Justice sociale pour un long terme durable

21 avril 2010

Résumé

Alors que le volet social est le parent pauvre voire oublié des politiques européennes de Développement Durable, Jan de Smedt plaide pour un recentrage de ces politiques autour d’objectifs sociaux au travers de la mise en œuvre d’un véritable modèle social européen.

Le double intérêt de l’article réside dans l’analyse très détaillée que l’auteur propose des liens entre le social et l’écologique (à partir notamment de l’introduction dans sa réflexion sur le développement durable de la notion de capital) et dans l’énoncé d’un ensemble d’actions concrètes que l’auteur invite instamment les gouvernants à mettre en œuvre.

Il y a urgence estime, Jan de Smedt en 2008.

Deux ans après, face à des réponses politiques dramatiquement inappropriées, l’urgence est toujours là, plus forte.


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La nouvelle classification de cet article est :

2.2- Stratégies européennes et nationales
6.1- Droits humains

Auteur·e

De Smedt Jan

Secrétaire exécutif du Conseil fédéral belge du Développement durable (FRDO-CFDD).


Au cours de ce siècle, la transition de la société vers une société « post carbone », c’est-à-dire à faible impact carboné, sera l’un des enjeux majeurs des décideurs politiques. Mais l’expression « post carbone » peut paraître plutôt technique à de nombreuses personnes et, du coup, elle risque de conforter une vision du développement durable réduite à la seule composante environnementale.

Dans une vraie approche de développement durable, l’objectif à long terme d’une économie à faible impact carboné devrait être lié au défi d’une société équitable et innovante, capable d’améliorer la qualité de vie de chacun. Mais, malheureusement, c’est la faiblesse de la dimension sociale, qui caractérise les politiques de développement durable menées jusqu’à ce jour. Or, une politique de développement durable suppose que la justice sociale, aujourd’hui et demain, soit non seulement une part intégrante mais aussi un objectif central du programme de développement durable. [1]

 Quelle place pour le social dans les politiques actuelles de développement durable ?

Lors de la CNUED de 1992 à Rio, toutes les nations ont approuvé la Déclaration de Rio qui contient d’importants principes en matière sociale, tels que ceux de « l’équité au sein des et entre les générations » (principe 3) et de la « responsabilité mondiale » : les Etats ont des responsabilités communes mais diversifiées (principe 7).

L’Agenda 21 traduisait ces principes en un programme d’actions avec une importante section sur les dimensions sociale et économique du développement durable. Le Plan détaillé de Johannesbourg (2002) est même allé plus loin dans la concrétisation de ces principes, tout comme Les objectifs en matière de développement du Millénaire de 2000 et d’autres conférences et documents des Nations Unies. Avec la protection et la gestion des ressources naturelles, et la transformation des processus de consommation et de production non durables, l’éradication de la pauvreté est posée comme l’un des trois objectifs majeurs du développement durable.

Vingt ans après la publication du rapport Brundtland et quinze après la Conférence de Rio, il y a un consensus général sur le fait qu’il reste beaucoup à faire, notamment, concernant les questions sociales du développement durable. L’équité intergénérationnelle demeure un énorme défi. Bien sûr, les conditions de vie se sont améliorées, dans quelques pays comme ceux du BRIC, ou dans quelques domaines comme celui de la mortalité infantile, mais personne ne contestera que la satisfaction des besoins de base demeure toujours un grand problème pour de nombreuses populations dans le monde, et en premier lieu, en Afrique.

La crise liée à l’augmentation des prix des denrées alimentaires nous a confrontés au problème de la faim dans le monde. Selon le rapport des Nations Unies, L’évolution de l’environnement mondial (UN GEO, 2007,10-14), la dégradation de l’environnement constitue un sérieux obstacle à la lutte contre la pauvreté, et à l’accès aux garanties minimales de sécurité et de santé, à commencer par l’accès à de l’air et de l’eau propres pour plus de 2 des 6,8 milliards de la population mondiale actuelle. Plus de la moitié des emplois de l’Afrique rurale repose sur l’utilisation de ressources naturelles en voie de disparition.

