1983, le financement public s’arrêta et la DGFK fut dissoute. En repensant à ces années, Koppe exprimait son grand regret que l’intérêt public s’affaiblisse et que souvent la recherche ne sortait guère du cercle des initiés.

Des initiatives indépendantes, lancées dès le début des années 70 par des instituts de recherche, des donations ou encore des universités permettaient de continuer et d’élargir les recherches. [3] Karlheinz Koppe continuait son travail en tant que directeur d’un nouvel organisme informel : le Centre de recherche sur la paix à Bonn (Arbeitsstelle Friedensforschung Bonn) AFB. À côté de la mission d’information sur les résultats des recherches aux différents instituts et universités ainsi que de conseil sur les priorités, la tâche principale de l’AFB était de nouveau de rapprocher les recherches nationales et internationales et la pratique politique. Koppe y voyait un impératif tout au long de sa vie, en tant que secrétaire de l’EuPRA (European Peace Research Association), secrétaire général de l’IPRA (International Peace Research Association) et vice-président de Pax Christi, sans se laisser décourager par maintes frustrations. La dissolution de l’AFB en 2007, pour des motifs non expliqués, fut l’une d’elles.

Au niveau international l’IPRA, dont Karl Heinz Koppe fut le secrétaire général, réunit cinq organisations régionales. Avec plus de 1 300 membres de quelques 90 pays, l’IPRA est l’association universitaire la plus importante dans le domaine de « la recherche sur les conditions de paix et les causes de la guerre et d’autres formes de violence ». L’IPRA a des liens avec plus de 200 institutions de recherche et est membre du Conseil international des sciences sociales (qui est depuis 2018 fusionné avec le Conseil international des Sciences). L’IPRA compte cinq associations régionales : Association de recherche pour la paix en Asie-Pacifique (APPRA), Association de recherche et d’éducation pour la paix en Afrique (AFPREA), Association européenne de recherche sur la paix (EUPRA), Association latino-américaine de recherche sur la paix (CLAIP) et « Peace and Justice Association » en Amérique du Nord.

C’est aux États-Unis que sont nés les premiers instituts scientifiques de recherche sur la paix. Un premier cours académique pour les étudiants a été créé, au Manchester College in Indiana, en 1948. En Europe, des cours académiques de « Peace Research » sont proposés en Angleterre et dans de nombreux autres pays, par exemple en Belgique, en Finlande, en Suède, en Allemagne. Les universités les plus en vue pour cette matière se trouvent à Hambourg, à Francfort, à Marburg. Une spécialité de l’Allemagne sont les nombreuses institutions de recherche non universitaires. Toutes les universités coopèrent beaucoup avec des instituts indépendants. Ainsi The « Peace Research Institute Oslo (PRIO) » collabore avec l’Université de Stellenbosch en Afrique du Sud ainsi qu’avec l’Université national de Canberra en Australie. The Stockholm International Peace Research Institute SIPRI, qui est partiellement financé par le gouvernement suédois, offre une plateforme d’échange aux chercheurs de différents pays.

  Un autre regard sur l’histoire

Pourquoi est-il si difficile de faire comprendre que préserver ou créer la paix n’est pas seulement une tâche militaire ? L’historiographie a trop longtemps décrit l’histoire humaine comme une succession de guerres et l’enseignement donne en général de fausses images du passé. Pourtant, les périodes de paix ont été bien plus longues que les périodes de guerre. Mais la paix – vue comme l’état normal de vivre ensemble – apparaît moins intéressante. C’est encore le cas aujourd’hui quand on observe la couverture des media. Ce sont pourtant les périodes de paix qui ont permis le développement des civilisations, affirmation qui, selon Koppe, doit être mieux consolidée par des recherches détaillées. Des guerres ont de nombreuses fois détruit en peu de temps ce qu’elles déclaraient vouloir protéger.

