Les acteurs de la finance solidaire

4 décembre 2009

Résumé

Les acteurs de la finance solidaire dont l’ histoire est pourtant très courte, ont porté de très nombreuses initiatives. Reflet de la richesse de ce mouvement, ce foisonnement est aussi le reflet de la capacité d’adaptation aux territoires et aux besoins des publics auxquels la finance solidaire s’adresse. Elles sont aussi le témoignage de tous les métiers liés aux fonctions de l’argent qui ne sert pas uniquement à la transaction.


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N 104 Dughera


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La nouvelle classification de cet article est :

4.5- Financement du développement durable

Auteur·e

Dughera Jacques

Coresponsable du Master management de l’insertion dans l’économie sociale et solidaire de l’université de Paris-Est – Marne-la-Vallée, enseigne les finances solidaires dans cette université, après avoir été Président de la fédération des Clubs d’investisseurs pour une gestion alternative et locale de l’épargne solidaire.

Ex-secrétaire général du Conseil national de l’insertion par l’activité économique, il est administrateur et engagé à titre d’expert dans plusieurs associations d’insertion.


 Des instituts de microfinances (microcrédit) en très grand essor mais aussi en très grande fragilité.

En 2006, on comptabilise près de 10 000 instituts de microfinance, essentiellement répartis sur les continents américain, africain et asiatique. Ces IMF auraient 90 millions de clients (dont 60 millions de pauvres qui n’auraient pas eu accès au crédit sans eux). Si la microfinance représente toutefois 2% de l’aide publique globale, elle est portée par des objectifs dans le cadre du Millénaire et des campagnes des sommets du microcrédit : l’objectif est de 175 millions clients en 2015. Cette fragilité a donné naissance à quelques exemples de dérives dont la finance solidaire doit se préserver.

Le scandale Compartamos
Ong mexicaine, créée au début des années 90, pour réaliser du microcrédit aux femmes pauvres, Compartamos est devenue société commerciale en 200O. Introduite en bourse en 2002, valorisée à près de 2 milliards de dollars, les cadres de la société ont fait une plus plus-value de 300% alors que COMPARTAMOS n’a jamais fait bénéficier ses clientes d’un taux d’intérêt réduit du fait de sa rentabilité (le taux d’intérêt a toujours été supérieur à 100%). L’organisme international de régulation du microcrédit (Consultative Group to Assist the Poor, CGAP) n’a trouvé aucun manquement à l’éthique alors que Mohamed Yunus a condamné de telles pratiques.

A la lumière de cet exemple, Il convient de s’interroger sur les objectifs idéologiques sous-jacents à la mode planétaire de la microfinance confondue avec le microcrédit. S’agit-il :

  • de minorer encore davantage l’action de redistribution des Etats en mettant l’accent sur les financements privés ?
  • d’enrichir des actionnaires du Nord aux détriments d’emprunteurs du Sud (Standard et Poors ou Morgan Stanley estiment les besoins futurs du secteur en capitaux à 150 milliards de dollar ?
  • de provoquer des transferts financiers entre activités (les activités rurales vivrières ont souvent été sacrifiées au profit d’activités plus tournées sur l’extérieur) ?
  • de marquer la supériorité des marchés financiers qui obtiennent des résultats en matière de lutte contre la pauvreté alors que la démocratie installée de longue date dans ces pays, comme l’Inde par exemple,n’a pas obtenu de tels résultats ?

Il convient surtout de sortir des illusions : grâce à une bonne gestion, on pourrait concilier sur l’ensemble de la planète, profitabilité et prestations financières privées à des populations à très faibles revenus et se passer ainsi des financements publics et de l’impôt….Les « subprimes » visaient ainsi le même type de population. On a vu le résultat.

En définitive, il ne faut pas confondre lutte contre la pauvreté et accès aux services financiers (inclusion financière) dans une période de financiarisation poussée à l’extrême. Et dans cette perspective, l’objectif d’inclusion financière suffit-il à classer les IMF dans la finance solidaire, conçue comme un système de financement alternatif adapté à l’économie solidaire ? Il y a certainement autant de types d’IMF que de logiques possibles…

 Des banques sociales, éthiques ou alternatives, présentes sur tous les continents, ancrées dans des valeurs culturelles, voire cultuelles précises

Ainsi en Europe, on compte une dizaine de ces banques. Certaines sont de plein exercice comme GLS, la banque verte la plus ancienne en Allemagne, Triodos aux Pays-Bas et présente dans quatre autres pays européens, Merkur bank au Danemark, Ekobank en Suède, Cultura Bank en Norvège, la plupart de culture financière protestante, à l’exception de l’Italie catholique qui a sa banque éthique, Banca etica. D’autres sont des institutions financières spécialisées, n’étant pas encore des banques de plein exercice du fait d’un montant de fonds propres insuffisant comme la NEF en France, comme les Crédit union ou les Community Developpment Finance Institution au Royaume-Uni et en Irlande.