Dans les pays riches, le développement socio-économique a permis la création d’un Etat-providence qui a considérablement amélioré les conditions de vie des citoyens. Mais la pauvreté et l’exclusion sociale demeurent des problèmes importants.

Dans l’Union européenne, il y a toujours trente millions de personnes sans emploi. Selon le Rapport conjoint 2007/2008 sur l’emploi, le pourcentage d’adultes et d’enfants qui vivent dans des foyers où personne ne travaille, représente environ 10%, un niveau inchangé depuis 2002. L’espérance de vie moyenne augmente fortement, mais cette moyenne cache de grandes disparités. En Belgique, l’espérance de vie des gens les plus pauvres est de cinq ans plus courte que celle des riches.

A croire que l’équité sociale n’est plus une priorité pour certains décideurs politiques. La question de la redistribution sociale liée au développement socio-économique tend à être éclipsée par le défi de la mondialisation qui place la compétitivité à la première place des programmes politiques. Or, bien que la mondialisation soit favorable à l’activité économique et à l’emploi, tout le monde n’appartient pas au groupe des gagnants et le processus génère beaucoup d’inquiétude chez les travailleurs qui craignent la délocalisation de leur entreprise ou de leur emploi.

De plus, dans de nombreux pays, la précarité des revenus tend à saper la cohésion sociale. Ce qui est désigné sous le terme de « déficit de réalisation » (implementation gap), ne concerne pas seulement les accords de Rio, mais aussi de nombreux engagements de la communauté internationale et, tout particulièrement, des pays riches, à réaliser des objectifs de justice sociale. On peut citer, entre autres, les engagements en matière d’aide publique au développement à hauteur de 0.7% du PIB, les Objectifs du Millénaire pour le développement (New-York 2000), sans oublier les engagements pris lors des sommets des Nations Unies de Copenhague sur le développement social en 1995, de Pékin sur les femmes en 1995 et de Monterrey sur le financement du développement en 2002.

Or, sur ce dernier point, les aspirations légitimes des pays pauvres se heurtent à la non réalisation des promesses des pays riches sur, entre autres, le développement de la coopération, le commerce équitable, la politique migratoire, les transferts de technologie, l’aide à l’adaptation au changement climatique et à l’atténuation de ses effets, et le mécanisme de développement propre (MDP).

Doit on en conclure que la pauvreté ne serait pas une priorité des environnementalistes, et l’environnement, pas une priorité des pauvres ?

C’est un fait que protection environnementale et équité sociale ont des histoires séparées.

Il n’est pas étonnant que beaucoup de pays pauvres et de populations pauvres considèrent toujours le développement durable comme une politique des pays riches pour protéger leur environnement et leur mode de vie, comme ce fut le cas lors de la conférence de Rio sur l’environnement et le développement en 1992. Dans les pays industrialisés, les décideurs politiques encouragent essentiellement la consommation et la production durables dans le but de réduire la pression environnementale, et ils invoquent rarement le droit de chacun à un accès égal aux ressources naturelles ou à leur partage. Dans de trop nombreux pays, les débats relatifs au développement durable ne se centrent pas sur les problèmes de la pauvreté nationale ou mondiale.

Le proverbe dit : « Il n’y a pas de joie sans souffrances », mais concrètement, ce sont principalement les pauvres qui sont confrontés aux inégalités environnementales telles que la pollution de l’air, les inondations et le bruit, tandis que les riches jouissent d’un cadre de vie préservé.

Selon le quatrième rapport d’évaluation du GIEC de 2007 et le rapport des Nations Unies sur le développement humain 2007/2008, Combattre le changement climatique, les pays pauvres, qui sont les moins responsables des gaz à effet de serre, sont aussi les plus vulnérables aux conséquences du changement climatique et ils sont les premières victimes de ses effets sur la biodiversité, l’érosion des terres, la sécurité alimentaire, la santé publique et la pauvreté. Les populations pauvres, que ce soit dans les pays pauvres ou dans les pays riches, sont confrontées à de nouvelles inégalités pour ce qui est de l’accès aux ressources communes. Elles peuvent difficilement faire face à l’augmentation des prix de l’énergie, de la nourriture et du logement, et les logements de mauvaise qualité, l’emploi précaire et la « malbouffe » sont leur lot. La bataille quotidienne pour la survie ne débouche pas sur une consommation respectueuse de l’environnement. Est-ce que cela veut dire qu’une politique pour l’environnement fait d’office fi de la justice sociale ? Pas nécessairement.

