Les TIC, moteurs pour une économie verte ?

19 mai 2011

Résumé

Les Technologies Nouvelles de l’Information et de la Communication (TNIC) ont investi le quotidien de nos sociétés dites développées. Partenaires incontournables du « progrès » tel qu’envisagé aujourd’hui, on assiste à une diffusion sans précédent de leurs produits et services dans les pays en développement.

Devenues structurantes dans nos modes de vies, et pourtant longtemps laissées en marge des débats sur le « Développement Durable », elles font aujourd’hui l’objet d’études de plus en plus nombreuses visant à en analyser les effets et à en étudier les impacts sur l’environnement au sens large.

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Auteur·e

Michot Marion

est ingénieur en télécommunications. Elle a contribué à différentes études ou ouvrages sur TIC et environnement et est est co-auteur du rapport « Technologies numériques et crise environnementale : peut-on croire aux TIC vertes ? »
Consultante pour le cabinet de conseil en éco-innovation Gingko21, elle intervient sur différentes missions de veille et d’éco-conception sur les produits et services issus des télécommunications.


 TNIC, TNIC « vertes », de quoi s’agit-il ?

Internet, les produits qui en ont permis le développement – réseaux, équipements informatiques, logiciels – et les applications planétaires auxquelles la toile a donné naissance – moteurs de recherche avec Google, réseaux sociaux avec Facebook … - donnent en première approche une bonne vision de l’ampleur du phénomène des TNIC et de leur périmètre. Ajoutons-y le ras de marée de la téléphonie mobile et le contour se précise. Enfin, l’électronisation, devenue aujourd’hui quasiment systématique, des équipements de notre quotidien pourrait constituer le dernier volet significatif lorsqu’il s’agit de tenter de définir les TNIC.
Le rapport des TNIC à l’environnement est un sujet relativement récent, hérité en partie en France des discussions autour du Grenelle de l’environnement, même si les TNIC n’ont pas été l’un des sujets en tant que tel des travaux du Grenelle. Ainsi sont nées les « éco-TIC » ou « TIC vertes », définies par la Commission générale de terminologie et de néologie [1] comme « les Techniques de l’information et de la Communication dont la conception ou l’emploi permettent de réduire les effets négatifs des activités humaines sur l’environnement ».

La définition officielle des « éco-TIC » considère donc les TNIC comme l’allié des autres secteurs économiques, capable de proposer des solutions respectueuses de l’environnement. C’est une réalité qu’elles ont bel et bien un rôle à y jouer. La dématérialisation, les smart grids, smart cities – ou réseaux électriques et villes « intelligents » … en sont quelques exemples fréquemment cités. Pour autant, les impacts directs négatifs des TNIC sur l’environnement ne sont aujourd’hui pas exclus des débats ni des travaux en cours, y compris par les acteurs du secteur des TNIC eux-mêmes, qui s’efforcent, notamment à travers l’éco-conception d’en réduire les effets.
On retrouve cette dualité dans les terminologies anglo-saxonnes pour qualifier les effets opposés des TNIC : on parle de « Green IT » (Green IT 1.0) lorsqu’il s’agit d’étudier et de juguler leurs effets négatifs en termes d’écologie ou bien d’ « IT for Green » (Green IT 2.0) quand il est question de mettre en avant leur potentiel d’aide à un développement plus écologique de nos sociétés et de leurs différents secteurs d’activité.

L’ambivalence des TNIC ne se résume pas cependant à ces aspects purement écologiques et les problématiques sociales profondes qu’elles soulèvent restent encore trop souvent en marge des débats.
En effet, les TNIC ont accompagné et favorisé le phénomène général de globalisation de nos sociétés en offrant grâce aux technologies multitudes de nouvelles opportunités à l’ensemble des secteurs - de la finance, aux échanges commerciaux, l’industrie, en passant par l’éducation ou encore la « vie politique » tel qu’on a pu l’entendre ces derniers temps autour des révolutions des pays arabes - et sont devenues structurantes pour l’ensemble de notre système économique, politique et social.

Sur ce volet social ou sociétal, comme sur celui de l’écologie, il existe certes un consensus sur leurs effets directs négatifs (risques sanitaires, conditions de travail dans les usines de fabrication, conditions de traitement en fin de vie dans les circuits informels africains et asiatiques des déchets de produits électriques et électroniques ou DEEE …).