Pour souligner l’importance de la guerre, on a aimé citer une phrase célèbre d’Héraclite ( 544 - 480 av. J.-C.) : la guerre est père de toutes choses. Mais le terme grec (πόλεμος / polemos) a une double signification, il désigne aussi la dispute. La traduction unilatérale a beaucoup servi à glorifier une culture de guerre. La sentence peut aussi bien être comprise différemment : la dispute est un facteur crucial dans le progrès de la civilisation. C’est le bon fonctionnement d’une culture de conflit qui rend possible une culture de paix – une culture où les intérêts contradictoires peuvent s’opposer dans un cadre où des solutions sont cherchées par des efforts non-violents. Koppe déplore l’incapacité de l’État, des media et de l’éducation à tous les niveaux, à transmettre la dimension culturelle de la paix. Le silence des armes militaires n’est qu’un facteur parmi d’autres. Il est convaincu qu’une étude attentive des aspects négligés de l’histoire peut aider à répondre à des questions d’actualité brûlante. Pourquoi a-t-il été possible qu’au cours des siècles la majorité des hommes et des femmes réussissait et réussit toujours à vivre ensemble sans se faire la guerre ? Pourquoi des origines ethniques et des traditions culturelles différentes ainsi que des intérêts divergents et même contradictoires ne s’opposaient pas inévitablement ? Il serait d’un grand intérêt d’étudier les causes qui ont permis l’existence de longues périodes de paix entre des peuples pour mieux cerner les facteurs qui ont une importance décisive pour éviter ou pour diminuer le recours à la violence.

 L’aspiration à la paix – une longue tradition

Koppe consacre une partie de son livre à différentes expériences historiques. Il rappelle que l’aspiration à la paix et la réflexion sur ses implications est aussi ancienne que la civilisation humaine, citant des exemples depuis Hammourabi, Akhenaton, Ashoka, Lao Tseu, Mö-tseu, Augustin d’Hippone, Érasme, Kant, Gandhi… Les évocations des fléaux de la guerre et sa condamnation étaient souvent exprimées comme objection aux projets de guerre des gouvernants. Quelle était leur influence ? Nous en savons peu.

Les enseignements des grands maîtres religieux et éthiques de l’humanité ont donné de fortes impulsions culturelles. Mais leurs messages de paix ont rarement motivé les responsables des empires à renoncer à la guerre. Au contraire, depuis l’antiquité ils ont le plus souvent préféré les pervertir pour en faire des instruments efficaces au service de leurs objectifs, demandant dévouement et sacrifices.

La tradition occidentale, marquée par la philosophie grecque et le christianisme, n’a jamais mis en question la nécessité de préparer la guerre. La conception de la guerre juste (bellum justum), malgré une réflexion complexe sur la définition des causes justes permettant le recours à la violence a pu endiguer des excès. Mais ses critères ont rarement été respectés. Jusqu’à aujourd’hui « la guerre juste » a pu servir comme prétexte pour légitimer maintes guerres inhumaines et catastrophiques.

La réception historique de la « doctrine de la guerre juste » a été et est toujours un processus compliqué et controversé. Mais réinterprétés et reformulés dans des contextes changeants, en particulier au sein de l’Église Catholique et dans le cadre du droit international, les principaux critères [4] restent essentiellement les mêmes. L’ONU en préconise notamment quatre pour les guerres justifiées par « la responsabilité de protéger » : l’autorité légitime, la cause juste, le principe de l’ultime recours (tous les autres moyens notamment diplomatiques et économiques doivent avoir été tentés) et le principe de discrimination (les combattants peuvent être pris pour cible, mais pas les non-combattants). Le débat continue sur la pertinence de chacun de ces critères. [5]

 Que veut dire le mot paix ?

La plupart des guerres sont menées « pour se défendre, pour garder, rétablir, conquérir... la paix. » Mais que faut-il entendre par le mot paix ? Une grande partie du débat scientifique dans la recherche sur la paix et les conflits tourne autour de la définition des termes centraux tels que paix, violence et sécurité. Koppe a réuni des textes particulièrement porteurs dans l’annexe de son ouvrage :

Le «  Programme pour une recherche critique sur la paix » de 1971 souligne l’importance centrale des facteurs socio-économiques pour la réalisation d’un ordre de paix politiquement pertinent. Alarmés par l’augmentation des coûts sociaux des politiques de dissuasion mutuelle et de l’intensification de la confrontation entre « pays développés et pays sous-développés » les chercheurs se considèrent comme « des partisans scientifiques de personnes qui, par la répartition inégale des opportunités sociales et économiques dans la vie à l’intérieur des nations et entre les nations, souffrent de violence structurelle ».
« Le Président fédéral (Gustav Heinemann) attend de la recherche qu’elle trouve de nouvelles voies et de nouvelles habitudes, de nouvelles règles du jeu et de nouveaux comportements. D’un autre côté, le Ministre de la défense essaie de l’engager dans des études stratégiques traditionnelles "pour maintenir la paix en renouvelant constamment l’équilibre entre les éventuels ennemis » [6] .

