Résumé
Éducation en matière d’environnement,éducation pour un développement durable, éducation à l’environnement pour un développement durable, trois expressions parmi d’autres. Inflation langagière ou évolution judicieuse ? En France, une circulaire chasse l’autre : celle du 15 Juillet 2004 remplaçant celle du 29 août 1977
a programmé la dernière formule pour la rentrée 2004 dans l’ensemble des collèges et des lycées. Évolution judicieuse ou inflation langagière ? Certains résolvent le problème en ramenant toutes les formules à un mot : écocitoyenneté, et en assignant à l’école le souci de produire la chose. Manière de trancher une difficulté, ou de la nier ?
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La nouvelle classification de cet article est :
• 6.3- Education et formation
Auteur·e
Dominique Allan Michaud est chercheur dans une unité mixte CNRS-ENS, le Centre BioGéo.
Il est l’auteur de nombreux travaux et de plusieurs publications sur l’histoire et les formes de l’écologisme,
qu’il étudie depuis 1974 (et dont L’Avenir de la société alternative, publié chez l’Harmattan, a présenté
une première synthèse, actualisée dans L’Écologisme à l’aube du XXIe siècle, édité par Georg à Genève).
Ecocitoyenneté : quand le mot apparaît il est volontiers relié à ce qu’il est convenu de nommer l’éducation relative à l’environnement. On est tenté de s’en défier, ainsi que de tous les mots au préfixe Éco. Écoformation, écopédagogie… En même temps on comprend bien qu’il séduise quand on découvre certaines exigences, par exemple à travers ces notations exprimées au cours d’un séminaire d’enseignants, en 1998-1999 : “Donner aux futurs citoyens le moyen de comprendre ces choix afin d’être en mesure d’exercer un contrôle pertinent sur les décisions prises est un des rôles de l’École”(à propos des conférences sur le changement climatique). “Entre expertise et citoyenneté”, c’est là qu’est située l’éducation relative à l’environnement. Avec des questions qui ont des airs de conclusion :“La politique de l’environnement une affaire d’expert ou de choix de citoyen ? L’éducation au débat pour en faire quoi ? Quel citoyen forme-t-on ?(du local au planétaire) ?”Questions inspirantes.
Quel citoyen pour quel environnement ?
Du même séminaire :“Quels objectifs viser pour nos élèves : faire acquérir des savoirs sur l’environnement ou acquérir des réflexes citoyens” ? C’est qu’il pourrait s’agir à la fois de science et d’instruction civique, situation qui paraîtra inédite à beaucoup. Faute d’être un expert, le “nouveau citoyen” (une appellation de Pierre Giolitto) devrait, à tout le moins, avoir été formé… à savoir s’informer. Sur quoi ? On serait tenté de répondre :sur tout.Vaste question, univers infini, et nouvelle interrogation : l’école, fût-ce en transcendant les frontières disciplinaires, a-t-elle la capacité,les moyens de faire naître un curieux de l’universel avide de saisir la complexité globale des singularités multiples ? Si instruction civique il y a, elle ne démarre pas de zéro : que n’a-t-elle contribué à façonner un type de citoyen plus sensible à l’évolution de ce qui l’entoure et de ce qui fait sa vie ?
Qu’est-ce qu’éduquer ? Et de quel environnement s’agit-il ? L’éducation a des sens dont les extrêmes vont de la connaissance des usages sociaux aux moyens d’assurer le développement de l’être humain : comment renfermer la totalité de l’être dans le cadre social ?