Cependant leurs conséquences induites, à la fois par les stratégies marketing en vigueur dans le secteur – le concept d’obsolescence programmée qui émerge peu à peu dans les débats en est l’un des exemples extrême – et par les usages qu’elles génèrent – effet rebond, dématérialisation – sont aujourd’hui encore sous-estimées et la majeure partie du temps passées sous silence.

Aussi est-il pertinent, voire indispensable, d’aborder les TNIC vertes sous l’angle global de leur impact sur leur environnement au sens large et d’en traiter à la fois les impacts purement écologiques, mais aussi les conséquences et effets sur nos sociétés.

 Éléments du contexte général

Les éléments de contexte présentés dans un premier temps ont pour objectifs de donner quelques clés qui permettront de mieux appréhender le phénomène des TNIC . Ils n’ont pas vocation à donner une présentation exhaustive des différents enjeux du secteur.

Outils et méthodes d’évaluation des impacts

Bien que relativement récente, la prise en compte de l’environnement s’organise et se structure depuis quelques années maintenant, et les méthodes et outils développés peuvent s’appliquer, moyennant quelques aménagements, à tous les secteurs de l’économie.

Les TNIC ne font pas exception à la règle, ainsi a-t-on assisté à l’introduction de méthodes telles que l’Analyse de Cycle de Vie, ou encore le Bilan Carbone qui en constitue un sous-ensemble, dans les travaux en cours visant à évaluer en les quantifiant les impacts environnementaux d’un produit ou d’un service des TNIC.

L’analyse de cycle de vie, est non seulement une approche multi-critères – elle s’attache à considérer l’ensemble des impacts sur l’air, l’eau, les ressources, la santé humaine, la biodiversité … pour peu que l’on dispose d’informations pertinentes sur ces sujets – mais aussi une approche multi-étapes qui permet de considérer les impacts de ce produit ou service sur l’ensemble de son cycle de vie – de sa fabrication jusqu’à sa fin de vie. Cette approche multi-dimensionnelle permet, en théorie, d’éviter les choix en faveur d’un des impacts considéré au détriment d’un autre impact, connus sous le nom de transfert d’impact.

C’est le plus souvent cette méthode d’Analyse de Cycle de vie qui est utilisée pour l’accompagnement des démarches d’éco-conception.
Des travaux sont en cours actuellement, notamment au sein du Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE), pour la mise en place d’une méthode comparable mais visant à quantifier les impacts sociaux et sociétaux. On parle alors d’[Analyse de Cycle de Vie « Sociale » [2] ….

Diffusion des TNIC

En France, 74% des individus disposent d’un ordinateur à domicile (et 24% de plusieurs), 67% ont une connexion internet à domicile et 82% possèdent un téléphone mobile (Crédoc, 2009). Côté entreprises, 95% de celles employant plus de dix salariés ont accès à internet, et 67% possèdent un site web en propre ou partagé (DGCIS, 2009).

Entre 1993 et 2000, le nombre de PC par habitant terrestre a augmenté de 181%. En avril 2002, le milliardième PC a été livré (Kuehr et Williams, 2003), et l’on comptait 4 milliards d’abonnements de téléphones portables en 2008. [3]

Pression sur les ressources

La pression des TNIC sur les ressources peut s’exercer à différentes étapes dans la vie des produits ou services considérés.
Les processus en jeu dans leur fabrication, souvent complexes et de haute technologie, leur composition intrinsèque dont la richesse et la variété croissent avec leur complexité, et les quantités produites pour répondre aux besoins exponentiels amènent aujourd’hui à la prise en compte de ces aspects dans leur globalité.

Produire un PC de 24 kg nécessite par exemple 240 kg de carburants fossiles, 22 kg de produits chimiques et 1500 litres d’eau, soit en proportion plus que pour fabriquer une voiture (Kuehr et Williams, 2003).
Le développement des TNIC a d’autre part vu la demande en métaux, dont certains encore inexploités auparavant, s’accroître de façon spectaculaire mais aussi et surtout inquiétante. Une carte électronique d’ordinateur qui contenait 11 éléments différents de la table périodique de Mendeleiev dans les années 80 en contenait en moyenne 4 de plus dans les années 1990, et 45 supplémentaires dans les années 2000 [4] … la loi de Moore [5]. En conséquence, la puissance des ordinateurs allait croître de manière exponentielle. se vérifie dans les faits mais cette course à la puissance des machines s’avère fort gourmande en ressources primaires.