Johan Galtung  [7] définit la violence structurelle en montrant qu’elle inclut toutes les forces et structures qui empêchent les gens de s’épanouir et de réaliser leur capacités potentielles.

Kenneth. E. Boulding  [8] réfléchit sur la nécessaire approche globale de la recherche. Ce n’est pas un hasard si des chercheurs influents sont venus de disciplines variées, rarement des sciences politiques. L’étude des différents facteurs qui menacent la sécurité et la vie en commun concerne des économistes, des scientifiques, des physiciens, des psychologues… [9]

Ernst-Otto Czempiel  [10] explique que les stratégies de paix et les stratégies d’évitement de la guerre ne sont pas identiques. Les stratégies de paix vont plus loin. Détaillant la complexité de la signification du mot paix, il propose « une définition courte et quand-même assez précise pour influencer la politique » :

La paix devrait signifier une aspiration ou une tendance à réaliser un système international qui se caractérise par

  1. La préservation de l’existence de l’individu en raison de la diminution de la violence.
  2. L’épanouissement de chacun suite à la répartition plus égale des chances et des opportunités.

« Il ne s’agit pas d’éviter la guerre, mais de la remplacer par d’autres formes de résolutions de conflits . » [11]

Dieter et Eva Senghaas  [12] soulignent le rôle du droit international : « La paix à l’intérieur d’un État et la paix entre des États doit être comprise comme un processus politique non violent visant à empêcher le recours à la violence ; ce processus doit mener à la compréhension et à l’acceptation de compromis qui créent des conditions de coexistence entre des groupes sociaux ou entre États et peuples, des conditions qui ne mettent pas leur existence en danger et ne nuisent pas si gravement à leur sens de la justice ou aux intérêts d’un ou de plusieurs d’entre eux, au point qu’ils croient devoir recourir à la violence une fois toutes les procédures de réparation pacifique épuisées. » [13]

Karlheinz Koppe souligne qu’aujourd’hui la paix et la sécurité sont beaucoup plus menacées par d’autres facteurs que par la guerre, par des facteurs qui, depuis le début de l’industrialisation au XIXe siècle, mais aussi plus tôt, ont été créés par l’homme : par la destruction de l’environnement, base naturelle de l’existence humaine, et en relation étroite, par la surexploitation économique et la surconsommation d’une minorité aux dépens d’une majorité de la population humaine. Il précise :« ... les facteurs qui menacent la paix sont en premier lieu le manque de justice pour la distribution des biens entre les nations et à l’intérieur des sociétés ainsi que l’absence de mesures adéquates pour protéger les bases naturelles de la vie ». [14]

  L’État et la société dépassés par le défi de préserver la paix ?

Une telle conception de la paix semble outrepasser les tâches que l’État et la société devraient accomplir. Koppe n’y voit rien d’impossible si les responsabilités sont intelligemment déléguées dans les différentes sphères, selon le principe de subsidiarité. Il y aura toujours un reste de violence que la société doit apprendre à gérer. Comme la situation de paix est continuellement menacée ou perturbée, elle nécessite une attention constante. Il est nécessaire d’identifier les facteurs de risque, entre autres, dans les domaines de la criminalité, de la santé, de la création d’emplois, de l’aide au développement, etc. « Mais il est crucial que tous ces facteurs soient placés dans un contexte plus large, qu’il y ait une prise de conscience du fait que la paix est perturbée de nombreuses manières et que la réalisation de la paix ne doit justement pas être considérée uniquement comme une tâche militaire. » - Et de constater qu’actuellement « le maintien de la paix n’est pas en premier lieu assuré par des moyens militaires mais que des mesures politiques visant à surmonter les menaces écologiques et économiques - c’est-à-dire civilisatrices – doivent être prioritaires ». [15]

