La compensation carbone

21 novembre 2012

Résumé

La compensation carbone consiste à financer un projet qui évite des émissions de CO2 (substitution d’énergie fossile par une énergie d’origine renouvelable, efficacité énergétique, etc.), en quantité équivalente à l’ensemble ou à une partie des émissions de gaz à effet de serre propres à l’activité ou au projet. Cet article fait un tour d’horizon illustré des différentes modalités de compensation carbone.

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Auteur·e

Bettin Renaud

Responsable du Programme « CO2Solidaire », - ONG GERES – Groupe Energies Renouvelables, Environnement et Solidarités.
Le GERES est une organisation de solidarité internationale, qui agit en faveur de la préservation de l’environnement et de l’amélioration des conditions de vie des populations.


 1. La naissance de la compensation carbone : Kyoto, 1997



Presque 15 ans après la première conférence dédiée au climat en 1979 à Genève, la communauté internationale se retrouve à Rio au Brésil en 1992 pour signer la Convention Cadre des Nations-Unies sur les Changements climatiques, la CCNUCC. 189 pays, dont les Etats Unis, s’accordent pour « stabiliser les émissions de gaz à effet (GES) à un niveau qui empêche toute perturbation anthropique dangereuse du système climatique ».

Afin de traduire cet objectif et mettre en œuvre les moyens pour les atteindre, le Protocole de Kyoto est signé en 1997. Façonné en grande partie par les Etats-Unis sur la base de leur expérience réussie du Clean Air Act visant à limiter les rejets de dioxyde soufre, ce premier accord contraignant se décline en 3 mécanismes dits « de flexibilité » :

  • La création d’un système d’échange de quotas d’émissions basé sur le cap and trade (plafonnement des émissions de GES par allocation de droits à émettre et autorisation d’échanger ces droits sur les places de marché)
  • La Mise en œuvre conjointe (MOC), qui consiste à investir dans un projet évitant des émissions de GES au sein d’un des pays de l’Annexe 1 (pays industrialisés, engagés à réduire leurs émissions pour la première période d’engagement du Protocole de Kyoto, c’est-à-dire 2008-2012). Ces émissions de CO2 évitées sont valorisées sous forme de crédits carbone appelés ERU ou Emission Reduction Unit.
  • Le Mécanisme de Développement Propre (MDP), qui comme le MOC permet de réduire les émissions des pays de l’Annexe 1 en dehors de leurs territoires. Mais dans le cas du MDP, au sein des pays en développement. Ces émissions de CO2 évitées sont valorisées sous forme de crédits carbone appelés CER ou Certified Emission Reduction.


Le MDP constitue le plus important système de compensation carbone au monde.
Hormis son grand avantage de permettre aux pays de l’Annexe 1 d’atteindre leurs objectifs de réduction d’émission à moindre frais, le MDP constitue un véritable levier de coopération et de transfert de technologie bas carbone entre le Nord et le Sud.

Les limites du Mécanisme de développement propre (MDP)


* Les délais d’accessibilité  : les procédures onusiennes pour officialiser l’enregistrement d’un projet MDP sont très longues (500 jours en moyenne) et le coût d’accès est prohibitif (jusqu’à 250 k€ en moyenne par projet).


* La concentration géographique  : 2/3 des 4546 projets MDP enregistrés au 1er septembre 2012 sont mis en œuvre en Chine et Inde. L’Afrique, continent reconnu par le GIEC comme étant le plus vulnérable face aux changements climatiques, n’a capté que 2% des projets MDP.


* Où est le D de MDP ? 2/3 des crédits carbone MDP (CER) sont issus de projets de destruction de gaz industriels. 10 projets de ce type ont délivrés 45% des CER. Ces projets se caractérisent par un fort bénéfice en matière d’évitement de gaz à effet de serre mais quasiment aucuns bénéfices sociaux-économiques pour les populations locales.

* L’intégrité environnementale  : Chaque projet MDP doit prouver son additionnalité c’est-à-dire le fait qu’ils n’auraient pas vu le jour sans la vente des crédits carbone (additionnalité financière) et que sans le dit projet il n’y aurait pas eu d’économies de CO2 (additionnalité environnementale). Sur une inquiétante proportion des projets MDP, l’additionnalité a été ouvertement remise en question.

 2. La compensation carbone volontaire


En parallèle du cadre réglementé de Kyoto s’est développé un marché dit « volontaire » fonctionnant sur les mêmes règles et procédures que le MDP. La compensation volontaire permet à tout acteur non contraint à des objectifs de réduction au niveau international de compenser ses émissions de CO2 en finançant une réduction équivalente hors de son territoire.

Le marché volontaire répond à de nombreuses critiques formulées à l’encontre du MDP, notamment son manque d’accessibilité. Il permet en effet à de plus petits porteurs de projets d’accéder au financement carbone afin d’augmenter la taille de leur projet. C’est-à-dire viser une dissémination à grande échelle de technologies sobre en carbone. Le financement carbone permet également une perspective de long terme et une possibilité de préfinancement.