S’agissant d’environnement, il y a pour le moins “grande variabilité” de sens, selon l’élégante formulation de 1993 d’animateurs du “programme environnement” du CNRS. S’agissant d’éducation relative à l’environnement, qu’y a-t-il à enseigner ? Pas seulement la discipline qu’est l’écologie (souvent confondue avec le militantisme qu’est l’écologisme). Des lois scientifiques rendant compte de la façon dont sont régis les phénomènes naturels aux problèmes techniques, socio-économiques et politiques que pose la recherche d’un environnement humain de qualité, aux questions philosophiques, morales, annoncées par la montée de la crise écologique, et jusqu’aux représentations idéologiques qui s’y rapportent, le champ est vaste, et l’éducation risque fort d’y rencontrer le militantisme. Mais celui-ci ne serait-il pas obligé ? La science, à travers l’enseignement, la vulgarisation, pourrait-elle se voir confinée dans quelque “neutralité”plus ou moins introuvable ? Comment “apprendre” (faire appréhender) l’environnement sans apprendre à le respecter, partant à le protéger et à le faire protéger ? La difficulté sera là de ne pas franchir une limite, que les enseignants auront la responsabilité - et la difficulté - d’apprécier…
Former des écodirigeants ? Écocitoyens, écoconsommateurs
L’annonce de la crise écologique a été due principalement au discours écologique de scientifiques et/ou de militants. Ceux qui étaient ou qui jouaient les sourds en la matière furent moins les citoyens que la quasi-totalité des dirigeants des milieux économiques, administratifs et politiques. Former des écocitoyens, sans doute est-ce une nécessité, mais ne serait-il pas tout aussi logique de former des écodirigeants ? On dit parfois que les hommes ont les dirigeants qu’ils méritent. Sans doute est-il implicitement postulé que l’agrégat de modifications minuscules produira à terme un changement harmonieux, avec des écocitoyens responsables portant au pouvoir des écodirigeants exemplaires.
Consommation “responsable”d’un côté, de l’autre commerce “équitable” et produits “éthiques” : la société rêve d’un consommateur idéal approvisionné par un producteur idéal. Cela peut exister. Cela peut-il devenir la règle ? L’avenir, comme le dit une autre formule “toute faite”, n’appartient à personne, et le jeu des forces économiques pèse durablement sur le politique. Les industries de la communication semblent bien faire des choix pour les consommateurs et usagers, prioritairement le choix d’un impératif technique hors duquel il n’y aurait point de salut…
Coordination et interdisciplinarité : les difficultés françaises à l’école
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Les mots et les choses : des exemples parlants (Source : RIEE) |
L’écocitoyen dont l’“espace de création” serait l’éducation est un acteur double. Comme “citoyen actif et réactif”, chez Roesch il présente un visage assez théorique : en gros tel qu’il devrait, pourrait se dégager de la législation. Par contre les exemples d’un cahier de propositions du Réseau international en éducation à l’environnement l’habillent de réel, de réalités bien vivantes et colorées du monde. Les exemples du premier auteur montrent le “consommateur averti”entre “entreprise durable” et“consommation durable”, pour montrer concrètement“où et comment consommer durablement”:cet autre visage de l’écocitoyen renvoie à la tenue d’un “Parlement citoyen sur la consommation durable”(Bruxelles, 2003), à un site Internet de l’Observatoire de la consommation durable. Durable, qu’est-ce à dire ? Est-il utile de préciser qu’il ne s’agit pas de durabilité des produits (une revendication consumériste et écologiste), mais de dérivation de la formule du développement durable :dérivation ou dérive ? L’écocitoyen se voit encouragé à oeuvrer pour un développement durable,et aussi les promoteurs de l’éducation en matière d’environnement apparue dans les années 1970. Or le développement durable “affiché très volontiers par de plus en plus d’entreprises” est devenu un “pilier fondamental de toute politique de communication”( Roesch),un pilier dont la base n’est pas forcément solide. Ce grand écart, certains y voient une ruse de l’industrie en proie à un rêve de croissance éternelle. D’autres dénoncent une récupération et un détournement, et militent pour un “vrai” développement durable : économique, social et environnemental. Comme l’Aphrodite de l’Antiquité, le dieu du double D incarne à la fois le bon et le mauvais. Curieux sort pour ce qui voulut être un concept fort, formateur, fondamental et fondateur,mais peut-être était-ce le prix à payer pour faire l’unanimité dans l’ambiguïté… telle la déesse de la beauté et de l’amour.
Gisement linguistique, glissements sémantiques
1er mars 2005, New York, USA. Lancement officiel par l’Unesco de la décennie des Nations unies pour l’éducation en vue du développement durable. La France, après avoir envisagé l’addition : éducation relative à l’environnement et au développement durable, a opté pour une dualité avec une préposition déterminant soit la cause soit le but : éducation à l’environnement pour un développement durable
Les mots et les choses : des exemples parlants |
(dans le but de, à cause de).ERE et EDD, grâce à l’ EEDD,se renvoient la balle et se justifient réciproquement. L’Unesco avait essayé d’un autre slogan : une éducation pour un avenir viable. La spécialiste québécoise Lucie Sauvé le jugea de la sorte : “A de nombreux égards (….) une nouvelle étiquette, un nouveau label, pour un même produit éducationnel.” Elle qui a estimé que la percée de l’EDD s’inscrit dans une “dynamique globalisante” allant dans le sens d’un marché économique mondialisé, aurait pu rappeler un point historique : que l’expression traduite en français par développement durable était sustainable development, et que la Commission mondiale sur l’environnement et le développement avait demandé de la traduire par développement soutenable à l’éditeur francophone de Notre Avenir à tous (1988, 1989). Un éditeur officiel qui précisera que l’autre traduction était“mieux accepté [e] (….) en Amérique”.
