Les débats publics de la Commission nationale du débat public (CNDP) sont-ils favorables au développement durable ?
Résumé
Si la loi du 27 février 1995, qui a créé la CNDP et l’a chargée d’organiser des débats publics d’une nature spécifique, invoque le développement durable, les Débats Publics sont avant tout considérés comme des instruments de développement de la démocratie participative.
Toutefois, les problématiques de développement durable sont parfois évoquées dans les dossiers des maîtres d’ouvrage et elles le sont très largement dans tous les débats, par des intervenants, “popularisant” ainsi ce concept et conduisant à une certaine “imprégnation” de la société française.
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La nouvelle classification de cet article est :
• 2.3- Citoyenneté et gouvernance, du local au global
Auteur·e
Conseiller-Maître Honoraire à la Cour des comptes, est membre de la Commission Nationale du Débat Public. À ce titre, il a présidé le débat de la CNDP “Le Havre Port 2000” et le débat “Centrale électronucléaire EPR, tête de série, à Flamanville”. Il est l’auteur de nombreux ouvrages dont “La défense de l’environnement en France” , “La protection internationale de l’environnement” et “L’Union Européenne” (Que Sais-je, 2008).
Le concept de développement durable a été porté avec force par la Conférence de Rio,en 1992. A partir de cette date, le droit international a joué un rôle incitatif majeur pour conduire les gouvernements à mettre en oeuvre des processus de débat public.
Dans les années 1980, la société ne pouvait que constater la dramatique insuffisance, en termes de participation de la population,des consultations informelles précédant certains projets d’équipement et des enquêtes publiques, malgré la réforme du 12 juillet 1983.
Ce sont des difficultés consécutives à des opérations d’aménagement lancées sans une suffisante concertation qui sont à l’origine des premiers textes prévoyant des débats publics. Le 15 décembre 1992, la circulaire du ministre de l’équipement relative à la conduite des grands projets nationaux d’infrastructures, la circulaire “Bianco”, a prévu une procédure de concertation menée par une commission indépendante, désignée par un préfet. Le 14 janvier suivant, une “circulaire Billardon” a transposé la mécanique aux projets de postes électriques à haute tension. Quelques débats ont été menés dans le cadre de ces textes.
Mais, un pas important a été franchi par la loi du 27 février 1995 “relative au renforcement de la protection de l’environnement”, qui tint enfin compte de deux directives de l’Union européenne : celle du 25 juin 1985 “concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement” et celle du 7 juin 1990 “relative à la liberté d’accès à l’information en matière d’environnement”. Cette loi affirme le principe de participation des citoyens,en ajoutant au Code de l’environnement un article dont voici l’essentiel :
“Les espaces, ressources et milieux naturels, les sites et paysages, les espèces animales et végétales, la diversité et les équilibres biologiques auxquels ils participent font partie du patrimoine commun de la nation.
Leur protection, leur mise en valeur, leur restauration, leur remise en état et leur gestion sont d’intérêt général et concourent à l’objectif de développement durable qui vise à satisfaire les besoins des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs. Elles s’inspirent, dans le cadre des lois qui en définissent la portée,des principes suivants :
- le principe de précaution,
- le principe d’action préventive,
- le principe pollueur – payeur,
- le principe de participation, selon lequel “chaque citoyen doit avoir accès aux informations relatives à l’environnement, y compris celles relatives aux substances et activités dangereuses”.
C’est le premier et le seul texte relatif à la participation des citoyens à des débats concernant l’environnement qui évoque le développement durable. Le Titre 1er de la loi, intitulé :“Dispositions relatives à la participation du public et des associations en matière d’environnement” comporte un Chapitre 1er : “De la consultation du public et des associations en amont des décisions d’aménagement”.
C’est lui qui dispose :
- que, pour les grandes opérations publiques d’aménagement d’intérêt national de l’Etat, des collectivités territoriales, des établissements publics et des sociétés d’économie mixte présentant un fort enjeu socio-économique ou ayant un impact significatif sur l’environnement ( à l’exclusion des opérations d’urbanisme visées par l’article L 300 du Code de l’urbanisme), un débat public peut être organisé sur les objectifs et les caractéristiques principales des projets, pendant la phase de leur élaboration ;
- qu’il est créé une Commission Nationale du Débat Public (CNDP), qui peut être saisie par différentes voies relativement restrictives, ce qui exclut tout automatisme dans la saisine pouvant aboutir à un débat public ;
- que la CNDP est paritairement composée de parlementaires et d’élus locaux,de magistrats et de représentants d’associations agréées de protection de l’environnement, de représentants d’usagers (sans qu’il soit dit de quoi) et de personnalités qualifiées (sans qu’il soit dit dans quels domaines) ;
- que chaque débat est organisé par une Commission Particulière (CPDP) qui en établit un compte-rendu (publié en même temps qu’un bilan rédigé par le président de la CNDP), qui ne prend jamais position sur le fond du projet (ceci est un point essentiel). Ces dispositions ont été précisées par un décret du 10 mai 1996.