Dans les années quatre-vingt, la notion de « justice écologique », expression qui trouve son origine dans le mouvement en faveur des droits civiques pour les Noirs aux USA, a consacré l’idée selon laquelle il fallait mieux répartir les coûts et les avantages environnementaux. L’important réside dans des questions comme : « Qui décide si une société fera le choix d’une transition vers le développement durable ? » ou « Qui sera bénéficiaire, de combien et pourquoi ? ». Une analyse des liens qui unissent pouvoir, droit à l’information et participation et implication de tous, en particulier des minorités ou des populations à bas revenus, pourrait constituer une contribution utile au développement durable. Les « écologistes politiques » font une analyse semblable et prennent également en compte les intérêts des générations futures, en critiquant les modes de consommation actuels du Nord.

La polémique autour des agro-carburants, dont la production pour la satisfaction de besoins énergétiques conduit à un détournement de la production agricole, et la décision de l’Union européenne de revenir sur l’objectif des 10% (paquet énergie-climat), prouvent qu’aujourd’hui, les décideurs politiques sont plus sensibles à la dimension sociale du développement durable. Ceci est aussi vrai pour la plupart des ONG. Bien sûr, lors des conférences internationales sur le développement durable et sur l’environnement, il se trouve quelques Etats-membres, aussi, pour souligner l’importance de cette dimension sociale.

 Préserver les capitaux humain, social, économique et naturel pour les générations

Les forces motrices de la société que représentent la démographie, la consommation et la production, sollicitent des capitaux considérés comme les fondamentaux du développement :

  • le capital humain (le niveau de vie, la santé et les connaissances de la population) ;
  • le capital environnemental (les ressources naturelles et la diversité biologique) ;
  • le capital économique (le capital physique et technologique, et le patrimoine financier) ;
  • le capital institutionnel qui se définit comme étant constitué par la totalité des structures organisationnelles, légales et sociales d’un pays. Ce capital institutionnel détermine le cadre de l’engagement du citoyen dans le règlement des conflits et les processus concertés de décision. Le capital institutionnel est souvent intégré dans le concept plus large de capital « social ». Ce capital social couvre les réseaux, les valeurs partagées et les conventions qui facilitent la vie au sein et entre les groupes.

Le lien entre générations : l’importance de ces différents capitaux [2]

Des synergies sont à l’oeuvre au sein même de ces trois capitaux fondamentaux (ex : un plus grand bien-être a un effet positif sur la santé) et entre ces capitaux (ex : la pauvreté peut déboucher sur une utilisation non durable de plusieurs composantes du capital écologique).

Les interactions entre ces différents capitaux sont les principaux mécanismes créant du lien entre les générations. Chaque génération hérite de tous ces capitaux en plus ou moins bon ou mauvais état. Chacun de ces capitaux contient des stocks qui croissent du fait des investissements, mais qui peuvent aussi perdre de la valeur au fil du temps. Une attitude responsable envers les générations futures consiste à développer les capitaux humain, naturel et économique pour satisfaire les besoins actuels et croissants de l’humanité, tout en évitant un futur criblé de dettes. Il est donc important de veiller à ce que cet héritage commun s’accroisse.

Et pourtant, lorsqu’ils réfléchissent sur le futur et la justice intergénérationnelle, les « cercles » du développement durable se concentrent principalement sur les défis écologiques, et sous-estiment le poids important du capital humain.

Les politiques gouvernementales peuvent, elles, agir sur les forces motrices des capitaux, ou directement sur les capitaux eux-mêmes, afin de préserver à la fois leur qualité et leur volume.

Leurs principaux leviers sont les capitaux social et institutionnel.

De notre point de vue, il est tout à fait important de renforcer le capital socio-institutionnel pour accroître la résilience de la société et faire que cette dernière empoigne le défi d’un futur incertain.