 La composition de l’épargne solidaire et du capital risque solidaire en France

L’épargne solidaire et le capital risque solidaire sont composés, en France de :

  • fonds de partage, produits grands publics créés par exemple par le Comité catholique contre la faim et pour le développement, soutenus par le Crédit coopératif dans les années 1980, pour financer des initiatives du Sud ;
  • SICAV et FCP grand public, notamment dans le domaine de l’épargne salariale, émis par différentes banques ou sociétés de gestion de l’épargne salariale ;
  • initiatives territoriales pour créer des emplois et soutenir des projets économiques collectifs, plus ou moins alternatifs à l’économie dominante (Herrikoa, Cigales, Garrigue, Autonomie et solidarité, Femu qui, Caisses solidaires, IES) ;
  • initiatives culturelles comme l’Antroposophie (NEF) ou professionnelles (SIFA pour les SIAE, SOCODEN pour les SCOP, SOFINEI pour les EI, ESFIN IDES pour les entreprises de l’économie sociale).
Les Cigales
Indivisions de 5 ans renouvelables une fois, (350 Cigales créées depuis 1983), les Cigales sont actuellement 119.
Elles comprennent 1500 épargnants solidaires et sont regroupées dans des associations territoriales. Le montant moyen de participation par entreprise est en moyenne de 2000 euros. Le montant total de la collecte annuelle est de 400 000 euros. En tant qu’instrument d’éducation à la finance, les Cigales utilisent des moyens originaux comme des jeux de société Solidarisk, des bourses aux projets, des cagnottes solidarité emploi…pour rapprocher l’épargnant solidaire du créateur d’entreprise sociale.

L’épargne solidaire citoyenne se développe : d’après le baromètre de Finansol, il y avait 116 000 épargnants solidaires en 2003, 300 000 en 2007. Il faut toutefois rappeler que la France compte 35 millions d’épargnants, 6 millions d’actionnaires en bourse et 7 millions de donateurs. L’épargne solidaire citoyenne reste donc marginale et militante, y compris au sein des acteurs de la finance solidaire.

Epargne salariale solidaire
Sur un capital de 36 millions euros au 30 septembre 2007, SIFA a 11 millions d’euros provenant de l’épargne salariale solidaire. Tous les plans d’épargne salariale doivent désormais, depuis la loi de modernisation de l’économie (LME) de mars 2008, proposer aux salariés un fonds commun de placement salarial solidaire. Les sommes affectées aux fonds commun de placement de France active, gérés par Natixis asset managment, sont placées en actions ou obligations sur les marchés financiers.
Seule une partie (pouvant aller jusqu’à 25% de l’encours) est placée dans l’économe solidaire. Ainsi entre 2004 et 2007, l’encours des FCPE Solidaire de France active est passée de 85 millions d’euros à 540 millions d’euros, générant des investissements de l’ordre de 32 millions d’euros en 2007 (France active investit à hauteur de 6% de l’encours). Si les volumes d’investissements sont effectivement plus importants, il faut toutefois signaler que la gestion de ces fonds est de moins en moins risquée, sur des périodes de placement de plus en plus courte, ne correspondant pas toujours aux attentes des entrepreneurs sociaux, notamment ceux en création d’activité.

 Les fondations constituent un acteur important de la finance solidaire, même si, à première vue, du moins en France, elles ne s’en réclament pas toujours.

Aux Etats-Unis où le nombre de fondations est plus important (72 000 fondations contre 2 443 recensées en France, 40 milliards de dollars en dons annuels contre 340 millions d’euros pour les 1443 fondations repérées par la Fondation de France en 2007). La philanthropie américaine change de manières de faire et de cibles. On assiste à une croissance du capital risque philanthropique mais aussi du don sur internet pour des projets de microcrédit (exemple Kiva ou Microplace).