Selon la Yale University [6] , à un rythme mondial de consommation des ressources équivalent à la moitié du rythme américain, certains des métaux utilisés par les TNIC pourraient arriver à épuisement sous quelques dizaines d’années voire moins : 4 ans pour l’indium, 13 ans pour l’antimoine, 36 pour l’or, 38 ans pour le cuivre, 20 ans pour le tantale … Selon une source Umicore [7] , affineur de métaux précieux, les ventes de mobiles et ordinateurs pour 2008 dans le monde renfermeraient à elles seules 3% de la production annuelle d’argent, 4% de celle d’or, 16% de celle de palladium, 19% de celle de cobalt, et presque 100% de la consommation mondiale d’indium ou de gallium.

Non seulement les équipements des TNIC utilisent ces ressources pour leur fabrication parfois dans des proportions significatives, mais elles contribuent également à leur dispersion lorsque leur traitement en fin de vie ne permet pas leur récupération.

La phase d’utilisation, celle sur laquelle se concentre aujourd’hui la majeure partie des efforts des différents acteurs du secteur, constitue elle aussi une étape significative puisque fortement consommatrice d’énergie. Au cours de cette phase, les TIC consomment aujourd’hui dans l’UE27 214 TWh, soit environ 8% de la consommation électrique totale. Cela génère près de 10 Mt eqCO2, soit 2% du total des émissions de gaz à effet de serre de la zone. Cette consommation électrique est faite aux deux tiers par les terminaux (chez les particuliers) et pour un tiers par les infrastructures (fermes de serveurs, etc.) (BIO IS, 2008 : 101-114).

Enfin, la fin de vie de ces produits, en raison d’une part de la quantité de déchets à traiter, mais également des conditions sociales, environnementales de ces traitements, soulève quantité de questions auxquelles la Commission européenne s’efforce, comme pour la problématique de l’énergie, d’apporter quelques éléments de réponse à travers la mise en place d’une réglementation spécifique, connue sous le nom de directive « DEEE ».

Déchets électriques et électroniques (DEEE)

Chaque année, entre 20 et 50 millions de tonnes de DEEE sont produites dans le monde ; chaque citoyen de l’Union Européenne s’est débarrassé de 25 kg de ces déchets. La croissance en volume des DEEE est de 3 à 5% par an, un taux quasiment triple du taux des déchets classiques, notamment du fait de l’obsolescence accélérée des produits. En France, la quantité estimée d’équipements électriques et électroniques mis sur le marché est de 18 kg/an/habitant, et le bilan DEEE de l’ADEME paru en février 2010 annonce que nous n’en récupérons que 5,7 kg/an/habitant en 2009 soit environ 30% de déchets collectés. 81% de ces derniers seraient recyclés, soit environ 25% des déchets produits au total.

Que deviennent les 70% de DEEE non collectés ? Certains restent dans nos placards, d’autres suivent différents circuits alternatifs… Ainsi, plus de 80% du flux de DEEE - tombant pourtant sous le coup de la convention de Bâle - des USA est exporté vers des pays d’Asie mal équipés en capacités de traitement comme la Chine ou l’Inde (Toxic Link, 2003).
Ces déchets, souvent transférés en toute illégalité dans les pays en développement, terminent leur vie dans les réseaux informels de traitement des déchets .

Qu’ils soient stockés dans nos tiroirs ou traités sommairement pour en extraire quelques métaux, ces déchets sont aujourd’hui reconnus comme sources de richesses – le phénomène des mines urbaines- qu’il deviendra vital à moyen et long terme, de pouvoir collecter et recycler de manière à subvenir au besoin toujours croissant en matières premières.
Enfin, si la question d’un traitement adapté de nos propres déchets en est bien une qu’il est urgent de prendre en compte, celle du traitement des DEEE dans le monde en est une autre : le récent rapport « Recycling - From E-waste to ressources » [8] du PNUE (Programme des Nations Unies pour l’Environnement) prévoit une explosion des quantités de déchets à traiter d’ici 2020 : + 500 % en Inde et + 400 % en Chine et en Afrique du sud pour les ordinateurs, ou encore 7 à 18 fois plus de déchets liés aux mobiles respectivement en Chine et en Inde.

Contexte réglementaire

Les réglementations spécifiques au secteur des TNIC émanent dans leur grande majorité des instances européennes avec notamment :

• La Directive 2002/96/CE dite « DEEE » : Elle a pour objectif de favoriser le recyclage des déchets d’équipements électroniques et électriques (EEE).