Cependant, non régit par des instances internationales, le marché volontaire ne fixe pas de prix officiel du crédit carbone, comme il existe pour les crédits carbones du MDP, et permet une plus grande liberté en matière de typologie de projets ayant accès à ce financement. C’est ce qui lui vaudra dès le début quelques errances remettant en question sa crédibilité, son sérieux et surtout son intégrité environnementale. Les standards de qualité viennent rapidement répondre à ces écueils.

Les standards de qualité du volontaire



* Le Verified Carbon Standard  : se concentre seulement sur les réductions de GES. Il simplifie les procédures d’éligibilité qui permettent de diviser par deux les coûts et les délais reliés à la certification. Le VCS est le standard volontaire le plus répandu au monde.

* Le Gold Standard  : Il est initialement crée pour les projets MOC ? (c’est-à-dire non volontaire) dans l’objectif d’apporter clarté et certitude au marché et afin d’instaurer un rapport de confiance. Il garantit une contribution réelle des projets en matière de développement socio-économiques. Les projets de grande hydro, très controversés, sont exclus. Seuls les projets d’efficacité énergétique et d’énergie renouvelables sont éligibles. Par ailleurs, il fixe dans son cahier des charges des normes de durabilité et un suivi a posteriori des co-bénéfices, c’est-à-dire des bénéfices socio-économiques pour les populations locales.

 3. Comment compenser ses émissions ?


Entreprises, associations ou particuliers peuvent agir au quotidien pour limiter leurs émissions de gaz à effet de serre (GES) : en imitant leurs consommations énergétiques, en privilégiant des modes de transports peu émetteurs en CO2, en choisissant de partir en vacances moins loin et plus longtemps, ou encore en triant leurs déchets… Mais des émissions de GES subsistent.

La compensation carbone consiste à financer un projet qui évite des émissions de CO2 (substitution d’énergie fossile par une énergie d’origine renouvelable, efficacité énergétique, etc.), en quantité équivalente à l’ensemble ou à une partie des émissions de GES propres à l’activité ou au projet. Le coût d’une compensation varie en fonction du coût d’abattement d’une tonne de CO2 sur le projet soutenu.

 4. Exemple de projet économe en CO2

A l’heure actuelle, plus de 3 milliards de personnes vivent grâce au bois énergie. Dans le même temps, la déforestation est responsable de presque 20 % des émissions mondiales de GES.

Au Cambodge, le bois couvre plus de 80% des besoins en énergie. Il est notamment utilisé en zone urbaine et rurale pour la cuisson des aliments, la production de sucre de palme. La plupart des cambodgiens utilisent un foyer de cuisson fonctionnant au charbon en milieu urbain et au bois en milieu rural. Au Cambodge, le charbon est l’un des plus chers d’Asie du Sud Est, favorisant un autre type de précarité : la précarité énergétique.

Le GERES intervient depuis 1997 sur la mise en œuvre d’un programme national de diffusion de foyers de cuisson amélioré : le New Lao Stove (NLS). Grâce à une chambre de combustion améliorée et une meilleure isolation, le NLS économise en moyenne près de 20 % de combustible. Sur une année, l’utilisation quotidienne du NLS permet d’éviter 1 TéqCO2.
Afin de ne pas créer des distorsions au sein du marché local, le GERES a cherché à intervenir sur l’ensemble de la filière, du producteur de foyers au distributeur. La structuration de cette filière par la création d’un standard de qualité, d’une association et de centres de formation garantit la pérennité des bénéfices du programme.

Le NLS coûte à l’achat entre 5 et 6 $ US, contre 3 à 4 $ pour un foyer traditionnel. Ce surcoût est couvert en 6 semaines d’utilisation et le NLS est 2 fois plus résistant (2 ans de durée de vie contre 1 an pour le foyer traditionnel).

1.





Distingué au niveau international plusieurs fois, ce projet est le plus important au monde en matière de diffusion de foyers de cuisson améliorés : 1,8 millions d’unités ont été diffusées depuis 2003, évitant l’émission de plus d’1,5 million de TéqCO2, et près de la moitié des ménages urbains au Cambodge l’utilisent.

Hormis ses bénéfices pour le climat, ce programme a permis de conserver plus de 5000 ha de forêts, de créer plus de 1500 emplois directs, de limiter les fumées intérieures nocives, de lutter contre la précarité énergétique en réduisant le budget des familles alloué au combustible.




Compenser en plantant des arbres ?