Le 25 juillet 1998 a été signée,à Aarhus,une “Convention sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement”, par 39 Etats,membres de l’ONU, et par l’Union européenne. Ce texte constitue une avancée majeure en faveur d’une participation accrue des citoyens aux processus de décision touchant l’environnement, à condition, évidemment, que ses dispositions soient intégrées au droit interne des différents Etats.
A partir de 1998,le droit international,à l’élaboration duquel la France a participé, joue un rôle moteur pour faire évoluer le droit interne. Il suffit d’ailleurs, pour s’en convaincre, de constater que le Parlement a adopté deux lois, de façon simultanée :
- l’une le 27 février 2002,“relative à la démocratie de proximité”, qui transforme profondément la CNDP et le processus de ses débats publics ;
- et la seconde,le lendemain,le 28 février 2002,qui autorise le Gouvernement à ratifier la Convention d’Aarhus.
Les débats publics ont une triple finalité : faire intervenir la population sur son cadre de vie, prévenir des conflits comme ceux qu’avaient fait surgir les projets non débattus de nouvelles lignes de train à grande vitesse et améliorer la qualité des décisions administratives. La nouvelle législation poursuit les mêmes objectifs.
Si la CNDP des origines était explicitement liée à des questions d’environnement, la nouvelle CNDP, sans nullement rompre avec ses origines, est positionnée comme un instrument de démocratie locale, nous dirions plus volontiers, ainsi qu’on le verra ci-dessous,de démocratie participative.
Les novations sont importantes :
- la CNDP, qualifiée d’autorité administrative indépendante (c’est nouveau),“est chargée de veiller au respect de la participation du public au processus d’élaboration des projets d’aménagement ou d’équipement d’intérêt national de l’Etat, des collectivités territoriales, des établissements publics et des personnes privées (c’est nouveau) […],dès lors qu’ils présentent de forts enjeux socio-économiques ou ont des impacts significatifs sur l’environnement ou l’aménagement du territoire” ;
- un certain nombre de projets définis par leur masse financière ou par leurs dimensions physiques, appellent une saisine obligatoire (c’est nouveau) de la CNDP. D’autres, de moindre importance, n’appellent pas de saisine obligatoire de la CNDP, mais les maitres d’ouvrage sont obligés de publier leur projet. Dès lors, des parlementaires,des responsables de collectivités territoriales ou d’associations agréées de protection de l’environnement peuvent saisir la CNDP.
- la CNDP peut décider :
- que le projet doit faire l’objet d’un débat public et elle peut,alors,soit constituer une CPDP (commission particulière) pour l’organiser,soit demander au maître d’ouvrage de le faire. Dans ce cas, elle définit les modalités d’organisation du débat et s’assure de son bon déroulement. Le débat public porte sur l’opportunité (c’est nouveau), les objectifs et les caractéristiques principales du projet.
- qu’une concertation menée par le maître d’ouvrage est suffisante et la CNDP en propose les modalités ;
- qu’il n’y a lieu d’organiser ni débat public ni concertation.
- le débat public répond à des critères précis et se clôt par un compte-rendu du débat,sans aucune prise de position de la part de la CPDP sur le fond, présenté par le Président de la CPDP etpar un bilan du Président de la CNDP. Le maître d’ouvrage, dans les trois mois qui suivent, doit publier et transmettre sa décision quant à la poursuite du projet et, le cas échéant, quant aux modifications qu’il entend apporter à celui-ci.
- en cas de débat public, la CNDP doit veiller au respect de bonnes conditions d’information du public pendant l’enquête publique,la réalisation des projets et jusqu’à la réception des équipements et travaux,ce qu’elle ne fait pas.
- la CNDP se voit, en outre confier de nouvelles missions, à savoir :
- la possibilité d’organiser, à la demande des ministres concernés, un débat public portant sur des options générales en matière d’environnement ou d’aménagement ;
- conseiller les maîtres d’ouvrage sur des questions de concertation avec le public et élaborer une méthodologie générale de concertation.
Les débats publics français sont de deux catégories.
Les premiers sont organisés hors des dispositions de l’article L 121.1 du Code de l’environnement. Ils sont non “cadrés” juridiquement et s’effectuent sans règles précises, au cas par cas, assez souvent comme simples occasions de communiquer sur un projet pour le justifier. Mais, tel n’est pas toujours le cas car les débats publics “labellisés” par la CNDP tendent à influencer ces procédures.
Un débat public de la CNDP.
Les seconds, les Débats Publics CNDP ont également un certain nombre de faiblesses.
D’une part, les catégories d’équipements, énumérées dans les textes, qui doivent ou peuvent donner lieu à débat excluent :
- les aménagements fonciers et opérations d’urbanisme prévus par le Livre III du Code de l’Urbanisme et par son article L 300.2,
- des opérations telles que des projets d’usines d’incinération d’ordures ménagères,
- les installations soumises à des règles de protection du secret de défense nationale.
Le champ d’application de la loi est donc relativement restrictif, essentiellement vis-à-vis des grandes opérations d’urbanisme.
D’autre part, le débat est lancé sur la base du dossier-projet
du maître d’ouvrage établi sous le regard vigilant de la CPDP,ce qui est logique.