Des scénarios qui font intervenir les capitaux humain et environnemental

Au niveau mondial, le rapport de 2005 d’évaluation des écosystèmes pour le Millénaire s’est centré sur les nombreux services rendus par les écosystèmes aux hommes. Le chapitre 11 (p.409-429) sur « Le bien-être humain dans les scénarios » contient aussi des scénarios qui explorent les divers liens qui existent entre les systèmes écologique et humain. On considère que le bien-être humain a cinq composantes principales : les biens de base nécessaires à une vie décente, la santé, de bonnes relations sociales, la sécurité et la liberté de choix et d’action. Les scénarios esquissent à grands traits comment la rareté critique des capitaux humain, social, naturel, physique et financier, ou de leurs flux, pourrait interagir et créer un désordre majeur au niveau local, régional ou même mondial.

Alors que quelques heureux événements imprévisibles sont possibles, les auteurs pensent que leur fréquence et leur importance ne font vraisemblablement pas le poids face aux événements imprévisibles sociaux et écologiques contraires. Parmi les événements imprévisibles contraires, on peut citer : le changement climatique, le développement de maladies graves, la désertification et l’effondrement des ressources halieutiques, la disparition ou l’affaiblissement des institutions de bienfaisance, l’effondrement mondial du marché des stocks, un choc énergétique majeur, et beaucoup de conflits violents. Le rapport considère qu’une combinaison de ces événements imprévisibles contraires est probable. Les événements d’un type donné ont souvent un impact sur d’autres. Dans certains cas importants, un événement social imprévisible, contraire et majeur, peut vraisemblablement se déclencher suite à la dégradation des écosystèmes. Au-delà de certains seuils, les effets de retour peuvent générer des spirales descendantes, établissant un nouvel état des conditions sociales incompatible avec le bien-être. Il y a également un risque de violents conflits sociaux majeurs et de développement du fondamentalisme et du nationalisme, et d’un échec de la gouvernance.

Le Conseil consultatif allemand sur le changement mondial a publié en 2007 un rapport sur le « Le changement climatique, un des risques pour la sécurité », qui fait le point sur l’état de la science à ce sujet. Le rapport accorde beaucoup d’attention à la relation entre le capital environnemental et le capital socio-institutionnel, et il conclut : « Sans une réaction convaincue et déterminée, le changement climatique dépassera les capacités d’adaptation de nombreuses sociétés dans les décades à venir. Ceci pourrait déboucher sur l’instabilité et la violence, compromettant la sécurité au plan national et international à un niveau jamais vu. Pourtant, le changement climatique pourrait rassembler la communauté internationale, à condition qu’elle voie dans le changement climatique une menace pour l’humanité et qu’elle se mette aussitôt en situation de l’écarter, en adoptant une politique dynamique et coordonnée. Si elle échoue en cela, le changement climatique inscrira toujours plus profondément au sein des relations internationales la division et les luttes, déclenchant de nombreux conflits à l’intérieur des pays, ou entre eux, sur la distribution des ressources, en particulier de l’eau et de la terre, sur la gestion des migrations ou sur les paiements compensatoires entre les pays principalement responsables du changement climatique et ceux qui sont les plus touchés par ses effets destructeurs » (p. 1).

Les scénarios de la Belgique : Pyramide et Mosaïque
.

Le dernier rapport fédéral belge de 2007 sur le développement durable, -
« Accélérer la transition vers un développement durable » -, propose

deux scénarios de développement durable faisant intervenir les interactions entre les différents capitaux. Les auteurs s’inscrivent dans les objectifs

pour 2050 qui ont été adoptés par les Nations Unies en matière d’éradication de la pauvreté,de protection et de gestiondes ressources naturelles

et de consommation et de production durables. Les scénarios « Pyramide » et « Mosaïque », pour un changement de mode de vie, proposent des

transformations de nos modes de production et de consommation.

Ils abordent en particulier les systèmes énergétique et alimentaire de la Belgique.

.