 Diminuer la violence : un processus de civilisation

La paix est un objectif, une visée. Comme il n’est pas possible d’abolir toutes les manifestations de violence, le défi consiste à apprendre comment mieux la gérer pour s’approcher d’une situation de paix – d’une situation « pauvre en violence entre les hommes, entre les sociétés, entre les nations ».
Là où tout est fait pour assurer la paix dans la durée, la politique s’est civilisée. « Des conflits inévitables sont alors abordés et analysés sans menace et sans recours à la violence ». [16].

En 1993, l’Association des Chercheurs sur la Paix et la Résolution des Conflits (Arbeitsgemeinschaft für Frieden- und Konfliktforschung, AFK) qui réunit les membres provenant de différentes disciplines mit au point un appel et un programme de recherche : « la paix – un projet de civilisation : surmonter la violence – façonner la paix – gagner l’avenir. ». Il soulignait l’importance de faire un usage résolu des opportunités qui existaient après la fin de la guerre froide en vue de civiliser la politique de sécurité et d’éviter l’érosion des méthodes de régulation civile. « Pour empêcher une rechute dans le nationalisme, le chauvinisme et le racisme, il est essentiel de civiliser la gestion des conflits. [17].

Face au peu de succès auprès des décideurs, Koppe aimait citer l’historienne Barbara Tuchmann : « Il apparaît que, dans l’art de gouverner, les performances de l’humanité restent loin derrière tout ce qu’elle a accompli en presque tous les autres domaines. La sagesse – qu’on pourrait définir comme l’utilisation d’un jugement basé sur l’expérience, le bon sens et les informations disponibles – prévaut peu en ce domaine... Pourquoi les titulaires de hautes fonctions agissent-ils si souvent de manière contraire à la raison… ? » [18] .

Pourquoi les informations et les conseils préparés par des scientifiques n’intéressent-ils que rarement les responsables politiques ? Pour l’expliquer, Koppe note, entre autres, qu’à toutes les époques, une écrasante majorité d’hommes et de femmes ont désiré vivre en paix. La guerre était et est encore une affaire de petits groupes puissants qui ont leurs propres intérêts.

 Perspectives d’espoir

Après tant d’efforts pour « civiliser la guerre » ou pour l’abolir, en particulier après la deuxième guerre mondiale – existe-t-il l’espoir d’empêcher les fréquents retours à la barbarie ? Quel est l’avenir de l’ONU ? Quelle pourra être l’influence de la conception d’une culture de paix élaborée pour la première fois à l’échelle mondiale ? Est-il possible de surmonter les écarts énormes entre les valeurs déclarées, les intentions proclamées et les intérêts économiques et géopolitiques ? Des sommes gigantesques sont investies dans la production d’armes qui ne servent à rien pour faire face aux risques qui menacent l’avenir de l’humanité et qui, au contraire, ajoutent une terrible menace supplémentaire. [19]. Comment éviter que les préparations permanentes pour la guerre ne finissent par provoquer une catastrophe ?

Pour Karlheinz Koppe, il aurait été irresponsable de perdre espoir. Il pensait qu’une des perspectives les plus importantes serait une meilleure coopération des scientifiques, notamment des chercheurs pour la paix, avec les personnes lucides dans les sphères économiques et politiques et tout particulièrement avec les mouvements de citoyens.

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Notes

(pour revenir au texte, cliquer sur le numéro de la note)

[1Karlheinz Koppe, Der vergessene Frieden. Leske + Budrich, Opladen 2001

[2Conseil scientifique – Wissenschaftsrat qui en RFA recommande au gouvernement des mesures à prendre dans le domaine des sciences et de l’enseignement supérieur.