• La Directive 2002/95/CE dite « RoHS » (Removal of Hazardous Substances) : Elle complète la directive DEEE et stipule que, depuis le 1er juillet 2006, les équipements électriques et électroniques visés par la directive européenne, qu’ils soient importés ou fabriqués dans l’Union européenne, doivent être mis sur le marché sans six substances dangereuses (Plomb, mercure, cadmium, chrome hexavalent, PBB, PBDE)

• La Directive « Energy using Products » (EuP, 2005/32/CE) : Adoptée le 6 juillet 2005, et devenue la directive « Energy related Products » (2009/125/EC) – cette dernière prenant en compte tout produit dont l’utilisation a une influence sur les consommations d’énergie, le double vitrage par exemple – elle a à l’origine pour objectif de contraindre les fabricants et les importateurs des produits à prendre en compte les aspects environnementaux de leurs produits tout au long du cycle de vie. En pratique, elle ne s’intéresse aujourd’hui dans ses mesures d’exécution qu’à une partie des produits visés à l’origine, et se concentre sur la thématique « Energie ».

• La Directive « Batterie » (2006/66/EC) : Entrée en vigueur en 2008 , elle vise, entre autres, à limiter l’utilisation de certaines substances (mercure et cadmium) et à fixer des objectifs de recyclage pour ces batteries.

• La Directive « REACH » : Elle n’est spécifique aux TNIC et repose sur plusieurs directives européenne. Entrée en vigueur en 2007, elle vise à supprimer les substances chimiques les plus dangereuses et, s’inspirant du principe de précaution, impose pour certaines substances identifiées, demande d’autorisation ou obligation d’information aux fabricants ou importateurs des produits les contenant.

• La Convention de Bâle : Traité international (172 parties en mars 2009), elle concerne le contrôle des mouvements transfrontaliers de déchets dangereux et leur élimination (signée en 1989, en vigueur en 1992).

Les TNIC ont-elles une légitimité en tant que technologies vertes et les bénéfices apportés en compensent-ils leurs impacts directs sur l’environnement au sens large ? Quelles sont les principales catégories d’acteurs, leurs positions et stratégies respectives autour des enjeux majeurs ?

1.

 Les acteurs

Les éléments de contexte décrits précédemment laissent percevoir une partie des enjeux pour le secteur des TNIC. Le rythme de leur diffusion, de leur renouvellement et la croissance exponentielle des usages qu’elles permettent et entrainent invitent à une réflexion globale, non seulement dans le domaine de l’écologie pure mais aussi dans le domaine social et sociétal.

Le rapport « Ecotic - Technologies numériques et crise environnementale : peut-on croire aux TIC vertes ? » [9] en propose une analyse très détaillée dont s’inspirent les éléments de synthèse qui suivent mais l’on y distingue de façon générale les acteurs économiques de ceux de la société civile ou encore du politique et de l’institutionnel.

Les acteurs économiques

On compte une multitude d’acteurs économiques dans le secteur, aux organisations, structures, localisations et activités d’une très grande variété. Le secteur des TNIC présente, en effet, la spécificité d’une chaîne d’approvisionnement d’une rare complexité compte-tenu du nombre de composants élémentaires nécessaires à la fabrication d’un produit (entre 500 et 1000), en grande partie délocalisée en Asie et favorisant des pratiques souvent peu conformes aux standards sociaux ou environnementaux en vigueur en France et en Europe.

On retrouve, en aval des fabricants et fournisseurs des composants élémentaires, les fabricants/intégrateurs de produits finaux – souvent identifiés sous le nom d’équipementiers, HP, Bull, Apple, en sont quelques représentants – les distributeurs (grandes surfaces, magasins spécialisés) et enfin les fournisseurs de services (opérateurs de téléphonie, fournisseurs d’accès internet) s’appuyant sur ces produits des TNIC.

Les utilisateurs, consommateurs ou clients peuvent parfois être présentés ou identifiés comme l’extrémité de la chaîne. On trouve encore pourtant une multitude d’acteurs en aval des utilisateurs, ceux qui agissent dans la filière de traitement des DEEE : éco-organismes, collectivités locales, acteurs de l’économie solidaire, recycleurs et spécialistes du traitement de déchets en France ou en Europe, mais également un secteur informel localisé en Asie et en Afrique de traitement de ces mêmes déchets.