(Concernant le système énergétique, il peut être précisé que dans son deuxième avis sur le post 2012, le Conseil Belge pour le Développement

Durable a adopté les objectifs ultimes suivants pour un système énergétique à long terme (2050) :

  • offrir une réponse efficace au défi du changement climatique en accord avec l’article 2 de la Convention climat ;
  • permettre l’accès aux services de base de l’énergie afin de contribuer à l’amélioration des conditions de vie et à la création des richesses et
    à l’emploi
    ,
  • utiliser des ressources (presque) renouvelables  ;
  • contrôler la demande  ;
  • être caractérisé par une efficience énergétique optimale  ;
  • avoir un impact minimum sur la santé humaine et les écosystèmes  ;
  • avoir un haut niveau de sécurité  ;
  • être d’un coût raisonnable.

Nous voudrions conclure sur ceci : quand il s’agit de conserver le potentiel de notre planète sur le long terme, on ne devrait pas seulement se montrer attentif aux limites écologiques et au danger que représentent les événements écologiques imprévisibles ou les points de rupture. L’histoire nous apprend qu’il existe aussi des événements sociaux imprévisibles. On les a appelés les révolutions sociales. L’agitation sociale que l’on observe aujourd’hui dans différents pays, en lien avec la hausse des prix des denrées alimentaires, est un avertissement concret pour que nous n’oubliions pas la protection et le développement du capital humain dans nos discussions pour préparer le long terme.

 Pour un changement de politique et des trajectoires concrètes vers l'équité sociale

Pour ne laisser personne au bord du chemin et faire du futur durable le salut de tous, nous devons mettre en avant dans la programmation politique l’équité sociale. Le développement à venir du modèle social européen devrait être un objectif central.

Des pistes qui sont autant de leviers à la disposition des décideurs politiques pour tendre vers cet objectif, sont développées ci-dessous. Nous ne visons pas l’exhaustivité, en ce sens que nous n’abordons pas les problèmes d’environnement et de santé, ni la souhaitable mutation de la taxation du travail vers une taxation de l’environnement et des ressources naturelles.

Ces pistes sont au nombre de sept :

Prendre en compte les objectifs sociaux de long terme dans toutes les politiques

Dans de nombreux plans ou stratégies à long terme, l’objectif environnemental de 2°C maximum d’augmentation de la température retient une attention majeure (cf. le « paquet énergie-climat » approuvé l’année dernière par l’UE). Nous oublions parfois que la Communauté internationale et les membres de l’Union sont aussi engagés dans la poursuite de plusieurs objectifs sociaux de long terme qui sont importants. Le dernier rapport belge publié sur le développement durable en 2007 contient une liste de 21 objectifs de développement durable, dont 10 sont en relation avec le capital humain. Soit, par exemple : le niveau de vie, la santé, l’instruction à travers les objectifs respectifs d’éradication de la pauvreté, d’une espérance de vie moyenne portée à 76 ans (65 ans en 2002) et d’un diplôme du secondaire pour tous.

Intégrer ces objectifs concernant le capital humain dans les stratégies et les scénarios à long terme de développement durable, devrait relever pour chacun de l’évidence.

Garantir l’accès des pauvres aux biens communs

Les familles pauvres, ou qui risquent de le devenir, requièrent une attention particulière. Ces familles sont frappées plus durement par la hausse des prix liée à la raréfaction de certaines ressources naturelles, l’internalisation des coûts externes et des taxes vertes. Elles ont tout juste les moyens de payer les coûts supplémentaires de l’énergie, de l’eau, de la nourriture et d’autres biens de base. Le principe environnemental de base « pollueur-payeur » entre parfois en collision avec le principe social selon lequel « les épaules les plus solides doivent supporter les fardeaux les plus lourds », autre reformulation du principe de Rio sur les responsabilités communes mais différenciées.

Des dispositifs devraient être établis pour garantir l’accès de tous aux biens communs. En conséquence, certains groupes prônent l’utilisation de tarifs progressifs pour ces biens, au lieu de les faire payer au prix fort. De telles mesures conforteraient la cohésion sociale, un des objectifs de la stratégie de Lisbonne. La volonté d’une redistribution juste a disparu au cours de ces dernières décennies des programmes politiques. Mais il devient clair que les écarts croissants en termes de revenus hypothèquent progressivement la légitimité de la société moderne et la position des élites économiques.