[3Les recherches se poursuivent jusqu’à aujourd’hui. L’Institut Max Planck de Starnberg pour la recherche sur les conditions de vie du monde scientifique et technique a poursuivi son travail jusqu’en 1980. Dans le Département de science politique de l’Université libre de Berlin on mettait l’accent sur des sujets liés aux sciences de la paix. Certaines des institutions créées dans les années 1970 existent encore : le ’Berghofstiftung’, fondé en 1971, le ’Peace Research Institute Frankfurt’ (PRIF) fondé en 1970, l’Institut pour la recherche sur la paix et la politique de sécurité à l’Université de Hambourg (ISFH) fondé en 1973. Et plusieurs autres instituts ou fondations moins connus.

[4Les principaux critères de la doctrine classique chrétienne concernant le droit à la guerre (ius ad bellum) sont : cause juste, ultime recours, autorité légitime, proportionnalité (le recours à la violence ne doit pas aboutir à une situation pire que celle initiale), espérance de succès (des chances raisonnables de vaincre) ; le critère principal concernant le droit dans la guerre (ius in bello) est le principe de discrimination (les combattants peuvent être pris pour cible, mais pas les non-combattants). Ce principe a été repris dans le droit moderne de la guerre (immunité des non-combattants).

[5Pour approfondir ce sujet on lira avec intérêt les livres de Christian Mellon, Éthique et violence des armes, Assas Editions, 1995, Michael Walzer, Just and Unjust Wars : A Moral Argument with Historical Illustrations, New York, Basic Books, 2006 [1977] et Rony Brauman, Guerres Humanitaires ? Mensonges et Intox., Les éditions Textuels, 2018.

[6Cité par Koppe, p. 336 : La déclaration de Wannsee.

[7Johan Galtung est souvent considéré comme le père de la « peace research », recherche sur la paix. Il fonda en 1959 le premier institut de recherche sur la paix en Europe (PRIO) et il fut nommé en 1969, par le gouvernement norvégien, premier professeur au monde de recherche sur la paix et les conflits. Ses nombreuses publications ont fortement influencé les chercheurs dans tous les continents.

[8Kenneth Boulding (1910 – 1993), philosophe, sociologue et économiste, professeur, entre autres, aux universités de Havard et de Chicago, auteur de plus de 1000 publications. Boulding considérait l’économie comme faisant partie d’un contexte plus large explorant son rôle dans le système international, s’interrogeant sur la paix et l’attitude de l’homme envers la nature. Il était, entre autres, président de l’American Economic Association, de Society for General Systems Research, de l’International Peace Research Society.

[9Cité par Koppe, p. 235.

[10Ernst-Otto Czempiel (1927-2017), historien et politologue, professeur à l’université de Marburg, puis à l’université de Francfort, entre 1987 et 1991 conseiller expert du Centre des Nations Unies pour la coopération transnationale, a travaillé principalement dans les domaines de la politique internationale, de la politique étrangère américaine et de la recherche sur la paix.

[11Cité par Koppe, p. 306

[12Dieter Senghaas, (né en 1940) est un des pionniers de la recherche sur la paix et le développement. Il a enseigné aux universités de Francfort et de Brême. Ses publications scientifiques portent sur les relations internationales, en particulier la recherche sur la paix. macrostructure du monde.

Eva Senghaas, (née en 1942) est sociologue et psychologue. Ses recherches portent sur la réglementation internationale du travail, l’avenir du travail et les relations entre les sexes.

[13Cité par Koppe, p. 248.

[14Op. cit. , p. 52.

[15Op. cit. , p. 53. Koppe rappelle que des États qui ont été prêts à dépenser plusieurs milliards dans l’utilisation militaire pour forcer une paix fragile n’ont pas été prêts à investir une fraction de cet argent pour combattre les causes économiques et écologiques de conflits imminents.

[16Cité par Dieter Senghaas et Eva Senghaas, op. cit. , p. 308

[17Op. cit. , p. 241

[18Op. cit. , p. 57

[19L’actuel débat en Allemagne tourne autour des mêmes thèmes. Le 28 mars 2020, G. Becker, auteur d’une des principales revues de recherche sur la paix, lança un appel dans le quotidien Frankfurter Rundschau citant le secrétaire général de l’ONU : la rage du virus montre la folie de la guerre. Comparant les dépenses militaires aux dépenses nécessaires pour faire face aux défis qui menacent l’avenir de l’humanité, il exigeait que la crise actuelle soit utilisée pour des transformations profondes.

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