Poussée à la fois par la réglementation – essentiellement européenne via la directive EuP (Energy Using Products) – mais aussi par la généralisation des usages nomades, c’est de façon évidente la thématique de l’efficacité énergétique qui se trouve au cœur des stratégies des fournisseurs amont et des équipementiers du secteur. Il se trouve que ce critère de performance énergétique constitue également l’un des critères de choix important pour les consommateurs.

Par ailleurs, les directives européennes RoHS et REACH contribuent à la réduction de l’utilisation de certaines substances dangereuses dans les produits. L’ensemble des produits sur le marché européen y sont en théorie conformes puisqu’un engagement de conformité est demandé pour toute entrée sur le territoire européen.

Les démarches d’éco-conception engagées aujourd’hui par certains des équipementiers suivent souvent dans les faits cette hiérarchie des thématiques traitées, mais certaines d’entre elles sont présentées comme étant plus large, s’intéressant par exemple au problème du recyclage ou de la durée de vie des produits [10].

Ca n’est que très récemment que la question des produits « immatériels », les logiciels essentiellement, se pose dans le secteur en termes d’impacts sur l’environnement. Il s’agit en effet d’un sujet de haute importance dès lors que l’on identifie le lien entre renouvellement des équipements et évolutions des logiciels. Dans le cas du système d’exploitation Windows de Microsoft par exemple, et entre les versions Windows 98 et Windows 7 accompagnées d’un pack Office associé, la puissance nécessaire pour le processeur aurait été multipliée par 15 et la mémoire RAM associé par 70. Dans un contexte de concentration économique extrême sur ces composants vitaux au fonctionnement de nos machines que sont les systèmes d’exploitation, la part de responsabilité des fournisseurs de logiciels restent d’une part très sous-estimée et d’autre part difficile à quantifier.

Pour ces derniers, comme pour les équipementiers ou les distributeurs, compte-tenu de leur position vis à vis du client final, ce sont à la fois les questions de l’information du consommateur (mise en place de labels) et de la gestion des déchets produits, dont une partie de la prise en charge leur incombe qui se posent.

Il existe à ce jour quelques labels écologiques applicables à certaines catégories de produits des TNIC, pour la majeure partie aux ordinateurs : labels officiels (écolabel européen ) [11]ou non, centrés souvent sur la thématique de l’énergie tel qu’Energy Star mais pas exclusivement avec des labels comme EPEAT [12] qui s’intéresse, au delà de la thématique de l’énergie, à différents types d’impacts sur l’environnement.

A l’échelle de la France, un projet engagé dans le cadre du Grenelle prévoit la mise en place d’une expérimentation sur l’affichage environnemental à compter du 1er juillet 2011. 1000 produits de 168 entreprises seront alors étiquetés et les équipements des TNIC ne feront pas exception à la règle : Orange et SFR proposeront, dans le prolongement de l’affichage déjà en place pour les deux opérateurs, un affichage écologique pour les téléphones mobiles distribués dans leurs réseaux.

La question de la filière de traitement des DEEE reste celle la plus délicate à traiter : ampleur du parc déployé et de la quantité d’appareils inutilisés dans nos placards ou nos tiroirs, quantités de déchets effectivement collectés et nature des traitements qu’ils subissent, état de l’art de la filière de traitement des déchets – ré-emploi, recyclage, valorisation -, ampleur du phénomène de transfert illégal de déchets … autant de sujets sur lesquels les informations disponibles rendent une compréhension globale difficile.
Deux phénomènes notables cependant dans ce domaine peuvent être identifiés : une prise de conscience récente des richesses que ces déchets renferment – à tel point que des sociétés comme Umicore, historiquement centrées sur les activités minières, réorientent totalement leur modèle sur le traitement des déchets … des mines dans nos déchets ? – mais également une explosion prévisible des quantités de déchets.

En parallèle des travaux visant à réduire les impacts négatifs directs des TNIC, le secteur s’organise et se fixe d’ambitieux objectifs, comme celui qui figure dans le rapport « SMART 2020 » du GeSI (2008) – groupe rassemblant de grands opérateurs et équipementiers télécom mondiaux – de devenir une solution « verte » au service des autres secteurs de l’économie, suivant l’idée de Porter et van Der Linde (1995) que « green is competitive ». Selon le rapport, les TNIC pourraient permettre une économie en carbone équivalente à 5 fois leurs propres émissions…

Les pouvoirs publics

A l’origine de différentes directives, la commission européenne mise aujourd’hui sur le potentiel des TNIC tant au service de l’intégration sociale, de la modernisation des services publics que de l’amélioration de la qualité de vie, notamment à travers l’initiative i2010. L’action principale d’i2010 pour 2008-2009 a été la publication d’une communication de la Commission sur la contribution des TIC à l’efficacité énergétique (Commission Européenne, 2008).