Renforcer la connaissance sur la relation entre changement climatique et emploi

Le rapport du GIEC de 2007 faisait ressortir que l’on sait malheureusement peu de choses de l’impact du changement climatique sur le mode de vie et l’emploi.

Selon les experts, les impacts sociaux du changement climatique dépendent plus, au moins à court et à moyen terme, du mode de développement des économies et des sociétés, que directement des modifications des systèmes naturels. La plupart de ces impacts peuvent être amortis ou entièrement évités si les politiques et les mesures d’adaptation au changement climatique intègrent l’emploi et les revenus. Selon le Document d’information sur la création d’emplois verts publié en 2008 par le PNUE en partenariat avec l’Organisation Internationale du Travail (OIT), réduire l’empreinte écologique pourrait créer beaucoup d’emplois verts et fournir un métier convenable à de nombreuses personnes dans les secteurs de l’énergie et de l’industrie. Ces emplois peuvent contribuer à sortir les gens de la pauvreté. Ces organisations travaillent ensemble sur un programme ambitieux en vue de la réalisation de cet objectif. La Confédération syndicale internationale (CSI) a réclamé plusieurs fois que l’on prenne la peine de développer des programmes de transition « justes » en faveur des travailleurs victimes des changements.

Fusionner la stratégie de développement durable de l’UE et la stratégie de Lisbonne en une seule stratégie porteuse d’une approche cohérente de l’équité sociale

La nouvelle stratégie de développement durable de l’Union européenne identifie la promotion d’une société démocratique, porteuse de lien social et de cohésion, de bonne santé, de sécurité et de justice, qui respecte les droits fondamentaux et la diversité culturelle, qui offre une chance à tous et qui combat la discrimination sous toutes ses formes, comme l’un des quatre objectifs-clés du développement durable. (p.4)

La future stratégie entend utiliser les synergies existantes qui relient la SDD de l’EU et celle de Lisbonne pour la croissance et l’emploi. Les deux stratégies doivent gagner en cohérence du point de vue du développement durable, et à long terme, leur fusion pourrait aider à la gouvernance du développement durable au sein de l’UE et au renforcement des objectifs sociaux (et environnementaux) de la SDD de l’UE. Comme les pays scandinaves l’ont prouvé, une protection sociale développée est un facteur de compétitivité.

La fusion des stratégies européennes de développement durable et de Lisbonne ne relève pas de la fiction ; dans le domaine de l’énergie, par exemple, le plan d’action 20/20/20 combine des objectifs tels que la réduction de l’empreinte, avec les gains de compétitivité et la création d’emplois.

Si l’on poursuit dans cette direction, il faudra fusionner les indicateurs des deux stratégies, ce qui conduira à un jeu d’indicateurs plus équilibré que celui actuellement utilisé pour les sommets de printemps de l’Union européenne. Eurostat a fait un important travail dans ce domaine ces dernières années, en élaborant des indicateurs de développement durable pour l’Union européenne.

Promouvoir la justice sociale internationale par la réduction de notre empreinte écologique

L’« empreinte écologique » joue un rôle important comme indicateur dans la prise de conscience des citoyens quant à l’inégale répartition des biens écologiques entre les citoyens de notre planète, et entre les générations futures et actuelles.

Le « Global Footprint Network » [3] a développé le concept du « one living planet » pour l’ensemble de la planète d’ici à 2050. Le défi pour les pays pauvres est de maintenir une empreinte écologique basse et d’augmenter l’indicateur de développement humain (IDH). Pour les pays riches (et je dirais aussi pour les riches de tous les pays), le défi est de maintenir un IDH élevé tout en réduisant l’empreinte écologique, en transformant les modes de consommation ou de production non durables. Par exemple, en ce qui concerne les ressources naturelles, tout le monde a droit à un niveau de vie équivalent, mais en même temps, nos modes de production et de consommation ne peuvent être étendus à de nouvelles régions du monde, ni aux générations futures, du moins dans l’état actuel de la technologie. De façon générale, il faudrait faire preuve de plus de vigilance afin de s’assurer que les politiques intérieure et extérieure nationales et de l’Union, soient en cohérence avec le développement durable au plan mondial et avec les engagements de la communauté internationale en la matière.