Dans le champ de l’environnement, lequel peut être pris dans une acception étroite ou large, le gisement linguistique permet moult glissements sémantiques. L’éducation en matière d’environnement, ou relative à l’environnement, n’en aura pas été exempte, avec cette déclinaison : éducation à, par ou pour l’environnement, qui n’est pas sans suggérer des différences, voire des divergences, entre diverses méthodes pédagogiques, voire entre différents objectifs d’enseignement. [1]
Souvent les acteurs préfèrent ne pas s’embarrasser de ces subtilités. Mais il est d’autres mots, d’autres choix, lesquels distinguent des courants, on n’ose dire des écoles, qui ont fait parler de “pédago-diversité” (selon Sauvé, à lire ainsi que Souchon, sur le sujet,dans le cahier précité du RIEE).Enseignement,éducation, formation : Il ne faudrait pas oublier la sensibilisation, à laquelle fait penser, chez le même auteur, l’idée d’ “éduquer à la relationà l’environnement”.Il s’agit surtout de replacer l’ERE dans un projet global d’éducation. On est loin de l’instillation d’une dose d’ERE dans des matières du secondaire ? Si cette méthode française a connu des résultats inégaux, la vision d’une cohérence interdisciplinaire n’a guère eu plus de chance. Rebaptiser l’ ERE pour en faire l’EDD ou l’EEDD lui en apportera-t-il davantage ? L’impression pointe que les mots s’épuisent à vouloir changer les choses,et le soupçon que l’ordre des choses conduise à changer les mots. Ou à les mélanger :en 2000,la déclaration du millénaire fut pour l’ONU l’occasion de rappeler le soutien aux principes du DD, c’était parmi les décisions nécessaires pour “protéger notre environnement commun” (Résolution, 13/09, IV, § 22) ; et le 7e des objectifs du millénaire pour le développement, les OMD, sera : “Assurer un environnement durable.”
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Les mots et les choses : des exemples parlants
Rajasthan, Inde. Dans la seconde moitié des années 1980, un éducateur démissionnaire, Rajendra Singh, s’est trouvé pris dans une confrontation intéressante entre théorie et pratique. Voulant mettre en oeuvre des méthodes livresques d’éducation à l’environnement, il dût, pour gagner la confiance des habitants de villages du Rajasthan,se mettre… à leur école,et avec deux amis remettre en état un étang desséché. Ce n’est qu’ensuite qu’il fut possible de procéder à un échange de savoirs,d’aider les villageois à prendre conscience de leur dépendance par rapport au gouvernement,et à rétablir eux-mêmes un système hydraulique dont la détérioration avait provoqué sécheresse, dégradation, érosion .L’exemple allait faire tache d’huile dans la région et au-delà,fruit de la rencontre d’un éducateur urbain et d’un villageois illettré,leçon particulière d’environnement combinant connaissance scientifique exogène et savoir-faire endogène.
France. Un agriculteur et syndicaliste breton, André Pochon, s’est éloigné de son syndicat (le Réseau agriculture durable) pour créer le Centre d’études pour le développement d’une agriculture plus autonome. Il a agi pendant trente ans auprès des agriculteurs, des décideurs politiques, des consommateurs à l’aide de livres, de conférences et de rencontres, en quête de synergie.