Les thématiques centrales des politiques européennes considèrent les TNIC comme potentiels vecteurs de changement des comportements (information et formation au développement durable), potentiel de réduction de la consommation énergétique des secteurs résidentiels et des transports, instruments de mesure et de réduction de notre empreinte écologique.
La stratégie française s’inscrit dans le prolongement de la politique européenne et les TNIC sont aujourd’hui considérées comme l’un des leviers de la croissance verte. Pour preuve, le grand emprunt alloue une enveloppe de 2,5 milliards d’euros pour le développement des usages et services numériques9, autour des priorités suivantes : Développement de l’informatique en nuage (« cloud computing), numérisation des contenus, développement des technologies de base numérique, réseaux électriques intelligents ou « smarts grids » (250 millions d’euros), e-santé, sécurité et résilience des réseaux, systèmes de transports intelligents, ville numérique, e-éducation …

Les consommateurs

Le consommateur final semble aujourd’hui être à la fois en demande de produits dits « verts », mais d’une part apparait soucieux d’enjeux allant au-delà de ceux purement environnementaux. On observe par ailleurs, selon l’étude Ethicity 2010 [13], un phénomène de méfiance vis-à-vis des quantités de labels, auto-déclaration fleurissant aujourd’hui dans les rayons. La compréhension générale des enjeux semble s’améliorer même si sur le fond, la difficulté à appréhender les conséquences écologiques des comportements et des usages demeure.

En effet, les TNIC ne renvoient pas ou peu à un impact écologique significatif, quel qu’il soit. Les risques, sanitaires notamment, et liés aux ondes en particulier, semblent relativement perçus mais les thématiques de l’énergie, des ressources et des déchets sont autant de faces cachées des TNIC encore assez peu visibles du grand public.

Les ONG

Les ONG s’intéressent aux TNIC de façon visible depuis 2005, année de lancement de la campagne Greenpeace « Greenmyapple ». Soucieuse de faire connaître les impacts environnementaux des TNIC et de guider les usagers dans leur choix, l’ONG édite le premier classement « Guide to greener electronics » en 2006, paru dans sa 16ème version en octobre 2010 [14]. Parallèlement, Greenpeace s’intéresse aux différentes pollutions liées aux TNIC soit lors de leur fabrication, soit lors de leur élimination. Elle a enfin, depuis la publication du rapport Smart 2020, pris les différents acteurs du secteur au mot avec le lancement en 2009 de la campagne Cool IT [15] .
Dans la logique de partenariats qui lui est spécifique, le WWF travaille également à la sensibilisation du grand public aux enjeux du secteur, par exemple à travers l’affichage environnemental Orange des téléphones mobiles dont il est partenaire ou encore avec la publication du Guide Topten [16] auquel il contribue.

L’implication des ONG sur les impacts de ce secteur, bien qu’il s’agisse en premier lieu d’ONG environnementales, permet d’une part la sensibilisation du grand public à ses enjeux majeurs, mais également une mise en lumière indirecte d’autres préoccupations - notamment sociales – liées. C’est également ce rôle qui est joué par d’autres ONG, moins réputées, comme le Somo, à l’origine du réseau Goodelectronics [17].

Enfin, la question de l’exposition aux ondes et du nuage électro-magnétique dans lequel nous sommes plongés au quotidien font l’objet de débats animés entre institutions publiques, organismes de recherche et associations d’utilisateurs – Robin des toits, PRIARTéM. La dynamique du Grenelle de l’environnement a bien donné lieu au « Grenelle des ondes », mais les conclusions des travaux se sont révélées décevantes du point de vue des associations.