Renforcer le rôle des Nations Unies en matière de normes sociales et écologiques

La mondialisation sans règles risque de générer le désordre ou la jungle. Le marché doit être ajusté pour tenir compte du social et de l’écologique. Cela suppose une gouvernance mondiale appuyée sur le rôle central des Nations Unies pour encourager et contrôler le respect des normes sociales et écologiques. Sans les Nations Unies, la partie serait rude pour les pays et les sociétés. Le pilier social du développement durable pourrait être renforcé en épaulant l’OIT en tant que contre-pouvoir des institutions économiques et financières traditionnelles et en tant qu’agent fondateur d’un véritable code international du travail. L’Europe devrait être un moteur pour le multilatéralisme et la nouvelle architecture des Nations Unies.

Renforcer le capital socio-institutionnel pour conforter la résilience

Pour conforter la résilience dans la perspective d’imprévisibles événements sociaux (ou écologiques), le renforcement du capital socio-institutionnel des sociétés est très important.

Cela peut concourir à la création d’un esprit de coopération entre les peuples et les pays, et à l’édification de capacités et de connaissances utiles à la gestion d’une transition réussie vers le développement durable. La promotion de structures participatives pourrait contrebalancer la migration de la prise de décision politique ou économique vers de lointains centres sur lesquels les citoyens ont le sentiment de perdre peu à peu le contrôle.

L’accomplissement de la transition vers des modes de consommation et de production durables pourrait contribuer à la promotion des vertus sociales.

Et enfin, cela faciliterait de façon générale la transformation sociétale vers une société durable.

On ne peut pas attendre des citoyens qu’ils aient tous la capacité personnelle et la sagesse physique, intellectuelle et affective pour cela. L’histoire sociale nous enseigne que des communautés locales, des organisations sociales et des structures politiques et économiques adaptées pourraient jouer un rôle puissant en contribuant à la participation des gens au processus de transformation sociale et de transition. Ceci étant dit, elles peuvent aussi parfois contribuer à l’inhibition des initiatives prises. Une variété importante d’initiatives sera d’ailleurs nécessaire si l’on considère les différentes traditions culturelles et institutionnelles qu’il existe au sein des différents pays et régions.

Jan de Smedt

Notes

(pour revenir au texte, cliquer sur le numéro de la note)

[1Et cela aiderait les gens, y compris les pauvres, de se voir comme partie intégrante de la solution, plutôt que comme une part du problème, ce qui élargirait la base sociale de la politique du développement durable.

[2Les réflexions de ce chapitre ont pour source le troisième rapport fédéral belge sur le Développement durable (2000-2004), Comprendre et gouverner le Développement durable. S’appuyant sur les travaux menés à partir de l’utilisation du modèle dénommé « Transgovern-model » (La politique au service du changement des conditions de vie) (modèle qualitatif mixant des données sur la société, l’environnement, l’économie et la politique), ce rapport développe une approche intéressante qui prend en compte les intérêts des générations futures.

[3Centre de recherche sur l’empreinte écologique dirigé par Mathis Wackernagel.

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 Bibliographie

  • Rapport Notre avenir à tous (dit rapport Brundtland), Commission mondiale sur l’environnement et le développement durable des Nations Unies, 1987
  • Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement durable, Conférence de Rio des Nations Unies, 1992
  • Plan d’action de Johannesburg, Sommet de la terre des Nations Unies de Johannesburg, 2002
  • Rapport GEO 4 L’évolution de l’environnement mondial, UNEP, 2007
  • Quatrième rapport d’évaluation du GIEC, 2007
  • Rapport conjoint sur l’emploi, Commission européenne, 2008
  • Rapport sur le développement humain Combattre le changement climatique, PNUD, 2007
  • Rapport fédéral belge sur le développement durable (2000-2004) Comprendre et gouverner le développement, Bureau fédéral du plan, 2005
  • Rapport fédéral belge Accélérer la transition vers un développement durable, Bureau fédéral du plan, 2008
  • Rapport d’évaluation des écosystèmes pour le Millénaire, Nations Unies, 2005
    Rapport Le changement climatique, un des risques pour la sécurité du Conseil consultatif allemand du changement climatique, 2007
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