La compensation des émissions par la plantation d’arbres a été actée mais fortement limitée dans le cadre des accords de Marrakech en 2001 (7ème Conférence des Parties à la Convention Cadre sur les Changements Climatiques (CCNUCC), qui définissent le fonctionnement des projets MDP. D’ailleurs le marché européen du carbone, l’EU ETS, n’accepte pas les crédits dits forestiers, c’est-à-dire issus de projet de reforestation. Les problèmes qui entourent la reforestation sont :

  • le temps de séquestration du carbone : de 50 à 100 ans pour certaines essences d’arbres ;
  • le type d’arbre planté : si on cherche à stocker un maximum de carbone, on plante des arbres à croissance rapide, souvent non adaptés à l’écosystème local. Ainsi des arbres qui doivent a priori lutter contre le changement climatiques peuvent dégrader l’environnement (perte de fertilité des sols, développement de maladies, de nuisibles…) ;
  • l’accaparement des terres du Sud par le Nord sur l’autel de la lutte contre le contre le changement climatique. C’est malheureusement ce à quoi nous assistons depuis quelques années.



Il ne s’agit pas de stigmatiser la reforestation. Ces projets ont un intérêt considérable dans les pays où les ressources en énergie dépendent de la forêt, où leur gestion est primordiale. Le reboisement aide au maintien du sol, de la biodiversité et est donc directement lié à la sécurité alimentaire. Le problème demeure de faire exclusivement du carbone avec la forêt.


 5. La compensation carbone volontaire est-elle un achat de conscience ?



Souvent considérée comme une sorte d’impunité climatique, la compensation fait dès son apparition l’objet de vive critique : achat de conscience, échappatoire à notre responsabilité, comparaison avec les « indulgences » du Moyen Age…

Il faut dire que les premières démarches, telles que celles de la British Airways en 2005 ou du groupe de rock Coldplay, qui souhaitait compenser les émissions générées par la production de leur album en 2002 tourne au fiasco environnemental. Dans le cas de la compagnie aérienne, les tonnes de CO2 étaient effectivement séquestrées par des plantations d’arbres mais au bout de…100 ans, et dans le second, les rockeurs découvrent qu’une grande partie des manguiers plantés en Inde étaient morts, relarguant le carbone accumulé dans l’atmosphère.
Avant même de songer à compenser nos émissions de CO2, il s’agit de tout faire pour les réduire à la source. La compensation n’est pas la réponse à la lutte contre les changements climatiques.
La compensation s’insère dans une logique de responsabilité du Nord vis-à-vis du Sud.
Les pays industrialisés ont une dette écologique envers le Sud du fait de leur développement depuis 1850 basé sur la combustion d’énergie fossile. Les conséquences de ces émissions de gaz à effet de serre impactent surtout les pays en développement : augmentation du niveau des océans, salinisation des sols, sécheresses, baisse de la productivité agricole, stress hydrique, évolution du cycle des moussons, etc.
Des populations déjà défavorisées paient un lourd tribut et voit leur développement freiné alors même qu’elles ne sont pas responsables de ces dérèglements du climat.

Réduire ses propres émissions au Nord est essentiel, et soutenir les populations du Sud face aux conséquences des changements climatiques est primordial.

La compensation carbone doit s’inscrire dans cet esprit de solidarité.

Schéma d’une logique de compensation solidaire :
Réduire ses propres émissions de CO2, et soutenir, via la finance carbone,
un projet de développement socio-économique au Sud


 6. Alors pourquoi compenser ?


La compensation carbone sert :

  • Au Nord  : A sensibiliser sur notre responsabilité historique dans les changements climatiques et à la vulnérabilité des populations du Sud face à ceux-ci.
  • Au Sud  : A apporter un financement complémentaire à des programmes de développement qui réduise la pauvreté tout en luttant contre les changements climatiques.


Les bénéfices socio-économiques, ou cobénéfices, doivent être l’un des facteurs de choix du projet soutenu pour compenser ses émissions. La compensation ne doit pas se résumer à du CO2, elle doit dépasser sa dimension environnementale car le climat, bien commun de l’humanité, fait partie intégrante de notre bien-être. La crise climatique actuelle doit prendre un visage humain.

Ainsi, la recherche d’une hypothétique voire fausse neutralité carbone doit laisser la place à une nécessaire action de solidarité vis-à-vis des populations du Sud.
Ce qui compte dans la compensation carbone, ce n’est pas combien on compense mais comment on compense. Les chiffres sont secondaires, c’est la cohérence (réduisons nos propres émissions avant de compenser !) et les bénéfices pour les populations qui doivent primés dans une démarche de compensation carbone.

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 Bibliographie

* Guide de l’ADEME : « Compensation volontaire : démarches et limites »
Téléchargeable : http://www2.ademe.fr/servlet/getDoc...

* Fragnière, Augustin : « La compensation carbone : illusion ou solution ? », 2009, Editions PUF

* Bernier, Aurélien : « Le climat, otage de la finance », 2008, Editions Mille et une nuits

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