 Les enjeux

Les éléments de contexte et le positionnement des acteurs peuvent laisser entrevoir les enjeux pour les TNIC sur deux volets du développement durable – dont un premier très largement dominant – que sont l’environnement, au sens écologique du terme, et le volet social et sociétal d’autre part.
En matière d’écologie, et selon les approches Cycle de Vie des produits, se dégagent les catégories d’impacts principales suivantes :

  • Épuisement des ressources : Si les consommations énergétiques des TNIC sont fréquemment évoquées – du fait notamment des réglementations en vigueur – l’impact sur les autres ressources n’est abordé que de façon marginale. Or les pressions exercées par les TNIC sur les ressources minérales sont préoccupantes et représentent des enjeux stratégiques l’actualité autour des terres rares laisse entrevoir le sérieux.
  • Santé et environnement :

o La fabrication des produits fait appel à de nombreux produits chimiques et la composition des produits peut ne pas être totalement exempte de substances dangereuses ou jugées préoccupantes (encadrées par la réglementation européenne RoHS).

o Le traitement des déchets en fin de vie pose la question des techniques employées par ceux qui les traitent pour préserver l’environnement, en évitant d’une part l’exposition des individus à ces substances, mais aussi leur dispersion dans la nature au cours des traitements.

o Les impacts sanitaires liés au développement des technologies sans fil, et les effets de l’exposition des différents organismes aux ondes associées, restent encore relativement mal évalués. La parution tant attendue des résultats de l’étude internationale Interphone [18] en mai 2010 , ne donne à ce jour à la question des risques d’une utilisation intensive des téléphones mobiles qu’une réponse évasive et souligne la nécessité d’études complémentaires sur le sujet.

Côté social et sociétal, on distingue deux typologies d’enjeux, fonction de l’étape du cycle de vie considérée pour les produits et services :

  • Usages :

o Risques directs associés : risques sanitaires essentiellement, avec la question de l’exposition aux ondes, mais également liés au respect de la vie privée ou encore à la protection des mineurs lors de l’utilisation de ces produits.

o Risques sociétaux indirects : risques liés à la multiplication des produits et des usages sans effet de complémentarité ou de substitution, à leur durée de vie sans cesse raccourcie soit physiquement soit via des stratégies marketing particulières (obsolescence programmée ) [19], et à l’effet rebond et ses conséquences.

  • Fabrication et fin de vie : Cet enjeu soulève la question du respect des conventions internationales - conditions sociales et environnementales de fabrication des produits, transferts illégaux de déchets potentiellement dangereux …
  • Fracture numérique : Le droit à l’accès à l’information pour tous constitue l’un des enjeux sociétaux de taille pour les TNIC, qu’il s’agisse, de façon assez évidente, des pays en développement mais aussi pour les populations défavorisées des pays développés.

Les bénéfices des TNIC auprès des autres secteurs restent aujourd’hui difficiles à évaluer véritablement. Qu’il s’agisse de télétravail ou de dématérialisation de notre économie par exemple, il n’est pas d’études qui fassent l’unanimité ni même de preuve par l’exemple des bénéfices annoncés.
Les conséquences de l’effet rebond – le fait que l’accroissement des consommations de matières et d’énergie induit par l’utilisation généralisée des TIC efface largement les réductions de l’empreinte écologique obtenues par unité de produit – quant à elles n’ont jamais été suffisamment étudiées ni quantifiées pour pouvoir prétendre à ce jour que les TNIC sont moteurs d’une économie verte.

Au-delà de leurs impacts directs, les phénomènes concomitants de croissance fulgurante des TNIC dans les pays en développement et d’accroissement démographique mondial mèneront tôt ou tard à l’épuisement des ressources finies auxquelles les TNIC ont recours, soit pour leur fabrication, soit pour leur utilisation. Il est probable que les TNIC n’échappent pas à la logique de pénuries qui pointe dans bien d’autres domaines également. Les « métaux critiques » au cœur d’un rapport 2010 de la commission européenne [20], et dont certains sont vitaux pour le développement des TNIC, pourraient ainsi rapidement emboiter le pas au problème des ressources fossiles avec des enjeux géo-stratégiques d’une autre nature – la quasi suprématie actuelle de la Chine sur les productions de terres rares par exemple - mais tout aussi préoccupants.

Notes

(pour revenir au texte, cliquer sur le numéro de la note)

[4Intel Corporation

[5G.Moore, co-fondateur d’Intel affirmait dès 1965 que le nombre de transistors pour un circuit d’une taille donnée allait doubler à prix constant tous les ans

[18Interphone : lancée en 1999 par le Circ (Centre international de recherche sur le cancer), et qui aurait dû être bouclée en 2003, http://www.futura-sciences.com/fr/news/t/medecine/d/etude-interphone-le-telephone-portable-serait-peut-etre-cancerigene_17055/

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