Les exemples de capital risque philanthropique (venture capital philantropy)
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  • la Silicon Valley New philantropy est l’une des 650 fondations créées au profit de l’activité d’un territoire (comté). Quatrième en taille, elle abrite 1500 fonds dont la Skoll Foundation, créée par E Bay et qui finance des entrepreneurs sociaux. Elle distribue annuellement 200 millions de dollars. Elle soutient l’éducation et la santé de manière prioritaire sur la base de la responsabilité sociale des entreprises.
  • Le Roberts Economic Development Fund (REDF) est installé à San Francisco. Il accorde des fonds a des entreprisse sociales sur la base d’une méthode d’évaluation très précise et active. Le rendement recherché est avant tout social.
  • Le Community Development Venture Capital Alliance est installé à New-York et fédère 69 fonds qui recherchent retour financier et création d’emploi.

Si une partie de la philanthropie américaine semble ainsi quitter le don pour transformer le don en fonds propres dans des entreprises sociales rigoureusement sélectionnées, il convient toutefois d’être prudent sur ce virage :

  • de nombreuses fondations ne sont pas des exemples de gouvernance démocratique (les décisions de la fondation Bill Gates se prennent au sein d’un groupe composé de quatre personnes),
  • la rapidité du retour financier attendu sur investissement est souvent incompatible avec la temporalité des projets et l’idée d’un capital patient.

L’utilisation du capital est très diverse : il peut s’agir d’investissement social responsable dans des entreprises cotées ou d’un instrument de résolution de questions sociales voire économiques. Cette intervention dans les entreprises cotées représente d’ailleurs la grande différence avec une finance solidaire au profit des petites et moyennes entreprises de l’économie solidaire non cotées. Il faut donc être prudent sur l’assimilation de cette vogue anglo-saxonne (qui se traduit en France par la création d’une nouvelle entité, les fonds de dotation, en capacité de recueillir plus facilement le mécénat d’entreprise) à une finance solidaire continentale qui repose sur d’autres bases. Il y a, là, un sujet d’actualité, en lien avec le développement de la notion d’entreprise sociale en lieu et place de la notion d’économie sociale et solidaire….

Jacques Dughera

 Outils

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 Bibliographie

 Raphaël Doueb, Les épargnes de demain, Editions Syros, 1985.

 L’argent, pour une réhabilitation morale, revue Autrement 1998, octobre 1992.

 Régis Verley, Le capital, au risque de la solidarité, autonomie et solidarité, dossier FPH 1993.

 Pascale Dominique Russo, Régis Verlet, Les Cigales clubs locaux d’épargne pour investir autrement, dossier FPH 1995.

 Bernard Perret, Les nouvelles frontières de l’argent, Editions du Seuil, 1999

 André Geslin, Invention de l’économie sociale, idées, pratiques et imaginaires coopératifs et mutualistes dans la France du 19ème siècle, Economica 1998.

 L’épargne de proximité, un investissement citoyen, Cahiers du Gratice, Université Paris 12, Val-de-Marne 1998.

 Jacques Dughera, Yannick Vigignol, Risque social, et risque financier, la myopie des marchés financiers, Economie et humanisme 2000.

 David Vallat, Émergence du crédit populaire en France au XIX ème siècle, Editions de l’Harmattan, 1999

 Jean-Michel Servet Exclusion et liens financiers, Economica 2000

 Pascal Glémain, La gestion des risques en microfinances, une approche par la logique de l’honneur, revue Gestion 2000.

 Pascal Glémain, Epargnants solidaires une analyse économique de la finance solidaire en France et en Europe, Presse universitaire de Rennes, 2OO9.

 Michel Schiff, La barbarie financière, subir ou agir ?, Editions Sang de la terre, 2002

 Eric Larpin, Garrigue, une utopie concrète, Temps des cerises 2005.

 Les logiques d’acteurs des finances solidaires contemporaines, de la résistance à la résilience, Annales CIRIEC 2007.

 La finance éthique et solidaire, hors-série, Alternatives Economiques 2008.

 Maria Nowak, On ne prête (pas) qu’aux riches la révolution du microcrédit, Editions Lattès 2005.

 Jacques Dughera, L’argent dans le monde, rapport moral 1998 de l’Association de l’Economie financière.

 Sous la direction de Jean-Louis Laville, Dictionnaire de l’autre économie, Editions Desclée de Brouwer, 2005.

 Lire dans l’encyclopédie

* Elena Lasida, L’économie Solidaire : une manière nouvelle de penser l’économie, N° (63) , Mars 2008.

* Jacques Dughera, La finance solidaire : histoire et pertinance, N° (103) , Décembre 2009.

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