(Source : RIEE)
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L’école de la vie, du vivant à la société
Inflation langagière ? Oui, et le mot écocitoyenneté présente le grand avantage de paraître la réduire, en semblant ramener à un topique de la vie politique et sociale le nouvel impératif environnemental. Mais c’est aussi dissimuler de notables interrogations :quelle société et quel environnement compatibles seraient- ils envisageables, désirables ?, derrière la question aux allures plus techniques : quelle éducation… Aussi bien il paraît impossible d’assigner à l’école la fonction de producteur unique de quelque écocitoyenneté. Son rôle utile, indispensable, ne saurait occulter que ce qu’il est convenu de nommer éducation relative à l’environnement ne peut que faire appel à beaucoup d’éléments thématiques, à beaucoup de disciplines scientifiques, et à beaucoup d’acteurs pour donner et pour
Les mots et les choses : des exemples parlants France, Europe. Les anarchistes voulurent faire la propagande par l’action, l’ONG Greenpeace prospère dans la pédagogie par l’action.“28 Avril 2000, les activistes de Greenpeace interviennent devant les magasins” : ceux du plus grand vendeur européen de menuiseries industrielles, Lapeyre, implantés dans plusieurs pays. Conclusion du “12 septembre 2000, après des mois de pression, le groupe Lapeyre s’engage à ne s’approvisionner, à échéance de 2005, qu’en produits venant de forêts certifiées par un organisme indépendant reconnu par Greenpeace. Cet engagement concerne l’ensemble des approvisionnements, d’Amazonie mais aussi d’Afrique, d’Asie et du Canada. Lapeyre, leader européen dans le secteur de la menuiserie industrielle et Ikea, leader dans le secteur de l’ameublement, montrent ainsi à l’ensemble de la concurrence la voie de la gestion durable des forêts.”Les problèmes de déforestation, de destruction des forêts anciennes, n’en seront pas résolus pour autant. Mais la voie médiatique suggère de telles actions, qui n’en n’ont pas moins un aspect pédagogique. (Source : RIEE, reprise de documents diffusés par Greenpeace) |
recevoir la matière et la manière nécessaires pour appréhender un ensemble complexe de phénomènes. L’école pourrait d’autant moins exercer un monopole que l’ERE s’adresse à tous les êtres de la société et à tous les âges de la vie. Aussi bien non seulement les enseignants, les chercheurs, les bibliothécaires et les documentalistes, mais les militants associatifs, les syndicalistes, les élus, les collectivités territoriales, les journalistes,au fond toutes les bonnes volontés, seraient susceptibles d’être concernés. Il existe des exemples d’investissements productifs en la matière (certains répertoriés par le RIEE). L’école serait elle déconnectée ? Il est non moins certain que les enseignants peuvent et doivent jouer un rôle (et beaucoup déjà le font) dans l’établissement de normes pédagogiques.
L’ensemble de la société est invité à participer à l’école de la vie. Peu importe sous quelle appellation on parle de ce qu’on sait, quand on sait de quoi on parle : discuter la question de la crise écologique, en discuter les causes, en discuter les solutions, disputer des rapports de la culture et de la nature, disputer de l’histoire et de le place de l’être humain dans le monde vivant, sur la Terre.
Notes
(pour revenir au texte, cliquer sur le numéro de la note)[1] Qu’ils évacuent, implicitement ou explicitement : “L’éducation à l’environnement telle que la conçoit École et nature est alors ce champ ouvert où se retrouvent l’éducation pour l’environnement et l’éducation par l’environnement, permettant une approche complémentaire, diversifiée et s’appuyant sur le réel.”( Réseau École et nature,Éduquer à l’environnement
- Par la pédagogie de projet - un chemin d’émancipation, 2e édition, Paris, L’Harmattan, 1996.)
Bibliographie
A lire (bibliographie de base) :
- Pour (revue), dossier “Éducation à l’environnement :de soi
au monde”, Paris , GREP, Septembre 2005, n° 187.
- RIEE (coord. Ziaka Y., Robichon Ph., Souchon C.) Éducation
à l’environnement (Six propositions pour agir en citoyen), Paris, Alliance pour un monde responsable, pluriel et solidaire / Éditions Charles Léopold Mayer, 2002.
- Roesch A. L’Écocitoyenneté et son pilier éducatif : le cas français, Paris, Sciences-Po Strasbourg /L’Harmattan, 2003.
Pour approfondir :
- Novo M., La Educación : Bases éticas , conceptuales y metodològicas,
Unesco, Paris, et Universitas, Madrid, 1998. - Sauvé L., Pour une Éducation relative à l’environnement, Montréal, Guérin, 2e édition, 1997.
Voir aussi les bibliographies de :
- Roesch A. ; Allan Michaud D. (dir.), Pour une culture de l’environnement, Paris, ACFRD/RME/ADOME,2003/2004.
- Serge Antoine, L’éducation au développement durable.(N°15).
- Le réseau Mémoire de l’Environnement