Mais, en règle générale,les contreprojets qui apparaissent à l’occasion du débat ne font l’objet que de présentations beaucoup plus sommaires faute de temps (le débat ne dure que quatre mois, exceptionnellement six) et de mobilisation de compétences techniques. Critiques et contreprojets sont présentés sous la forme de “cahiers d’acteurs”,diffusés largement pendant le débat. Cette faiblesse est légèrement corrigée par la possibilité qu’a la CNDP de faire faire des expertises complémentaires réclamées lors du débat. Mais celles-ci sont contraintes à une relative modestie en raison du fait qu’elles doivent être réalisées en peu de temps et avec des budgets peu élevés.
Dans un cas, une CPDP a élargi le champ du débat :
- en diffusant, pendant la phase préparatoire au débat, comme élément du débat, à l’égal du dossier du maître d’ouvrage, les positions et propositions de différents acteurs. Tel fut le cas dans le débat concernant le projet de construction d’un réacteur électronucléaire EPR,(2005-2006) du Cahier Collectif d’Acteurs intitulé :“EPR et choix de Société” ;
- en faisant procéder, aux frais des maîtres d’ouvrages, à des travaux complémentaires s’apparentant à des expertises. Tel fut également le cas dans le débat sur l’EPR où un groupe de travail s’est penché sur les conditions de construction de ce qu’on appelle le “bilan prévisionnel” des besoins d’électricité établi par “Réseau de Transport d’Electricité”.
Par ailleurs, la décision du Conseil d’Etat du 28 décembre
2005, portant sur la demande d’annulation d’un arrêté préfectoral
soumettant à enquête publique le projet d’aéroport
de Notre-Dame-des-Landes est importante car elle a limité l’impact de certaines dispositions de la Convention d’Aarhus que les requérants avaient estimé violée. En effet, le Conseil d’Etat a jugé que les dispositions des articles 6.4 et 8 de la Convention d’Aarhus “créent seulement des obligations entre Etats parties à la Convention et ne produisent pas d’effets directs dans l’ordre juridique”. C’est dire qu’on ne confère pas aux dispositions de cette convention d’effet direct pour les citoyens.
Le Débat Public a incontestablement commencé à donner la parole aux citoyens dans un nombre de cas relativement important. C’est un élément d’acclimatation, en France, d’une forme de démocratie participative, que certains préfèrent appeler délibérative, qu’une longue tradition de captation du pouvoir par les élus freine encore. Mais, il est difficile de conclure sur l’impact de ces débats en termes de développement durable.
Ils sont rarement portés en ces termes sur la place publique.
Il convient toutefois de citer le premier cas de débat public prenant en compte, à la demande de la CNDP, des préoccupations de développement durable. Saisie par des ministres d’un projet de débat concernant des “options générales sur la politique des transports dans la vallée du Rhône et sur l’arc languedocien”,premier débat de ce type dans l’histoire de la CNDP, celle-ci, le 6 juillet 2006, a en effet décidé d’organiser un débat public, en stipulant :
“Le dossier du débat ne sera considéré comme suffisamment complet… que s’il comporte :
- une analyse précise des enjeux de développement des territoires concernés,
- une présentation argumentée de quelques scénarios à long et moyen termes contrastés,prenant en compte les effets potentiels d’aménagements situés hors de la zone d’étude, tels que les traversées alpines,
- enfin une prise en compte substantielle de “l’intermodalité dans les solutions proposées”.
D’autre part, nombre d’interventions en réunions publiques visent à refuser un équipement au nom des nuisances que sa réalisation apporterait aux habitants de son voisinage, se contentant d’une défense de type “Nimby”, sans argumenter au-delà. Toutefois, le problème du développement durable est souvent abordé en tant que tel dans les débats Publics.
Il l’est parfois, de façon “théorique”, dans des conditions pertinentes mais qui ne peuvent avoir aucun impact sur la décision. Il en est ainsi, par exemple, de la critique qu’a fait l’association Robin des Bois, des transports maritimes mondiaux en porte-conteneurs de plus en plus gigantesques, au nom d’une philosophie parfaitement cohérente avec la recherche authentique “d’un véritable développement durable”, mais qui ne pouvait pas conduire, dut-on le regretter, à renoncer à l’aménagement du Port 2000 au Havre. Des équipements concurrents se seraient développés ailleurs en Europe conduisant la France à un non développement et Le Havre à un rapide déclin.
Mais, il l’est parfois dans des termes beaucoup plus “interpellants”. Ainsi, lors du débat sur la construction d’une nouvelle unité électronucléaire EPR par Electricité de France, tête de série potentielle pour la construction ultérieure d’autres réacteurs : le débat a porté sur les “besoins” et sur la politique de production d’électricité. Ont été évoqués, comme compléments et/ou substituts à la production d’électricité nucléaire, des politiques d’efficacité énergétique, de développement d’énergies renouvelables, d’économies d’énergie, ensemble de voies constitutives d’un développement durable.
Cette préoccupation est également présente lorsque la protection de la biodiversité est évoquée comme valeur majeure. Ainsi, ce fut le cas lors du débat sur le nouveau port du Havre pour réclamer, notamment, la protection de vasières.